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VINGT ANNEES EN EUROPE

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Academic year: 2021

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Tam metin

(1)

WJ

— Tu sais Rebia, ce dîner de Noël est devenu pour nous une question d’honneur. Faisons emsor te quejce jeune Anglais

îotre réception. “

Leylâ, dis - je, essaie de le faire parler en dansant. Nous sau­ rons ainsi ce Qu’il aime le mieux avoir à, Noël. Je ferai de même. Mais prenons garde et ne leur laissons pas deviner nos inten - tions...

*

Leylâ était d’une susceptibilité extrême, presque morbide lorsqu’ il s’agissait de son nationalisme. Elle n’était jamais aussi heureuse que lorsqu’elle était persuadée d’ avoir fait honneur à ce sentiment.

Lorsque vers trois heures de la nuit nous revînmes à la maison, je dis à Leylâ en caressant la tête de Didon et de Mutchi :

— Nous avons une idée du me­ nu. D’abord un excellent bouillon, puis un rôti de dinde et un ‘'fia- me pudding” ... Mais nous allons ajouter à cela des légumes variées, de la salade, des fruits...

— 110 — — Il faut farcir la dinde avec

des marrons. Mais si nous voulons que la pauvre Hélène nous fasse cela, nous deviendrons ridicules. Je vais envoyer chercher Mme Prévôt ce jour - là. Elle se char­ gera de la dinde. Tu sais qu’elle cuisine merveillesement.

— Oh, c’est une idée splendide que tu as là. Nous achèterons le “ Flame Pudding ” de chez Fo - chon, puis nous le ferons cuire ici. Tu te chargeras de mettre la table et mois je préparerai l’arbre de Noël.

Au jour dit, nous enlevâmes de la maison tout ce qui pouvait rap­ peler que nous faisions de la cou­ lure. Des fleurs de Nice, superbes

de beauté, remplirent l’apparte - ment.

Lorsque la belle table Renais - sance qui embellissait notre salon à Berlin mais perdait toute sa va­ leur dans cet appartement exigu eut été parée de fleurs et de bou­ gies, elle reprit son brillant as - pect.

Mme Prévôt ayant farci avec des marrons la belle dinde blanche qu’ elle même avait pris soin de

chai-Feuilleton de “ La République ” serais efforcés de vous recevoir d’ une façon plus digne si j ’avais en connaissance de votre arrivée.

— Ça ne fait rien dit l’ambassa drice. Du reste, nous ne resterons pas longtemps. Je ne savais pas que vous fêtiez le Nopl.

Leylâ répondit .

— Nous avons ce soir des hôtes Anglais. Il ne leur aurait pas été agréable de paser le Noël à l’hôtel, c’est pourquoi nous les avons invi­ tés. Les Européens prennent tou - jours leurs vacances à Noël. Com­ me nous avons toujours affaires à des étrangers; nous avions tou -sir nous dit : . . . ^teurs, les bougies, l ’arbre de Noël, jours des amis chez nous à Berlin. — C’est à vous de le faire rôtir Ce fut à cet instant qu'on son- Nous profitons des jours de congé, au four, car je suis moi - même m- lia. Helène ouvrit. C’était ... l’arn- Il était près de ti heures et demi vitée chez des amis ce soir. Met - bassadrice Mme Münir bey avec lorsque l ’ambassadrice s’en alla, tez la dinde au four à six heures ; une jeune dame de l’Ambassade Je me précipitais aussitôt à la cui- disposez sur le plat quelques mor- que venait nous rendre visite. sine et m’emparant de la dinde qui ceaux de beurre. Il faudra très sou- J’étais atterrie et je me dis in- bombait depuis deux heures le tor- vent asperger la dinde avec le san- térieurement : se, je la mis au four électrique, ce afin que le viande ne sèche pas — Hélas : c’en est fait. Qui s’oc- Leylâ me dit d’un air triste : Tout sera prêt au bout de deux cupera maintenant de faire cuire — Ça ne sera pas prêt avarit 9 heures et demie. Vous mangerez la dinde ? heures, or, nos hôtes seront là à donc à 8 heures et demi. — Excusez - moi madame dis-je huit heures et demi. Et si nous ne Il était déjà cinq heures. Nous à la visiteuse. Mes mains sont tou- la réussissons pas, on n’aura pas avions les mains toutes noires à tes noires- ; je faisais le ménage une bonne opinion de nous, force de travailler, d’arranger les car j ’aurais des hôtes ce soir. Je me — Ça réussira, dis - je, ça

réus-VINGT ANNEES EN

EU R O PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

sira absolument. Nous ferons va - loir notre excuse pour le retard d’ une demie - heure. Que faire ? Re­ garde le bouillon, il est excellent. Je l’ai chauffé pendant quatre heu res. Les légumes sont également prêts ; nous les ferons cuire tout de suite. A sept heures, nous place­ rons le “ Flame Pudding ” dans 1’ eau bouillante et nous laisserons à Hélène le soin de verser dessus le rhum et de l’allumer. Allons, Leylâ, habille - toi. Il faut que tu sois prête à les recevoir.

* * *

— Oh, quelle belle table, c'est merveilleux.

C'était Mme Lahy qui disait ce­ la, tandis que le colonel arrangeant le gilet de son frac ajoutait :

— Je ne doutais pas de voir de belles choses, car je savais que nous étions invités chez une lady.

Ils avaient faim. Ils prirent le bouillon avec un bel appétit. Le colonel dit d’un air paternel :

(2)

111

— Le début du repas s’annonça très appétissant, mais attention, il me semble qu’il y aura des surpri­ se...

Lorsque la dinde dont le pattes étaient enveloppées de papier do­ ré fut apporté, Arthur dit:

— C’est exactement comme en Angleterre ...

Je découpais lentement, soigneu­ sement la dinde que je servais a - vec les marrons farci et des légu­ mes variées.La salade fut servie à part. Il y avait du vin.

Le colonel LaJjy était un homme très jovial. A peine eut-il pris un morceau de la dinde qu’il s’écria:

— C’est tout simplement super- be.Je n'avais pas encore mangé de dinde aussi déilcieuse.

Arthur, devançant sa mère dit, après nous avoir regardé avec une émotion franche, comme s’il assis­ tait à un match:

— Je n’ai jamais vu de dames aussi capables que vous. Il faut être vraiment artiste et très, très capable pour servir un tel dîner ici.

Tout le monde rit et la mère dit à son fils:

—■ Ce sera une belle leçon... — Mais ces exceptions ne peu­ vent servir de leçon maman.

Et se tournant vers nous, il nouu demanda d’un air des plus naifs :

— Veuillez me dire madame est ce que tous les Turcs sont aussi doués ?

La «Flame Pudding» mit le com ble à la joie de nos amis anglais et Mme La^y me dit:

— Vous nous avez servi de su - perbes mets français sur la base du menu anglais. Il aurait été im­ possible de préparer si bien cette dinde à Londres.

Leyla intervcint:

— La dinde est vraiment su - perbe. C’est vraiment surprenant lorsqu’on songe que c’est pour la première fois que Rebia prépare ce met. ,

— Voyons Leyla, dis-je, inutile de nous vanter mutuellement. C’ est tout simplement l’effet du ha­ sard.

Le repas fini, nous retirâmes les cadeaux placés sur l’arbre de Noël

Feuilleton die “ La République

mun avec notre existence à Ber - les idées et les pensées et de la lin. Notre maison n’étant pas très nécessité de s'adapter à la simpli- rnnfnrtnhli» nnnc na fréquen - cité de la façon de s’exprimer ac­

tuelle. ' . "

Je n’aime jas avoir des relations de commerce avec tous mes amis C’est pourquoi je m’abstenais d’a­ voir pour clients mes amis üjmm

-Leyla me disait:

Cela aurait été si bien si la

VINGT ANNEES EN

EU RO PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

Les LaHy nous en avaient égale - ment apporté ;ils avaient pris soin de les cacher sous l’arbre de Noël

Ils étaient très contents de leur soirée. Et tous trois nous dirent:

__ Vous serez nos hôtes la nuit du jour de l’An. On s’amusera au « Monseigneur »...Mais nous n’ou­ blierons jamais cette nuit de Noél. En effet, les Lafcy n’oublièrent jamais par la suite de mentionner la dinde aux marrons dans les let­ tres ou cartes qu’ils nous écri -

virent à l ’occasion du Noél ou du

confortable , nous ne

tions pas trop nos amis de Paris. Du reste, il n’était pas possible pour le moment de fonder avec nos connaissances de Paris des a- mitiés capable de nous réchauffer le coeur. La via sociale à Paris diffère beaucoup de celle des au

Jour de l’An. fl ~H p ~ -Cette nuit, en regagnant nos chambres, je dis à Leyla: tu es bien contente’Va maintenant dor­ mir en paix et ne te lève pas à l'aube demain.

Elle répondit charmée:

— Je suis tellement contente ! Les LaJ^y ont été très, satisfaits ce soir. Ainsi ils "

tkn, .'Ertroii à boni

Nous passions un hiver calme

très pays. Il y a un peu trop d’e- politique n’avait pas tout em - xageration et de clinquant en tout brouillé , Nous auHons continué à ...Et beaucoup de comedie... travailler pleines d’entrain dans Malgré tout, nous allions de n°tre belle maison de Berlin. L temps à autre, aux dimanhcesfiqflLÎ

Nermin, à cause de son insistance *1 Nermin était très généreuse de ses sentiments. Elle paraissait aimeé tout le monde de la même façon et n’omettait rien pour que sa mai­ son fut fréquentée les dimanches. Cette classe de la société, atta­ chée de toutes ses forces à la vie du XVIIIe siècle qu’elle s’efforce

arrive souvent que je me répens parfois de t’avoir encouragé à ve­

nir ici...

— Voyons Leyla, que dis-tu ? Tu n’as donc pas lu la lettre que nous avons reçu de Christine et d ef^ ifii^ il y a quelques jours? fk tjb

disait: « Vous êtes bien ru - sées. Comment avez-vous fait pour comprendre ce que serait la si - tualion ? Tout le monde fait

fail-/y*a*tA de. faire revivre et les Fran - lite ici. Vraiment votre façon de

' çais appellent «le monde» semble prévoir les événements nous a sur-ne pas s’apercevoir des change - pris.» ( à suivre )

(3)

— 112 —

Tu sais tout cela, alors pourquoi te faire du mauvais sang ? Tu ver­ ras comme tout va bien marcher en été. Notre principe ne consiste- t-il pas à trouver remède à toutes les difficultés? Un peu de patience et nous arriverons. Il en sera ain­ si partout où nous irons, Leyla. U dépend de nous de régler notre vie et nos chances et de leur donner le cours que nous voulons.

N’aurait-il pas été pire si nous avions investi de gros capitaux dans notre entreprise pour les per­ dre ensuite ' Cela se voit tous les jours. Après tout notre capital ini­ tial ne consistait qu’en sept francs. — Mais, tu ne tiens donc aucun compte de l’énergie et des efforts que tu as dépensé ?

— C’est justement parce que je me fie à cette énergie, à cette vo­ lonté que rien ne me fait peur. Il faut d’abord avoir du courage, de la patience d’abnégation pour at­ teindre ensuite au bonheur et à la paix.

Je t’ai déjà raconté comment u- ne nuit je n’avais rien à manger à Berlin. Je pouvais me suicider ou alors suivre une voie mauvaise.

Je pouvais encore prendre une pla­ ce parmi les mendiants qui sont à la charge de consulats turcs. Cela était indigne. Je déteste tout ce qui est laid et c’est pourquoi je mis ma volonté à vaincre la vie. Quel­ le sont les difficultés qui pour - ront bien rebuter une personne a- yant passé par ces épreuves ?...

Tu as rai soja Rebia, je sa^ comptent tout cela a agi sur Jfes nerfs sur ton âr îe et c’estpour­ quoi duVreste je a oudrais figure de ce mondXun para lis poinr toi.

— LeylV chéri«, c’estr nous qui créons notne parc iis. É.n réalité tout est vaiV Ce quy donne aux choses quelquV vi le /r et quelque signification ce\pi t^ios sentiments et notre »»"fjjowV ¿Mon pwad.ii A moi, c’est lorsqu* j e fais quelque chose d’utile; ly e ÿ ie s t de même de toi d’ailler^;

un enfant l’autre en regardan/jouer dy...

— Cornaient n’aforrais-jV pas ri? Nous éttins arriv<

3

ce mdis-ci à envoyer à temps e l ’argenV à Is­ tanbul J’étais trè l contente. V ors- qup^nous n’arrivo/is pas à envoyer

secours à temps je bonde co

Feuilleton de " La République nais comme put au cinéma La\rel et

Har-¡VINGT ANNEES EN

E U R O P E

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit

du turc par

MAZHAR

KUNT

C’était une journée du début d’­ avril. Réveillée le matin, j ’appe - lais comme d’habitude Didon près de moi. Il avait coutume de venir chaque matin vers moi à peine le­ vé et de me tendre la patte.

Je l’embrassais alors sur sa gros se tête, le caressais puis sonnais Helène qui l’emmenait faire une petite promenade.

— Didon, chéri, dis-je pourquoi ne se lève-t-on pas ce matin ?

Didon voulu se lever, mais il retomba soudain sur le tapis.

Je sautais sur mes pieds. Je vou­ lu relever Didon par les épaules, mais le malheureux retomba com­ me une masse. Ses petites oreil­ les sensibles comme une, thermo­ mètre tombaient. C’était pour la première fois que je voyais Didon dans cet état.

Didon semblait très malade. Je m’habillais à la hâte. Et, pendant que Didon dans le bras et accom­ pagnée d’Helène je prenais le ta­

xi pour aller chez le Dr. Mfcry, je lus le désespoir dans les regards de Leyla.

Le Dr. M#ry est le plus célèbre spécialiste pour chiens. Il n’exa - mine ses malades que dans sa cli­ nique. Il connaissait mes enfants qu’il examinait presque chaque mois.

— Il a du manger un os de pou­ let ou quelque chose de pareil, dit- il. Une artère a été perforée et il y a eu épanchement intérieur. Il sera sauvé s’il arrive à passer cet­ te nuit, mais je ne le crois pas.

— Mais docteur, il n’avait rien hier. Nous ne leur donnons jamais d’os.

— Il a du manger dans la rue. C’était un animal très vif et son mal date d’une semaine au moins. Il n’y a qu’une chose à faire : ap • pliquer des pansements chauds sur son ventre. Je vais lui faire un sé­ rum. Pauvre petit!...

Le soir vers sept heures, quel - ques minutes après que j ’eus chan­ gé son pansement, le pauvre petit couché sur le tapis, avait les yeux fixés sur les miens. Il soupira et après un dernier gémissement com me s’il voulait dire «Je meurs« il

mourut...

Mon ami vieux de six ans, le plus fidèle de tous, mon seul a - mour, la joie de mon âme, mon beau Didon qui, l’année d’avant a- vait remporté le premier prix de beauté entre 700 chiens à Berlin était mort. Il ne restait plus de lui qu’une grande amertume dans mon coeur, sa médaille de beauté et son certificat...

Le lendemain. Leyla moi et Hé­ lène, les yeux gonflés d’avoir pleu­ ré nous plaçions dans un taxi le petit cercueil de Didon que nous conduisîmes au cimétiere des chiens un beau jardin plein de fleurs à Asnières.

* **

Après les bains et les hôpitaux pour chiens d’Europe, ce petit î- lôt dans le Seine est le seul en - droit où il y a un cimétière de chiens. Sa perte se trouve sur ie oont d’Asnières qui relie les deux rives de la Seine. Lorsqu’on entre on se trouve en présence d’un grand monument : un grand chien St. Bernard à la cime d’une montagne.

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— 113 —

Aux pieds de la montagne il y a de nombreues personnes qui ten - dent les mains vers le chien, im - plorant secours. Au - dessous il y a écrit : “ Il a sauvé la vie à 40 personnes. Lui même est mort en sauvant la 41 ème ” .

Le monument dépassé, l ’îlôt est séparé en trois étroites avenues. Il y a des deux côtés de ces avenues des tombes en marbres surmon - tées de statue, d’épitaphes et sur lesquelles sont posées des fleurs que l’on renouvelle chaque semai­ ne. Au commencement de la gran­ de avenue il y a une tombe de gra­ nit rouge avec des fleurs superbes. On remarque sur le marbre les mots que voici, en lettres dorées: “ Nous ne t’oublierons jamais

Je demandais au jardinier qui plantait des fleurs fraîches sur cet­ te tombe :

— A qui cette tombe ?

— A un couple américain. Ils avaient un beau chien qui mou - rut en Amérique [alors qu’aux - mêmes se trouvaient à Paris. Com­ me ils l’aimaient beaucoup, ils

pa-yèrent êwfô francs de frêt pour faire venir son cadavre à Paris. « T lwpin, do -terre- ..lour «■ coûté Jtf6Bes7"c t aatto- piaixo —tomba»«

1fW>nn " " tout ??

ftftfl-FeuiUeton de “ La République "

& Ils me donnent en outre/cew; francs par mois pour les fleurs.

Pauvre Didon, il n’avait pas la chance du chien des Américains. Je ne puis lui acheter qu’au petit terrain de nilEfolwmet, dans la

2

ème avenue.

*

* *

Le deuil eut sa répercussion sur­ tout sur notre travail. Pendant des jours et des jours nous n’eû­ mes pas le courage de mettre les pieds dans l’atelier.

A la même époque, la femme du ministre d’Allemagne en Chili m’ envoyait un radiogramme pour se plaindre de ce que les robes qu’el­ le avait commandées ne lui avaient pas été envoyées. Comme elle a- vait une grande confiance en nous elle croyait que ce retard était dû à une erreur des entreprises de transport, mais elle ajoutait : “ La

■amenta

VINGT ANNEES

EN

E U R O PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

\

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

.de 3000 lin * " turque s,_ii l'époque.

saison est passée, Je n’ai plus be­ soin de ces robegj, et je serai obli­ gée de retourner le colis s’il ar­ rive. ” Cette réclamation devait nous coûter ph»o àc ■ deux mille h *£ïes»fctq

3

p#yi Mais notre cliente a^ vait tellement raison !

Peu après, Mme Ulzhausen, la' femme du ministre m’envoyait un nouveau radiogramme où il était dit : “ Le colis est arrivé. Com - ment vous la renvoyer ? Vous seu­ le pouvez ¡fde si belle cho­ ses. Je les'garderai donc pour les porter l’hiver prochain. Je vous

envoie le chèque. Salutations et remerciements cordiaux. ”

Mme Ulzhausen était une fem­ me aussi belle que gracieuse. Nous lui fournissions depuis des années ses robes et manteaux. Il n’y eut jamais de réclamations. C’est qu’en effet jamais nous n’avions mis de retard à livrer ses commandes.

IX

Ayant engagé une vendeuse rus­ se du nom de Slnia qu’on disait être très habile et autant d’ouvriè­

res que pouvait contenir l’atelier, je plaçais Leylâ à leur tête et m’

en allais à, Berlin pour trois se - maines.

La vie à Berlin avait perdu tout son entrain. On disait que Hitler bouleversait tout pour arriver au pouvoir.

Les Russes Qui avaient loué no­ tre maison de la Budapester Stras- se avaient fait faillite en l ’espace d’une année. Les créanciers avaient tout vendu, jusqu’aux manteaux de débiteurs... Mon Dieu ! Qu’au­ rions - nous fait si nous nous étions trouvées dans la même situation?

Tout le monde me disait que j ’ étais allée à Paris juste au moment opportun. Je voulais demeurer pendant quelques jours encore à Berlin, mais Leylâ m’écrivait de Paris que les commandes avaient afflué soudain et me suppliait de retourner tout de suite. Je quittais Berlin en promettant aux amis d’ y revenir chaque six mois.

m

* *

A Paris, je trouvais l’atelier ex­ trêmement occupé. Ce travail fou pendant l’été alors que l’hiver é- tait passé dans un grand calme é- tait quelque chose d’incroyable. La maison était trop étroite pour con­

tenir toutes nos clientes.

Des femmes de toutes nationa - lités venaient du matin jusqu’au soir. L ’assaut qui commença avec la fameuse championne anglaise de tennis Miss Bennett se poursuivit avec les MissUj&Îferal les lady an­ glaises, les Américaines, les Scan­ dinaves et les Françaises. Les com mandes ne pouvaient être exécu - tées dans cet atelier de 15 ouvriè­ res. Certains nuits nous les fai - sions travailler jusqu’au matin en leur payant un salaire double.

Les Françaises disaient :

— Vous êtes la maison de mode la plus en vogue cette année à Paris Tout le monde parle de vous.

Un jour, une jeune Chinoise, re­ commandée par une lady de la haute société anglaise vint nous trouver. Elle était très belle et nous commanda deux robes.

La courtoisie exquise la grâce de la jeune dame chinoise nous a- vait tellement touchés que le jour où elle vint pour l’essayage, je ne pus m’empêcher de lui deman - der :

(5)

« ¡ M

_ H 4 _

— Madame, vous êtes la person­ nification de la grâce. Me permet­ tez - vous de savoir qui vous êtes ? Nous vous aimons tellement !

Mes paroles lui plurent et elle me répondit en souriant :

— Je suis la fille du prince (C), ambassadeur de Chine aux Etats- Unis. Mon mari est le régisseur de films américains Lakman. C’est moi qui veille à l’arrangement des salons dans les films de mon ma­ ri. J’ai aussi un peu de voix de sorte que je donne parfois des concerts.

— Toutes les beautés sont en vous, lui dis - je. Leylâ comme moi nous vous admirons.

— Vous m’êtes également très sympathiques répondit - elle. J’en ai même parlé de vous à mon ma­ ri. Je voudrais acheter chez vous les robes qu’il faudra pour le film à- tourner à Paris.

— Oh, chère madame, il est im­ possible de confectionner toutes ees robes dans cet appartement e- xigue. Je suis en pourparlers avec le propriétaire. Je serais fière d’

accepter vos commandes s’il veut me céder l ’étage supérieur.

— J ’en serais bi^n contente. Nous resterons pendant une an - née à Paris et nous tournerons plu­ sieurs films. On projette aujour - d’hui en séance privée “ L ’hom­ me Malade ” à l’Elysée - Gau - mont. Je vous ai apporté une in­ vitation. Voudriez - vous venir ?

— Oh merci ! Nous irons. Paris est une ville où l ’on a sou­ vent devant des surprises. En cet été de 1931 il y avait une exposi­ tion coloniale à Paris, ce qui avait attiré de nombreux touristes dans la Ville Lumière.

Un jour, un qouple d’Améri - cains arriva, demandant à voir Mme Sadi. Le mari me dit :

— Nous venons d’Amérique a- vec les compliments de Mme No- ra Morgan. Elle nous a demandé de vous voir sans faute lorsqu’elle a su que nous venions à Paris Nous ne l’avons pas vue le jour de départ, mais elles nous a envoyé un câblogramme alors que nous voguions sur l ’Atlantique pour nous dire “ N’oubliez pas Sadi ... Mme N or a ta eu ¿és- jumelles au

Feuilleton de “ La République ”

VINGT ANNEES EN]

EU R O PE

Par REMA TEVFIK

Traduit

du

turc

par MAZHAR KUNT

printemps. Elle a maintenant trois filles, des amours.

Ce jour, nous vidâmes avec nos hôtes, une coupe de champagne en l’honneur de Nora et de ses filles.

* **

A la fin du mois d’aout Leylâ et moi étions épuisées de travail. On aurait dit que quelqu’un nous di­ sait constamment d’aller à la mer. Au printemps, nous désirions al­ ler à Istanbul. Mais il nous était impossible d’entreprendre ce vo - yage avec tant de travail. En ou - tre le nauvre Mutchi eut une ter­

rible pneumonie ; nous fîmes tout pour le sauver pendant un mois et demi. Nous réussîmes à lui éviter une mort certaine grâce à des soins vigilants. Le vétérinaire lui- même en était étonné.

Quelques semaines plus tôt nous nous étions rendus à Deau- ville iavec l'ambassadrice et de nombreux amis.

Mutchi avait pris froid au re­ tour et nous manquâmes le perdre tout comme Didon.

Nous choisîmes Biarritz pour y passer nos vacances. Biarritz qui

est très proche de la frontière es­ pagnole est l’une des plages de France les plus fréquentés au mois de septembre.

Lorsque nous allâmes toutes les trois à l’hôtel Arnould de Biarritz, la laisse de Mutchi qui était de­ venu très maigre dans la main, nous étions contentes comme des enfants. Nous étions enfin parve - nues à prendre nos vacances sans contretemps. __ L’autre amie était était venue à Paris après avoir perdu son mari à Istanbul. On se voyait très sou­ vent depuis une année.

Besime était une amie introuvable : gaie, intelligente, pratique et très accommodante. Nous étions tellement habitués 1’ une à l'autre à cause de nous votr si souvent, que nous étions de tou­ tes les distractions. L’hiver passé, on faisait quelques petites partie de pocker dans les jours ternes. Je connaissais le faible de .Besime pour le pocker.

Elle venait très souvent nous voir les soirs d’été. On allait en promenade ou encore on faisait la

causette. Tout le monde l’aimait chez nous, même les ouvrières. Et maintenant nous étions toutes à Biarritz. Mutchi seul faisait le trou ble - fête. Très gâté pendant sa maladie, il ne touchait pas aux mets de l ’hôtel. Un jour que très énervée je criais à Mutchi, Besime, me dit :

— Ne t’en fais pas voyons, ache­ tons du filet de boeuf chez le bou­ cher et une petite marmite. Nous le ferons cuire secrètement dans notre chambre sur la lampe à al­ cool... Que faire, on ne peut pas changer les habitudes de ce pa - lisson !...

Déormais, chaque matin et cha­ que soir, nous ouvrions toutes grands les fenêtre de ma chambre afin que l ’odeur de la viande s’en allât tout à fait. Nous faisions cui­ re la viande de Mutchi dans du beurre. C’est seulement ensuite que nous prenions nous - mêmes nos repas.

(6)

ism — 115 —

Une nuit, nous étions encore en retard à cause du repas de Mutchi. Il y avait ce soir là gala à l'Hôtel Miramar. On disait même que le prince de Galles (1) et Charlie Chaplin devaient s’y trouver.

Lorsque nous entrâmes toutes les trois dans la salle à manger du Miramar, il y eut un tonnerre d’ applaudissements. Toutes les tablées étaient prises au salon. Nous prî­ mes place à la tabl© que nous a- vions retenue d'avance. Le dîner était déjà avancé et les manne - quins des maisons célèbres de Pa­ ris défilaient déjà. On nous avait justement pris pour des manne - quins. C’est qu’en effet la toilette de velours noir que Besime S i Î t f ' avait fait confectionner chez nous lui alait à ravir. Le blanc, seyait aussi à merveille — comme tou­ jours d’ailleurs — à Leylâ.

On aurait dit que toute la for­ tune et le luxe du monde s’étaient donnés rendez - vous dans cette salle. Cette affluence qui était

sui-(1) L’actuel Duc de Windsor.

tout composée d’Anglais, resplen­ dissait de joyaux.

Après minuit, la salle à manger du Miramare se vida peu à peu. Une partie de l’assistance alla ten­ ter sa chance au casino, à la ta­ ble de Baccara, tandis qu’une au­ tre se rendit à la“ Chambre d’ A- mour ” , un petit dancing un peu éloigné de la ville, dans les bois avec un côté se prolongeant sur la mer.

Désireuses de voir de près l’en­ train du prince de Galles qui é- tait fameux, nous primes un taxi pour aller à la Chambre d’A- mour.

Peu après, le hasard nous pla - çait juste près de la table du prin­ ce de Galles dans le dancing.

La gaieté fusait dans le salon. Le prince de Galles souriant plai - sentait avec tout le monde et ra­ contait certaines choses à Mme Simpson qu’il avait à sa droite et à Charlie Chaplin assis à sa gau­ che.

Le prince sortit un moment lors qu’il revint, sa chaîne accrocha la jupe de Leylâ. Le prince de Gal­ les fameux pour sa courtoisie se

Feuilleton de “ La République ”

VINGT ANNEES EN

EU RO PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCü

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

tournant aussitôt de notre côté s’ excusa et dit en anglais :

— Oh, je vous demande pardon! L’exiguité de la salle nous met parfois dans des situations diffici­ les.

Voyant ensuite que Leylâ ne répondait pas en anglais il reprit mais cette fois en français :

— Je m’excuse encore. Je l’au­ rais fait en votre langue si j e sa­ vais la langue que vous parlez.

"" Mais je ne crois pas ^connaissiez notre langue sylâ : nous parlons le

turc.

Le prince écarquilla les yeux pour demander ;

— Vous êtes Kemal iste ? Les yeux de Leylâ s’étaient faits plus brillants :

— Oui, altesse.

Le prince s’étant assis se tourna vers Leylâ et demanda encore :

— Est - ce que vous aimez Mus- tafa Kemal ?

Leylâ releva la tête pour dire: — Non, nous ne l’aimons pas. Nous l’adorcns.

Cette réponse avait plu au

prin-ce qui dit en riant :

— Oh, voilà qui est excellent. Et levant son verre plein de champagne il ajouta :

— Alors, vive Kemal !

Nous ne pûmes prolonger les se­ maines pleines de gaieté et de joie à Biarritz. En effet une dé­ pêche de Paris nous informait qu’ il nous fallait rentrer pour les toi - lottes d’une lady anglaise qui de­ vait partir pour l’Australie.

Voilà notre vie !

et nous proposaient meme de nous donner des capitaux. D’autres nous invitaient à Londres.

Comme nous recevions beau­ coup de lettres et de comman - des de Berlin, nous éprouvions une grande joie à passer quelques se­ maines à Berlin à la Noël et au printemps.

notre dernière v^isite

appnmgs-»*mn [sans affliction que la branche o^SBwrlflîae

l’Assocla-t- de l’En

*

île *■ crise financier?dissoute^squs

r

Je louais l’étage supérieur et

trois autres années de notre vie s’ écoulèrent à faire la navette entre ces étages. Il y eut des nuits où nous ne dormîmes pas afin de ré­ pondre aux commandes urgentes. Nous préparions aussi les com - mandes de M. Lackman pour les films tournés à Paris tout en ex­ pédiant les robes et manteaux qu’ on nous avait commandés des pays étrangers. Nous fîmes la connais­ sance de nombreux Anglais et A- méricains au cours de ces années. Les uns nous demandaient de ve­ nir chez eux pour ouvrir un atelier

(■ion puOT fance avilît étl infhrénee de la

(itique.

Mais en 1933, la vie et la politi­ que à Berlin avaient totalement changé de caractère. Les vieux ma réchal Hindemburg âgé de plus de 90 ans et dont les Allemands di­ saient que c’était un symbole é- tait mort. Hitler avait concentré tous les pouvoirs entre ses mains, é ii L’Allemagne faisait fonctionner la planche à billets et dépensait beau coup d’argent. Le commerce pre - naît de nouvelles forces.

(7)

— 116 —

La femme de notre ambassadeur à Berlin, Kemaleddin Sami pacha, me disait toujours :

— Il y a en vous une force qui attire et entraîne les gens. Je vous attends toujours.

Mme Stoeckle qui était une de nos «afepp clientes., allemandes dé­

clarait t

— Je ne peux meme pas ache­ ter un mouchoir ailleurs.

Nous allions enfin passer quel­ ques semaines en été sur les bel­ les côtes de la France pour nous reposer de nos fatigues. Nulle part au monde on ne voit la richesse, le goût et l ’art se mêler aussi pro­ fondément qu’en ces coins fran­ çais.

Pendant q,ue Leyla qui était tou­ jours éprise des beaux-arts et de tout ce qui était beau s’efforçait d’analyser tout ce qu’elle voyait, je trouvais le temps d’étudier les habitudes et les pensées des prin­ cipaux peuples et de noter la diffé­ rence les caractérisant dans le do­ maine de l ’éducation sociale.

J ’ai la conviction que. l ’éducaticn sociale est la plus grande force qui tient sur pied l’Europe. Ces hom­ mes influencés par une grande ci­ vilisation séculaire ont profondé­ ment cultivé leur cerveau. Ils sont même arrivés à changer leurs vues, leurs sentiments et leurs idées grâ ce à cette culture, à les approfon­ dir et à donner à leur âme une li­ berté capable d’assimiler tout ce qui est élevé.

La passion, la jalousie se remar­ quent plutôt chez des gens primi­ tifs. Un bon Européen ne manque pas d’admettre la valeur d’un hom­ me supérieur même s’il le déteste. Le fait de dire franchement ses pensées sans hypocrisie aucune, de se livrer à des critiques impartia­ les et sans rancune est bien accueil­ li en Europe. Le bon Européen a appris à tout analyser et appro­ fondir et en premier lieu sa propre personnalité. Mais il y a aussi de ces Européens de la liste noire qu’ on préférerait ne pas connaître.

— Rebia, veux-tu que je te dise quelque chose? Eh bien si nous ne rentrons pas au pays pour quelques

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mois, je crois que je deviendrai malade.

__Et moi Leyla? Crois-tu que je suis moins malade que toi ?

— Alors, il faut prendre une dé­ cision.

__ Nous irons à Istanbul immé­ diatement après le jour de l’An, dès que nous serons de retoui de Berlin. Nous rentrerons à Paris vers le début d'avril? Entendu ?

— Quel bonheur mon Dieu ! Je crois me voir déjà sur les quais de

Galata. Mais, que ferons-nous de ce diable de Mutchi? Il est papable de se tuer s’il ne nous voit plus.

— C’est ce qui me donne à pen­ ser du reste. Nous sommes les es­ claves de ce drôle. Pauvre Mutchi, est-ce sa faute à lui s’il nous est tellement attaché? Nous le place­ rons dans une bonne pension de chien. Il s’y distraira peut-être.

Un mois plus tard, nous allions a Istanbul par le bateau « He- louan » du Lloyd Triestino. Mais

ce fut un voyage pas commun. J'é­ tais tellement fatiguée que les mé­ decins me recommandèrent de me coucher constamment pendant le voyage. Ils m’interdirent absolu­ ment le voyage en train.

Le premier jour de notre arrivée à Istanbul, maman me dit :

— C orm îr^ T traits ont changé Rebia. Tu semblés avoir pris de l'âge. Leyla aussi est fripée ! Mais qu’avez-vous donc? Est-ce que toutes celles qui travaillent se tuent ainsi ?

Si ma mère savait combien la vie de travail était fatigante et qu’il était impossible de réussir dans une tâche à moins de s’y con­ sacrer entièrement ! Elle-même é- tait d’ailleurs tellement changée .. Nous la trouvions étonamment vieillie. Le 1927 à 1934, la différen ce était terrible. Seuls ceux qui ne se voient pas pendant longtemps peuvent se rendre compte de la profondeur des rides que ces an­ nées traîtresses creusent sur notre

front.

Après avoir passé une semaine à

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nous vîmes encore du bateau «He- louan» quittant les quais de Gala­ ta, les parents et. amis qui agitaient leurs mouchoirs tandis que nous partions.

Je n’avais jamais vu Leyla tel­ lement émue. Enfermée dans sa ca­ bine après le départ du bateau elle R’était j^ é e^ u rsm i lit et pleurait.

— Ces terres", fdisaitj-elle, c’est tout ce que j ’aonel J’ai peur. Je crains de mourir avec leur nostal­ gie dans le coeur. Quelque chose me dit...

Les jours passés à l’hôtel Daniel- li de Venise, la semaine écoulée à Milan où (nous (allions tuas les soirs à la Scala écouter la voix di­ vine de Gigli ne parvinrent pas à Calmer les sentiments de Leyla. (Lorsque finalement nous rentrâ­ mes à Paris après dix jours passés à l’hôtel Carlton à Cannes, elle me dit très triste :

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— 117 —

— « Ne quittons plus notre pays si nous rentrons encore. Il m’est impossible de supporter de nouveau cette sépara­ tion. Qu’est-ce que cette existence si­ non une torture pour ceux dont le corps est ici mais le pensée au pays ? Mais pourquoi ne nous rendons-nous compte de toutes ces choses qu’â me­ sure que nous avançons en âge ?

L’affliction nerveuse de Leyla dura plus d’un mois. ,

Elle ne pouvait s’occuper de rien. L’atmosphère de tristesse qui régnait dans la maison s’aggrava encore de la mort de Mutchi. Nous mêmes son, petit cercueil dans un taxi et nous le fûmes enterrer â côté de Didon.

La mort de Mutchi fut encore plus poignante que celle de Didon. Triste et abattu â cause de notre absence le pauvre Mutchi ne put rien manger et devint tuberculeux. Lorsqu’il nous re­ vit, il était dans un état d’épuisement tel qu’il ne pouvait se réjouir. Le Dr. M*ry eut recours â tout son art pour le sauver. Mais un jour il me dit :

— Si ça trame encore, vous mourrez avec lui. Il n’y a plus qu’â l’endormir.

La pauvre bête ne souffrira plus au moins.

Et le pauvre Mutchi si beau fut ain­ si victime de son attachement et de sa fidélité

-Et nous ? Leyla et moi étions désor­ mais toutes seules...

Cette année 1934 nous apporta une autre grande douleur. Un jour, vers la fin du printemps, nous fûmes informés par les journaux que notre ambassa - deur â Berlin Kemaleddin Sami pacha venait de mourir. En la personne de Kemaleddin Sami pacha la Turquie perdit non seulement un soldat de va­ leur mais un ambassadeur aimé, res - pecté et capable. Les Turcs de Berlin perdirent un père.

Je suis persuadée que les étudiants turcs qui se sont trouvés â Berlin alors que Kemaleddin Sami pacha y était ambassadeur, ils sont aussi affligés que moi.

Un jour Leyla qui lisait les jour - naux d’Istanbul me dit :

— Ecoute Rebia, il y a une informa­ tion très importante. Il paraît que sur l’ordre d’Atatürk on va faire de la

fnosquée de Ste Sophie un musée.

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0 İ

Tu vois Rebia, c’est lâ un service rendu par toi. Tu me comprends main­

tenant ? —

Certes je la comprenais, je la com­ prenais très bien.

Quelques mois plus tôt lors d’un voyage â Berlin j ’avais eu la conver­ sation que voici avec une amie, Fran von Stechow : - >•':

Von Stechow — Ma chère il y a une affaire superbe. Voulez-vous gagner beaucoup d’argent ?

Moi — Mais certainement !

V . Stechow — Alors écoutez-moi bien, vous ne sauriez gagner tant d’ar­ gent même si vous trimez pendant cin­ quante ans.

Moi — Mais mm chère|iiuriez-vous découvert un trésor secret ?

V. Stechow — Certes, un vrai tré­ sor. Et, voulez-vous savoir oû ?

A Istanbul... chez vous...

J ’ouvris tout grands les yeux pour demander :

— Je vous en prie, soyez plus clai­ re, je n’y comprend rien.

— Mais vous avez bien une mos - quée Ste Sophie â Istanbul ?

Il paraît que le trésor est caché dans les caves de cette mosquée, dans un coffre. Vous allez nous aider dans cette entreprise : nous allons donner de l’argent aux gardiens et prendre le coffre pour l’emporter en Suisse.

Nous vendrons ensuite son contenu aux musées des divers pays.

— Excellente idée ? Mais qu’est-ce que le coffre peut contenir de si pré - cieux ?

__Il y a des casques de fer datant de milliers d’années. Il paraît qu’il ne reste plus que 20 de ces casques dans le monde. Huit ont été réparties entre les divers musées et douze sont conte­ nus dans ce coffre. Le neveu de herr von P. a découvert ce coffre lors d’un récent voyage â Istanbul. Des spécia­ listes les ont vus .Les casques ont une valeur inestimable : au moins 250 mill^tivra?*jRSce. On s’est déjà enten­ du avec certains musées pour leur vente.

— Mais c’est tout simplement mer­ veilleux. Seulement, pourquoi voulez- vous me faire participer â cette entre­

prise ?

— Notre but est des plus clairs : Nous avons absolument besoin d’un Turc pour s’aboucher avec -les gar­ diens de la mosquée et les circonve­ nir. Nous trouvons qu’il est dangereux de nous entendre avec ce^Turc â Is­ tanbul. Or, vous êtes très habile .très intelligente : Vous seule pourriez me­ ner cette affaire â bien. Vous gagnez votre argent en peinant si dur. J ’ai estimé que vous ne refuseriez pas une fortune qui vous tomberait ainsi du ciel. J’ai parlé de vous aux amis. Ils ont trouvé que vous feriez l’affaire et veulent s’aboucher avec vous.

— Mais alors, combien se propose- t-on de me payer pour cette affaire ?

— Quinze mille livres(t>our chaque ~ ‘ casque. Cela fait un total de plus de

150 mille livres. Une grande fortune. Vous ne travaillerez plus lorsque vous âurez cet argent... Vous vivrez â votre aise.

— Vraiment vous m’avez fait une très belle proposition ElVa, seule­ ment qui m’assure que j ’aurai cet ar­ gent une fois les casques dénichés ?

( à suivre ))

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— HBt cher#

4

, tout cela sera fait par le canal d’un avoué ? Si vous êtes d’accord en principe, à notre réunion du dimanche. On parlera là-bas à coeur ouvert et on discu­ tera sur les détails.. J’espère qu’on vous donnera immédiatement une certaine somme.

— Je suis certes d’accord en principe. Est-ce qu’on refuse une proposition pareiille ? \QnUtrAyf

— Alors ,je viendrai vouS^we*- 4ae dimanche. Nous irons ensem -

ble à la réunion.

— C’est bien Elva, je vous at - tendrai dimanche.

Elva von Stechov s’en alla sa - tisfaite.

Le soir même je téléphonais à notre ambassadeur à Berlin Ke - malettin Sami pacha pour l ’infor - mer que nous irions bientôt à Is­ tanbul afin de dévaluer Ste So­ phie.

Les événements de cette natu­ re donnent de l ’entrain aux diplo­ mates qui se fatiguent terriblement jusqu’à dormir debout pendant la journée à force d’aller aux fêtes et réceptions. L’ambassadeur me dit au téléphone:

— Je suis vraiment très content

— 118 — de votre geste. Je vous en remer­ cie et ’attends que vous me don - niez des précisions.

J ’appris au cours des réunions auxquelles me conduisait Elva tous les détails de l’entreprise et le nom des personnes devant se rendre à Istanbul.

O surprise ! Ce coffre qui pour­ rissait depuis des siècles dans les caves de Ste Sophie donnait l’in - somnie à de véritables personna­ lités! Il leur faisait bâtir des pro - jets vraiment fantastiques !

Je fis à Kemalettin Sami pacha la demande que voici:

— Excellence, laissez-nous al - i-.er tqus jusdqu’à Istanbul, làbas, on nous arrêtera juste au moment d’emporter le coffre de Ste Sophie Mais l’ambassadeur sourit et ne dit rien.

Le lendemain de cette conversa­ tion, j ’appris non sans stupéfaction que l’ambassadeur était parti pour Ankara. Mes pressentiments me dirent que ce départ imprévu était en corrélation étroite avec mes ré­ vélations. J’en fus peinée.. Il au­ rait mieux valu que je mette les autorités au courant de l’affaire à mon arrivée à Istanubul .Cela au­ rait été bien plus amusant pour moi En outre, j ’aurais eue l ’occasion de

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revoir mon pays.

Entretemps, nous préparions a- vec les camarades le plan de no - tre départ pour Istanbul. Evla al­ lait et venait, le téléphone mar - chait continuellement. Un matin que nous nous étions réunis pour arrêter le jour du. départ, l’avocat de la mission me montrant la dé­ pêche avec des regrets dans la voix:

— Voici la dépêche que Je viens de recevoir ce matin de nos amis d’Istanbul:

« Le coffre qui demeurait en place deux jours plus tôt a été enlevé... les visites ' fréquentes faites à la mosquée ont dû éveil­

ler les soupçons... Nous sommes en train de mener une enquête secrète sur cette affaire ...»

Pendant qu’on donnait lecture de cette dépêche, je me disais que le coffre avait sûrement été enle­ vé sur l’avis de Kemalettin Sami

pacha.

Quelques jours après cet ¿évé­ nement, la mosquée de Ste Sophe avait été transformée en musée sur l’ordre d’Atatürk. I l

C’était un jour du mois de mai. Nous marchions sous M les ar - bres des Champs-Elysiées avieq Leyla pour aller à un cocktail - party que donnait utne Anglaise du nom de Miss Ingram. Soudain

j ’eus une idée:

— Leyla, dis-je, il est encore trop tôt pour aller au cocktail . Veux-tu que nous cherchions une maison ? Regarde on élève de nouvelles bâtisses.’ Peut-être que nous trouverons quelque chose de bon.

— C’est bien pensé. Allons de­ mander.

Les concierges nous donnèrent de l’espoir. Nous nous rendîmes à un bureau dont on nous avait donné l’adresse.

Le chef du bureau me dit: — Nous n’avons qu’i&i seul appartement de libre : il est beau et grand. Il est au No 7 ^ des Champs-Elysées, juste âh

l’hôtel Claridge, au 9e étage. Il y a trois ascenseurs dans la maison et la vue est superbe. Allez le voir si vous voulez.

Cinq minutes plus tard , nous visitions un studio très vaste et très beau. J’étais folle de joie de­ vant cette chance:

— Leyla, dis-je, retournons vite au bureau pour verser des arrhes. Ne laissons pas cette affaire à de­ main.

Quelques minutes plus tard, je dis au chef du bureau:

— Monsieur nous louons l’ap­

partement. J’ai mille francs avec moi. Je vous les laisse. Je vous ver serai le reste demain et nous pré­ parerons le contrat.

Le bonhomme surpris me dit en me remettant le reçu:

— Je n’ai vu de ma vie per - sonne qui prit une décision aussi rapide.

De l ’autre côté, Leyla me coulait à l’oreille :

— Tout cela est bien, mais le contrat de la maison où nous ha­ bitons prend fin en Octobre. Il nous faudra payer le loyer de deux maisons -€ÏK '»*6*-* »

— QuâL fare chérie ! Il faut faire des sacrifices pour avoir ce qu’on désire, sinon où pourrions- nous trouver une pareille occa » sion J jOPnsj 4 ’cXq-MUJJ-' CM*

Nous étions en retard au cock- '

tail. Nermin s’y trouvait aussi : — Pourquoi êtes - vous telle - ment en retard ? demanda-t-elle? Vous allez vous tuer à force de travailler.

— Nermine chérie, lui dis-je,ce n’est pas le travail... Nous venons de louer un nouvel appartement. Une merveille. Ce sera pour nous le paradis après l’enfer. Un ha - sard extraordinaire ! . .

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— 119 —

Tout le monde nous avait entouré et les amis disaient :

— Alors, il nous faut une fête dans ce nouvel Eden. Autrement, nous vien­ drons sans attendre votre invitation.

X

Le gouvernement allemand avait in­ terdit l’exportation de devises de l’A l­ lemagne. J’achetais donc de vieux meubles de valeur avec l’argent que nous possédions dans ce pays et je les envoyais â Paris. Certes, ces meubles avec leur transport et les tracas qu’ils me causaient me revenaient fort cher, mais au moins nous avions de jolies meubles qui faisaient plaisir â voir.

Le mobilier faisait meilleur effet dans le grand et vaste salon. Tous ceux qui venaient nous voir se plai­ saient chez nous. Mais cela nous don­ na d’autres soucis : la plupart des con­ naissances prenaient notre avis sur la façon d’arranger leur maison.

Nous ne fûmes installées tout â fait qu’â mon retour de Berlin vers le mi­ lieu de l’hiver. Notre appartement ne sentait plus le «chiffon» car l’atelier de couture était tout â fait séparé du

res-irs de. telle- ^ te.

Leyla retrouva son entrain. Toutes les fois qu’elle regardait de la fenêtre large de cinq mètres les dômes de l’é­ glise du Sacré-Coeur, brillant au loin, au-delà des fameux toits gris de Paris, elle murmurait, :

— C’est un bonheur que de vivre dans un pays étranger grâce à l’existen ce qu’on s’est créée sans le secours de^ personne. Ecoute Rebia, invitons Kopchen pour la Noël. Elle sera ment contente de nous voir bien ins­ tallées !

— J’y songe Leyla. Ne le lui avions- nous pas promis c£la? C’est justement le moment. Ecrivons-lui sans tarder, ça la réjouira.

Mme Kopchen répondit deux jours plus tard â la lettre que nous lui écri­ vîmes le jour-même. Elle nous disait tout le bonheur que lui donnait cette invitation avec des expressions venues

du coeur et nous annonçait au’elle couronne de fleurs sur la tombe de viendrait AÂ-CfiV jdÜU.~lVM, ancien Kaiser et de nombreux

géné-Mais deux semaines s’étaient â pei^Vaux. Le cercueil a été envoyé â Leip- ne écoulées depuis cette lettre que je zig, â 4 heures de Berlin et enseveli reçus un message de Christine disant dans la tombe de feu son mari Feodor quejMiag.jfcopchen avait été trouvée von Koptchen.

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Par REBIATEVFIK

BASOKCU

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morte un matin dans son lit.On avait dé

couvert notre lettre sous l’oreiller.

Christine ajoutait :

— Toi et Leyla serez très affligées par cette triste nouvelle. Mais sachez que notre vieille amie a eu des fu­ nérailles splendides. Le cortège était nombreux et il y eut de nombreuses

Pauvre chère Koptchen !...

A la Noël, nous nous rendîmes ê Berlin. Il neigeait â gros flocons. Nous allâmes â Leipzig poser une grande couronne de lfeurs sur la tombe de notre fidd£.amie et nous vécûmes là-bas quelques minutes dans le grand calme qui l’entourait.

Le soir, après le repas chez les Ka- Leyla qui fixait les lumières trem­ blotantes du bel arbre de Noël me dit d’une voix qui me rappelait une autre nuit :

— C’est étrange ! Dans les nuits

calmes comme celles-ci, devant cet ar­ bre éclairé par la lueur des bougies je me sens proche d’une grandeur in­ connue ! Je veux regarder sans parle*, ces branches, ces bougies pour ne pas m’arracher à cette impression. A l,

Vers la fin de 1935, quelques’ amis vinrent d’Istanbul à Paris. Parmi ces derniers il y avait N. hanem, la fem­ me de A. S. pacha et une de ses amies §. avec son mari. Ils habitaient tout près de chez nous, l’hôtel Claridge. Nous nous promenions souvent ensem­ ble.

Au cours de ces mêmes mois, nous fîmes la connaissance d’un journaliste autrichien, le baron^H. qui se présenta à nous avec la lettre d’un ami. Cet homme avait répété dès le début que notre maison lui avait extrêmement plu. Il examinait tous les coins décla­ rant qu’on tirerait de très bons films dans ce salon. Il avait été régisseur de cinéma dans le temps.

Le baron vint nous voir de plus en plus fréquemment. Sachant que nous étions des Kémalistes convaincues, il nous parlait constamment d’Atatürk qu’ il qualifiait «de plus grand homme du monde», de sa réception par lui, de

son admiration envers les Turcs. Un autre jour, il dit à Leyla en sou­

riant : ,

— Vous vivez toutes seules. Est-ce que l’amour d’Atatürk et du pays est un empêchement au mariage ?

Leyla répondit :

— Chacun a dans la vie, une voie différente.

— La voie que doit suivre une fem­ me doit toujours être celle du maria­ ge. Ainsi par exemple ne seriez-vous pas plus heureuse si vous unissiez vo­ tre vie à la mienne ? J’ai un nom res­ pectable .On pourrait très bien vivre si nous mettions notre argent en com­ mun.

— Peut-être avez-vous raison de pen ser ainsi? Mais je suis assez âgée pour savoir choisir mon chemin dans la V k s Je ne veux pas me marier.

La réponse de Leyla ne fut nulle­ ment du goût de von H. Je remarquais cela au pli amer de sa bouche. Lors­ que le bonhomme fut parti, Leyla me 3it :

— Ne frayons plus après la petite fête que nous allons donner, avec ce dégénéré qui veut monnayer son nom.

( à suivre )

Referanslar

Benzer Belgeler

Les Allemandes fortes, blondes, aux joues roses étaient pour la plupart sans chapeau, sans bas et marchaient rapidement avec les hommes, dans les robes qui les

La première voulait faire la connaissance d’une dame de Paris plutôt qu’elle ne dé­ sirait s(e flaire confecficJtaner

Elle est tellement riche qu’elle ne perdra rien pour attendre encore quelque temps.. Où trouver ces soixante dollars qui représentaient alors de quoi acheter une

simple. Cet enfant d’Izmir plei nde franchise me ra­ contait son amour et me proposait le mariage.. Ça tombe juste. Ses parents lut envoient très peu de chose. La

admettait la moxt, si 1 amour voir rudement lutté pour échapper Le jour où ayant rompu mes pouvait tuer, mais elle ne pouvait à la tourmente qui vous

Nous travaillions beaucoup avec quelques ouvrières Que nous avons déniché au prix de mille difficul­ tés pour terminer les robes que nous avions. Nous allons

Ro^jr nous écrivait toujours de Londres et chaque fois elle nous demandait d’y aller pour quelques jours.. SilVqffcdU Foreign

dblTprofesseur avait demandé na%pour que nous allions demeurer guère la main de Christine, mais&#34;quelques jours dans sa villd L de au moment où elle allait