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VINGT ANNEES EN EUROPE

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Academic year: 2021

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(1)

_ 41 - *

L e soir en rentrant à l ’hôtel vers sept heures, je songeais qu’il ne me serait plus possible d ’aller au Kranzler. Les quelques marks qui me restaient ne me permettaient plus un''-luxe p a re il. Mais qu’à ce­ la ne tienne. Je pourrais toujours acheter deux oeufs que je mange­ rais après les avoir fa it cuire sur une lampe à alcool, dans ma cham­ bre. Certes, la suppression du dé­ jeuner m'incommodait depuis trois jours, mais du moment que j ’avais accepté le pire...

Je devais donc m ’attendre à la gêne, aux privations... C ’est seu­ lement si je parvenais à les sur - monter que j ’apprendrais à connaî­ tre le côté réel de la vie. Peut - être arriverais - je à y trouver la réalité de mon existence même ? N ’avais - je pas pris l ’engagement de ne pas me laisser vaincre par les privations en entreprenant ce voyage et de maîtriser mes senti­ ments ?

Je m ’étais toujours tenu parole Il me fallait prouver à moi - mê­ me ce dont j ’étais capable.

Je ne sais si il en est ainsi chez tout le monde : en ce qui me con­ cerne je suis fatiguée de la lutte que se livren t en m oi deux per - sonnalités différentes, et cela dès mon enfance. L ’une c’est le coeur: il était tellement sensible, souf - frant, que les incidents qui ne fa i­ saient que passer sur les autres le torturaient atrocement pendant des années et cela ne prenait pas fin.

La seconde personnalité était ce! le de la tête .c’était une créature très solide, qui ne se laissait ja mais fléchir. Elle critiquait sans cesse le coeur, le malmenait et s’ avisait toujours de le conseiller. Une mésentente continuelle ré - gnait entre les deux. Mais trop sou vent le coeur se révoltait et, pen­ dant qu’il se déclarait libre de f i­ xer sa conduite et de v ivre sué vant ses sentiments, comme tout le monde, la tête le malmenait si rudement qu’il se tordait pendant des semaines et pleurait, sans se décider à abandonner cette domi­ nation despotique.

M algré ses soupçons, ce coeur voulait toujours aller de l ’avant ;

Feuilleton de “ L a République ”

VINGT ANNEES EN

E U R O PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

T r a d u it du tu rc p a r M A Z H A R K U N T

il éprouvait du plaisir à faire par­

tager par son entourage ses senti­ ments débordants et estimait que la joie et la tristesse d’autrui im­ portaient plus que les siens pro - près. Sa grande sincérité, sa ten - dresse, sa modestie augmentaient encore son attrait et tout le mon­ de voulait le posséder.

Mais il n’en était pas de même de la personnalité de^ l ’esprit. Ce - lui - ci, sûr de sa force se sentait en quelque sorte insulté par la fa i­ blesse, la versatilité et l ’hypocrisie des gens Rien ne lui échappait. Il

en voulait à ceux qui se dépen - saient en gestes et en paroles pour cacher leur côté faible. D ’après lui, la politique de ménagements n’est que le propre des idiots et ceux qui ne se servent pas de leurs ar­ mes que pour se défendre sont con damnés à être coûte que coûte bat­ tus. Chacun peur se créer une per­ sonnalité à condition de le vouloir. Un décrotteur lui - même est une personnalité, pourvu qu’il soit hu­ main dans son travail et utile à la société.

Pour qu’une personne soit à

mê-M W W W i i IPI

me de manifester sa personnalité, il est indispensable qu’elle soit im ­ partiale dans ses sentiments com­ me dans ses pensées. L ’envie et la jalousie sont les deux microbes les plus dangereux éloignant les hom­ mes de leur objectif réel et fa i­ sant d’eux des êtres nuisibles à la Société. Quetre - vingt - dix - neuf pour cent des crimes et des dra - mes sont provoqués par le fait que les hommes agissent sous l ’empire de leurs sentiments et sont impuis­ sants en leur présence.

Si la nature l ’avait jugé bon, la seule personnalité du coeur au - rait suffi à le diriger. Or , tout coeur révolté ne voulant pas se placer sous la protection de la tête est condamné à être jeté au rebut, comme une allumette dont la flamme se serait éteinte.

L e coeur peut se' soulever et d i­ re : — Que tu es sévère et orgueil­ leux. Je n’aurais cure de tes in­ jonctions si tu ne me faisais souf­ frir pour une minute de fierté.

Mais cela n’empêche pas le cer­ veau de reprendre :

— N e t ’énerves pas voyons. Tu verras que je te mènerai sur la bonne route. Tu es encore bien jeu ne ; ta petite raison ne parvient pas à s’en rendre compte, mais tu sauras ce que c’est que l ’abnéga - tion à mesure que tu avanceras en âge. Tu laisseras les détails de cô­ té et ne songeras qu’à l ’exécution. Ces deux personnages se sépa­ raient toujours fâchés à l ’issue de leurs discussions. Dans ces cas, ils me quittaient tous deux de sorte que je devenais semblable à un sac vide ! Je comprenais que sans eux je n’étais rien et j ’essayais de les mettre d’accord.

Mais c’est très rarement qu’en scrutant mes yeux dans le miroir, je remarquais que ces deux person nalités étaient d’accord. Cela me réjouissait. C’était comme si nous avions fondé un ménage à trois. Nous n’étions d’accord que sur un point : celui de ne pas être vaincu dans la vie.

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— 42 —

L e soir, j ’étais à l ’hôtel avec à la main un petit paquet où il y avait deux petits pains et deux oeufs. A ce moment, le directeur me saluant dit:

— Madame, un monsieur est v e ­ nu aujourd’hui: il désirait se pré­ senter à vous. Mais comme vous é- tiez absente il reviendra vers neuf heures.

Ces mots m avaient tellement ef- rayée que je montais chez moi sans même m’inform er de son nom.Qui pouvait-il être ? Je ne connaissais pas âme qui vive à Berlin, et je n’avait pas donné mon adresse aux marchands persans Que j ’avais vus aujourd’hui. Serait-ce par evemple le jeune du métro qui m ’aurait sui­ vie ? I l serait facile de m ’en dé - faire.

Peut-être encore était-ce A . Ha- nem qui, venue à Berlin m’aurait aperçue et aurait envoyé quelqu’ un ? Je tremblais du frayeur de­ vant cette éventualité, et je ma demandais ce que je dirais à cet homme.

J’avais tellement faim qu’ayant fait cuire les deux oeufs je les

mangeais.

Je me lavais les mains et mis un peu d’ordre dans ma tenue. Ce fut à cet instant que l ’on frappa à ma porte:

— Qui va là ? demandai-je. L ’enmployé de l ’hôtel répondit: — Ce monsieur est en bas Vou­ lez-vous descendre Madame ?

Je descendis lentement les mar­ ches en essayant de cacher mon é- motion, et je trouvais l ’employé de l ’hôtel en train de parler avec un homme de 45 ans, blond.

Je compris que cet homme n’ê - tait pas Turc. Ses traits ne m ’é - taient pas tout à fait étrangers , Installé au balcon de l ’hôtel face à la grand’rue, il me regardait la nuit précédente, pendant que je prenais mon repas à la terrasse du café Kranzler. Je l ’avais même comparé à notre jardinier, l ’Alba - nais Şaban. Mais pourquoi venait- il me relancer ? L e directeur me saluant de nouveau dit:

— Perm ettez - moi Madame de vous présenter Monsieur Ddfemgar, un notable da­ nois. Il m ’avait prié de vous être présenté.

Je dis quelques mots en français

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pour répondre au salut de M.DfCm- ouvrages traitant des Turcs et il gar. Mais le directeur poursuivit: suit quotidiennement les journaux — M. DObmgar ne connaît guère à l ’occasion de la guerre de l ’indé- le français. pendance, la lutte menée par les

— Alors, dis-je, il nous sera im- Turcs. Ayant su que vous étiez possible de parler. Je ne connais turque, il a voulu faire votre cou­ pas l ’Allemand. Pourquoi veut-il naissance n’ayant pas eu l ’occasion faire ma connaissance ? de parler jusqu’ici avec un Turc.

Je sentais que M .D ftm gar qUj ne — Je suis heureuse de l ’avoir nous comprenait pas, était embar- connu, mais pour se parler, il faut rassé. I l essuyait constamment la d’abord s’entendre,

sueur qui lui perlait aux tempes • — M. Dtfbmgar vous prie de bien Le directeur lui traduisit mes pa- vouloir prendre votre repas du rôles et après avoir écouté ce qu’ soir en sa compagnie,

il lui disait il se tourna vers moi: — Je le remercie, dis-je, mais je — M. Dflkmgar a lu beaucoup d’ ne puis accepter son invitation car

---je viens de manger au restaurant, sation qui traînait. Il raconta cer- En outre, je viens seulement de taines choses au directeur qui se faire la connaissance de Monsieur . tourna encore vers moi: — Mada- L ’invitation qu’il m’ adresse me m, M. D<Jbmgar vous prie encore semble un peu étranger. Est-ce que de bien vouloir prendre une iimo- c’est l ’habitude à Berlin ? nade ou un café puisque vous ne

— Madame, j ’ose dire que M. voulez pas dîner. Il accueillera vo- DObmgar est l ’un des hommes les tre assentiment comme un geste de plus courtois, les plus! loyaux du profonde courtoisie de votre part, monde. Voilà deux années qu’il — C’est bon, dis-je. Allons-y , vient chaque mois chez nous pour mais encore une fois, je ne pren- passer quelques semaines. Il achè- drai rien

te du matériel de chemin de fer Sur ce, M. DtfAmgar me remercia pour le compte du gouvernement soulagé.

danois et il est en contact avec les La révérence très • respectueuse hommes les plus en vue de Ber - des garçons à notre entrée dans le lin. Il n’a jusqu’ici donné lieu à restaurant select m’indiqua que M. aucune plainte et jamais il ne s’est DObmgar était un figure connue fait présenter à une dame de l ’hô- dans cette maison,

tel. Il vaut mieux que vous vous On nous donna une table à la parliez dans un restaurant plutôt meilleure place , et M. DGbmgar que dans cette salle obscure. Ce se- consultant le menu me demanda ce rait plus convenable. Du reste, il que je voulais bien prendre. Je lui vous invite au Mercedes Palace qui fis signe que je ne prendrai rien . est en face de notre établissement. Sur ce il donna des ordres au gar- C ’est l ’un des endroits les plus dis- çon. Peu après les mets arrivèrent tingués de Berlin. On servit d’abord du caviar frais,

— Oui, seulement je vous ai dit de petits pains grillés et du beur- avoir déjà mangé. Je ne peux pas re. Les verres furent remplis de manger à deux reprises. vin.

M. D(Stmgar : suait et était fort ( à suivre ) embarrassé à cause de la

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conver-43

J’adore le caviar. Les deux oeufs que j ’avais mangé à l ’hôtel n’avaient pas réussi à me rassa - sier de façon à ce que je puisse demeurer indifférente à ce caviar frais. Mais ce soir, il n’y avait que la personnalité du cerveau qui m(J.

aoneoiüaU. J’avais dit à cet hom - me, en quittant l ’hôtel que je ne prendrais rien.

M. Ddfemgar fit une tartine avec du beurre et du caviar et me pré­ senta le plat

— Servez-vous, me dit-il en sou riant. Et je lui répondis de même, en français :

— M erci bien. Mais, il me sera impossible de manger.

— Vous n’aimez sans doute pas le caviar ?

— Au contraire. Mais j ’ai déjà pris mon repas.

L e caviar fut suivi d’un beau poulet doré, garni de légumes avec de la salade.

Et pendant que le garçon me tendait le plat où il avait mis les meilleurs morceaux du poulet, je

lu i fit signe de servir M. DcSfcm - gar.

Pauvre M. Ddfemgar, il ne s’était sans doute jamais «tftaçjné a'mm unC. femm e aussi entêté<Mll me pria

étonné : ** * fu*$*lt

— Mais prenez au moins un bouchée.

— Je suis trop rassasié. Cela me sera impossible.

Je pris toutefois un fer de vin par politesse. On servit ensuite le dessert et du champagne, mais les mets ne furent pas consom­ més.

I l y avait une salle de danses à côté de la salle de restaurant : des allemandes blondes en toilette dan saient entre deux bouchées avec des hommes en smoking.

La musique du Mercedes Palace était excellente ; il n’y avait que M. Dflfemgar et moi qui étions en tenue de ville.

Cela faisait qu’on nous remar - quait. M. Dtfkmgar m 'expliquait laborieusement que si j ’aimais la

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Mais je lui fis comprendre que

je n’aimais pas danser.

Je remarquais que M. Dflbmgar préparait d’ores et déjà une autre occasion de sortir ensemble.

Vers minuit, nous rentrâmes à l ’hôtel et M. Dffcmgar me recon - duisit jusqu’à l ’ascenseur. I l me demanda entre temps si j ’étais li - bre le lendemain :

danse on pourrait venir danser en toilette.

— Malheureusement, lui dis-je un soir je suis occupée toute la journée.

J’ai des amis Turcs avec lesquels

je passe tout mon temps.

Rentrée dans ma chambre que je fermais à clef, je me plaçais de - vant le m iroir pour ôter mes épin­ gles à cheveux.

La lumière frappait mes yeux Et j ’y vis encore la personnalité de mon cerveau qui criait à mon coeur, comme un commandant sorti victorieux d’une bataille :

— Bravo petite ! Je suis conten­ te de toi cette nuit.

Celle qui ne se plie pas devant

la faim n’a plus rien à craindre en ce monde. ”

Mais le coeur, lui, disait de son côté au cerveau : “ Oh, je t ’en prie, laisse-moi tranquille. Je sujs fatiguée et j ’ai, fort à faire de - main. J’ai faim et je ne pourrai pas dormir si je ne trouve rien à me mettre sous la dent. ”

Il me restait un peu de pain. Je le mangeais et dormis. ,

Le lendemain, ma fourrure) au bras et, à la main, les tasses dont m ’avait fait cadeau la princesse Féhimé pour mon mariage, j ’ai - lais chez les marchands de tapis persans. Toute mon espérance é - tait attachée à leur générosité.

A peine étais-je entrée que Sa- dikof qui m 'avait remis sa carte la veille se leva, me débarrassa de mes paquets, me fit asseoir et dit :

— Vous allez nous laisser cette fourrure. Nous en prendrons soin.

— Oui, dis-je, et si je parviens à gagner de l ’argent je vous rem- bour-serai et reprendrai ma fourru re. Ces tasses m ’ont été données en cadeau par une Sultane. J’ou - vris le paquet. J’avais aussi une

broche en pierre de la Mecque sur laquelle se trouvait gravée un ver­ set du Coran.

Je la posais aussi devant Sadi - kof. C ’était un bijou de valeur travaillé aux Indes.

Je demandais à Sadikoi :

— Combien pouvez-vous m'a - vancer contre tout cela ?

Les trois persans se consultèrent un peu puis Sadikof se tournant vers moi dit :

— Madame, nous pourrons vous donner 3000 marks pour le mo - ment. Il nous est impossible de donner davantage, car le cours de la devise allemande est très bas et il tombe chaque jour. Peut-être n ’aura-t-il plus de valeur jusqu’à ce que vous nous remboursiez ?

— Est-ce que cette somme suf­ firait à payer mes frais d’hôtel pour une semaine et le loyer de la nouvelle chambre ?

— Certainement. A trois cents marks par jour pour l ’hôtel avec votre déjeûner, cela vous laissera encore une certaine marge.

( à suivre )

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— 44 —

Puis, branlant la tête comme un vieil ami, il poursuivit :

— Pensez - vous que nous vous laisserions dans la gêne ? Lorsqu’ on veut travailler, il y a toujours du travail. Nous allons placer une annonce dans les journaux « Da - me, de Paris, désire travailler vous verrez alors comme vous ga­ gnerez. Les Allemands accourent comme galvanisés lorsqu’ils enten­ dent les noms de Paris.

Lorsque je comparais le déses - poir qui remplissait mon coeur a- vec l ’encouragement que me don­ nait cet homme, j ’avais envie de pleurer.

— Je n ’oublierai jamais votre aide, lui - dis - je.

— Si vous savez bien coudre, nous pourrons plus tard vous a- vancer quelque capital et fonder un atelier en association.

— Oh, je n’espère pas grand cho se mais, qui sait ?... Je suis sûre de travailler beaucoup. Quand mettrez - vous des annonces dans les journaux ?

— Avisez - nous dès que vous

aurez loué une chambre et nous ferons le nécessaire.

Et, sur ce Sadikof ouvrit son por tefeuille, p rit 3000 marks et me les donna.

Cet argent me paraissait tombé du ciel et je considérais Sadikof comme l ’homme le plus serviable de la terre. En sortant, je me rap­ pelais qu'on ne m ’avait même nas donné de quittance.'1VIaîs_]ê T n e d îs ' qu’il serait peu civil, mesquin d’e­ xiger une quitance de ces gens qui m ’avaient si bien aidé dans un mo­ ment aussi difficile. Je sortis donc. A l ’hôtel, j'ajoutais ce jour - là un quart de kilo de cerises à mes deux oeufs.

J’étais moins soucieuse. Ah si j e pouvais régler le compte de l ’hô­ tel et déménager ! C’était tout ce qui je voulais. Peut - être que la chance me sourirait si je me met­ tais à travailler.

Je n’avais même pas envoyé une carte postale à mes amis de Paris depuis mon arrivée à Berlin. Il me fallait leur écrire, les remercier. J’ entrais dans le cabinet de travail de l ’hôtel et je leur écrivis à tous, en commençant par Nermin, en

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a*

leur annonçant que je demeurerais à Berlin plus longtemps que je ne croyais... Que pouvait bien faire Nermin ? Etait •• elle contente de mon départ de Paris ? Qui de tous mes amis pouvait bien se figurer l ’état dans lequel je me trouvais maintenant ? Et Nejat Nazmi ? Cet ancien prétendant appelé à deve­ nir ambassadeur par la suite ?

Guten Tag gneidige frau ! Ce “ bonjour madame ” me sur prit pendant que plongé dans mes pensées j ’étais tout à fait absente et n’avais pas même conscience de

l'endroit où je me trouvais. Je sur­ sautais.

C’était encore M. Damgar plan­ té là, devant moi. Mon Dieu ! Le drame au sein duquel je vivais de­ puis cinq mois ne suffirait donc pas ? Il y avait donc à Berlin un M.. Damgar qui voulait prendre la place de Ms. K. de Paris ? Je ne voulais rien, sauf du travail. J’ en avais assez de toutes ces »cho­ ses vaines. f c y f W T X O - l

— Bon jour,..dio '- 38-

I l v it les letres et cartes amon­ celées sur la table, puis ouvrant

les yeux avec surprise il dit : Oh... et sourit. I l murmura ensuite cer­ taines choses que je ne pu com ­ prendre. De toutes façons c’était un homme très poli. Sentant que je vivais dans un autre monde, il se retira presque sur la pointe des pieds en me laissant entendre par signes qu’il reviendrait plus tard.

Je regrettais de ne pas savoir 1’ allemand afin de parler à cet hom me. Tout le monde d it que les Scandinaves sont les gens

fffiÊg0Êr civils et que leur camaraderie est excellente. Cela m’aurait laissé entrevoir un monde que j ’ignorais. J’étais sous l ’empire des sentiments tellement contradictoires depuis mon arri - vée en cette ville ! Tout à l ’heure je disais en avoir assez des hom­ mes et voilà que maintenant je dé­ sirais me rapprocher d’eux.

J’étais excédé par les menson de-moB--- payv de-m a— famüH gas do htHnainer -rle-Bft’étnis-éloig d ed a rvie facile qui était la mienna , là - bas, de toutes mes aspirationsj è-caucc d’euH. Et je fuyais ces hom| mes en vivant comme une coupa­ ble dans ce pays que je ne connais­

sais pas. Mais il ne semblait pas que je m ’habituerais aisément à cet isolement.

A peine sortie du cabinet du travail, les lettres encore à la main, que je me trouvais devant M. Damgar. Je crois qu’il m ’avait attendu dans le vestibule pour ne pas me déranger. A peine m ’eut - il vu qu’il entra dans le bureau du directeur de l ’hôtel. Ils revinrent ensuite tous les deux : M. Damgar parla encoqe longuement puis le directeur se tourna vers moi :

— Madame, me dit - il, M. Dam­ gar a une prière à vous adresser: ne voudriez - vous pas aller ce soir au théâtre avec lui. I l vous serait, dit - il, très reconnaissant si vous acceptiez son invitation.

— C ’est bien, dis - je, mais il me semble étrange de nous tenir compagnie sans que nous puissions

ous parler. En outre je ne com­ prendrai pas un traître mot de la pièce.

— M. Damgar vous invite plu­ tôt à l ’opérette, au théâtre m étro­ politain. ( à suivre )

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Je ris, involontairement. Trois jours plus tôt, en arrivant de P a­ ris on m ’avait dirigé sur ce théâ­ tre alors que je voulais prendre tout simplement le chemin de fer métropolitain. Je racontrais cette petite aventure au directeur qui le traduisit à M. Damgar. Nous en

rîmes encore tous les trois. L e directeur dit :

— A lors j ’enverrai immédiate­ ment quelqu’un pour acheter les billets, car, si nous tardons, il n’y aurari plus de places disponibles. "Veuillez me donner aussi vos le t­ tres. Je les ferai poster.

Je les lui tendis. Je sentais que le personnel de l ’hôtel était aux petits soins avec m oi pour être a- gréable à M. Damgar.

L e soir, tout en mangeant dans ma pauvre chambre obscure les deux oeufs que j ’avais fait bouillir sur la lampe à alcool, je me di - sais :

— Etrange destinée que la mien­ ne. J’ai l ’estomac à moitié vide, mais je vis au milieu d ’événements qui feraient envie à bien d’autre.

Mais qu’à cela ne tienne. Cela ne pouvait tirer à conséquence puis que je quittais l ’hôtel dans deux jours. M. Dam gar ne me verrai plus et je n’aurais plus d’aventu­ res pareilles lorsue j ’aurais emmé­ nagé dans la chambre sale de Fraülein Fritza.

▼ * *

A va n t (même que nous/ 'eûmes rejoint nos places au théâtre M é­ tropolitain, M. Dam gar échangea des saluts avec quelques amis. L ’ un d’entre eux, un homme très posé et sa femme s’approcha de nous. M. Damgar f i t les présenta­ tions ; il leur dit que j ’étais turque et ne connaissais pas encore l ’A l­ lemand.

Mais le monsieur qui venait de m ’être présenté parlait impecca - blement le français. I l se m it à s’ entretenir avec moi, ainsi que sa femm e d’ailleurs. Ils s’informèrent d’où je venais, com ment je trou­ vais Berlin, puis dirent à M. Dam­ gar :

— On pourrait se retrouver à 1’ entracte et emmener un jour M a­ dame voir le palais de Potsdam. Je crois qu’elle s’y plairait.

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Pendant

que nous allions occu­

per nos places, M. Damgar m ’ex­ pliqua tout doucement que ce mon sieur

était

un des chefs des usines Krupp.

La pièce avait commencé. Quoi­ que ne comprenant rien au livret, j ’étais captivée par la musique. Je fus très contente de ne pas m’être enfermée dans ma chambre pour me laisser aller à mes pensées noires.

Lorsqu’à l ’entracte nous rejoi­ gnîmes les amis de M. Damgar, le chef de chez Krupp nous annon­

ça que lui et sa femme viendraient nous prendre à l ’Hôtel Bauer pour aller visiter le Palais de Potsdam.

J’étais très contente de cette in­ vitation que j ’acceptais avec grati­ tude.

L e lendemain, nous prenions tous les quatre des glaces au second é- tage d’ un café, le “ Kaiser P a v il­ lon ” sur l ’excellente route me - nant au Palais de Potsdam. Ce " Kaiser Pavillon ” avait vue sur Wansee, un grand lac admirable­ ment beau. La femme du chef de chez Krupp me dit :

— Je vois que cette vue vous rappelle le Bosphore. Vous ne pou­ vez en détacher vos regards.

E lle avait raison. La nostalgie du pays tourmentait mon coeur en ce moment. Je lui répondis saisie d’ une profonde admiration :

— C ’est parfaitement vrai. Wan see ressemble beaucoup auBospho- re. I l me semble revivre dans mon pays. Vous ne pouvez concevoir comme cela me touche...

IL était fatal qu’on en vienne à parler de la guerre-diAnatolie en parlant du Bosphore. L e chpf de chez Krupp et sa femme qui s’é­ taient trouvés à Istanbul pendant la guerre générale^ nous connais - saient très bien. \ T*Ï - J g ?

— Vous, les Turcs, disait - il, avez eu plus de chance que les A l­ lemands. Mustafa Kem al vous mè­ ne vers la délivrance. Il n’est pas donné à toutes les nations de sau­ ver un pays écrasé et ayant perdu la totalité de ses ressources. V o ­ tre Gazi est un grand, très grand homme. Quel dommage que nous n’ayions pu faire de même.

Et il raconta ce qu’il savait sur

les Turcs à Mr. Damgar, en alle­ mand.

J ’avais trouvé des amis très cor­ diaux en Allem agne. C ’était une chance pour moi, à ce tournant si d ifficile de ma vie. Mais toute ma reconnaissance allait vers le Gazi qui me donnait toute cette fierté. Sans lui, qui donc se serait inquié- té de s’enquérir du pays d ’où je venais ? La défaite de la guerre 1914 - 1918 n’étaient pas assez é- loignée pour en faire oublier l ’a­ mertume.

Deux heures plus tard nous a •• vions visité le magnifique palais de Potsdam et son parc. Nous retour­ nions avec la superbe Mercedes du chef, lorsque Mr. Damgar proposa de nous arrêter au Schweidische Pavillon afin de prendre le thé. Cet établissement était situé sur la rive gauche de "Wansee en v e ­ nant de Potsdam, juste en face du “ Kaiser Pavillon ” . J’étais extrê­ mement content d’avoir vu les plus beaux coins de Berlin.

(6)

De nombreux cutters, des ca, - nots à moteur, des barques par ­ couraient le Wanzee. Nous restâ­ mes là jusqu’à ce que le soleil se fut couché et que les bois des deux côtés du lac eussent projeté leur ombre sur ses eaux.

C’est alors que M. Damgar dit; — I l est temps de retourner à Berlin pour manger. Je crois que nous avons tous faim.

Puis agitant ses mains il me dit en riant :

— Madame la Kémaliste, je

ne

vous croirai plus si vous me dites encore que vous avez déjà mangé. Je vous contrôle depuis çleux heu ­ res et demi de l ’après - midi.

Dieu merci, pour la première fois depuis mon arrivée à Berlin j ’avais repris mon état normal. J étais enfin persuadée que mes com pagnons étaient de vrais gentle - men.

— Mais ,répondis - je, si vous me voyez manger aujourd’hui, vous serez effrayé let 'ne m’in viterez plus.

46 — M. Damgar donna au chauffeur l ’adresse de Hiller, à Unter dcn Linden. Mon appétit, aiguisé de­ puis cinq jours par les seuls oeufs cuits durs que je lui servais s’é­ tait intensément réveillé devant le cav/iar frais qu’on nous avait servi. Heureusement que ces mes­ sieurs me dépassaient de loin en matière d’appétit.

La femme du chef de chez Krupp disait que le restaurant H iller é- tait le plus select de tout Berlin que l ’empereur y allait même de temps à autre Puis, ajouta en sou­ pirant ;

— Mais maintenant, il y a très peu d’Allemands qui soient en me­ sure de prendre leur repas ici.'

La baisse de lj» monnaie alle­ mande, la cherté de ce restaurant font que maintenant les étranger* seuls peuvent se payer le luxe de fréquenter Hiller.

Le parler franc et sans embages de cette femme me plaisait.

En quittant ce restaurant tard dans la soirée, on me dit :

— Rentrons chez nous mainte­ nant. On ira demain soir chez

Hin-r

}

i

dira. ■

On se serra longuement la main en se séparant devant l ’hôtel.

Cette nuit, mon coeur et mon cerveau dormirent sans se ré vol - ter. Le matin je me levais fraîche et d ’excellente humeur. J’allais quitter l ’hôtel non pas le lende - main, mais le surlendemain seule­ ment. Ah si je pouvais disparaître sans rien laisser deviner de ma si­ tuation à ces gens... C’était tout ce que je voulais savoir. Ma vie à l ’hôtel allait prendre fin après

notre sortie de ce soir.

J’allais dire à M. Damgar que le lendemain je passerai ma jour­ née avec mes amis turcs. L e sur­ lendemain je quitterais l ’hôtel sans laisser d’adresse.

L e soir, pendant que je regar­ dais les couples danser, la fem im du chef me dit :

— Je veux vous inviter un soir à dîner avec M. Damgar. Nous n' habitons pas la ville. Notre M ai­ son est à Zelendorf. Vous prendrez le thé dans i ’après - midi et le soir

on dînera ensemble. Veuillez me dire le jour que vous préférez.

Je répondis immédiatement" : — Vous êtes très aimable mada­ me, seulement, je vous prie de m ’ excuser pendant quelque* temps. Je ne resterai pas à l ’hôtel pen - dant un temps asez long. Si je trouve un logement, je vous in - formerai.

— Faites comme vous le voulez, me dit - elle... Seulement ne vous éloignez pas trop de notre cercle. Cela vous aidera beaucoup à ap - prendre l ’allemand que d’être sou­ vent avec nous.

Et son mari d’ajouter avec une pointe d’ironie et de rancune dans la voix :

— Certes, nous ne savons pas prodiguer les compliments aussi bien que les Parisiens, mais la vie de Société existe aussi bien chez nous. Nous aimons aussi bien v i­ vre, faire bonne chère.

I l y avait une note de jalousie dans le ton de voix de cet hom­ me. Il m ’invitait chez lui pour mon trer qu’il n’était pas en reste sur les Français.

Je lui dis :

— Sans doute, Monsieur J.e viendrai chez vous avec reconnais­ sance, et je vous remercie tous de Lintérêt que vous me témoignez.

* îj: %

L e dernier soir, je rentrais tard à l'hôtel pour ne pas rencontrer M. (Damgar. Toute la journée j ’ avais flâné dans les rues de la v il­ le et j ’étais fatiguée. A peine à 1* hôtel, j ’allais au bureau et je priais l ’employé de faire mon compte dé­ clarant que j'allais quitter l ’hôtel tô t dans la matinée.

Mes paroles firent l ’effet d’une bombe sur le directeur et son em­ ployé. x

Le directeur me dit :

— Comment, Madame, pourquoi nous quitter si vite ? Si vous n’è- te-s pas contente de votre chambre nous vous en donnerons une au - l i e plus grande sur l ’avenue, avec balcon. Ce sera pour le même prix. Nous faisons tout pour don­ ner satisfaction à nos bons clients.

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— 47 —

— ; Je voüs remercie beaucoup lui dis-je; la chambre n’a rien à faire dans mon départ. Je voudrais rester un peu plus longtemps à Berlin et c’est pour cela que j ’ai besoin d’ un appartement plus lar­

ge-I l va sans dire qu’il n’insistait que pour être agréable à M. Dam- gar. L e lendemain, on frappa à ma porte pendant que je déjeunais. Et lorsque je demandais qui était là, l ’em ployé de la maison me dit :

— I l y a une letre pour vous, Madame.

C’était M. Damgar qui m ’envo­ yait sa carte sur laquelle il avait griffonné certaines choses. Je n’a­ vais pas le temps de la faire lire et de répondre. Je voulais quitter l ’hôtel le plus tôt possible.

Je dis donc à l'em ployé : — Je répondrai plus tard à M. Damgar.

Et je mis la carte dans mon sac. Sans doute on mettait le bonhom­ me au courant de tous mes faits et

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gestes.

En sortant, on me pria de lais­ ser ma nouvelle adresse. « Je vous la communiquerai dans quelques jours», leur dis-je. Je me crus dé­ liv rée lorsque je me vis dans le taxi avec mes valises et, ouvrant la glace intérieure je remis au chauffeur un papier stf’ lequel se trouvait écrit l ’adresse de Fritza. Au moment où la voiture se met­ tait en marche le concierge courut et eut un bref colloque avec le chauffeur. Je sus plus tard qu’il a- vait eu mon adresse du chauffeur.

— Dieu merci, disais-je. j ’ai pa­ yé l ’hôtel... pourvu que j ’ai assez d’argent pour payer le chauffeur, peu importe le reste.

Lorsque j ’entrais dans la cham­ bre de Fritza où flottait un relent de graisse, il me restait à peine 80 marks des 3.000 que j ’avais em­ prunté à Sadikof.

Je lui demandais aussitôt si la jeune fille russe logée près de ma chambre était chez elle. Fritza me dit qu’elle était sortie, mais qu’elle reviendrait le soir. Elle m ’informa

toutefois que son père était là et qu’il parlait aussi le français.

E lle l ’appela. C ’était un vieillard branlant. I l se présenta d’une voix que l ’on comprenait mal :

* — Je suis Tarnopol, dit-il, nous habitons cette maison avec ma fil­ le. Vous m ’avez fait demander. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— J’ai une prière à vous adres­ ser. Ne pourriez-vous pas me tra­ duire cette carte? Et je lui tendis la carte de Damgar. M. Tarnopol

la traduisit ainsi : « Madame, je viens d’apprendre que vous avez décidé de quitter l ’hôtel. Je le re­ grette beaucoup et je voudrais vous saluer avant votre départ. Je vous prie de m ’accorder cette per­ mission.

Respectueusement Damgar — M. Tarnopol, dis-je, je ne con­ nais pas un tenait« » mot d’allemand, voudriez-vous être assez aimable pour écrire sur cette carte ?

M. Tarnopol me demanda d’un ne me croyait pas lorsqu’il sortit visage renfrogné : après m ’avoir froidem ent salué.

— Que voulez-vous écrire ? Je passais toute la journée à — Je veux d’abord remercier nettoyer la poussière de cette cham l ’auteur de cette carte, l ’aviser que bre sale. Vers le soir, Frizta m ’an- je suis en train de m ’établir dans nonça l ’arrivée de M lle Tarnopol une chambre et que je ne manque- "et l'amena dans ma chambre rai pas de lui écrire encore aussi- . . . . . .

tôt que j ’aurai quelque loisir. A peine eus-je je te un coup M. Tarnopol écrivit ces quelques (l oe1} sur les^traits_de cette jeune, mots avec une grande mauvaise fille^que je vis combien la nntairn i. volonté. II. me tendit ensuite la B’étert mon tréo - orwollement avare carte et me dit d’une voix irritée : a s e « egs«d~an. la créant, Co

de-(f

' i i

S

Vous affirm iez ne connaître u a ii-ê tre. una orénhira bien-m for-personne, car voici vos amis qui te rré »

vous écrivent déjà Annie Tarnopol se présenta et — Monsieur, lui dis-je, je ne con- manifesta sa joie de voir qu'une nais personne. Ce monsieur s’est bonne voisine logerait près de sa xait présenter à moi à 1 hôtel et il chambre. « Comme c’est bien, dit- a la it preuve d une grande cour- ejje on se promènera ensemble. » toisie a mon egard. L a politesse

exige que je lui réponde. Cet hom- — Malheureusement, dis-je, je me ne connaît pas ma vie et je ne ne suis pas venue ici pour me pro­ veux pas qu’il la connaisse. mener, mademoiselle. J’ai fui le

M. Tarnopol jeta un coup d’oeil monde pour m’enterrer ici. Je veux sur ma tenue, puis sur m % valise$ travailler et gagner ma vie. et l'aspect misérable de la cham­

bre où je devais loger. L e contras- ( à suivre ) te était si grand, que je vis qu’il

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Tout en parlant je vidais ma va­ lise et suspendais mes robes dans l ’armoire.

Annie crut que je plaisantais : — C ’est très bien de travailler, dit - elle en riant, mais tout le monde ne peut le faire. D ’ ailleurs avez - vous besoin de tra va iller ? On voit à vos toilettes que vous devez être riche...

— Peut - être que je le fus un temps, mais pas maintenant made­ moiselle. ..

Je n’avais même pas le courage de répondre à une plaisanterie, ne fut - ce que par simple politesse Si j ’avais été seule dans la cham­ bre, j ’aurais pleux-é en sanglotant. L a réalité de la vie m ’ accueillait dans cette sale chambre. J ’exp li - quais à cette pauvre fille ce qui m ’obligeait à tra va iller :

— Demain, dis - je, j e ferai m et­ tre une annonce dans les jour - naux, et je montrerai rnes propres robes comme modèle. Voudriez - vous faire l ’interprète si une clien te se présente ? Je i M R R f l n m ■'

jjm Iq mi nliniii n rnntuf r n t r n p rh r"

M a voix tremblait tellement en disant cela, qu’Annie Tarnopol prit mes mains :

— Madame, murmura - t - elle, ne vous tourmentez pas. Du mo­ ment que vous savez coudre, vous gagnerez très bien votre vie. Je serais la femme la plus heureuse du monde si j ’étais à votre place. Mais je ne sais rien faire. Mon pè­ re a 80 ans. Nous vivons avec 1’ argent que nous envoient mes frè ­ res aînés. Mais c’est si peu que nous ne pouvons même pas nous permettre d’aller au cinéma.

Pourtant mon père posséder 15 fabriques de papier en Russie... Je vous aiderai de tout mon pou­ voir et je recevrai celles qui vien­ dront;. \Te fferai l ’iinterprête 1: je crève d’inaction,..

— Je voûs remercie beaucoup. Mais si personne ne vien t ? Ce se­ ra le malheur... L ’argent que je possède ne suffira même pas à pa­ yer mon loyer, sans compter qu’il faut manger. .

Feuilleton de “ L a République

* » *

Lorsque le lendemain matin Fraülein Fritz^tvint chez moi pour m ’apporter une tasse de mauvais

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thé avec deux morceaux de sucre,

je lui demandais par signes s’il y avait une machine coudre dans la maison. Elle me répondit par 1’ affirm ative. Mais elle me deman­ da ce que je voulais faire de la machine. Je lui fis comprendre que je comptais travailler afin de gagner ma vie.

A peine FritzR, eut - elle saisi mon intention que l ’expression de sa figure changea soudain et elle sortit de la chambre en grognant. Une minute plus, tard, je l'enten­ dis discuter d’une voix irritée avec

Annie Tarnopol. Est - ce que cet­ te femme ne voulait pas que je travaille ? A lla it - elle me jeter dehors ?

Je compris à la voix perçante et fêlée d’Annie qu’elle s.efforçait d ’apaiser la colère de Fritza. Elle n’avait sans doute pas réussi puis­ que un moment après Fritza en - trait chez moi sans même pren - dre la peine de frapper à la porte et me parla longuement en criant. Inutile de dire que je ne compris pas un twwtM mot de tout cç qu’ elle me débita.

Epuisée par la lassitude morale et m atérielle, je n ’avais pas dormi de 'la nuit. Et les cris de cette fem ­ me ne faisaient que me harasser davantage. Je la priais de m ’appel- le r Mademoiselle Annie Tarnopol.

Lorsqu’Annie vint chez moi je lui dis :

— Mademoiselle, je vous prie de dire à cette femme de sortir de cette chambre. Vous voudrez bien m ’expliquer ensuite de quoi il re­ tourne.

Fritza sortie, Annie dit :

— Madame vous avez mal fait de dire à cette femme que vous vouliez travailler. Elle vous pre - nait pour une riche locjatpire. Maintenant, sachant que vous n’a­ vez pas d ’argent, elle vous fera un tas de misères. Elle exige que vous lui verriez d’avance le montant d’ un mois de loyer autrement, dit - elle, elle n’a qu’à s’en aller.

Nous autres c’est toujours à la fin du mois que nous payons le terme. Oh, vous ne connaissez pas cette femme. Elle est jalouse de ce que vous allez gagner de l ’ar­ gent dans ce pays et elle demande

le loyer d’avance afin de n’avoir aucun risque.

V oilà qui est entendu, seulement je n’ai que 80 marks en poche ; or, il me faut encore verser à cette femme 250 marks. Où vais - je trouver tout cet argent ? N e con­ sentirait - elle pas à attendre une semaine ?

— Vous ne savez pas quelle fem ­ me c’est. Si elle s’aperçoit que vous n’avez pas de quoi la payer, elle vous mettre immédiatement de - hors.

Hélas ? J’avais songé à tout mais pas à ce malheur. Qu’allais - je faire maintenant ? Annie était aus­ si très affligée. Elle me quitta si-

lencieusemant. Je demeurais1 spr place, immobile, l ’esprit comme v i dé, désemparée, ne sachant que fai re. Je ne pouvais aller redeman­ der de l ’argent à Sadikof, car ce­ lui - ci m ’avait dit qu’il ne pour­ rait m ’en donner davantage. C ’é­ tait catégorique. A qui m ’adres - ser dans ces circonstances ? Je n’ avais personne...

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A ce moment, la porte s’ouvrit tout doucement et Annie entra. El­ le s’approcha et, faisant sa voix aussi douce que possible, me dit:

__ P etite Madame, je ne vous connais que d’hier soir, mais déjà je vous aime et j ’ai confiance en vous. Je sais Que vous réussirez à, vaincre ces difficultés. Je vous ai apporté 300 marks; c’est l ’argent, que nous gardions pour notre sub­ sistance. Prenez-le et donnez-le à, cette femme comme si l ’argent vous appartenait. Vous me le ren­ drez plus tard, lorsque vous com­ mencerez à gagner. Sinon nous au­ rons faim toutes les deux car il ne me reste plus un sou vaillant.

Ce secours était tellement inat­ tendu et subit que je perdis pour

ainsi dire la tête.Je pris Annie dans mes bras et pleurais chaudement sur son épaule. Je ne sentirai ja - mais envers personne au monde la reconaissaince que j ’éprouvais en­ vers cette jeune fille, réfugiée de Russie, qui avait subi tant de m al­ heurs.

J'ouvrais aussitôt ma garde-ro - be, prenant un sac-à-main que ' j ’a­ vais acheté à Paris et que j ’aimais

beaucoup; je le mis dans les mains d ’Annie tout en disant:

— Ma chère Annie vous avez joué aujourd’hui le rôle d’un ange sauveur pour moi. Ce sera un p e­ tit souvenir de Paris pour vous.

La pauvre et malheureuse An - nie qui avait soif de luxe et de vie, ne sut que dire, tellement elle était contente.

A ce moment, on frappa à la porte. Annie me dit:

— Madame, ne montrez pas à cette femme que vous êtes émue et affligée.

Fritza entra, las sourcils froncés Je tendis à Fritza les à 300 marks que je tenais à la main et me tour­ nant vers Annie, je lui dis:

— Annie ,veullez la prier de ma part de me rendre 50 marks sur cet argent et de m ’apporter la machi­ ne à coudre.

Annie transcrit mes paroles à Fritza. Mais cette femme ne vou­ lait pas consentir à m’apporter la machine à coudre:

— Cette chambre, disait-elle, est la plus belle que je possède et je l'avais louée à cette dame pareeque je l ’avais crue riche. Je ne peux pas la laisser coudre ici.Qu’elle pa­ tiente quelques jours, la petite

chambre sera libre d’ici-là - Elle pourra coudre là-bas.

J’étais prête à consentir à. tout, même à habiter la cuisine, sauf à, abandonner mon espoir.

Je fus obligée de rester encore cinq jours à ne rien faire à cause de la petite chambre qui n’était, toujours pas libre. Sadikof avait fait passer une annonce dans un journal: '(Couturière, de Paris ...» Comme je voulais que personne ne sut que j ’étais à Berlin, je voulus prendre un nom d’emprunt:je son­ geais à Sadi. Peut-être, me dis-je, le nom de ce grand poète me por­ tera bonkeur...

Plus de 20 lettres avaient été en­ voyées au nom de Mme Sadi par ceux qui avaient lu l ’annonce. La plupart des lettres venaient de mai sons de confection à bon marché . L e mot « Paris » figurant dans l ’annonce les avait, attirés. Mais le salaire qu’elles proposaient était si mince qu’il me condamnerait à manger toujours deux oeufs avec du pain et ne me permettrait mê­ me pas de payer mon loyer.

En outre, trois personnes étaient venues à la maison. La première voulait faire la connaissance d’une dame de Paris plutôt qu’elle ne dé­ sirait s(e flaire confecficJtaner une

robe. C’était une forte dame du nom de Rener, ancienne chanteuse à l ’Opéra.Quoique je lui dit que je n’étais ni Française ni Parisien­ ne, elle m ’invita à aller le lende­ main chez elle avec Annie. La se­ conde était un gros monsieur âgé qui m ’expriqua que lui et sa fem ­

me , faisaient Jbonflsctnomidr ‘desf costumes chez eux pour les vén - dre dans leur boutique située à Moabit. Ijlsj allaient me ddnner cinquante marks pour chaque ro­ be et le déjeuner. C’était que chose dans mon dénûment. Mais c’est seulement dans 15 ou 20 jours qu allait commencer ce travail, car il attendait que sa femme et sa fille fussent de retour de leur congé an­ nuel.

J’étais sur le point de désespérer des annonces dans les journaux , qui n’avaient presque rien donné, lorsque fort heureusement une jeune et jolie femme, Mme Arno vint me trouver. E lle ne me con­ naissait pas et cependant, elle a - vait déjà apporté l ’étoffe.

La pauvre Annie faisait tout ce qu’elle pouvait pour déployer ses qualités d’interprète et de vendeu- se.Nous nous mîmes à deux pour montrer mes robes à Mme Arno.

Les robes plurent beaucoup a la jeune femme qui ne voulait pas croire que j ’étais turque.

Elle disait à Annie :

Elle doit être sûrement Françai­ se, mais sachant l.hostilité qui rè­ gne entre nous, elle se fait passer pour une Turque.

Finalement, elle choisit un mo­ dèle parmi mes robes et ouvrit son paquet d’étoffe. Que vis-je mon Dieu ? C’étaient une vieille robe en indienne lavée et décousue. Je me dis en moi-même: « Est-ce que je suis venue à Berlin au prix de tant d’efforts pour coudre de l ’in­ dienne ? .;. Mais je n’étais pas en état de refuser. J’étais prête à cou­ dre même des chiffons si elle l ’a­ vait exigé.

Mme Arno me dit qu’elle me donnerait 150 marks pour cette première robe. Cent cinquante marks étaient une fortune pour moi. Je lui dis de revenir le len­ demain à la même heure pour l ’es­ sayage.

Mme Arno craignait que cette rapidité n’eut de mauvaises con - séquences pour sa robe. C’est pour­ quoi elle murmura, en partant à Annie :

(10)

— 50 —

— Ce n’est pas tellem ent pres­ sé. Seulement, je veux que la robe soit soignée.

Je n’étais pas sûre que cette ro­ be, la première que j ’allais coudre pour une autre, serait impecca - ble. Mais lorsque trois jours plus tard Mme Arno m it cette robe qui a v a it’ changé d’aspect elle me fé ­ licita longuement, tout en ajou - tant qu’elle reviendrait le lende - main et ferait coudre de nombreu­ ses robes. Elle s'en alla ensuite en laissant les 150 marks sur ma ta­ ble.

Je n’avais toujours pas déjeuné ce jour. I l ne me restait pas un phennig dans ma poche. Je sortis aussitôt pour acheter des côtelet­ tes, de la salade et des cerises. Ren trée peu après je préparais les cô­ telettes dans la sale cuisine de Fritza, (ainsi que la fealade et j ’ apportais le tout dans mon réduit que ressemblait à une chambre de débarras. Annie me racontait des choses et mangeait les cerises que je lui avais dattwé.

Ayant pris une bouchée de cô­ telette, je me rappelais soudain que j ’avais acheté cela avec l ’ar­ gent que je venais de “ gagner ” • On aurait dit qu’un courant élec­ trique avait traversé mon cerveau. Je sautais sur mes pieds comme une folle et, tenant par les épaules la malingre Annie, je la secouais de toutes mes forces tout en criant:

— Annie, chère Annie, je suis sauvée. Je vivrais, je ne veux plus mourir. J’ai gagné ce repas en tra­ vaillant. La vie est à moi désor - mais. Je ne devrai de la reconnais­ sance à personne pour vivre et, maintenant que j ’ai pris goût à la chose, je travaillerai et gagnera’ mon argent jusqu’à la fin.

Je sautais comme une folle dans la chambre Mais Annie me retint:

— Calmez - vous petite Mada­ me, me dit - elle, Fritza viendra maintenant nous mettre dehors sous prétexte que nous faisons de bruit. D ’ailleurs ne vous l ’avais - je pas prédit ? Et, encore ce n’est rien cela. Vous ferez des choses bien plus belles. Allons, mangez, avant que votre repas ne se

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froidisse. ceptent la vie telle qu’elle se

pré-Cette journée fut des plus heu- sente sans rien tenter pour le chan reuses car elle me promettait l ’in- ger.

dépendance et la liberté. C’est

a-lors que j ’eus, pour la première Cette pauvre rêveuse de Rebia fois conscience de moi - même, et qui les soirs d’été contemplait tris- cela, je ne l ’oublierai pas jusqu’à te et distraite du jardin de sa mai- mon dernier souffle. Je compris son à Roumélie - Hissar les eaux oue le fait de penser, de vivrej de changeants du Bosphore, qui ne travailler librement serait la force songeait qu’à la poésie et ne fer- orincipale capable de me rendre rnait pas l ’oeil jusqu’au matin pen- heureuse. Je ne voulais pas être de dant les nuits où il faisait clair de ces êtres banals et résignés qui ac- lune était morte, morte sans

re-gret. Cette mort donnait naissan- m ’avait fait confectionner en pré - ce à “ Sadi ” à cette femme nou- tendant qu’elles lui appartenaient velle, fille du travail et de la réa- étaient en réalité destinés à sa ri- lité. La joie de celle qui venait de che amie ; elle avait trouvé con­ naître n’avait permis à cette fem- forme à ses intérêts de lui vendre me que de pousser un soupir pro- ces robes Dieu sait à Quel prix. C fond en songeant à l ’autre... est pourquoi il me fut impossible

IV . de faire la connaissance de la r i­ che artiste.

Mme Arno n’avait nullement e II n’était guère iaisf; de cou - xagéré. Elle revint le lendemain et dre ces 19 robes dans la chambre me commanda deux robes du soir étroite et poussiéreuse que Fritza et deux robes de ville. Les étoffes m ’avait louée. Il n’y avait même qu’elle m ’apporta cette fois était pas de lit dans ce réduit. La nuit de belles soieries. 3e m ’étendais sur un vieux canapé

— Lorsque vous aurez confie - en velours et toute la journée je tionné ces robes, me dit r- elle, je ne faisais que coudre

vous présenterai une amie, une II fallait faire vite pour arriver artiste de théâtre qui se fait faire à vivre et rendre à Sadikof l'ar- beaucoup de robes et paie bien. El- gent qu’il m’avait prêté pour dé­ le a mot»« phyniquo. gager ma fourrure. C ’est pourquoi

Lorsque les 4 robes furent ter- je me mettais au travail dès les minés Mme Arno m ’apporta un huit heures du matin. Le travail jour 15 robes à faire ainsi que de se poursuivait tard dans la nuit, l ’étoffe pour un manteau, leíais T jusqu’à deux heures et demi. Fritza artiste qu’elle avait promis de me se plaignant de ce que j ’allumais présenter ne l ’accompagnait pas. l ’électricité jusqu’à une heure tar- Quelque temps après j'appre - dive de la nuit en qvait immédia nais par une coincidence des plus tement profité pour majorer le étranges que les 15 robes qu’elle loyer ( à suivre )

i

Referanslar

Benzer Belgeler

simple. Cet enfant d’Izmir plei nde franchise me ra­ contait son amour et me proposait le mariage.. Ça tombe juste. Ses parents lut envoient très peu de chose. La

admettait la moxt, si 1 amour voir rudement lutté pour échapper Le jour où ayant rompu mes pouvait tuer, mais elle ne pouvait à la tourmente qui vous

Nous travaillions beaucoup avec quelques ouvrières Que nous avons déniché au prix de mille difficul­ tés pour terminer les robes que nous avions. Nous allons

Mais si nous voulons que la pauvre Hélène nous fasse cela, nous deviendrons ridicules.. Du reste, nous ne resterons pas

Ro^jr nous écrivait toujours de Londres et chaque fois elle nous demandait d’y aller pour quelques jours.. SilVqffcdU Foreign

dblTprofesseur avait demandé na%pour que nous allions demeurer guère la main de Christine, mais&#34;quelques jours dans sa villd L de au moment où elle allait

Nous allons nous rencontrer ce soir au Kurfürstendam avec les Süleyman Sirri, et nous prendrons notre repas ensemble.. Il paraît qu.Emin est très occupé avec

(Philippe Mesnard, Trad.). Témoigner: entre histoire et mémoire ,p.. Adres Kırklareli Üniversitesi, Fen Edebiyat Fakültesi, Türk Dili ve Edebiyatı Bölümü,