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VINGT ANNEES EN EUROPE

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Academic year: 2021

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— 100 —

Eh bien nous n’avons fait que parler de toi pendant tout ce temps : “ Leylâ, m’a-t-elle dit, est une femme très intelligente. Elle lit dans l’âme de tout le monde. Mon plus grand désir au monde c’est de voir Tito se marier avec elle. Mais Tito est tellement fou Qu’il ne peut rendre aucune femme heureuse. L’hivr',’dernier il était a- m ou reu xfou de Leylâ. “ Je ne pourraisqme marier qu’avec jCjMKd disait - il. C’est un fou, certes, un ne peut le croire, mais il est très beau et il aura une grosse fortune à ma mort. Pensez - vous que Ley­ lâ nourrisse un sentiment parti - culier envers Tito ?

— Et... que lui as - tu répondu? — Chère madame, lui dis - je, Leylâ et moi aimons Tito comme un frère. Il a le coeur aussi bon que ses traits sont beaux. En ou - tre c’est un excellent camarade. Mais il est tellement superficiel ! Je ne pense pas que Leylâ puisse être heureuse avec un compagnon pareil.

Elle soupira et dit :

— Je sais, oh je le sais. Et pour­

tant seule une femme comme Ley­

lâ pourrait le freiner. Feuilleton de “ La République

* * *

Quelques mois s’étaient écoulés depuis le retour de Leylâ à Ber - lin. Nous avions exhibé nos col­ lections d’hiver et nous peinions terriblement sur nos nouveaux modèles.

Un soir, Leylâ ayant pris avec elle Didon et Mutchi était allé fai­ re une promenade à pied au Tier­ garten après la fermeture des ate­ liers. Je lisais, dans la salle à man ger, et j ’attendais le retour de Leylâ et des enfants (Didon et Mutchi).

On sonna violemment à la por­ te. J’attendais que Didon et Mu­ tchi entrant avec Leylâ se jet - tent sur moi pour me cajoler, mais je visp(le«||&LKa$UL entrer dans la salle à manger. Il avait la figure rouge, les yeux enfoncés et les re­ gards fatigués. Je savais qu’il a - vait cette expression lorsqu'il éta t en proie à des luttes intérieures.

— o h f J u d u ii lui dis - je, com­ me vous avez bien fait de venir. Est - ce que Christine vous suit ?

— Non, dit - il, je suis seul. Per mettez - moi de lui téléphoner

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E U R O P E

Par REBIA TEVFIK BASOKCV

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

pour qu’elle ne s’inquiète pas. Il prit le téléphone pendant qu- je sortais de la chambre pour dire à Annie d’ajouter un couvert. Lors­ que j ’y retournais,pJMfc^fiisait & Christine :

“ Je prendrai mon repas ce soir à l’hôtel Eden aved \mes colle - gués... A l’autre bout du fil la voix tranquille de Christine répondait: “ Ça vofâm ifo¿.mais ne tarde pa" trop.. Non, ditÇlbi®>|j|je serais de retour avant minuit — Et il ac­ crocha le récepteur.

Je compris qu’il avait à me con­ fier des soucis qu’il voulait cacher

à sa femme. De quoi pouvait - il bien s’agir ? Avait - il encore joué? Pourtant, le calme régnait entre eux après la tourmente qui avait éclaté dans leurs vies deux ans plus tôt, lorsque^JStâÉimiavait per­ du un grosse somme d’argent aux courses.

Leylâ rentra sur ces entrefaits Didap et Mutchi se jetèrent sur FAMUL avant de venir à moi. F * r Jbft^joua un peu avec eux puis on

se mit à table. .

A pein< pto w fci avait - il pris un cuilleree de bouillon que se

tournant vers Leylâ comme un commandant ayant reçu l’ordre d’ ouvrir le feu sur l’ennemi, il dit d’un ton très grave :

— Leylâ, certains de vos amis s’ efforcent de faire de vous Tins - trument d’une intrigue.

Leylâ surprise, écarquilla les yeux :

— Moi ? Et pourquoi cela ? De quelle intrigue s’agit - il ?

poursuivit :

— Je vais vous le raconter. Le baron von Sibali est venu me voir hier pour me dire : “ On m’a dit que vous étiez bons amis avec Mme Leylâ Serdar. Je voudrais juste - ment vous parler d’une question vitale qui l ’intéresse. ”

Je ne sus que répondre d’abord, puis je me demandais quelle pou­ vait être cette question vitale en­ tre vous et Sibah. Il ne tarda pas à me mettre au courant. Il parait que vous connaissez un certain

baron Otto von Lohe

qui vous aurait demandé en ma - riage, sans grand succès. Ce von Lohe qui était paraît - il officier de la garde aurait abandonné la carrière militaire à l’issue de la

guerreTpour se consacrer a l indus-

UT*— — ^ r r

trie sidérurgique. 11 aurait ém’ - gré depuis un an en Amérique et exploiterait là - bas des mines de fer. On dit qu’il est riche main - tenant.

Justement, ce von Lohe a écrit à Sibah pour lui dire que s’il réus: sit à persuader Leylâ de se marier avec lui il lui donnerait dix mille marks. Mais ce n’est pas tout.Dans le cas où Sibah n’arrive pas à per­ suader Leylâ et à l’amener à faire ce mariage, il pourra se servir de l’influence d’une amie de Leylâ qui alors, recevra également ciix mille marks.

Vous voyez bien, ces gens ont fait de votre mariage une sorte ae sujet de transaction. Cela prouve que Sibah n’est pas un homme in­ tègre. ”

Lorsque!JdWB^eut achevé de raconter cette histoire avec toute la gravité et l ’émotion dont il étà’ t capable, nous nous mimes à rire avec Leylâ. En effet, Çe pauvre baron Sibah nous avait déjà mon­ tré la lettre en question envoyée par son ami.

( à suivre ))

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— 101

Je dis a

— Mon cher, il n’y a aucune in­ trigue dans tout cela. Sibah nous a déjà montré cette lettre et Ley- lâ ¡ayant 'dit “ fion ” il a dû s’a­ dresser à vous pour obéir aux ins­ tructions de son ami. Pourquoi donc Sibah serait - il fautif ?

M a i s f m e dit encore plus furieusement :

— Comment, le baron von Si - bah a osé vous montrer cette let­ tre ! Vraiment, l ’ex - chambellan du Kaiser est un homme pleine de tact !

— Mais, lui dis - je, comment pouvait - il faire autrement? Dans la lettre incriminée, il s’agit d’une question vitale avant due d’une Question d’argent. Ne croyez - vous pas digne de prendre la chose en considération ? Otto von Lojfe a beaucoup insisté il y a un an pour se marier avec Leylâ, mais com­ me il s’est toujours heurté à un refus, il a maintenant recours à ce moyen. Lcffe vsait parfaitement qu’ en Allemagne\es meilleures af - faires se traitenftavec de l’argent,

c’est pourquoi il offre de l ’argent à ceux qui seront capable de la mener à bien. En tous cas il y a un fait dont je suis persuadée : von Lotfe aime sérieusement Leylà. Du reste il ne cache pas ses senti - ments dans sa lettre. “ Si, dit - il, je me marie avec Leylâ, je ne me serai pas mariée avec une seule femme mais avec toute une socié­ té. Elle a dans sa person-/: qui semble parfois puérile, l ’âme de bien des femmes. Je n’ai vu de ma vie tant de personnalités concen­ trées dans une même femme ” • I1- compare Leylâ aux femmes de 1’ ancienne aristocratie française, a - yant reçu une très belle éduca - tion. Du reste, la mère de von Lo- «e est une comtesse française.

A ces mots. Leylâ cessant de manger intervint :

— Je vous en prie, dit - elle, ce­ la suffit. Parlons d’autre chose.

MaispJtoeÿlfc. était curieux de connaître les raisons pour lequel- les Leylâ avait constamment re - fusé le mariage. Il semble qu’il voulait trouver dans sa réponse de quoi se consoler.

— Leylà, dit - il d’une voix trem

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Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

blante, du moment que vous savez tout, pourquoi ne voulez - vous pas vous marier ?

__«répondit Leylâ, vous

êtes marié avec la . meilleure fem­ me du monde. Mais etes - vous heureux ? Je trouve désormais le bonheur dans le travail. Et je ne m’en repens pas du reste.

CdtaW^ en répondit pas. Il sou - ^pira profondément, se tut pendant quelques secondes puis se tournant vers moi demanda :

__ Qui donc vous avait présenté Otto von Lotfe ?

— C’est le général von Kluck qui nous l ’a présenté à un bal de bienfaisance qu’il patronait l’hiver dernier. En nous séparant cette nuit - là, von Loge nous demanda la permission de venir nous voir. Nous l’avohs connu comme un homme très poli, très probe. Après tout, ce n’est pas un crime pour un jeune homme d’aimer unq jeu­ ne femme.

— Au contraire, on ne peut es­ pérer grand’chose d’un jeune hom me ignorant l’amour.

Puis fixant Leylâ, il poursuivit:

— J’ai aussi vu de ces jeunesses étoffes de soie et des mouchoirs en qui renient leurs sentiments et soie pour hommes. Nous les ven- partent un faux témoignage con- dions chez nous, au profit de l’as­ tre elles - mêmes. Je connais sur- sociation. Les Allemands aimaient tout une petite Leylà " » beaucoup ces étoffes ; elles ache- Leylâ écouta les paroles de p ïb ^ t aient des douzaines de mouchoirs MaM: sans cesser de sourire. Mais pour leur maris et s’étonnaient l’exDression de son regard s’était de l’excellence des étoffes. De fait très profonde. Ces lèvres sou- vant l ’activité dont nous faisions riantes cherchaient à nier la souf- preuve, l’ambassadeur me disait : france des yeux qui pleuraient se- — La succursale de Berlin de T crètemenit. Qu’elle était bizarre association pour la protection de cette Leylâ. l’enfance fait des_ merveilles. Je

Le repas terminé ne res- serais très heureux si nous pou-ta pas longtemps. Il semble Qu’il vion créer une pavillon à Anka - ne voulait pas. cette nuit, parler ra.

de futilités. Il se leva et prit con- Nous travaillons de toutes nos

g£ forces pour satisfaire notre

ambas-II est encore très tôt pour par. sadeur.

——^ fu*l «¿U- Les bals turcs étaient très en vo tir_!.'Non, répondit - il, je veux me^ gue à Berlin et rapportaient beau- promener un peu tout seul au Tier- coup d’argent. Le succès assuré à garten - ¿ U e -'-é / ¿Âo*4- cuxMC ces bals par notre ambassadrice é-

Î M v u i . o u - - tait flatteur. On parlait presque Une autre année se passa dans dans tous le salons de banquets et le travail. On se réunissait encore bals donnés à l’Ambassade de Tur-toutes les semaines au club Turc.

Nous nous occupions à cette oc­ casion des affaires de l’asociation pour la protection de l’enfancê. On nous avait envoyé de Bursa des

quie et du succès taient.

qu’ils rempor-

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Leyla et moi étions contentes de vivre. Nous recevions les di - manches, mais les invitations à, du­ rer, les parties de brigade ne man­ quaient pas dans la semaine. On allait aussi au théâtre. En été, les banquets et les bals donnés par les clubs de tennis de Griinewald nous faisaient faire la connaisan- ce des beautés du monde sportif de Berlin. La vie nous paraisait belle aux heures que nous fassions avec nos amis turcs et Allemands dans les vastes jardins des châ - teaux des bords du Wansee au - jourd’hui ¡transformé^ ert hôtel.

Mes premiers amis de Berlin, M. Damgar et sa femme Mme As ta Damgar venaient presque cha­ que été passer quelques semaines à Berlin. Très sauvent nous allions ainsi qucpÀftlAUb. et Christine en bateau à des villages situés à deux heures de distance sur la Wansee et nous passions la week-e|fd dans des hôtels rustiques. Leyla aimait beaucoup ces promenades si sim­ ples, en pleine nature. Elle était alors d’une gaieté débordante et

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nous faisait tous rire.

A l’une de nos exercises, nous ne trouvions qu’une chambre à l’hôtel Nous nous y établîmes, trois femmes. Dijdon tet 'MutJcihn Les hommes trouvèrent le moyen de passer la nuit dans les cutters

Retirés dans notre chambre nous ne pûmes dormir pendant des heures à cause de bavardage de Leyla. Nous rions tellement qu’à le fin on frappa la cloison tandis qu’une grosse voix d’hom­ me grondait .

— Mais taisez-vous ! Nous sommes venus ici pour prendre du repos.

Le lendemain matin nous rions de plus belle en prenant notre pe­ tit déjeuner au jardin, en évo - quant ce petit incident. Le même jour.f.JUflui-'se prit de querelle avec les villageois à cause de Di- don et de Mutchi qui se baignai­ ent.

Leyla et moi ne voulions pas nous baigner fXtk& L accompagné par les enfants (Didon et Mutchi) allaient prendre un bain. Mais ces polisons ne me voyant pas près d’eux sortient bien vite de l’eau

et coururent vers moi tout en s’ébrouant. Les gouttelettes d’eau éclaboussèrent Idjes paysans iqui, énervés se mirent à crier :

— Ces Berlinois,... a-t-on idée de gens aussi égoiste ! Non con - tents de baigner leurs chiens, cho­ se qui est pourtant défendue, ils les laissent aller à leur guise et

nous font éclabousser.

riant aux éclats leur ré­ pondait :

— Vous avez parfaitement rai­ son messieurs. Je suis comme vous,, je ne suis pas de Berlin et,

comme vous je ne les aimes

***AtéL4 —' «

Une nouvelle demande en ma­ riage fut faite à Leyla en ces be - aux jours dété. On nous présenta le comte M. à un thé de l’ambas­ sade des Etats-Unis. Il apparte - liait à la famille du prince de Meternich, fameux dans l ’histoire de l’Autriche. Il nous dit qu’il vi­ vait depuis 16 ans en Amérique, qu’il ne parvenait pas à s’entende avec les Allemands. J?uis il de - manda officiellement la., main de Leyla 3 semaines plus tard. Il est

étrange que cet homme n’ait pas fait une bonne impression sur Leyla et sur moi.

Malgré le refus de Leyla il s’em­ ploya pendant des mois à la faire revenir sur sa décision. M. était un être égoiste dans toute l’accep tion du terme. Il croyait que son titre de comte M- capable d’é mouvoir les Allemandes lui atti­ rerait toutes les femmes. Il espé­ rait pouvoir vivre comme un coq en pâte en échange de son nom fameux. Quelques jours après a- voir fait sa demande, il dit un jour:

— Si j ’étais ici, j ’aurais tôt fait d’envoyer ces chiens au diable Vous les gâtez trop.

Il se plaignait des fameux Di - don et Mutchi.

Leyla me dit le soir même : — Je t’en prie A 4 m - fais en sorte de nous délivrer de cet hom­ me. Je ne peux même pas le sup­ porter comme un ami venant nous voir de temps à autre. C’est un être très égoiste. Il ressemble à aucun des nos amis.

mis au courant par No- ra Morgan de la nouvelle propo sition de mariage qui venait d’être

faite à Leyla nous débitait tout au long les bêtises commises par ce pauvre comte M. depuis son enfance. Il rencontrait à qui vou­ lait l’entendre que M. s’était à 30 ans marié avec la femme la plus riche de Berlin qui avait fini par se jeter par la fenêtre, ne pouvant supporter l’égoisme du mari. L’ex­ citation dont pAÉjaÉg. élevé dans la discipline militaire et ignorant les commérages, faisait preuve lorsqu'il s’agissait des prétendants de Leyla me faisait rire tout com­ me les Goting. Ce grand enfant n'allait donc jamais changer !

C’est à l’ambassade des Etats- Unis que nous fûmes la connais­ sance de Mme Nora Morgan, une jeune Américaine d’origine norvé gienne. Son mari est le directeur du Conservatoire du Connecticut Elle avait une très belle voix et on l’avait envoyé au conservatoire de Berlin pour deux années, afin qu’elle se perfectionnât.

Ce fut une amie de la légation de Norvège. Ingrit Naiss qui me la présenta.

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— 103 — — Voici l ’artiste qui a fait cet­ te robe. Je lui dois la plus grande Nora allait donner son premier partie de ces applaudissements. El- concert a Berlin et il lui fallait le a des doigts de fée qui vous une toilette qui la fit encore plus confèrent des beautés inconnues, belle sur la scène. J’étais gênée par les acclama

-Les applaudissements qu’elle al- tions dont on m’entoura, mais No- lait récolter à ce concert et les ra me prenant le bras déclara : critiques qu’on allait faire allaient — Allons, Rebia chérie, nous décider de son avenir aux Etats - irons maintenant tous souper à la

Unis. “ Kuntzler Ecke ” (Le coin des

ar-Dans sa grande simplicité, Nora tistes).

était .tellement^tfft^mp'ı^j^ftİttBl,''et sen Et elle m’entraîna,

sible que cette première robe créa NOra possédait au plus haut de- une grande amitié entre nous. gré:' cet esprit de camaraderie

pro-Lorsque le concert terminé au pre aux Américains. Elle aurait milieu des applaudissements j ’ai - voulu pour m’être utile, obliger lais dans la loge derrière la scè- toutes les Américaines à acheter ne, je vis Nora entourée par tous leurs robes chez moi, Nous nous les jeunes attachés de l’ambassade voyions presque tous les jours ; des (Etats - Unis. L’un d’eux mon- elle venait tous les dimanches chez trant du doigt la robe de velours moi avec les attachés et secrétai- bleue électrique de Nora, plaisan- res de l’ambassade. Les invitations

tait : à dîner ne manquaient pas.

— Je crois que si j ’avais une ro- Bref notre ex/isrtfence s’écou -be aussi -belle, je chanterais aus- ¡aient dans de bonnes conditions, si bien que vous. Nour aurions constitué un ca

-A peine Nora m’eut - elle vue pital de quelque importance si nous entrer qu’elle sauta à rfton cou et arrivions à travailler à la même ca

dit : dence' pendant une dizaine

d'an-Feuilleton de “ La République ’’

¡VINGT ANNEESËN

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Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

nees. Notre maison avait un bon Dans une lettre que je recevais renom parmi les Turcs aussi. à la même époque ma mère me

fai-L’ambassadrice qui venait de sait part de sa satisfaction : le prt» rentrer d’Ankara depuis quelques fesseur Dr. Mazhar Osman lui a- jours m'avait dit . vait téléphoné pour la mettre au

— J’ai beaucoup parlé de vous courant de notre entrevue à Ber- à la table d’Atatürk. Tout le mon- lin. Il lui avait confié qu’il avait de vous connaît.^ constaté de visu la façon dont j ’

De leur côté, les journaux d’fs- arrivais à satisfaire mes clients tanbul ne manquaient pas de par- dans une ville comme Berlin et. 1er à toute occasion de la femme avait ajouté qu’elle pouvait être turque pleine d’initiative de Ber- fière de sa fille. Mme Mazhar Os- lin, et de reproduire mes photos man nous avait commandé un man dans leurs colonnes. teau au cours de ce voyage.

Tout allait bien, seulement... révolution allait-elle éclater ? Nul Une crise politique débuta à ne le savait et tout le monde gardait Berlin vers la fin de l’année 1929. son argent.Beaucoup craignant une On disait que Hitler qui travail - nouvelle inflation faisaient évader lait depuis quelques années en leur capitaux à. l ’étranger.

Bavière, était maintenant arrivé à j e me vis dans l’obligation de se faire une . situation qui lui per- réduire à l ’extrême le nombre de mettrait de renverser le gouver - mes ouvrières qui atteignait la

nement. soixantaine. Sans les commandes

Cette crise politique provoquait que me passaient les femmes des dans le pays une crise économique diplomates qui se trouvaient en de plus en plus grave. En quel Amérique, en Scandinavie, à Pa - ques mois de nombreuses usines ris ou en Espagne, notre atelier fermèrent leurs portes et il y eut aurait complètement chômé

de nombreuses faillites. J ’iétais terrifiée* de songer que Malgré tout le bruit de la vil- notre maison prospère depuis trois le, la vie s’était soudain arrêtée à ou quatre années était peut - être Berlin. vouée à la faillite. Il fallait

cher-Au début, je ne crus pas que no- cher et trouver un moyen de pâ­ tre maison serait sérieusement af- rer à cette nouvelle crise,

fectée par cet état de choses car Ce fut sur ces entrefaits qu’arri- nos clients citaient igens riohes. ve le printemps de 1930. Lorsque Mais la crise, la stagnation des af- j ’allais à Paris pour les nouveaux faires qui avait commencé au prin modèles du printemps, la joie et tenimps {prit un jcjaracUère vrai ¡- l’animation régnant dans cette vil- ment redoutable en automne. Les le me frappèrent. Berlin était une dames qui commandaient naguère ville morte comparée à Paris dix ou quinze robes, y pensaient à La

deux fois avant d’en commander ? '( ^ suivre )) une. Qu’allait - il se produire ? Une

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— 104 —

Un jour Leyla me dît :

— Rébia, je te vois très absor - bée et soucieuse ces jours-ci. Crain drais-tu les conséquences de la crise qui règne dans le pays ?

— Oui, chérie. Il y a d’un côté ces terribles impôts et de l ’autre , le loyer, les dépenses; si cela con - tinue, nous serons obligés de fer­ mer nos portes en moins d’une an­ née.

— Ne ferions-nous pas mieux d’aller plutôt nous installer à Pa­ ris ? Mais peut-être qu’aimant cet­ te maison...

Je l’interrompis:

.— Leyla, j ’aimerai ma maison , mon chez moi partout où il serait possible de vivre. Je ne crains pas de quitter Berlin et ma maison. Je crains plutôt de me trouver de - vant des difficultés nouvelles. En effet, j ’ai beaucoup travaillé pour arriver...

— Je sais, dit-elle, je sais que tu as supporté les pires périodes à toi seule. Mais maintenant, nous sommes deux. Ne crains donc rien. Nous irons ensemble jusuqu’à la fin.

Se levant, elle vint s’asseoir sur

le bras de mon fauteuil et posant la main sur mon épaule, poursui -vit:

•— J’ai toujours eu confiance en toi, chérie, pourquoi ne te fies-tu à moi ?

— Chérie, je t’ai toujours fait confiance. Plus qu’à moi-même.Tu peux me croire et c’est décidé. On ira à Paris au cours de cet été.

Je vis la joie pétiller dans les yeux de Leyla.

C’était un dimanche et, comme toujours nous attendions à déjeu­ ner Frau von Koepchen. Dans la joie de la décision que nous ve - nions de prendre, nous lui annon­ çâmes que nous tranférerions notre atelier à Paris. A cette nouvelle , la pauvre Von Koepchen mit la main sur son coeur et garda le si­ lence pendant quelques secondes • Ses yeux rougirent, mais elle se reprit bien vite et dit d’un, ton énergique:

— Allez mes enfants, allez-y ■ Je suis persuadée qu’à Paris vous vivrez mieux qu’ici. Je viendrais vous voir lorsque vous serez ins­

tallées. J Xl»

— CertainementS/chère S®***1 Koepchen, lui dis-je, on se rever­ ra encore à Noél.1

*(>■

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Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

Notre décision de nous transfé­ rer à Paris surprit tous nos amis Christine semblait très affectée par cette nouvelle:

— Rebia me dit-elle, pourquoi prendre toujours de si rapides dé­ cisions ? Ne vaudrait-il pas mieux y penser plus longuement ?

— Ma chère Christine, jusqu' ici je ne me suis jamais repentie d’avoir suivi ce que me conseil - laient mes idées.!

~ » T t w O r , «TtTTvTn .

En juillet, je me rendis pour un mois à Paris où je louais un appar­

tement de cinq chambres, rue du Mont-Tabor, par l’entremise de Mlle Prévôt qui s’occupait de mes affaires de commission. La mai - son était laide et sombre. On ne pouvait en aucun cas la comparer à celle de Berlin. Mais à l ’époque, il était impossible de trouver une belle maison dans les quartiers se­ lects de Paris. Les Français qui ne veulent pas faire de dépenses, ne remplacent pas leurs vieux édifi­ ces par de nouveaux plus confor­ tables et s’efforcent de tirer le maximum de profits de ces vieilles bâtisses.

La nuit du jour où je signais un

contrat de quatre ans pour cette maison, j ’étais telleuent soucieuse que je ne pus dormir.

Pendant quatre années nous de­ vions sentir les relents de benzi­ ne de cette rue, alors qu’à Berlin, nos fenêtres donnaient sur la Spree s’étendant comme un mince ru - ban vert et que des senteurs de tilleul venaient de la Tiergarten . En outre, il me fallait dépenser JOOOO Ipfcfes pour les réparations.

Je priais Mme Prévôt de faire procéder aux. réparations . g

-d^ ^ ffiK S ftstes turcs était justement venue à Ber­ lin. L’ambassadeur nous fit faire connaissance une nuit au Club turc. Parmi ces journalistes, il y a- vait Abidin Dav’er bey qui voulut voir ma maison avec un de ses a- mis. Je reçus les journalistes turcs un dimanche, dans le salon cen - tral’ On me posa une foule de ques tion sur la façon dont j ’avais dé­ buté. Quelques jours plus tard, je recevais d’Istanbul le journal << Cumhuriyet » du 7 juillet 1930 où Abidin Dav’er bey racontait dans un article sur trois colonnes l ’histoire de «Rebia Tevfk qui a - vait créé une grande maison de modes à Berlin». L’article s’ache­

vait par ces mots: « Cette dame turque qui était allée à Berlin, il y a huit ans, avec sept francs en po­ che et qui s’est assuré la richesse et la notoriété grâce à son intel­ ligence, à son art et surtout à sa ténacité, est la fille de la généra - tion future plutôt que la nôtre.»

Deux jours plus tard, je reçus u- ne visite. C’était un homme sym - pathique, à lunettes, très sérieux et soigné de sa personne. Il se pré­ senta ainsi:

— Madame, je suis Suleyman Sirri Ozkayaalp, professeur agré­ gé de langue turque à l’Université de Berlin depuis 1913. Je rencon­ trais toujours le nom de Sadi dans les journaux, mais c’est seulement en lisant l’article du «Cumhu - riyet» que j ’ai compris que vous é- tiez une vraie turque, et cela m’a beaucoup réjoui. Ma femme dési­ re beaucoup faire votre connais - sance ainsi que mon fils âgé de douze ans.

— Cela m’honore beaucoup Mon­ sieur. Je vous attendrai donc de - main soir avec Madame et votre fils. Quel dommage que des an - nées se soient écoulées dans notre ignorance mutuelle !

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L ’article d’Abidin Dav’er bey nous avait aidé à faire la connais­ sance d’une famille que nous al­ lions beaucoup aimer à Berlin.

Süleyman Sirri bey avait une femme : Kâmran hanem, C’était une dame charmante, travailleuse et intelligente. Grâçe à son carac­ tère aimant et jovial elle avait réussi à former une famille des plus unies.

Le fils, Emin Sirri, était un en­ fant tel que tous les parents au­ raient voulu en avoir. Les deux yeux très noirs qui brillaient au milieu d’un visage des plus attra­ yants montraient que ce petit se­ rait quelque chose. Nous l ’ai­ mions bientôt comme s’il était no­ tre propre fils.

En effet, le petit Emin Sirri que nous ne perdîmes jamais de vue, fit de brillantes études et notre sympathie à son égard ne fit qu’ augmenter. En 1939 il obtint de l’Université de Berlin le diplôme de chimiste et de chirurgien avec la mention très bien. Cela

prou-vait son intelligence et sa ténaci­ té dans le travail.

Notre jeune Emin Sirri était, depuis trente années, le premier étudiant qui obtenait un double diplôme à la faculté de médecine de Berlin.

Voici ce qu'il m’écrivait en m annonçant cette bonne nouvelle à Paris : « Vous vouliez toujours que je sois un fils digpe d’Atatürk. J’essaie d’atteindre à cette digni­ té. »

f t *

Ce qui me peina le plus en quit­ tant Berlin, ce fut de remettre à l’ambassadrice ma démission de présidente de l’Association pour la Protection de l ’Enfance. Les re­ grets témoignés par mes grands a- mis allégèrent cependant mon cha­ grin. C’est qu’en effet, tous m’ai­ maient sans rien dire.

C’étaient les vacances. Nous ve­ nions de saluer quelques jours plus tôt l’ambassadeur et sa femme qui partaient pour Istanbul. Nous commençions à faire aussi nos pré paratifs de départ. Le bail de la

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Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

maison était encore valable pour reille? Ne voyaient-ils pas que de une année. J’étais donc dans l’obli- nombreuses maisons faisaient fail- gation d’en payer le loyer. Mais lite? Mais peut-être avaient-ils de je réussis à la louer à un tiers à quoi faire face à une telle crise ? un loyer inférieur. J’allais payer

la différence. Les nouveaux loca- Nous travaillions depuis deux taires étaient des Russes qui al- jours avec Leyla ; il nous fallait laient y ouvrir une maison de cou- donner une réception d’adieux à ture en profitant des adresses que nos amis Turcs et Allemands. Un nous allions leur donner. buffet froid fut préparé. Le vin et

J’admirais leur courage. Com- le champagne étaient envoyés de ment osaient-ils ouvrir une maison Paris et les trois grands salons se pareille au milieu d’une crise pa- remplirent de fleurs.

Lorsque le soir nos trente invi- Koepchen elle-même s’était parée , tés arrivèrent, le conseiller d’am- de tout ce quelle avait. Elle res- i bassade, Basri bey, s’exclama : semblait à un mannequin animé ! — Ah, mon Dieu ! Quelle magni- sorti d’un musée des costumes an-ficence ! On se croirait au buffet ciens. Enfin, Christine semblait du roi d’Egypte. encore plus belle dans la robe de

Le roi d’Egypte Fuat Ier était (ulle bleue dont je lui avais fait justement à Berlin et donnait de cadeau au jour de l’An,

nombreuses réceptions au corps ‘ '

diplomatique. Basri bey faisait jus Mme Stoeckle, une de MB» clien- tement allusion à ces dîners. c,ue } aimais beaucoup portait,

M’adressant aux jeunes secrétai- “ 1 occasion de cette réception, la res d’ambassade Inayettulah, Sey- r°be de mousseline imprimée qu fullah et Orner Celai beys, je leur avait spécialement fait con­

cis . fectionner la semaine précédente à

— Mes chers amis, je compte cette intention. Son mari, M. coucoup sur vous pour nous aider Stoekle nous avait envoyé

à remplir notre rôle de maîtresse -4fcq*-do#fleurs et dq*bonbons, de maison. Veuillez servir les in- Jusqu’ici, nous avions, avec Ley- vités, les conduire au buffet, les la. pour principe de n’accepter des Turcs sont iéi les maîtres de céans, fleurs et des cadeaux de personne, Tout le monde était gai ; le sauf de nos amis intimes. C’est corps diplomatique n’avait pas cet- qu’en effet, du jour où nous nous te attitude de courtoisie sur com- étions établies dans cette maison, mande. C’était une maison amie certaines personnes qui ne nous créée par deux dames turques, connaissaient pas bien nous envo- Malgré cela tout le monde était yaient souvent des fleurs et des habillé. Les militaires allemands cadeaux.

(7)

Leylâ avait encore mis ce soir une longue toilette blanche en crê­ pe mat. Le blanc était sa couleur préférée, et, ce soir cette jrobe al­ lait à ravir à son teint banc. La joie, l’entrain ne fit qu’augmenter avec les vins français. Les tapis du stflon beige étaient enlevés et tout le monde voulait danser

Avant de sortir de la salle à manger, ie voulus remercier tous mes amis berlinois de l ’amitié dont ils avaient témoigné à notre égard. La# vieille Kopchen, les K a $ i, les Gotnig et bien d'autres encore a- vaient fait preuve à notre égard d’ une amitié et d’une considération exquises au cours de notre exis- tenceJoin du pays et des nôtres.

fh M À g r me regardait constam­ ment comme s’il attendait mes pa­ roles avec impatience. Finalement je les remerciés tous et m’effor­ çant du contenir l’émotion qui rem plissait ma voix • je leur dis que n’oublierons jamais cette longue amitié qui créa pour nous une vé­ ritable atmosphère de famille dans les mauvais jours.

106 — Les paupières de Christine a-

vaient légèrement rougie :

— Nous aussi, dit - elle, ne vous oublierons jamais, toi Rebia et toi Leylâ.

Èt elle me prit dans ses bras dans une longue étreinte. Christi­ ne embrassa ensuite Leylâ pen - dant que^Jldé^?* me prenait dans ses bras. On nous souhaita ensuite bonne chance et, ce fut cette nuit pour la première fois que les lè - vres dejytÜsÎir effeurèrent douce­ ment les cheveux châtains de Ley­ lâ.

Le premier secrétaire d’Ambas­ sade Inayet bey placé devant la porte de la salle à manger nous re­ gardait surpris ne sachant que penser de toutes ces embrassades M a isp felïiÿ ’voulut l ’éelairer.

— Nous autres Allemands, dit- il nous n’estimons pas avoir fait preuve d’une considération suffi­ sante à l’égard des amis qui nous sont très chers si nous ne les em­ brassons pas ainsi au moment de

la séparation... JEt ou peut, dire que nous leurs sommes attachés et que nous avons envers elles non seulement de la considération

Feuilleton de “ La République ”

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VINGT ANNEES EN

E U R O P E

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

ter les difficultés l’ayant assailli dès le premier jour. Je salue donc avec autant de sympathie que de respects nos deux amies.

Je trouvais ces éloges un peu e- xagérés et je répliquais :

— Mes chers amis, cessez de nous louer et faites plutôt danser ces jeunes dames.

Les senteurs de tilleul venant du Tiergarten remplissaient les sa­ lons. Et les invités s'en allèrent au moment où les lueurs de la nuit se fondaient dans la lumière du matin

mais aussi une grande sympathie. Personne parmi vous ne peut se faire une idée de l’excellente im­ pression que ces deux dames ont faite dans le pays. A telle onsei - gne que le gouvernement lui - mê­ me a été curieux et que des hom­ mes occupant de hautes positions sont venus les voir sous prétexte d’acheter des robes. Quel dommage vraiment que la femme turque ne nous ait pas donné jusqu’ici l’oc­ casion de nous pénétrer de ses hau tes qualités. Justement, ces deux dames ont fait une propagande des

plus brillantes pour leurs congé -

11ères. Vous devez en être fiers. yllfc* avait débité tout cela a- vec une émotion si sincère que toute l ’assistance lui serra^la main Ce fut ensuite l ’amiral Gotnig qui prit la parole :

— Nous autres Allemands, dit- il, nous sommes un peuple qui tra­ vaille beaucoup et réussit diffici­ lement à se frayer un chemin dans la vie. C’est pourquoi il est impossible de ne pas admirer les capacités créatrice et organisatri­ ce de Rebia qui a réussi à

surrnon-VIII

Par un matin d’août 1930 tout embuée de chaleur, tous nos amis turcs et allemands vinrent nous saluer à la gare de Zoo de Berlin Tous avaient des fleurs aux mains. L'amiral Gotnig se faisait très re­ marquer avec son uniforme et ses gants blancs. Tous ceux qui se trouvaient à la gare regardaient de notre côté, curieux de voir ceux pour qui on faisait tant de frais.

La pauvre Annie pleura beau­

coup en se séparant de Didon et de MRtchi. J’avais voulu la pren­ dre avec moi à Paris, mais le con­ sulat français ne me permit pas d’amener une servante à Paris.

Nous prîmes le train après avoir dit adieu à tout le monde, les bras chargés des fleurs. La séparation fut touchante. La vieille Kopchen semblait très émue. Didon et Mu- tchi se précipitaient «à la portière afin de voir encore ceux qui é- taient venus nous saluer. Et excitait encore les pauvres chiens en appelant Didon.

Je saluais une dernière fois cet­ te ville où j ’avais vécu pendant huit ans.^es amis Viiftag-jfau-huv

&m. Mais quatre - vingt années d’

expérience tenaient dans ces an - nées.

Nous étions seules dans le com­ partiment. Ayant mis les fleurs dans le filet nous nous installions devant la portière. Leylâ me re­ garda longuemment comme si elle cherchait à lire quelque chose sur ma figure puis elle dit :

(8)

— 107 —

— Sais-tu à quoi je pense ? Je me dis que si tu efais la femme de Nejat Nazmi et que celui-ci était devenu ambassadeur, on ne vous aurait pas préparé un plus beau départ. A une différence près tou­ tefois : avec lui, on serait venupar étiquette tandis que dans cas, c’est tout ce qu’il y a de plus spontané.

Elle se tut un moment puis re­ prit :

— Sais-tu que tu as de la chance Rebia? Ce départ d’une ville où tu étais venus avec sept francs en poche ! C’est quelque chose tout de même. Il n’est, pas donné à tout le monde d’avoir cette chance. D’ail­ leurs je n’ai toujours pas compris si c’est la chance qui t’a trouvé ou si c’est toi qui a forcé la chance.

Si tu tiens compte de tout ce que j ’ai souffert, il semble que c’est moi qui ait un peu forcé la chance.

Je songeais à toutes les difficul­ tés qu’il m’avait fallu surmonter jusqu’à ce jour. Il aurait fallu a- voir partagé mon existence pour

s’en faire une idée.

Sans ma grande énergie et ma volonté de fer, je ne serais sûre­ ment maintenant plus qu’un sque­ lette dans une fosse commune... Mais il faut laisser toutes ces choses et penser un peu à Didon et à Murtehi. Est-ce que le menu du wagon-restaurant leur plaira ? Je vais leur commander de la viande avec du riz. plat qu’Annie leur préparait toujours. J’ appuie sur la sonnette et je prie le gar­ çon accouru de préparer quelque chose pour les «enfants».

Feuilleton de “ La République

* * *

A Paris nous descendîmes à l ’hô­ tel Cambon pour être près de chez

nous. Je croyais que les répara­ tions étaient terminées et les tapi- series posées. Je m’étais trompée. Ces réparations commencées de­ puis deux mois n’approchaient mê­ me pas de la moitié. La ? Simplement parce que les^Françars se chargent d’une foule d’entrepri­ ses pour n’en laisser échapper aucu ne. Ils travaillent ensuite un jour par semaine. Lorsqu’on entre dans les affaires à Paris, on remarque que ce pays se débat dans une or­

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ganisation de travail tout à fait surannée. La négligence des gens, l’indifférence et le peu d’entrain mis à mener le travail alors qu’en Allemagne tout marche comme sur des roulettes séparent ces deux pays comme un précipice dange­ reux qui ne paraît pas de loin.

Nous avons attendu exactement trois mois à l’hôtel Cambon la fin des travaux. Les meubles

atten-à Paris voulaient absolument s’ habiller chez nous. A force de chercher, je trouvais une petite couturière où je faisais préparer des robes sous ma surveillance.

Madame Stoeckle de Berlin é- tait venue nous retrouver :

— Je ne peux pas m’habiller

ailleurs disait - elle, j ’irai partout Berlin

Je reçus une réponse attristante à la lettre que j'avais envoyée à Christine au début de mon arri - vée à Paris. Mme von Kopchen a- vait été victime d’un accident d’ automobile au retour de la gare où elle nous avait accompagné et elle avait eu une fracture à la jam­ be droite. La malheureuse était sérieusement malade.

Cette nouvelle m ’affecta profon­ dément. Pauvre®isB*Kopchen; no­ tre départ l’avait beaucoup affli­ gé. C’était comme si elle était sé­ parée de ses enfants. Elle avait dû être distraite par cette affliction, d’où le malheur.

Je lui écrivés aussitôt une lon­ gue lettre où je me déclarais con­ vaincue de la voir rétablir bien - tôt grâce à son caractère énergi - que. J’ajoutais Que je comptais la voir entièrement rétablie au prin­

temps prochain, lorsque j ’irais à

ou vous \rez. j e expédiais en outre

quel-Leylâ et moi, nous nous fati - ques bouteilles de vin de Bourgo-daient dans les dépôts. Ce retard guâmes beaucoup pour lui prepa- gne. Kopchen aimait beaucoup les fut cause que nous perdîmes les

commandes d’hiver.

Les clientes de Berlin arrivées

rer dans le petit atelier de cette vins rouges français. Cela me don- couturière les 25 robes qu’ele JM ne de la force, disait - elle, avait commandée. Enfin j ’écrivis ¡également à

vent Kopchen avec.fS/tkufo Tl était d’ailleurs inutile de faire cette re­ commandation à Christine qui é- tait tellement charitable... En ou­ tre, tous mes amis aimaient von Kopchen. Cette pauvre femme don liait la moitié de ce qu'elle avait aux pauvres. On ne la laisserait pas languir dans sa maladie.

J’avais écrit une lettre d’adieux à l’ambassadeur et à l’ambassa - drice au moment de quitter Ber­ lin. Ils se trouvaient à Istanbul à cette date.

Parmi les lettres qué je reçus dernièrement de Berlin, ¡il y én avait une de Kemalddin Santi pa 9*. pleine d’éloges :

“ Votre départ, disait - il, a ré­ ellement causé une sorte de vide ici. Mais c’est pour nous un avan­ tage que de vous voir représenter la vie de la femme républicaine turque dans les autres villes d’Eu­ rope ...”

Il nous informait qu'il nous re­ commandait à la même occasion auprès de notre ambassadeur à

Paris JVTünir

(9)

0m*

108

lecteurs une îûlse de l ’ef: reille suK^mc huımölll' il /oivent eulne xecovp(\y aussi emrtnir ges sœa^pays Pouvant aire t d l e t t r e pa­ onne pour qui 1’

e tout. ne peut ' être eanTTSsOue les élo - le représentant de persots^e —ge p a

p/u r une l’étranger

Nous allions souvent au cabinet de travail de l’hôtel Cambon pour répondre aux lettres de Berlin. La plupart des fois. Leylâ et moi pre­ nions chacune place à l’un des bouts de la table tandis que Di- don et Mutclii couchés à nos pieds nous attendaient.

L’hôtel Cambon est petit et il y a beaucoup de monde. Les Anglais aiment beaucoup cet établisse - ment. Un jour, ayant fini d’écrire une lettre j ’attendais Leylâ. Didou ayant compris qu'on allait sortir me fixait de ses regards C’est à ce moment qu'un vieil Anglais aux cheveux blancs assis dans le fau­ teuil me dit après avoir regardé Didon et Mutchi.

Que vos chiens sent beaux madame. Sont - ils de race russe?

— Non monsieur, je n'ai pas été en Russie. Je ne sais pas s’il exis­ te là - bas des chiens pareils. Los miens sont chinois. Us me vien - lient de Londres où on les élève.

Le vieux monsieur dit :

• — Oh, veuillez m’excuser. Ma femme et moi • vous avions pris pour une russe.

— Non monsieur, nous sommes Turcs.

Le vieft^homBf»»/ sautant sur ses pieds vint se planter devant moi et, faisant une f0*à*mà* révérence

me dit :

— Permettez - moi de vous sa­ luer, madame.

Je né savais que penser du ges­ te de cet homme, et je répondis a- vec quelque surprise à son salut, Mais le vieux monsieur se fit con­ naître :

— Colonel en retraite Lahy de l'armée anglaise. Mon père était également militaire et il prit part à la campagne de Crimée en tant que colonel, aux côtés des Turcs. Mon père disait des Turcs : Ceux qui les connaissent bien ne peu

-«-»Si

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vent s’empêcher de nourrir une grande considération envers eux” . Je suis très heureux de vous té - moigner ce respect. Mon admira­ tion envers les Turcs n'a fait que grandir depuis que le grand Mus- tafa Kemal... (il s’arrêta un peu) a asséné ce fort coup de poinq à 1’ Angleterre. ”

J’étais très heureuse de l’enten­ dre parler ainsi. Mç levant aussi­ tôt je dis mon nom au colonel an­ glais et tendis ma main à sa fem­ me assise dans le fauteuil. Je leur présentais également Leylâ qui

entrait à ce moment. Une pro - fonde amitié nous unit par la sui­ te à ce couple. Nous faisions sou­ vent de belles promenades. Le co­ lonel Lahy adorait faire des pro­ menades sous les beaux arbres des Champs - Elysées avec Didon et Mutchi. Ils restèrent 15 jours à l ’hôtel et, ils me dirent en par­

tant : |

— Nous reviendrons à Paris ie jour de l'An, mais cette fois nous amènerons aussi notre fils.

*

Nous pûmes finalement

emme-nager dans l’appartemen(t après trois mois d’attente et beaucoup d’ennuis. Nous avions arrange*un peu à la diable nos chambres à coucher. Les tapis manquaient en­ core. Je remarquais que cette mai­ son ne plaisait pas à Didon et à Mutchi. Tous deux semblaient manquer d’entrain. Ils ne voulu­ rent pas dormir la première nuit parc-equ’il n’y avait pas de tapis. J’étais étonnée de constater qu’ils étaient énervés tout comme des êtres humains devant cet état de choses qui ne leur plaisait pas. Mon premier soin fut de faire mettre les tapis le lendemain.

J’avais fait venir de Berlin les petites pièces d’ameublement Quant aux autres, la place man - Quait. Nous décidions de faire ven­ dre à Berlin les beaux meubles que j ’aimais tant.

Une riche dame allemande me pria de lui céder le salon central qu’elle adorait. Elle voulait trans­ férer les meubles dans son châ - teau de Cologne afin d’y recevoir ses invités. Wm m’¿m iCTI crPo.K»

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c-édais donc les meubles à condi­ tion Ide .garder le grand jmangal (réchaud).

Les pièces de l’appartement de Paris étaient tellement petites qu’ on ne pouvait plus remuer dès qu’ il y avait quelques chaises. Je dis à Leylâ.

— Leylâ, il nous sera impossi - ble de recevoir nos visites ici ; il nous faudra végéter pendant Qua­ tre années dans cette boîte.

— Ne t’en fais pas vôyons ré - pondait Leylâ, jusque là nous ver­ rons à trouver mieux.

Ayant manqué la saison de tra­ vail, nous passions un hiver tris­ te. Nous étions assez gênées pour régler dans les délais prévus les factures des maisons de commerce qui nous avaient fait crédit. Ces factures atteignaient des cenlai r , . nés de milliers de franos.Æ*<tc iC C jC

(10)

— 109 —

11 n’y avait pas à Paris de club où les Turcs pouvaient de réunir comme à Berlin. Aussi étions-nous bien contentes lorsque quelques amis venaient nous trouver. J’ap­ pris que ^Wifitancienne amie Ro- s|$ Vansoffajtb avait divorcé après avoir visite*beaucoup de pays et qu’elle s’était rendue à Londres. Annie Tarnopol habitait Paris a- vec sa famille 11 n’y avait pas de grand changement chez elle de - puis huit années Que je le con - naissais. Elle venait me voir de temps à autre pour me dire cha­ que fois : f U Î u i r . u.„

' Ail } j ’aurais été bien heureuse chez <vou.si si je savais coudre.

* #*

Le Jour de l'An approchait. Nous travaillions beaucoup avec quelques ouvrières Que nous avons déniché au prix de mille difficul­ tés pour terminer les robes que nous avions. La grande table, dans

yis * îf ea nwin a nMe colonel anglais et sa femme entrer. Il y avait avec eux un jeune homme blond.

Leyla et moi accueillîmes les vi­ siteurs avec joie. Ils étaient sou - riants comme s’ils venaient chez des parents.

Mme LaJjy dit :

— Je vous présente mon fils, lieutenant Arthur.

Ce jeune homme de 22 ans frais émoulu de l’école militaire devait reioindre dans quelques mois l ’ar­ mée anglaise aux Indes. Ses pa ­ rents l ’avaient conduit à Paris pour le récompense de ses efforts^. Il allait visiter la ville pendant 15

jours. „

Le lieutenant Arthur était un beau jeune homme très bien éle­ vé. Mais il semblait un peu ahuri par l’exiguité de la maison et les tas d’étoffes qui s’offraient à sa vue.

Mme LaJjy expliqua :

— C'est aujourd’hui l’anniver - saire de naissance de mon fils. Nous allons donner ce soir une pe­ tite fête à laquelle nous sommes venus vous inviter. Ils étaient ar­ le petit hall était remplie d étof­

fés. Nous étions très occupées^

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rivés à parts dans la journée m ê­ me.

Leylâ demanda .

— C’est à Paris que vous allez passer le Noël n’est - ce pas ?

— Si, répondit le vieux colonel, certes il ne nous sera pas agréa­ ble de fêter le Noël à l ’hôtel mais cette année, nous allons nous ré­ signer pour notre fils.

J’obiectai^ ^ussitôt.

— NonTolcnel, nous ne pouvons pas admettre que vous fêtiez la Noël à l’hôtel ou dans un restau­

rant. Il est vrai due nous ne som­ mes pas capables de vous recevoir dignement mais nous fiant à votre cordialité tolérante, nous vous pri­ ons de bien vculcfir être nos hôtes pour ce soir.

— Nous ne pouvons consentir à vous donner tant de tracas dît le

colonel.

<#*•*£-- Il ne s’agit pas de tracas ¿co­ lonel. Chaque année nous passons la Noël chez nous avec nos amis. Nous étions un peu tristes de de­ voir être toutes seules cette année.

Mais vous nous donnez justement il ne pouvait cacher, mais en essa

. . •» _ » » ___ : * i r n v t t - / l ’A l u n i n n l n c n m i r t m c n n Q t l

mari l’occasion de nous réjouir

Mme La|$y devança son pour dire :

— Mon mari ne voulait tout sim plement pas vous fatiguer, car il n'est pas facile de travailler, sur­ tout dans une ville comme Paris.

yant d’être ie plus courtois possi­ ble :

— Comment, Madame, c’est sur cette table que nnus allons man­ ger ?

Je ne pus m’empêcher de rire aux éclats, car ces mots me plurent Dieu sait l’énergie que vous dé- beaucoup II y avait longtemps que pçnsez pour continuer cette exis* je n’avais ri de si bon coeur. Je tence. Il ne serait donc pas juste dis a Arthur :

que vous vous tourmentiez pour — Certes, mon cher lieutenant

îi0US c’est ici qu’or mangera. L aspect

— Non, Non, dit Leyla, ce sont actuel de la table est b'.en laid, avec des amis tels que vous que ma;s nous essaierons de ne pas nous pourrons précisément oublier vous laisser avoir faim ce soir-ia.

1 , rT,rvvi+ l û rv on ra rl o -ri 1 o t [Y/| m C * l . l l K toutes nos fatigues.

Et sur ce le colonel conclut ' >— C’est entendu mes} enfants. On va fêter la Noël avec nos amis Turcs. Nous vous en remercions beaucoup. Mais maintenant, pres­ sons-nous un peu pour assister au

Tout le monde rit et Mme La||y dit à ^4on fils *

— Tu es encore bien novice dans la vie. Comment peut-on dire pa- îeille chose Arthur ?

— ... ... - - - Quelques minutes plus tard nous

banquet de Mr Arthur car, encore .attendions qu’on nous servit aux f9 4 4 0 0 % ,. une heure et je me révolterai MonlWîmbassadeurs Leyla me dit à ce

moment : estomac crie famine.

Au moment où nous allions tous sortir, Arthur me montrant la table qui disparaissait sous les étof fës, demanda avec une surprise qu’

( à suivre ))

I

Referanslar

Benzer Belgeler

La première voulait faire la connaissance d’une dame de Paris plutôt qu’elle ne dé­ sirait s(e flaire confecficJtaner

Elle est tellement riche qu’elle ne perdra rien pour attendre encore quelque temps.. Où trouver ces soixante dollars qui représentaient alors de quoi acheter une

simple. Cet enfant d’Izmir plei nde franchise me ra­ contait son amour et me proposait le mariage.. Ça tombe juste. Ses parents lut envoient très peu de chose. La

admettait la moxt, si 1 amour voir rudement lutté pour échapper Le jour où ayant rompu mes pouvait tuer, mais elle ne pouvait à la tourmente qui vous

Mais si nous voulons que la pauvre Hélène nous fasse cela, nous deviendrons ridicules.. Du reste, nous ne resterons pas

Ro^jr nous écrivait toujours de Londres et chaque fois elle nous demandait d’y aller pour quelques jours.. SilVqffcdU Foreign

dblTprofesseur avait demandé na%pour que nous allions demeurer guère la main de Christine, mais&#34;quelques jours dans sa villd L de au moment où elle allait

Nous allons nous rencontrer ce soir au Kurfürstendam avec les Süleyman Sirri, et nous prendrons notre repas ensemble.. Il paraît qu.Emin est très occupé avec