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(1)

— 130 —

'•"•'Il me semble qu’il est temps d ’ imprimer une orientation défin iti­ ve à notre existence...

— Leylâ, je comprends ce

que

tu veux dire. Tout ce que tu dé­ sires c’est de rentrer au pays pour t ’y établir. Tu sais bien que moi - même je n’ai pas d’autre désir. Mais je ne veux pas vendre des chiffons dans ma patrie. I l y a des choses plus utiles à faire là - bas. L e gouvernement dépense des Cen­ taines de milliers de livres cha - que année pour envoyer des étu - diants en Europe. Il fait cela pour disposer chaque deux années de spécialistes dans les différentes branches.

Songe - donc, nous avons gagné une grande expérience au cours de ces 20 longues années sur les hom mes et surtout en matière de so­ ciologie. Quelle différence y a-t-il entre l ’atelier et les chiffons. Nous avons frayé avec toutes les socié­ tés, toutes sortes de gens ; nous a- vons vu toute l ’Europe et étudié le caractère de ses gens.

Nous avons appris à v ivre avec b

les moyens les plus pratiques. Nous connaissons maintenant les hu - mains de façon à savoir à premiè­ re vue à quoi nous en tenir sur eux.

Nous n’avons plus aucun désir qui n’ait été satisfait pour ce qui est de v iv re et voir.Nous avons eu les plus belles robes, nous avons vé eu dans les meilleurs hôtels et nous avons été les amies des m eil­ leures personnes. En outre j ’ai su­ bi pendant des années les pires souffrances à cause du manque d’ argent. Je crois qu’il y a peu de gens qui soient aussi sincèrement considérés que nous le sommes. Les monceaux de lettres et de cartes qu’on nous envoie chaque année au prem ier jour de l ’A n et qui remplissent cette table montrent toute la valeur que nous attachent nos amis. Et les appréciations...

Leylâ m ’interrompit :

— Je t’en prie, ne me parle pas d’admiration et d’appréciation. Nous n’en voulons pas. Nous é- tions les femmes ayant le meilleur goût de Paris, on disait que nous avions des doigts de fée, que nous étions des artistes, des décoratri

-t

Feuilleton de “ L a République ”

(VINGT ANNEES EN

E U R O P E

Par REBIA TEVFIK BASOKCfj

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

ces, des diplomates, des conseillé- tiles ? Pourquoi allons - nous de res ... et tant d’autres choses en- pays en pays sous le moindre pré- core. Des peintres venaient étudier texte alors que nous pourrions res- l ’expression de nos mains. Certes ter chez nous comme tout le mon- tcut cela satisfaisait notre orgueil, de ?

mais nous a-t-il empêché de nous Nous faisons cela pour éloigner sentir seules ? Nous sommes las- de nous cet ««seulement pour fai- sées de cette générosité apparen- re taire notre coeur qui réclame la te dont nous témoignent ces pays-vérité.

oui ne sont pas le nôtre. Nous ne vivons pas ici avec une * Nous mourons peu à peu Rebia! âme dé perroquet qui im ite tout. Pourquoi les réceptions et autres Notre expérience, notre maturité ne font - elles plus plaisir ? Tu ne réside dans le fait que nous vo_- remarques donc pas comment nous yons la vérité telle qu’elle se pré­ fuyons les paroles vaines et inu - sein te. dans notre âme libre et

nos pensées impartiales. Cette âme enfin lib re veut v ivre sur les ter­ res qui sont à elle, au milieu de la nation qu’il l ’a créée.

Parm i toutes les beautés du mon de, ces terres seules nous appar - tiennent. Que serions - nous deve­ nues sans cette patrie ? De sim - nies déchets, des sans - patrie ne représentant aucune valeur n’a - yant aucun droit dans la société.

N ’est - ce pas l ’assurance que nous'donnent ces terres libres qui fait que nous portons le front haut et que nous aimons vivre ?... C’est grâce à l ’amour du pays que nos âmes ont réussi à écrire l ’his­ toire la plus belle du monde. C’est ce pays qui a formé ces hommes dont chacun est digne de faire hon neur.à l ’histoire d’une nation. Ma cherfgnous avons aussi le droit d’ être heureuses. Nous éprouverons ce bonheur dans notre âme le jour où nous travaillerons exculsive - ment pour notre propre paÿs. Ce serait un suicide que de nous ser- vrer de ce bonheur.

Nous mourons pareeque nous ne sommes pas là.. Personne n’a sen­ ti et analysé comme nous la dou­

leur de cette nostalgie qui dure de­ puis des années Tous les citoyens qui viennent ici ont des objectifs différents. Mais nous sommes seu­ les dans le chemin que nous a- vons choisi. Personne sauf nous n’ a eu le courage de se plier à la du­ reté de cette route.

Quels sont parmi ceux qui sont venus ici avec des pièces d’or dans la doublure de leur

ont vendu leurs bracelets, leurs fourrures achtés au prix d’or Dieu sait quels sacrifices, pour prolun - ger d’un mois leur séjour en cet­ te ville, quels sont ceux qui par­ mi les gens venant ici pour dire « j ’ai vu ceci à Paris cela à Ber - lin >■, qui vont de la revue osée des Folies - Bergère aux Galeries La- favette et retournent chez eux a- près avoir acheté un flacon de p a r­ fum et du vernis pour les ongles, croyant ainsi avoir acquis aisé - ment toute la culture européenne, quelles sont parmi ces personnes celles qui ont bien voulu se rendre compte des. difficultés de la route que nous suivions ?

( à suivre )

(2)

— 131 —

Combien y a-t-il parmi elles, cel les qui ont songé à gagner ici pour envoyer au pays ce qu’ils avaient gagné ?

— Mais alors, Leyla, que veux- tu dire?

— Je veux dire que nous nous sommes bien fatigués à travailler ainsi!... Nous pourrons aller à n’im porte où, en Amérique ou même en Afrique, mais il faut que nous a- yons pour objectif principal le re­ tour au pays.

— Leyla, chérie, nous rentre - rons absolument au pays, tu peux le croire, mais à conditions de met tre en application nos beaux pro­ jets... Tu connais meS idées en ce qui concerne le pays. Je veux coû­ te que coûte être utile à la patrie. J’ai pour idéal d’y fonder une oeu vre et de consacrer une vie à cette oeuvre. L ’amertume que je ressen­ tirais serait encore plus terrible si je n’arrive pas à faire ce que je dois pour servir le pays.

— Récemment tu disais qu’il fal lait form er des hommes dénués de toute convoitise et de toute ja ­

lousie et considérant le sentiment d’amitié et de camaraderie au - des sus de tout. Je suis entièrement de ton avis .Mais comment comptes - tu mettre ton idée en pratique ? Voudrais - tu ouvrir une école et enseigner ces préceptes ?

— Non mn ch è rfep o u r ensei - gner, il faut être calme, plein de patience et être au courant de cet art. Où trouverons - nous la pfa - tience qu’il nous faut avec ces nerfs tendus ?

Nous ferions oeuvre bien plus utile si nous arrivions à mener à bien nos projets.

Tu sais qu’ il fut un temps où l ’i­ dée d’ouvrir une école pour y don­ ner des leçons de sociologie me te­ naillait fort... Je donnerais ma vie pour voir notre éducation sociale atteindre à un degré des plus éle­ vé. Mais je m’attelle à cette idée avec encore plus de résolution. Je n’ai pas l ’intention d’ouvrir une é- cole, ou plutôt, je laisse pour le mo ment de côté l ’idée d ’ouvrir une école.

— Mais alors que ferons - nous? — Nous allons fonder une fe r­ me avant de fonder une école... u­

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formerons des mains de -travail-leurs comme eux

A mesure que

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Par REBIA TEVFIK BASOKCC

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

ne belle ferme quelque part, dans

un beau site de ^’A n atolie... Nous pourrions y rassembler les orphe­ lins anatoliotes eptre deux et cinq ans... Une centaine pour commen­ cer. Tout eu leur donnant des le­ çons, nous allons bien enseigner l ’art d’être les bons cultivateurs de demain. Leur âme sera libre de tout sentiments répréhensibles et leur idéal sera le suivant: travail­ ler de tout coeur à faire de ces ter

en outre qu’ils sont les propriétai­ re de la ferme où ils travaillent qu’

ils sont responsable de sa bonne tenue. Nous allons leur inculquer le goût de la responsabilité.

Cette ferm e modèlè qui sera fon dée dans les meilleures conditions de perfection sera une source de ri chesse pour les années à venir. Les tout-petits qui y seront élevés se­ ront les hommes nouveaux de la Turquie nouvelle... Us formeront res des coins parfaits, s’aimer d’un ensuite des fermes modèles dans amour des plus purs et être tou- toutes les parties de la Turquie... jours actifs. Nous leur apprendrons I l i seront de bons travailleurs et

s’écouleront les années, de nombreux fermes se - ront constituées fct le petit anato - liote ne sera plus pauvre et dé - nué de tout.

— Oh que cette perspective est belle... Est-ce que nous pourrons jamais assister à ce bonheur?... Mais est-ce nous qui allons gérer cette ferme, Rebia ?

— Nous nous allons engager un couple américain spécialiste qui travailleront sous notre surveil - lance... Nous pourrons très bien confier cela aux Américains...

Voilà pourquoi Leyla, j ’ai hâte à vouloir me rendre aux Etats - U- nis. Il nous faut aller étudier ces choses sur place.

L ’autre jour Madame Shenill— la femme de feu le général Shenill, affMJjaÿ aSeur des Etats-Unis à An kara — me dit :

—r Si vous venez en Amérique, je vous aiderai à voir toutes les écoles, et j ’éssaierai de faire en sor te qu’on vous donne tous les ren - sengnements nécessaires.

Elle nous dit même qu’elle nous

présenterait à Mme Roosevelt ce dont notre pays pourrait profiter beaucoup pour ses projets.

En outre, les recommandations données à Londres par M r.-Griffen et- adressées aux familles les plus riches de N ew -York et de Boston devaient nous assurer la connais - sance de nombreux personnalités. La chère Nora pourrait également nous aider beaucoup dans ce pays. La question essentielle ne consiste pas à apprendre les mét­ hodes employées, dans les fermes et les écoles, mais encore à trouver l ’argent nécessaire pour fonder cet te ferm e... Car autrement com - ment nous lancer dans cette entre­ prise avec le peu que nous possé­ dons ?

J’espère que les Américains qui envoient chaque année des m il - lions pour réparer le vieux palais nous aideront à réaliser nos pro - jets si altruistes.

Nous n’aurons fait notre devoir envers la patrie que si nous ren - trons au pays avec un don pareil. Sais tu combien cela nous réjouira Leyla ?

(3)

L e y la sautant sur ses pieds m ’entoura de ses bras, les yeux brillants et pleins de p l& V l

— Espérons que Dieu nous don­ nera de réaliser tout cela.

X I I

L e lendemain j ’envoyais deux lettres en Am érique : l ’une à la femme de notre ambassadeur à Washington. Je la priais de bien vouloir intercéder auprès de l ’am­ bassadeur pour qu’il écrivit à l ’am­ bassade des Etats-Unis à Paris afin de faciliter les formalités de visa.

La seconde était adressée à No- ra Morgan : je l'informais que nous allions prendre l ’ « Ile de France» Qui se rendait à N ew -Y ork la v e il­ le de N oel et lui disais que-nous pourrions passer un ou deux jours ensemble si toutefois elle n’avait aucun engagement.

J’étais tellem ent persuadée de l'am itié de Nora que j ’étais sûre que cette nouvelle serait accueil­ lie par elle avec joie. Mais Nora

— 132 — n’habitait pas N ew -York. Elle é- tait dans le Connecticut à trois heu res et demie de New -York. Son ma­ ri était directeur du Conservatoire de Waterdon.

La décision de nous rendre aux Etats-Unis nous avait fort réjouis. Désormais chacun de nos pas n’al­ lait-il pas nous rapprocher de ce but ?

Leyla disait :

- - S i nous n'avions l ’amour de l ’idéal, nous serions mortes depuis longtemps.

leieik

Nous faisions confectionner de nombreuses robes pour les empor­ ter aux Etats-Unis. Nous recevions en outre de fréquentes lettres de Berlin.

L ’hiver passé, nous avions renon­ cé à Berlin pour demeurer deux mois à Londres. Cela eut le don de révolter quelques riches B erli­ noises qui avaient l ’habitude de se fournir chez nous de sorte qu’elles insistaient pour que nous allions l ’hiver à Berlin avec quelques toi­ lettes.

— Allons-y pour dix jours dis-je.

..<• y

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!

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

Nous pourrons ainsi voir nos amies

et leur apporter quelques robes. Les semaines s’écoulaient au mi­ lieu d’une activité fiévreuse. Nous . n’allions emporter en Amérique

ciue des toilettes de valeur.

* Nous préparions également la robe dont nous allions faire cadeau à Nora, une robe de style en satin bleu pâle avec des rubans en ve ­ lours rose. Nora serait adorable dans cette robe. Elle serait bien contente et nous sauterai tau cou... Que fallait-il emporter pour don­

ner à ses trois jolies files ? Nous ne nous entendions plus aux effets d'enfants.

Nous avons reçu deux lettres d’ Am érique la semaine passée : l ’une de l ’ambassadeur Münir Ertegün qui nous envoyait une invitation en règle ; il priait en outre l ’am­ bassadeur des Etats-Unis à Paris de nous faire toutes les facilités possibles puisque nous étions les invités de l ’ambassade de Turquie à Washington.

La lettre de Nora nous apporta

une pou ffé« de sa joie exubéraiiie: dans Lois jours : c'f .. « i <igokiUf, « Vdus ne saunez imaginer, di- Je sais que tu raffoles dt sa v o l* * sait-elle, comme vous m ’avez ré- N e pourrions-nous y a ü f T ensem- joui. Je viendrai vous Recevoir ble ?

moi-même à l ’arrivée de T «Ile de — Christine, chérie, ne nous ten- France». Je vous aiderai dans les te pas. Nous voulons alüer apres- affaires douanières qui sont’ tou- demain à Paris. L e bateau appa- jours ennuyeuses chez nous. reille le 18 décembre pour l

’Amé-« Je compte les jours. Ce n’est rique. _ . pas seulement moi mais encore — Voyons, vous irez à Paris 24 mon mari et mes enfants qui vous heures plus tard. Qu’est-ce que ce- attendent. Les gens de la maison la peut faire ? Vous êtes prêtes eux-mêmes et tous nos amis veu- d’ailleurs. Est-ce qu’on laisse é- lent vous voir. » chapper une occasion pareille ?

Mon Dieu ! Qu'il était bon d’a- A fijW a t t e n d un coup de télépho- voir quelques vraies amies au mon-/he. T i v a immédiatement acheter de 1 Et combien cette sympathie^ les billets. Tu sais qu’après il sera venant de si loin nous faisait ai- 1 impossible de trouver des places, mer d’ores et déjà ces terres ! J — Attends Christine, je vais de-

Voilà une semaine que nous som- J mander à Leyla.

mes à Berlin. Quoique nos occupa-| — Qu’en penses-tu Leyla ? U tions soient des plus fatiguantes,! paraît que G igli vient et Christine elles ont heureusement pris fin. {nous invite pour que nous allions

Christine m ’a téléphoné ce m a-1 voir ensemble «R igoletto ».

t jn . I — Oh, Rébia, il faut que nous

__Rébia, j ’ai une très bonne nou l'allions écouter Gigli. Christine a velle à t ’annoncer. Je viens de lire ïraison. Nous aurons toujours le au journal que G igli vient à Ber- |temps même si nous arrivons a lin. Il donnera trois représenta- «Paris 24 heures plus tard,

tions à l ’Opéra. La première a lieu, }*?#' $ " ( à suivre )

(4)

-— 133 -—

— Tu entends Christine ? Leyla ne peut se passer de l ’opéra. \ — Bravo Leyla..J Q uelle excel­

lente amie ! Je vais immédiate/ -

ment téléphoner à *

Trois jours plus tard la large a- venue Uuteijf den Linden était pleine d’automobiles. L a salle de l ’opéra était envahie par de belles femmes blondes aux capes d ’her­ mine et de cmichilla. Des bouquets d ’orchidées débordaient du col des Jemmes. Les hommes, arrangeant leur monocle sur leur face bien nette, prenaient place auprès des femmes avec la raideur d ’un mannequin dans leur frac sem - blant venir de chez le tailleur et leur plastron empesé.

On aurait entendu une mouche voler dans cette immense salle où se pressaient 3000 personnes. L ’or­ chestre de 200 exécutants jouait comme un seul homme une mélo­ die délicieuse ..

Mais voilà G igli ... V oici cette voix qui remue si profondément

les sentiments humains et fait bat­ tre si fo rt les coeurs. Rien ne bou­ ge. Tout est silence. Puis le ri - deau tombe peu à peu.

¡L'enchantement tombe fet les applaudissements éclatent: Hour - ralis !... vivats !... Les femmes ar­ rachant leurs orchidées les lan - cent sur la scène. Cet homme qui a dans la gorge la richesse la plus précieuse dont la nature lui a fait don, salue les trois m ille adora - teurs qui l ’acclament comme un souverain très fier mais joyeux ...

Après le théâtre, nous sommes à l ’hôtel Adlon. Il n’y a pas une seule table vide. Tout le momie y est allé souper. i H â m h * /

Nous remercions les

— Vous avez si bien fa it de ne pas nous laisser partir.

Demain soir, à pareille heure nous serons dans le train. Et la se­ maine prochaine sur l ’Ile de -France, en route pour N ew -York..

J|c )|t

Vers minuit j ’entendis un petit bruit dans la chambre contiguë à la chambre où couchait Leyla,dans

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la pension Foss. Je vis de la lu - tais pleine déutrain au théâtre et mière filtrer sous la porte. J’at - à FAÜMfc. »

tendis un moment, la lumière é- — Je sentis quelque chose à l ’o- tait toujours allumée et j ’enten - reille gauche en entrant à l ’Adlon dais L eyla se retourner constam- mais je n’y accordais aucune mi­ ment dans le lit. Je sautais sur me3 portance. La douleur augmenta de pieds pour ouvrir la porte: plus en plus lorsque je fus entrée

__ Leyla, qu’as-tu ? serais - tu dans le lit. C’est devenu insuppor-roalade ’ ’ table. Tu ne sais pas comme c’est

■— Oh ma chérie, je me meurs, terrible.

C ’est terrible. Mon oreille gauche H était cinq heures. Nous e - me fait bien mal. tions obligées d’attendre jusqu’à

__ C>est arrivé soudain ? Tu é - sePt heures le réveil! des domesti­

ques. J’enveloppais dans de la lai­ ne le côtégauche de la tête de Léy- la. La malheureuse se tordait de douleur.

L e matin j ’écrivis à Kameran ha- nem, femme de Suleyman Sirri bey et la priais de nous envoyer un médecin spécialiste par l ’en - ti omise de son fils.

L e spécialiste amené vers midi par Emin, trouva que L eyla était au plus mal. L ’oreille était en - flammée.

— Cette maladie est maintenant très répandue à Berlin, dit-il. Dans la plupart des cas nous pratiquons une opération. Beaucoup ne gué­ rissent pas et le cas le plus bénin retient les patients 3 semaines au lit.

V oilà un mal inattendu. Et ce qu’elle souffrait la malheureuse ! L e soir même j ’envoyais à Nora une lettre l ’avisant que nous ne pourrions nous rendre en Am éri - que.

Le voyage en Amérique était désormais remis. Nous ne pouvions aller en Amérique en été. Qu’au

-rions-nous pu faire dans ce pays où en été tout le monde prend ses vacances et va au bord de la mer ou ailleurs ? •

Tout en se tordant de douleur dans son lit, Leyla disait :

— Ma chérie, laisse-moi et va - t’en. Ce sera bien dommage. Nous nous étions si bien préparées à ce voyage !

Mais comment aurais-je pu la laisser dans cet état ? Nous deux étions comme une seule personne dans la vie. Sa maladie suffisait à me bouleverser. Heureusement qu’ une semaine plus tard, le médecin déclara qu’il n’était plus nécessai­ re de pratiquer une opération et que le danger était passé.

Cela n’empêcha pas L eila de garder le lit pendant 3 semaines.

Un jour je reçu la réponse de Nora à la lettre que je lui avais envoyée. E lle était furieuse:

(5)

— 134 —

« Tu ne peux, disait-elle, avoir une idée du mal que tu m ’a fait. Il y a un mètre de neige en A m éri - que du Nord Nous avons volon - tiers effectué le voyage à N e w - Y o rk qui dura trois heures et demi m algré la'.' neige où notre voiture s'est embourbée à plusieurs repri­ ses. L e bateau accosta. Nous at - tendîmes votre sortie pendant une heure e t demi sous la neige qui tombait. J’ai été très affectée lors­ que je ne vous ai pas vues descen­ dre. Tu avoueras qu’un voyage de sept heures aller retour par ce temps de chien n’ a rien de réjouis­ sant. On nous rem it ta lettre le soir lorsque nous fûmes de retour a - près tant de difficultés; éreintés et furieux. L a maladie de L e yla m ’a fait beaucoup de peine. Mais du’ est-ce que celles qui doivent venir en Am érique ont à faire à Berlin ? J’avais invité 14 amis pour don­ ner une fête en l ’honneur de votre arrivée. Ils sont restés une semai­ ne chez moi, de N oël au jour de l ’An. Nous avons célébré tout seuls la fête que nous vous avions

préparée.

Je vous aime toujours du même amour. N e manquez pas de me don­ ner des nouvelles du rétablisse - ment de Leyla. Cela me soulagera beaucoup.

Am itiés cordiales : T a N ora Quelle amie sincère, pleine d ’es­ prit de sacrifice cette Nora!

L ’été de 1938 nous donnait un avant-goût de la tourmente qui al­ lait éclater dans le monde.

I l fatiguait nos nerfs déjà épui­ sés. Je ne trouvais plus en m oi le courage de m ’occuper de chiffons et d’ouvrières nerveuses.

De retour de Berlin après la ma­ ladie de L e y la je préférais ferm er tout à fait l ’atelier. I l nous était facile de faire préparer les robes dans un autre atelier pourvu qu’il y eut de grosses commandes. Mais nous ne voulions plus travailler à Paris.

Du reste je m ’étais si bien plon­ gée dans les cours d ’Anthropolo- gie de la Sorbonne que je fréquen­ tais depuis une année, qfftâe

pro-Fenilleton de w La République ”

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Par REBIA TEVFIK BASOKCV

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

Comment pouvais-je ne pas a,/- voir ma part de lumière de cette Sorbonne qui, depuis plus de 800 ans distribuait la science dans tou­ tes les parties du monde? C’était décidé avec Leyla: nous devions rentrer au pays dès que la guerre commencerait et quelle que fut no­ tre situation. Cette maudite guerre devait fin ir par éclater, l ’année pro chaine si ce n’est cette année. I l

fallait donc profiter des jours de répit qui nous séparaient de la ca­ tastrophe.

L e professeur M arcel Jousse est un grand savant et un orateur e x ­ traordinaire. Sa faculté d’ensei - gnement était bien plus grande que celle des autres professeurs.

I l faisait ses cours toujours dé­ bout: il marchait, se promenait et faisait des gestes avec ses mains et son corps. L e «g este»! C’est ce sur

quoi il s’arrêtait le plus.

L e professeur qui étudiait les ty­

pes utiles et nuisible parmi les hu­ mains ayant vécu depuis des m il­ lénaires ; il se consacrait depuis des années à une nouvelle théorie dans le dessein de form er un type d’homme nouveau. I l disait:

— Les savants Français sont de­ venus les ennemis de la France. A- vec leurs .ouvrags imaginaires en opposition avec les lois de la nature qu’ils écrivent dans des chambres noyées dans la pénombre, sans que leur corps, p rivé de sport ; fasse un mouvement, ces hommes ont fa it de la France un pays qui perd son temps en de vaines paroles. L ’ homme n’est pas fait pour parler, mais plutôt pour agir et créer. Nos voisins germaniqjues |noud le dé­ montrent.

Nous avons fait de nos livres des formules d’analyses chimiques compliquées. Devant la multitude et la variété de ces livres, nos en­ fants, nos écoliers gaspillent leur énergie et leur faculté d’action. On fin it par avoir une génération qui parle beaucoup mais n’arrive pas à |jgir. Ce n’est pas l ’homme des v il­

les lisant beaucoup,ayant son pou­

voir créateur atrophié et ne quittant pas son coin qui sauvera le pays;c’ est plutôt le paysan actifs adroit,tra vailleur et dévoué qui le fera. I l nous faut un bon laboratoire pour faire de ces hommes des gens aus­ si disciplinés qu’actifs. Nous avons besoin d’un laboratoire capable de form er les nouvelles générations dans la simplicité et la réalité, for mant des hommes travailleurs. Je remplis le rôle d’un laboratoire au près de vous avec ces leçons. Lors­

qu’un enfant grandit 41 faut lui inculquer l ’idée de devenir un Ju­ les César, un Atatürk. Ces hom - mes que l ’histoire nous donne ra­ rement savent form er et diriger les autres comme ils ont su se fo r­ mer eux - mêmes ; c’est ainsi qu’ ils ont réussi à imprimer un nou­ veau caractère au cours des cho - ses

Lorsque le professeur Jousse eut lu le liv re sur le “’ Kémalisme ” que je lui avais donné, il répéta souvent dans ses cours que les prin cipes du Kémalism e étaient con - formes aux siens.

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135

La maladie du grand Atatürk Que le professeur M arcel Jousse citait si souvent dans ses cours à la Sorbonne comme un exemple de volonté et d’énergie au premier rang des grands de. ce monde, nous faisait une peine immense et nous atterrait.

Nous découpions Chaque jour les bulletins médicaux paraissant dans les journaux sur la santé d’ Atatürk et nous attendions, per - suadés que la maladie suivait un cours meilleur. Nous étions con - vaincus que la mort elle - même „.ne saurait approcher Atatürk, et pourtant nos nerfs étaient à bout.

Nous ne parlions que de cela en­ tre nous. Nous ne voulions ■ voir personne afin de ne pas parler d’ autre chose.

Un jour je dis à Leylâ :

— Leylâ, télégraphions à Ata- lürk pour/lui Souhaiter une promp­ te guérison.

Je décrochais immédiatement le récepteur pour dicter la dépêche eue voici :

“ Souhaitons prompte guérison

à notre Grand Atatürk. Puisse 1’ être le plus cheE-aux Turcs, notre gloire et notre lumière, notre gui­

de et créateur vivre éternelle­

ment. . —

Paris.. Rebia et Leylâ Deux jours plus tard nous étions folles de joie en apprenant par les journaux l ’amélioration subite de la santé d’Atatürk. Lorsque le 29 Octobre, je demandais à l ’ambas­ sadeur Suât bey qui donna.it une réception à l ’occasion de la Fêje nationale, des nouvelles d’Atatürk, il me dit :

— Il va bien, très bien Dieu merci.

Mais le 10 Novembre, il y avait au haut de la 1ère page de Paris- Soir une photo d’Atatürk, les yeux perdus au loin, avec un titre en manchette : « Atatürk est mort ce matin ». Tous les postes de radio répandaient au monde la nouvelle du malheur immense qui avait fondu sur les Turcs.

Oh ! Je voudrais être morte pour ne pas sentir si vivem ent cette douleur horrible, cette souffrance provoquée par cette catastrophe nationale et qui ne pouvait être

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I S A

VINGT ANNEES EN

EUROPE

Par REBIA TEVFIK BASOKCli

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

comparée à aucun autre deuil.

Leylâ pâle d’insomnie me disait en essuyant ses yeux dont les pau­ pières s’étaient inflammées à for­ ce de pleurer depuis les jours :

— C’était notre soleil et il avait créé un monde. Les semences que .ses rayons ont mûri feront vivre et briller le mond oriental. J’en ai le foi.

Et me tendant une liasse de journaux arrivés d’Istanbul com­ me pour mettre fin aux crises

car-diaques, aux palpitations dont j ’é ­ tais saisie deux fois par jour, elle ajoutait :

— Regarde de quel amour sin - eère ce peuple aimait son Libéra­ teur ! Cette nation ne peut plus s’ écarter de la voie qu’il lui a tra­ cée. C’est notre plus grande conso­ lation...

Et qui donc ne l ’aurait aimé et chéri ? . Témoin les givres rem - Plissant les rayons de mà biblicthë Que et montrant l ’admiration que tous les peuples lui portaient...

Les Anglais disaient de lui : “ La

puissance ne peut être comparée à celle de l ’homme. C’est un géant légendaire ” .

Et les Américains : “ C ’est l ’hom me qui tient le gouvrnail du mon­ de

C'était un homme qui n’avait rien de commun avec aucun com­ mandant, qui n’aurait jamais son pareil...

Il avait tiré du cercueil 1’ “ hom­ me malade ” que l ’on prétendait mort et enterré, pour lui insufler une vie, des conceptions nouvel - les. Et il était parti après avoir donné sa vie pour cette nation qu’ il avait sauvée.

Il ne demandait qu’une chose à son peuple : garder son indépen - dance à tout prix et ne pas hésiter au besoin à sacrifier pour elle sa vie et ses biens ; travailler sans discontinuer, sans se lasser...

De même que les journaux du monde entier, ceux de France é- taient remplis d'Atatürk. Je lus, dans un journal : les Chinois a- vaient pavoisé avec des drapeaux- noirs et suspendu dans les rues des pancartes ou on lisait : “ Atatürk n’appartenait pas seulement aux

Turcs, mais aussi à nous. Set en - fant de l ’Orient est à nous tous.”

Quel est le peuple qui n’aurait pas voulu d’un Atatürk dans son histoire ?... Mais nous, les Turcs, les enfants d’Atatürk, ne sommes I^as décidés à l ’abandonner au sein de l ’histoire pour le contempler de loin. Nous le perpétuerons en le faisant revivre dans nos cerveaux, dans notre sang et notre foi. Nous n’oublierons jamais que nous lui sommes redevables de notre liber­ té. Atatürk a créé un dieu de no­ tre nationalisme et de notre patrie. Nous vivrons et nous saurons mou­ rir pour lui.

Nous en avons fait le serment tous.

* **

A Paris, pendant exactement quatre semaines, les cinémas pro­ jetèrent de films sur la vie d’Ata­ türk, sur sa maladie, sur les funé- , , railles au Palais de Doimabahçe, 4t

sur le deuil de la nation turque et \ le transport de la dépouille mor -

telle au musée Ethnographique d’ Ankara.

( à suivre )

(7)

— 136 —

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f f

5 f®j ;

Et chaque fois que son nom et ses titres étaient cités, on en don­ nait la signification : Gazi (le vic­ torieux) ; Kem al (le parfait), A ta ­ türk (Le Père des Turcs).

E t chaque fois on entendait un murmure d’admiration parmi le public. L e y lâ et moi allions cha­ que jour et parfois même plusieurs fois par jour aü cinéma pour voir, ne fut - ce que sur l ’écran ce “ pè­ re de la Patrie ” .

Combien ce geste des Français qui ne sont nullement avares lors­ qu’il s’agit de reconnaître la va - leur des grands hommes nous avait remué !

L e dernier jour, en achetant no­ tre billet*au guichet, nous deman­ dâmes :

— Est - ce qu’on projette encore aujourd’hui le film d’Atatürk ?

L a caissière me regarda d’un air d'envie :

— Vous êtes Turques sans dou­ te !

Je fis “ oui ” de la tête.

— Vous êtes, dit - elle, bien heu reuses d’avoir eu uh Chef qui a si

bien servi son pays.

A la poste, j ’expédiais des' joùr- ( ra u x parisiens à Istanbul. (

L e guichet était bondé. L ’emplo- yé lut sur le paquet le mot Tur­ quie ” , Tous ceux qui attendaient me regardèrent, virent mon aspect 1 endeuillé et aussitôt,, comme mus i par une entente tacite pleine de considération ils me firent place de sorte que je fus immédiatement devant le guichet. Tous les yeux étaient fixés sur moi avec des re­ gards apitoyés : j ’étais une fem ­ me appartenant à la nation qui a- vait perdu Atatürk.

J’achetais des fruits chez le mar­ chand voisin :

— . Madame, me dit - il, il y a longtemps qu’on ne vous voit plus. Auriez - vous été malade ? Vous êtes bien pâle. Oh ... mais vous êtes en deuil. Peut - on demander.'.

—^ J'ai perdu Atatürk dis - je. — Oh mon Dieu ! reprit le frui­ tier, alors vous prenez le deuil, même de loin ’

Puis se tournant vers sa femme il ajouta :

— Tu vois la grandeur d.Ata - türk dit - il, même ceux d’ici ont

Feuilleton de “ L » République *’

VINGT ANNEESËN

E U R O P E

Par REBIA TEVFIK BASOKCV

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

pris son deuil.' diant qui criait :

Et il branla la tête surpris : “ tjpnr i l — cru à tout ce qui — C ’est tout de même quelque venait de Toi. Mais pas à ta mort.” chose de terrible, dit - il, tout le M rue

monde, mais là tout le monde le i n , rmnfwgniinii tjjTlf 1 regrette. Quelle force, quelle puis- a i « Lgut‘ « »Mi»»*>nMti|i nnttu»nattai» w sance mon Dieu ! » r i t pw» e »ph» liw i

Toutes nos connaissances nous XH1

envoyaient des lettres, des dépê - U y avait un tel malaise dans 1’ ches de condoléances ou vinrent atmosphère de Paris que tous é- nous voir. Toutes admiraient Ata- taient d’avis que la guerre était türk qui avait réussi à faire la proche. Du reste, la situation après conquête de tous les coeurs. l ’entrevue de Munich montrait clai

Dans un journal d’Istanbul on rement que le monde subirait une citait le discours d’un jeune étu- deuxième épreuve sanglante.

Nous attendions le début de 1’ année prochaine pour décider de ce oue nous ferions. I l était d’ailleurs impossible de voyager.

L ’une des lettres que nous reçû­ mes à l ’occasion de N oël nous ap­ porta une triste nouvelle de^JBer- )m. E lle était de '* ‘

“ Je passe le plus triste Noël ma vie, disait - il. Christine m’a quitté. Elle s’était r e n d u e^auprès

de sa famille, en J0üil5#fl*depui& quelques mois pour y passerswrvS? cances d ’été. E lle vous avait écrit

d’ailleurs... Maintenant elle m’ a­ vise qu’elle ne rentrera plus et dé­ clare avoir fait les démarches né­ cessaires pour demander le divor­ ce. Nous serons séparés au mois de mars. Il va sans dire que tous les torts sont de mon côté.

V oilà donc la fin d’une vie con­ jugale qui a duré 20 années... ”

Cette nouvelle nous affligea beaucoup. Quelques larmes coulè­ rent des yeux de Leylâ qui dit •

— Pauvre Christine ! Elle a souf­ fert, étrangère et seule pendant 20 années. Tu vois, Christine qui était pourtant si douce et si plei­ ne de bonne volonté n’a pu sup­

porter cette vie. Je suis sûre que ÿ û f t n ^ ’est encore laissé entraîner

aux courses...

— Sans doute. Mais je trouve que Christine a aussi un peu tort. Ce n’est pas d'hier qu’elle est au courant des défauts de son mari.. On ne défait pas des liens pareils après vingt ans...

— Tu as raison, mais Christine a tout fa it pour ne pas venir à cet- i te extrémité. Pendant des années ,et des années elle a patienté et payé les dettes de son mari. Mais en fin de compte...

— L eylâ chérie, j ’admire encore ton intelligence. Qui peut dire que tu n'aurais pas eu le même sort si naguère te laissant dominer par tes sentiments tu avais épousé J**

t m ?

— Rebia, je n’ai pas voulu être une femme ayant abandonné son pays parceque j'avais tenu compte de toutes ces difficultés. Mainte - nant encore, j ’aurais agi de même quoique nos lois soient plus tolé - rantès envers ces unions.

( à suivre )

p A jt-r/tA Îé .

¿

9

)

(8)

VINGT ANNEES EN

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Par REBIA TEVFIK BASOKCÜ

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

Feuilleton de " La République "

D ’après moi, l ’amour et le ma­ riage ne sont pas une seule et même chose. L ’amour est un senti­ ment sacré qui élève l ’âme humai­ ne. L ’amour dont je parle exclut le flir t grossier et matériel de nos jours. L ’amour n’est digne de ce nom que s’il vous élève vers un idéal. Cet idéal peut changer de nom, de physionomie et de carac­ tère avec l ’âge, mais il fin it tou­ jours par se délivrer de ces noms d’emprunt pour se montrer sous son vrai jour. Il n’apparaît plus sous un visage humain. L ’amant voit son idéal, son amour dans son pays, dans sa patrie : c’est seule­ ment alors qu’il goûte au vrai bon­ heur.

Seuls ceux qui peuvent attein­ dre à ces sommets sous l ’inspira­ tion puisée dans l ’amour peuvent faire de grandes choses dans leur pays.

Mais, mon Dieu ! Je me suis laissée aller. Qu’est-ce que la terre de la patrie a de commun a­

- - 137 — vec le divorce de Christine ?

— M a chère Leyla, eette affaire t’a replacée devant l ’idéal pour le­ quel tu brûlais et devant le

passé.

Je souhaite qu’un jour toi aussi tu fasses de grandes choses dans le pays avec cet amour qui te brûle.

— Oh, n’en parlons pas pour le moment... Qu’allais-je dire ? • Oui tu sais que je ne suis nulle­ ment fanatique. M algré cela je n’arrive pas à me décider à épou­ ser un étranger. Nous voyons de nombreux exemples : 25 pour cent de ceux qui se marient entre eux ne parviennent pas à être heu­ reux ; quatre-vingt quinze pour cent de celles qui se marient avec des étrangers sont malheureuses et finissent par divorcer ou alors traî­ nent lur v ie conjugale rien que par amour-propre.

Quant à ce qui est de nous, les Turcs, ne constatons-nous pas que la plupart de celles qui sont unies à des étrangers ne sont nullement heureuses ?...

— Mais, Leyla, leur mari sont des gens très loyaux. Et s’ils n’ar­

rivent pas à s’entendre c’est un peu de leur faute à elles.

— Je ne prétends pas le con­ traire 1... Nous avons connu de près les femmes depuis de longues années. Nos femmes à nous sont plus capricieuses ; elles aiment faire leurs quatre volontés. Elles Sont plus exigeantes que leurs soeurs d’Europe. Leur sensibilité extrême leur fait paraître com­ me des défauts impardonnables

des fautes que les femmes d’ici

prennent pour des peccadilles. C'est alors que commence la mé­ sentente. Imagine un peu le drame que représente le fait d’être fâché avec un mari ou une femme étran­ gère, dans un pays étranger. Or, jamais un mari et une femme ne se disputent ou se fâchent malgré leurs défauts. Les femmes surtout sont beaucoup plus tolérantes et savent bien mieux ménager les choses.

— Leyla, plutôt que la mésen­

tente conjugale à l ’intérieur, ce térieur sa vie revêt rapidement l ’as sont les répercussions à Texté- pect d’une lutte pour l ’amour-pro- rieur qui me peinent. pre.

— Et moi donc !... Songe donc un peu : il va sans dire que dans ces conditions la femme turque ne représentera pas un sppcimen heu­ reux de ses concitoyennes à l'é ­ tranger.

11 nous faut bien savoir que l ’Eu­ rope ne nous a pas compris au point de vue social autant qu’elle nous a compris dans le domaine militaire ou politique. C’est qu en effet, nos conceptions sont fort différentes de celles des Européens en ce qui concerne la vie. Je ne parle par ici des amitiés person­ nelles. Mais l'Européen n’aime pas l ’étranger lorsqu’il n’a rien à ga­

gner. V o ilà pourquoi l ’Européen­ ne considère l'étranger qui épouse un de ses nationaux comme une sorte d’usurpatrice. Elle ne le lui pardonne jamais:

L ’étrangère qui sent l’existence de cette atmosphère autour d’elle a beau se montrer heureuse à l

’ex-Nous en avons vu l ’exemple avec Nermin, avec Mme §. M., C. H. et finalem ent avec Christine qui était . une fille du Nord.

— Leyla chérie, laissons de côfé la philosophie du mariage et écri­ vons vite une lettre à Christine pour la prier de ne pas ruiner son foyer. C’est là un devoir qui nous ‘ - “ S f * < u * u 4 - *■

La réponse que nous reçûmes quelques jours plus tard était des plus tristes.

Elle écrivait que notre lettre l ’a­ vait fait pleurer mais qu’elle avait abandonné JLS *fl£ a p rès avoir ac­ quis la conviction qu’il était impos­ sible de v ivre avec lui et qu’elle était très fatiguée par la lutte mo­ rale qu’elle avait menée pendant vingt ans.

( à suivre )

(9)

— 138 — éduquée n’avait pas pu#ni voulu penser comme un A llemand,

A

Certes, n’avait-elle pas déclaré, L e très sympathique couple M. il y a 14 ans, lors de la première et Mme S toeckl*» nous accueilli

-Feuilleton de “ La République

tourmente qu’elle ne saurait conti­ nuer â v iv re avec son mari s’il ré­ pétait ces fautes qu’elle considérait comme une sorte de crime d’après les coutumes' de son pays ?

Quelques mois plus tard, nous

rent à l ’arrivée du train à la gare du Zoo de Berlin, une nuit d’avril 1939.

Il y avait £lus d’une année que nous n’étions allé à Berlin. Mme Stoeckle qui était naguère une avions de nouvelles informations des meilleures clientes de la mai- de Christine. EUe se mariait avec son Sadi était maintenant notre a- ie D r I f “ * un des plus célèbres mie nous invitait à Berlin à cha - professeurs de & {* * * * £ . cune de ses lettres. E lle insistait

dblTprofesseur avait demandé na%pour que nous allions demeurer guère la main de Christine, mais"quelques jours dans sa villd L de au moment où elle allait se fian- Zehlendorf. I l y avait dans ce jar- cer, elle avait fait la connaissance din un pavillon à l ’intention des de la rencontre avec ce visiteurs. Ceux qui venaient y

pas-'el*officièr"cle marine allemand l ’a- ser la nuit logeaient là - bas. On vait séparée pour 20 années du pro ne se réunissait qu’à l ’heure des fesseyu^ge»wégiew. Ces vingts an- repas.

'e e s a v a ie n t pourtant appris tant Mme Stoeckle savait que je n’ de choses à Christine!... E lle avait aimais pas passer la nuit chez les fin i par comprendre que la vérité autres. Elle nous disait donc que l ’attendait dans sa patrie. dans ce pavillon nous serions pour

M algré son amour et ses efforts ainsi dire chez nous,

qui donnèrent 20 années, cette fil- Nous avions tenu à nous rendre le du Nord ta it bien une dernière fois à Berlin avant

VINGT ANNEES EN

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Par REBIA TEVFIK BASOKCÜ

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a-en que la guerre n’éclatât. Nous vions aussi quelques affaires train.

Nous arrivions à la villa par 1’ auto que conduisait M m e ^ o e c k le . U'ne collation fa ite de sandwich, du thé et des liqdleurs nous atten­ dait au salon.

Cette v illa avait une'beauté très intime. Les propriétaires aimaient la bonne chère et, en bref, tout ce qui était bon. Les visiteurs appor­ taient une animaniton spéciale à

cette maison. Nous avions une fou­ le de beaux souvenirs vieux de quinze ans dans ce ptvillfllw Pas plus tard qu’il y a deux années, Mme Stoeckle nous avait écrit 15 jours avant le jour de l ’A n :

“ Ce jour de l ’A n vous êtes in­ vitées chez nous. Je vous prie Ins­ tamment de ne . pas laisser votre place vide à notre table. Je serai en outre extrêmement joyeuse si vous m ’apportez à cette occasion une belle toilette de nuit. ”

Nous nous étions rendues alors à Berlin le jour de l ’A n avec la robe demandée. La salle à manger de la villa était aménagée cette nuit comme un bar e t des écritaux bi­ zarrement conçus étaient suspen - dus ou affichés aux murs. De pe­ tites tables à deux personnes a- vaient été préparés pour les in vi­ tés au nombre d ’une trentaine et les fleurs et les lumières discrètes des bougies donnaient une atmos­ phère d’intimité à cette salle.

Les jeunes servantes en- frac faisaient le service. Et lorsque 1’ une d’elle déguisée en employé fa i­ sant la collecte pour le “ secours d’hiver ” vint prendre dix pfen­ nigs à chaque table, ce fut un fou- rire, On n’avait rien oublié dans ce salon, pour lui donner l ’aspect d’un restaurant de la ville.

Les feux d’artifice qu’on avait al lumés au milieu du jardin nous an­ nonçaient le N ouvel An. Les so­ leils, les étoiles filantes augmen - Haient encore la joie des convives.

I l y eut encore des loteries e t on dansa toute la nuit. A cinq heures

du matin on nous servit de la sou­ pe aux lentilles dans de grands tasses vertes et vers sept heures tous les convives s’en allèrent.

La robe de velours bleu - nuit de Mme Stoeckle avait plu à tout le monde et on l ’avait beaucoup com- p lim e n té e / jP jfe ^ A et Christine ^é-~~ taient parrm les invités. Nos hôtes savaient sans doute quelque chose sur le faible q u e ^ jjfc à i^ iv a it na­ guère pour Leylâ, car on les avait placés à la même table. Mais

semblait assez morose, corn’ Christine elle - même d’ailleurs.

Au retour, nous laissions

et Christine chez eux. L o r s q u e ^ quelques minutes plus tard nous fûmes dans notre chambre à la pen sion, L eylâ me dit :

— tlJ iM é fè t Christine ne sont pas à* leur aisé. A tel point qu’ils n’arrivent plus à cacher a u x au - très leurs soucis. fL Ô iM fc ie pou - vant s’en ouvrir à moi de ce qui 1* obsédait n’a fait que parler poli­ tique pendant tous le temps.

( à suivre )

1

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__ 139 —*■ une expression de vivacité inusi­ tée devant ce bonheur. Ces enfants Deux anneés plus tard, nous Ces blondins qui allaient lui être sommes dans le même salon. Je donnés désormais dans les années dis à Mme Stoeckle que Christine à venir devaient lui assurer __ la allait se marier et elle m ’informa joie de vivre. Incontestablement. , s’etait déjà marié avec notre bouillant {fv/tiwC*;erait dé - Y * ' * * * “ une Allemande de Berlin et qu’il sonnais un père excellent.

aurait bientôt un enfant. I l pa - Nous fûmes pendant douze raît que fou de joie à jours, les hôtes du pavillon pouf l'idée q u i! s era o ien tô t père. visiteurs de Mme Stoeckle'. L e pa-L e lendemain de notre arrivée vallon très sympathique était Mme Stoecke téléphona à composé de deux chambres, d’une

bientôt à l ’autre salie de bain et d’une chambre bout du f i l : ^ » pour la servante. L e côté des cham

— Tiens, mais c’est Rébia; elles bres donnant sur le jardin était sont donc chez vous avec Leyla ? vitré, de sorte qu’on croyait être Voilà deux ans qu’elles avaient en plein jardin. ^

oublié Berlin. Alors je serais des Pendant que nous étions la-bas, vôtres ce soir... Mme Stoeckle donna deux autres

fut des nôtres pendant festins. La plupart des invités é- plusieurs soirs; mais nous ne pù- taient venus des Légations des pe mes voir sa femme qu’il avait en- tits Etats de la Baltique. Nous ne voyée à la campagne pouf quel - les connaissions pas.

ques semaines. On aurait vraiment * * * dit que le bonheur d’être père a

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Par REBIA TEVFIK BASOKCÜ

Traduit du turc oar MAZHAR.KUNJ»

Stoeckle / A p res avoir été ses hô- nous répondirent. Frau Baqih<in tes pendant douze jours, elle nous nous ayant demandé si nous étions conduisit à la pension Von Voss , juives, nous comprîmes qu’elle é- dans la Kaiserallee avec sa pro - tait national-socialiste,

pre voiture. Lorsqu’elle se rendit compte que

Depuis dix ans , nous descen - nous n.étions pas juives et que dions toujours à cette pension nous étions des anciennes clientes chaque fois que nous venions de de la pension, elle nous reçut à ,paris C’était pour la quatrième bras ouverts. EUe n’avait pas 1’ Nous voulûmes faire le tour des fois qu’elle changeait de proprié - habitude de servir des repas à ses vait donné à cet homme une vie magasins de Berlin et vivre un taire. Lorsque nous téléphonions pensionnaires, mais elle consentit nouvelle ' ¿ r e g a r d s désespérés peu en ville. . » T t i l to e .n y » - c e t t e fois encore pour avo.r des a nous donner le dejeuner. Tout ?-s 'é to lïn t < * !n 8S " » v a U t pris U t t t e aux r e p t a t i o n s de Mme chambres ce tut des étrangers qu. ta.t b.en, ma,s 1 hôtesse se fa,sa,t

du mauvais sang parceque les mets n'étaient pas très variés. A cette époque on ne trouvait pas de fruits et de légumes à JKBerlin et j ’avais entendu la cuisinière de Zehlen - dorf se plaindre constamment de ce qu’on ne trouvait pas de vivres.

Un jour à table, je dis à l ’hô -

tesse: ^

— Je ne comprends vraiment pas la raison pour laquelle l ’A lle ­ magne est tellement à court de

àê nourriture. L ’Italie, votre al -

liée, est un pays où les oranges sont très abondantes; il est éton - nant qu’on n’en trouve pas une seule à Berlin. Lorsque nous al - Ions au restaurant le soir . le beurre dont on se sert nous rend malade. Et, à la maison, nous ne trouvons que des navets...

Frau Baronin répondit préci - iamment:

— Il y a de tout en Allemagne mais tout est conservé pour les m i­ litaires. Qu’est-ce que cela fait si, le public mange un peu moins ? Nous savons tous que ce sera bien­

tôt la guerre. • * JUr

Oh .pourvu qu’elle n’éclajt pas pendant que nous sommes Le

Une abme suédoise qui était à notre ta ble^d it en fixan^/l’hôtes-se:

— Si nous 'demandions de nous dire quelque chose sujr la guerre à votre chiromancienne ? Elle sait tant de choses ! EUe a lu dans les lignes de ma m a i/ \ c ’est étonnant comme elle a sif bien deviner.

Cette chironrfancien\e m ’inté fessait. Je dis donc:

— Je vous en prie Frï^i Baro­ nin, faites nous le plaisir cle nous présenter à cette dame.

O reparla jusqu’à la fin du râpas de yéhirornancienne et des prou^p- sç/ de cette femme.

**

jour j ’étais seule dans chamErKvJeyla qui étaitserCTe n' était pas encftfsMe r^tetiL On frap pa. Une jeune^fcCçmancfe entra:

— Il paraîMÎue vouS^a^avait fait dem andej^ait-eile, je suis

mampeffne et je sais interprêt îe£*songes. ( à suivre )

plaisantais:

Referanslar

Benzer Belgeler

Nous sommes très contents de vous avoir parmi nous.. Mme Damgar et moi préférâmes prendre du

Elle est tellement riche qu’elle ne perdra rien pour attendre encore quelque temps.. Où trouver ces soixante dollars qui représentaient alors de quoi acheter une

simple. Cet enfant d’Izmir plei nde franchise me ra­ contait son amour et me proposait le mariage.. Ça tombe juste. Ses parents lut envoient très peu de chose. La

admettait la moxt, si 1 amour voir rudement lutté pour échapper Le jour où ayant rompu mes pouvait tuer, mais elle ne pouvait à la tourmente qui vous

Il habitait dans le konak légué par son père Fahreddin bey qui avait été ambassadeur, en compagni... J’eus bientôt douze ans et cette histoire d’enfants fut

Nous travaillions beaucoup avec quelques ouvrières Que nous avons déniché au prix de mille difficul­ tés pour terminer les robes que nous avions. Nous allons

Mais si nous voulons que la pauvre Hélène nous fasse cela, nous deviendrons ridicules.. Du reste, nous ne resterons pas

Ro^jr nous écrivait toujours de Londres et chaque fois elle nous demandait d’y aller pour quelques jours.. SilVqffcdU Foreign