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VINGT ANNEES EN EUROPE

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Tam metin

(1)

21

Elle me répondit :

— Ma chèrfe.j’ai tant de tracas; le ménage, les enfants. Il a fallu remettre tout en ordre lorsque je suis venu ici .

L ’appartement de Nermin était situé à Passy, au rez-de-chaussée d’un grand immeuble, Il y avait là de beaux meubles anciens, des ta­ pis persans et des tableaux de va­ leur.

Je ne restais pas longtemps chez Nermin au cours de cette première- visite. Nermin me dit :

— Ma chérie, je reçois les di - manches; je t’attendrais donc en fin de semaine. Tu pourras faire la connaissance de mon mari et de nos amis. Je t’attendrais tous les dimanches après quatre heures.

En revenant à l ’hôtel, je remar­ quais que Nermin n’avait pas du tout parlé de mon prochain maria­ ge avec Nejat:

— Sans doute, me dis-je, Nejat Nazim n’a pas dû lui écrire enco­

re Il vaut donc mieux que je n’y touche pas.

Cependant, il me semblait bi - zarre de ne pas parler à Nermin d’ une question qui m’intéressait si

gravement. Cela me peinait mê - me...

Me conformant à l’avis de Ner­ min, je me rendais chez elle di - manche après quatre heures et de­ mi. J’avais mis un tailleur marron qui m’allait très bien, avec une blouse d’organdi blanc Jiuttp» w -

"du* lu f » i

-Feuilleton de “ '¿¡¡t République ”

Les deux salons communiquants de Nermin étaient littéralement pleins.Tout le monde se parlait de­ bout.

Il y avait plus de 30 personnes de deux sexes. A pfeine m’eut-elle vue que Nermin se leva, faisant preuve d’une joie débordante. Elle prit mon bras et me présenta à

tous ceux qui étaient présents. Je fus une nouveauté pour cette société, car à cette époque, il ve­ nait très peu de Turcs à Paris.Tout le monde s’occupait de moi ce jour là et on me posait une foule de questions. Ils espéraient sans dou­ te m’entendre formuler des idées bizarres. Je m’aperçus que je n’ar­ rivais pas à les satisfaire à cet é- gard. La façon dont je m’habillais les surprit beaucoup. Comment u- ne dame se séparant de son voile et de son «tcharchaf» au départ d’

VINGT ANNEES EN

EU R O PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

Istanbul pouvait-elle sembler si

naturelle dans un tailleur à la mo­ de de Paris avec un chapeau ?

Nermin répondait avant moi aux questions qui m ’étaient posées Habituée à la plaisanterie à propos de tout, la curiosité des Français la faisait rire aux éclats.

De mon côté, j ’étudiais tous ces gens. Alors que les hommes s’oc - cupaient beaucoup de moi, je m’a­ perçus que' les femmes, tout en faisant preuve d’une grande cour­ toisie, se montraient quelque peu réservées.

Le mari de Nermin m’acceuillit avec une grande cordialité. Ap

-partenant à une grande famille, c’ était un homme au courant des moindres significations de la vie de société. Il était sympathique et fort amène malgré sa taille de près de deux mètres.Je le connus mieux par la suite et je vis qu’il avait un excellent coeur et était un père très attaché à ses enfants.

Les jours s’écoulaient agréable­ ment à Paris. Je visitais les mu - sées, les galeries, les cathédrales historiques que je n’avais pas eu l’occasion de voir l’année précé - dente. Cette grande ville était un océan de culture et d’art. On ne s’en apercevait pas tant qu’on se

promenait sur ses rives, mais à me­ sure qu’on s’y enfonçait on crai ­ gnait d’être submergé. Le génie humain avait porté dans cette vil­ le, l ’art et la finesse à leur point culminant. Si en-que-pour

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On voyait, on apprenait tant de choses en cette ville. Voir Paris , étudier cette ville vous apprenait bien plus de choses que des années de classe.

J ’aimais mieux cette cité à me­ sure que je la connaissais, et mon attachement augmentait en pro - portion. Les articles de modes é - taient nombreux et variés au point de vous donner le vertige et la ri­ chesse de ses magasins étaient iné­ galable.

Je voulais faire preuve d’une grande prudence en dépensant de l’argent. Mais je ne pouvais me contenir. Une belle paire de sou - liers, un joli sac-à-main, le désir de copier le dernier modèle de Molineau pour m ’en faire une ro­ be me faisaient tout oublier.

Lorsque le matin je me réveil­ lais à l’hôtel, je me demandais par fois:

— Est-ce que Néjat Nazmi pour

ra vraiment venir à Paris dans u- ne vingtaine de jours ?

Il avait immédiatement répondu à la carte par laquelle je lui annon­ çais mon arrivée à Paris et il m’an nonçait qu’il espérait s’y trouver dans quinze on 20 jours. Nermin attendait son parent avec la même impatience.

J’allais tous les dimanches aux réceptions de Nermin et les Fran­ çais me complimentaient beaucoup sur mes robes. A quelques reprises, les amies de Nermin m’avaient même prié de leur prêter mes ro­ bes qu’elles avaient fait copier.

J’étais désormais une habituée des salons de Nermin , une figure connue. Petit à petit, les person - nés dont j ’avais fait la connaisan- ce m’invitaient avec Nermin aux dîners, au théâtre, aux casinos . Des personnes ayant une situation sociale élevée figuraient parmi les amis de Nermin et de son mari, /tilit; ntnnnnn d-’app^^TP

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■L, ( à suivre )

(2)

— 22 —

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Il y avait bientôt deux mois que j ’étais à Paris et Nejat Nazrni ne venait toujours pas. Il m’écrivait régulièrement cependant. Il décla­ rait dans le même style réservé que le congé qu’ü attendait ne lui a- vait pas été encore octroyé, qu’il ne manquerait pas de l’avoir et di­ sait être très énervé de ce retard

Dans les multiples occupations de la vie que je menais, il ne me venait pas à l'idée de faire des dé­ ductions du fait que l’arrivée de Nejat Nazrni traînait en longueur. C’était surtout le retard mis à ren­ dre l ’argent de «A» hanem qui m’inquiétait.

Arrivée à Paris, j ’avais écrit à la Banque Ottomane à Istanbul donnant des instructions afin Que l’on convertit en francs les cou­ ronnes retournées de Vienne, pour me les envoyer à Paris. L'argent me fut versé quelque temps après. Mais au lieu des 4 000 francs, la dégringolade des couronnes ne me permit pas d'avoir plus de 700 fres.

A ce compte, l’idée que m’avait donnée mon vieux beau-frère avec sa vieille tête d’Osmanli m’avait coûté 600 livres. Mais que faire ? Le mal était fait et je ne pouvais qu’attendre.

* **

Je passais un temps assez agréa­ ble avec mes amis de l ’hôtel les jours où je ne me rencontrais pas avec Nermin. On peut dire que tous étaient des personnes excel­ lentes.

Du reste je n’avais pas beau­ coup de temps de libre... Dans mes loisirs, je m occupais à réformer mes robes dans ma chambre.

Un jour, je reçus une lettre d’Is­ tanbul. Elle m’était adressée par une jeune fille russe dont nous fré quentions la famille à Istanbul. El- le me recommandait d'altei

Bans son cousin, M. T i l * * Elie

m’annonçait que M. T il* ^ étant un homme très comme il faut, je pourrais mémo; -au boD«*

Feuilleton de “ La République ”

sein,— Jaw»»

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Cette famille russe dont nous a- vions fait la connaissance à

Istan-VINGT ANNEES EN

EU RO PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

bul était composée de figures bien

connues de réfugiés de Russie.

Une amitié nous unissait depuis tantôt 2 années. Je ne pou­ vais donc hésiter à faire la connais­ sance d'une personne qui m’était recommandée par cette jeune fille

Quelques jours plus tard M. Tilf vint me voir à l’hôtel Balzac.

Sa distinction * * * - frappait au --- 3— ---

,-premier coup d’oeil. Sa tenue, ses faire connaître. Je crois gestes rappelaient plutôt ceux d’un serez contente d’entrer

aristocrate anglais. Comme il me le raconta par la suite, sa mère é- tait anglaise et il était établi de­ puis quinze années à Paris.

M. T i l « * qui me fit une courte visite, dit en me quittant :

— Je viendrais vous voir de temps à autre si vous le voulez bien me le permettre. J’ai des a- mis français que je désirerais vous

que vous en

rela-tions avec leurs jeunes femmes. — Je vous remercie beaucoup. C’est très intéressant pour un é- tranger de connaître les gen.s du pays” où il habite. Je serais heureu­ se de faire la connaissance de vos amis.

Tilyrife parti, je me dis :

— Je suis très satisfaite d’avoir fait la connaissance de cet hom­ me. Je le présenterai à Nejat Naz- mi aussitôt qu’il sera ici. C'est un homme très distingué.

Lorsqu’une semaine plus tard TilM* me demanda au téléphone s’il pouvait venir me voir je lui répondis :

— Mais avec plaisir monsieur. Il vint à l'hôtel une heure plus tard. Après quelques minutes il me dit :

— J’ai invité pour jeudi soir un ami et sa femme à dîner au restau­ rant Coty avenue Wagram. Si vous voulez bien accepter mon invita­ tion, vous me ferez grand, plaisir et vous ferez la connaissance de mes amis.

— Je vous remercie beaucoup.

Je ne manquerai pas de venir. — Je viendrai vous prendre à sept heures et demi à l’hôtel.

Il vint, en effet, le jeudi à 7h. 30 Nous nous rendîmes au restaurant cù il me présenta ses amis.

— Le baron et la baronne «Si'. Le baron était un homme brun assez replet, de taille courte, ayant quelque 55 ans. Sa femme était une belle blende de haute taille, ayant 25 ans à peine. A voir les pierreries, la fourrure de prix de la baronne, on déduisait au pre­ mier coup d'oeil qu'il s’agissait d’ un mariage d’intérêt.

Le baron n'était pas de ces Fran­ çais plein de gaieté Mais le dîner était excellent, et grâce à qui se dépensait, le temps passa agréa­ blement. Après dîner, au moment de nous séparer le baron et sa fem­ me m’invitèrent au thé qu’ils don­ naient chez eux samedi. C’était encore T il* * qui allait venir me prendre à l’hôtel.

(3)

— 23 —

L ’appartement du baron paré de fleurs était au rez - de - chaussée. En cours de route, Tilw*' me dit que le baron appartenait à une ri­ che famille corse, qu’il venait cha­ que année passer quelques mois à

Paris et préférait loger simple - ment.

Tout en prenant le thé que la baronne nous avait si délicate - ment servi, je faisais la causette a- vec elle. Elle me demandait com - ment je passais mon temps à Pa - iis, mais Til»*# dit :

— Madame a beaucoup de con­ naissances à Paris. Il semble me - me qu’elle n'est pas très seule à 1’ hôtel.

Je répondis .

— C’est la deuxième fois que je loge dans cet hôtel. La plupart des clients y habitent depuis des an - nées ; ils se connaissent. Tous sont très courtois et l’hôhel me plaît

beaucoup... . '

Le baron répliqua en faisant la moue

— Je ne me plais pas dans cette

vie bruyante qu’est celle de Paris. Mais j ’ai viens pour faire plaisir à ma femme. Et pendant qu’elle fait ses emplettes et sc fait confection­ ner des robes, je passe mon temps à jouer au pocker avec quelques amis...

— Vous aimez le pocker alors ? Nous faisions également des par - ties de pocker avec les parents de M. Til*«r à Istanbul. Mais notre pocker à nous était quelque chose d'anodier..

— Si vous le voulez bien venez demain soir chez nous. On fera une petite partie carrée.

Je n’ai jamais eu de chance à ce jeu que je joue par simple

passe-Feuilleton de “ La République

¡VINGT ANNEES EN

EU R O PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

ronne et M. Tiluw-au thé chez moi. Mon frère Refet aimait beau - On pourrait également faire une temps. Tout en jouant, je parle a- coup ¡e pocker et très souvent c’é partie de pocker pour donner sa -vec le? autres et jamais je ne me tait jui qui perdait. tisfaetion au baron.

donne exclusivement au jeu. Il m’ refuser l’invitation du Lorsque le soir j allais dîner arrive de miser alors que je n’ai Je ne P'us„demain soir nous f f rif tel’ mes amls 1 assembles au rue deux six C’est pourquoi il m’ baron. Le lendema n soir nous li saion jouaient au pocker :

que aeux six. v. est pouin ^ mes une partie de pocker chez lui.

y c s ne restez plus , Vhôtel. Où dans lés termes as contre flush royal et ce fut en- «tes - vous voyons ?

core moi la perdante. — Justement je viens de faire Cette nuit en sortant de Chez le une partie de pocker, dis - je. J’ai baron, j ’invitais le baron, la ba - fait la connaissance de nouveaux

— Ah mon Dieu me dit - on, jeu. D’ailleurs a

re me menaçait que voici :

— Si votre pocker revêt la for me d’un jeu sérieux je

/ H A - « U t » 'p X v v u u J

amis qui aiment le pocker.

— Mais vous n’aviez jamais joué au pocker avec nous.

— Parce que je ne voulais pas jouer. Il n’y a pas d’autre raison.

Vous jouez chaque soir au bri­ dge ou au pocker. Cela ne fait guè Te mon affaire. Mais lorsque je suis obligée, eh bien je m’y somets. C' est ainsi que j'ai invité ici mes nouveaux amis. Ils viendront dans quelques jours et nous ferons une petite partie de pocker.

A ces mots. Mme Velardo, la veuve du ministre argeritin inter­ vint :

— Oh, madame, je voudrais bien être-aussi de votre partie

Ce que voyant, B. Bonservifzi, correspondant du “ Popolo d’Ita- lia ” ajouta .

— Admettez - moi aussi dans la partie, je vous en prie.

— C’est bon répliquai - je, mais on sera alors à cinq.

Entretemps, j ’allais aussi chez Nermin et chez les amis de Ner - min. Je parlais du M. Tilmw et

des autres à mon amie.

Une semaine plus tard je fis pré

parer le thé dans le petit salon de jeu de notre hôtel ainsi qu’une ta­ ble de jeu. Nous fûmes cinq au - tour de la table : le baron, M. Til-

m r. Mme Velardo, Bonservi|zi et

moi - même. Le jeu fut assez agréa ble. Le baron avait une chance i- nouie. Il tirait les meilleures car­ ies. Nous perdîmes tous plus ou moins et la partie se termina vers dix heures et demie.

Au moment où nous prenions notre thé, le baron nous invita tous chez lui, pour faire une partie de pocker à quelques jours de distan­ ce. Personne ne refusa l ’invitation. Mme Velardo étah très adon - née au pocker. Riche et assez âgée, elle jouait presque chaque jour et tous les membres des missions di plomatiques de l'Amérique du Sud se réunissaient souvent dans sa maison, rue Galilée.

Je m’étais abstenu' de prendre part aux parties de pocker sérieu­ ses chez elle. Mais elle ne perdait jamais l’occasion de jouer.

(4)

Nous fîmes encore quelques par­ ties tant chez le Baron “ S ” Que chez moi. La chance favorisait tou jours le baron. Mais comme je jouais avec beaucoup de circons­ pection, mes pertes demeuraient anodines. Quant à la femme du ba­ ron, elle ne jouait jamais.

Le baron nous invita une troi - sième fois au pocker chez lui. A cette occasion, Mme Velardo de­ manda la permission d’amener a- vec elle le premier secrétaire de la Légation d’Argentine.

Quelques jours plus tard, nous étions six autour de la table de pocker chez le baron. Au début, le jeu allait assez bien. Mais par la suite, la chance se1 détourna enco­ re de nous. Ce soir, l’argent s’a - moncelait devant Til«*-. On re - marquait une sorte de nervosité de notre côté. De temps à autre, M. Ferrare murmurait quelques paro­ les en espagnol à Mme Velardo.

Cette nuit le jeu traîna. Il était près de minuit et demi, lorsque soudain M. Ferrare jetant les car­ tes qu’il avait à la main dit :

— 24 — — Je ne pourrai plus continuer.

Voilà une heure que je le remar - Que : M. TilMMr arrange les cartes.

La voix tremblante M. Tilm» bondit sur ses pieds :

— Comment pouvez - vous m’ insulter de la sorte ? Je suis mem­ bre du club anglais.

— J'ignore le club auquel vous appartenez et je n’ai aucune rai - son de vous insulter. Mais je re­ marque depuis une heure que vous arrangez les cartes à/Votre aise. J1 ai même dit à Mme Velardo que je ne pourrai continuer à jouer dans ces conditions, mais Madame m’a prié de ne pas jeter les cartes avant d’être sûr de mon fait. Je vous jetterai mes gants si vous persistez à vous défendre.

Je tremblais sur ma chaise. De­ vais - je assister à une aventure qu’il ne nous était de voir que dans les romans ?

Le baron se leva aussi :

— C’est pour la première fois qu’un incident pareil éclate chez moi. C’est bien regrettable. Per - sonne de louche n’a encore mis le pied chez moi. Il doit y avoir une méprise dans tout cela... Mais il

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Par HEBlA TEVFIK BASOKCU

Traduit

du turc par MAZHAR KUNT

vaut mieux que chacun reprenne ce qu’il a perdu afin de ne pas de­ meurer sous le coup d’impression

regrettable.

Cela dit, il rendit à tous ce qu’ ils avaient perdu. Et pendant que nous sortions. TihgÉr s’approchant de Feprare lui dit d’un ton timide:

— Voici ma carte, si vous vou­ lez m’envoyer vos témoins.

Je fus extrêmement affecté par cet incident. Le lendemain je me rendis droit chez Mme Velardo et lui confiais mes impressions.

— Cela ne fait rien me dit - el­ le. Ne vous affligez pas pour cela. Ces choses - là arrivent souvent à Paris. C’est que voyez - vous, il ne faut pas jouer aux cartes avec ceux qu’on ne connaît pas...

— Mais, dis - je, c’est une fa - mille que je connaissais fort bien à Istanbul qui m’a recommandé ce Til«w.

— Vraiment ? Ah ces Russes 1... C’est pourquoi d’ailleurs je m’étais fait accompagner de Ferrare nier soir. Il est très malin, lui, et ces

choses là ne lui échappent jamais. Du reste chaque fois que nous jouions c’était le baron ou alors TilfÉr qui gagnait... Je suis sûre qu’ils sont de mèche. Mais nous ne devons pas les laisser jouir de cet argent. Ferrare m’a conseillé hier soir d’écrire à T il# » ' pour lui de - mander de nous rendre l ’argent Veuillez lui écrire ce matin mê­ me.

A peine sortie de chez Mme Ve- lardo, j ’envoyais une lettre urgen­ te à M. Til**r.

Deux heures plus tard, il m’a­ visait qu’il m’attendrait dans un café pour me rendre l’argent.

Lorsqu’à trois heures j ’entrais au café, il m’attendait dans un coin retiré :

— Monsieur, lui dis - je, je n’ aurais pas. voulu vous rencontrer après ce qui s’est passé hier soir, mais c’est sur l’insistance de Mme Velardo que j ’ai dû faire cette dé­ marche pénible.

Mes parole.-- avaient touché Til-

mm qui me dit en me tendant une

enveloppe :

— Voici votre argent. Les fem­ mes jettent les hauts cris dès qu’

elles perdent quelques sous. Après tout vous avez perdu quelques cen i taines de francs. Je suis un homme qui a perdu douze millions de rou­ bles - or au jeu

— Dommage, dis - je, vous au­ riez mieux fait de vous assurer une situation avec ces millions.

— Certes, cela aurait mieux va­ lu, mais je n’ai pas le courage de me lancer dans les affaires. Voilà déjà quelques années que je gagne ma vie en jouant. Je ne serais peut- être pas tellement tombé si je n’ avais rencontré ce baron. Je crois que ce que j ’ai de mieux à faire c’est de me suiéider. Mais je suis tellemment tombé que je n’ai plus le courage de me tuer. Je traîne la vie. .

Je n’avais jamais vu un homme pareil, un homme Qui avouait ses défauts avec une telle désinvoltu­ re. Le contraste entre ses aveux et sa tenue me surprenait. Que les hommes sont des être incompré - bensibles !...

(5)

— 25 — Il poursuivit :

— Ce baron “ S ” , gagne de 1 argent depuis 25 ans en trichant au jeu. 11 parcourt tous les coins de la France. 11 joue non seule­ ment au pocker, mais encore au baccarat etc. Il est spécialiste de tous les jeux qu’on peut faire a- vec les cartes. Connaissent le re­ vers des cartes. Il sait ce que cha­ cun a en main. Lorsqu’il a la ban­ que au baccarat, il fait preuve d’ une dextérité merveilleuse pour ne tirer que les cartes qui lui con - viennent. Personne ne l’a encore soupçonné jusqu’à présent. Il mé­ lange les cartes avec bruit mais tous ses mouvements sont calculés. Personne ne s’avise de le soupçon­ ner.

Lorsque je fis sa connaissance, il me proposa de m'associer avec lui.

J’acceptais. 11 m’apprit tous les trucs. Mais je ne suis pas aussi bien doué que lui. Je sais combien ce que je fais est détestable et vul gaire. Je n’ai plus aucune considé­

ration envers moi - même. Je suis un homme perdu...

Rien ne se serait produit s’il n’ avait voulu hier soir que je mé­ lange les cartes. Mais comme il a- vait toujours gagné jusqu’ici, il voulut écarter les soupçons en me faisant gagner.

J’étais muette de surprise et j ’ écoutais sans dire mot. Il pour - suivit :

— Nous cherchons toujours des joueurs nouveaux. Ayant fait vo­ tre connaissance, je compris que vous aviez des amis sur lesquels vous pouviez avoir de l’influence. J’avisais le baron et nous décidâ­ mes de profiter des circonstances. Mais je recommandais au baron de ne pas vous saigner à blanc. Je dis la vérité, vous pouvez me croire. J’ai une autre prière à vous adres­ ser : n’écrivez pas ce qui s’est pas­ se à mes parents et proches d’Is tanbul, car ils ignorent tout de ces choses...

***

En quittant le café j ’avais dans la poche quelques centaines de francs qu’on,«#lavait volés puis ren

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VÏNC

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FANNEES EN

EU RO PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

dus. Mais j ’avais dans la tête, de ne carte à Paris,

quoi écrire un roman d ’aventures. Le jour précédent, nous avions Je me comparais à un prêtre à qui convenu avec Nermin de nous ren- un prisonnier ferait des confes - contrer chez le coiffeur. Nous é- sions. Cet incident m’apprit com - tions invitées à dîner chez Mr. P. bien les hommes sont faibles, com- sous - secrétaire aux Affaires étran bien ils sont les esclaves d’eux - gères, qui était leur ami. Il fallait mêmes. Je jurais de ne plus jouer naturellement que nos coiffures avec des personnes que je ne con- fussent impeccables,

naîtrais pas bien. Chez le coiffeur, je racontais 4 Mme Velardo fut contente de ren Nermin l ’incident de la veille. Ner trer en possession des quelques min rit un peu de mon ignorance, centaines de francs qu’elle avait puis elle me dit :

perdus. Je ne touchais plus aucu- — Cela se voit d’ailleurs, tu as

l’air d’une malade qui aurait quit- tâtions qui avaient lieu journelle- té le lit malgré sa fièvre. Sois sur ment. J’en parlais à Nermin : tes gardes car dans cette ville, on — Alors, me dit - elle, invite peut tomber sur les pires crapu- nous tous un jour à l’hôtel. Tu nous

les. offriras du café turc.

Oh, répliquais - je, cette le- j e fi3 ce que m’avait reeomman- çon me suffira jusqu’à la mort. dé Nermin. Quelques jours plus Il est heureux que le dîner qu’ tard j ’invitais toutes mes connais- on donnait le soir chez M. P. me tances et les amis français qui m’ fit un peu oublier mon insomnie et avaient invitée à prendre du café mon mal. J’étais en extase devant turc chez moi Le salon de l’hôtel 1 aménagement de la table, les fut consacré à mes amis ce jour, mets exquis, les belles fleurs. Il y Du thé avait également été prépa- avait quelques jeunes femmes vrai- ré. De quatre heures et demi à huit ment digne de représenter ia grâce y eut foule au salon. Pas un in- parisienne. Toutes m’entourèrent vité ne Se récusa. Ceux qui étaient encore après le repas. On me de- occupés vinrent après l ’heure de mandait entre autres le nom du bureau. J’offris à mes invités du couturier qui m’avait confectionné thé, du café à la turque, i.lrm h la robe de tulle noire que j ’avais

pourtant arrangé quelques jours J’offris le café dans des tasses

plus tôt. dont m’avait fait cadeau la

prin-Mais Nermin dit : cesse Fehime.

— Oh c’est elle même qui coud Les Français furent charmés de

ses robes. cette réception. Lorsque tout le

On crut que nous plaisantions, monde étant parti, le salon se vida, Je fus très satisfaite ce soir de T les amis de l’hôtel vinrent et tous: impression que j ’avais faite sur les anglais, français, italiens et amé-

Françaises. ricains me reprochèrent de ne pas

J’étais confuse devant ces invi- les avoir invités. ( à suivre )

(6)

Voulant leur être agréable je leur préparais le soir-même du ca­ lé après le repas.

* * *

Paris était un véritable Eden au mois de mai. ii y avait des fleurs, beaucoup de fleurs. Les arbres, les bois, les théâtres, les touristes, tout contribuait à donner de la joie et de l’animation à la ville.

Les informations reçues d’An­ kara contribuaient beaucoup à augmenter ma bonne humeur et ma force morale. Les journaux français parlaient quotidiennement cies victoires remportées par les Turcs et ne pouvaient se lasser de raconter les véritables prodiges ac­ complis par l’armée turque au mi­ lieu des privations de toute natu­ re. 11 était toujours question de ce jeune commandant de ce même

Mustafa Kemal pacha qui, écri­ vait-on, devait expulser les enne­ mis du sol de la Turquie comme il l’avait fait naguère aux Dardanel­ les pour les Anglais. J’étais fière en lisant ces lignes et il me sem­

26 — blait que j ’avais contribué dans une

certaine mesure à cette victoire. Le gouvernement français avait organisé une nuit turque au cours de laquelle les Français connais­ sant les Turcs de près et des sol­ dats ayant fait la guerre aux Dar­ danelles devaient prononcer des discours sur les Turcs.

Ce fut un dimanche, au cours d’une réunion chez Nermin que nous fûmes mis au courant de cet­ te nouvelle. Aussitôt Mr K ... qui m’invitait très souvent aux dîners et aux théâtres, intervint deman­ dant qu’on le chargeât d’emmener tout le monde à la nuit turque.

Nous acceptions volontiers. Ce même jour nous décidions, Nermin et moi d’aller à la récep­ tion avec le costume national de l’époque, c’est à dire en «çarçaf». Mon «çarçaf» et ma voilette é- taient d’ailleurs dans ma valise.

Mr K ... était un ingénieur ré­ puté de France. Il semblait avoir 35 ans et se faisait remarquer par­ tout par sa belle prestance.

Nermin disait de lui :

— C’est lui qui a fait construire

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EU R O PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHÂR KUNT

tous les chemins de fer du Maroc.

Il aime beaucoup les Orientaux. Sa première femme était une Hin­ doue. Par la suite celle-ci voulut se marier avec un Suédois. Ils se sé­ parèrent. Les Françaises vou­ draient bien se marier avec lui, mais il n’a pas confiance en elles. Il dit qu’il ne veut plus se marier.

En tous cas, Mr K.... savait très bien vivre. Ayant ajouté sa fortu­ ne à celle qui lui restait de son père, il menait une existence que beaucoup de femmes lui enviaient.

Il avait deux résidences à Paris : un grand appartement légué par son père où il donnait des récep­ tions et des banquets, et une gar­ çonnière de trois chambres à deux étages, meublée avec un goût ex­ quis où il préparait lui-même le thé à ses amis et se faisait un plaisir de les servir.

Mr K ... était une personne qui aimait beaucoup montrer qu’il fai­ sait bien tout ce qu’il faisait. Il a- vait raison d’ailleurs. C’était un homme très raffiné, au courant de

toutes les nuances de la vie mon­ daine de Paris... Toutes les fem­ mes que je connaissais s’occupaient de la question du mariage de Mr K.

Il me témoigna beaucoup de cordialité et de la considération dès le premier jour. Il nous invi­ tait, Nermin et moi, au moins deux ou trois fois par semaine au thé, à dîner ou au théâtre. La danse et les folles distractions de Montmar­ tre ne lui plaisaient pas du tout. Il prenait surtout un grand plaisir à nous faire visiter les galeries de peinture.

Je peux dire que les frères M... que je connus également chez Ner­ min étaient parmi les plus cour­ tois de tous les assidus qui fré­ quentaient ce salon. Par la suite, ces quatre frères'ont tous été nom­ més ministres ou ambassadeurs de France en divers pays.

On aurait pu dire que ces fonc­ tions leur avaient été léguées par leur père et leur grand-père. C’est qu’en effet, toute la famille était de la carrière. Le père avait même été ambassadeur de France en Tur quie. C’est pourquoi ils avaient une

L ’un de ces frres, Mr J. M. avait été envoyé par le ministère des Affaires étrangères en Turquie où il devait accomplir une mission de quelques jours. Il brûlait de voir l’intérieur des maisons turques et .11 me pria de lui donner une re­ commandation : ce que je fis avec plaisir. Ma soeur Rana venait en tête des maisons que je lui avais recommandées.

J’écrivis en même temps à ma­ man et à Rana de faire une récep­ tion digne de lui au Français que je leur adressait.

Le second jour de son arrivée à Istanbul J.M. se rendit à Rumeli- Hisar où Rana le reçoit fort bien.

Il avait écrit à cette occasion à ses frères qu’il n’oublierait jamais la réception exquise qui lui avait été préparée ainsi que le grâce et la courtoisie de la jeune fille tur­ que qu’il avait Aidlfc»

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27 endant quatr de me ils avaient contrer., des ■^nSeTfemm blaient ternité être ell de ne pande: occ not fiei y geante envers igues annjses manquj le fois qu’ me ren - de ma soeur. „ im- depuis l ’é-vouloir mes, lignaient _______ ( ée.

Je crois qu’en cette saison, il n’ y avait à Paris personne qui se pro menât comme moi. Presque tous les soirs une auto s’arrêtait devant l’hôtel et des amis m’emmenaient en excursion. Mais je n’ai jamais répondu à une invitation où Ner- min ou son mari ne se rendaient pas.

Tous mes voisins de l ’hôtel se plaignaient de mes fréquentes ab - sences.

Signor B#onservi0zi observait : — On disait que les femmes tur­ ques ne font que manger de lo - koums et se prélasser jusqu’au soir Vous faites tout le contraire

pour-tant.

Ce à quoi je répondais :

— C’gst nous, les Turcs Kéma- listes qui dissiperons toutes ces i- dées fausses et vous aiderons à connaître la réalité.

J’étais très contente de mes pro­ menades et de mes contacts avec des Français. J’avais des relations étroites avec de nombreuses fa - milles. J’étais heureuse d’obser - ver de près les Français que je ne connaissais que par les livres. C’é­ taient vraiment des personnes très sociables, bon causeurs et fort cour

lois.

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Feuilleton de “ La République ”

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VINGT

ANî 1EES EN

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EU R O PE

Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

Finalement, la nuit turque tant

attendue arriva. Un soir, Nermin et son mari qui avaient pris place dans la grande auto beige de Mr. K. vinrent à l'hôtel.

J’avais la pèlerine de mon çar - saf, posée sur ma longue robe noi­ re. Une double voilette de tulle cou vrait mon visage.

Lorsque descendant les marches de l ’escalier je passais devant le salon, les amis qui se trouvaient là par hasard sautèrent tous sur leurs

pieds. Sarah Bernard ressuscitée n’aurait pas eu un si grand succès. C’était pour la première fois qu’ils voyaient une dame turque “ çar- saf ” . Mon costume devait leur fournir sûrement le soir le sujet d'une longue discussion.

M. K. qui m'attendait à l’en - trée me salua une main tenant ses gants et l’autre essayant de fixer son monocle. Nous sortîmes. Ner­ min avait aussi son “ çarsaf ” et m’attendait eu riant dans l’auto :

M. K. dit au mar: de Nermin :

—- Mon cher ami, savez - vous que toute l’assistance nous enviera ce soir ? Je suis très honoré de voir que ces dames ont bien voulu m’ autoriser à les accompagner.

Nous trouvâmes la salle de con­ férence pleine à craquer. Nous nous assîmes aux places que M. K. nous avait retenues

J’étais très émue. Qu’allais - je entendre sur le compte de la na­ tion à laquelle j ’appartenais ?

La première conférence fut faite par un officier qui s’était battu con

tre les iurcs aux Dardannelles pen dant la guerre de 1914 - 18. Dans sa première phrase, il cite ce mot de Napoléon •

Si j ’avais des soldats turcs sous mon commandement, je fe - rais la conquête du monde. ”

Après avoir raconté, avec des preuves militaires à l’appui com­ ment les “ Mehmetçik ” (1) privés de tout-et même de pain firent de leur poitrine une forteresse dont F ennemi ne put avoir raison, il pour suivit :

— Malgré l’injustice, __ le partialité du gouvernement de l ’époque le courage des sol - dats Turcs ne fut pas ébranlé le moins du monde et ils finirent par obliger les forces des deux plus grandes puissances impériales à se retirer des Dardannelles. ”

La conclusion fut très applau - di.

Trois ou quatre orateurs prirent encore la parole. Leurs discours

(1) Terme famillier pour dési - gner le combattant turc.

aeenamaient i enthousiasme dans la salle.

Le dernier orateur était un Fran çais qui venait d'arriver d’Ankara Pendant toute une année il avait étudié les mouvements des Turcs- dans la guerre de l’Indépendance et avait connu les Turcs chez eux. La grande différence entre les ar­ mes et le matériel dont disposaient les deux parties avait donné a cet­ te guerre le caractère d’une des plus grandes épreuves militaires du monde.

Les Turcs n’avaient qu'un seul avion desuet Leur artillerie, é - tait faible et ils ne disposaient que d’un très petit nombre des fusils. Les soldats n’avait pas de chaus - sures. Beaucoup d’entre eux ne trouvaient même pas des chiffons pour y enrouler leurs pieds et des cordes pour les attacher. Ils é - taient en haillons et l’estomac creux. Cela ne les empêchait pas de se battre sans sourciller...

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Feuilleton de “ La République ”

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Par REBIA TEVFIK BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

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Je faisais tout pour ne pas pleu­ rer à gros sanglots en écoutant ces paroles. Je mordais mes lèvres jus­ qu’au sang. Mais cela n’empêchait mes larmes de couler sur mes joues et de tomber sur ma péleri - ne.

L ’otateur parlait toujours.

— Quant aux femmes turques . elles n’étaient pas arrivés jusqu’à présent à démontrer d’une façon si éclatante qu’elles étaient dignes des soldats. Placées dans des con­ ditions de privations inimaginables pour nous, ces femmes protégeant leurs pieds nus avec des herbes , leurs nourrissons attachés à leur dos,pataugeant dans la boue et la neige jusqu’à la hauteur de genou transportaient les obus de gros ca­ libre. Il n’y a pas de chemin de fer, pas de véhicules, pas de routes en Anatolie, mais des simples chars antiques qu’on remplissait des fournitures et de matériel mili - taire et que ces femmes tiraient pour leurs soldats.

Tout ce mouvement se dirigeait vers Ankara comme un torrent, de toutes les parties de l’Anatolie . Cette nation, hommes, femmes,en­ fants a placé son espoir, son hon - neur et son avenir dans la fortune d’un seul homme. Cet homme c’est le général Mustafa Kemal qui a fait taire aux Dardannelles les canons des alliés. Les Turcs l’appellent maintenant le «Ghazi».

Ce jeune commandant, qui au milieu de privations sans précé - dent, a pris en mains l’organisa - tion de la nation, l’a convaincue de la grandeur du but poursuivi et lui a promis la liberté et l’indépen­ dance. Il suit sur une vieille carte les phases de la guerre à la lueur d’une lampe fumeuse, dans un vieux wagon aux vitres cassées.

Un autre jour nous voyons ce commandant sur son cheval essa­ yant de surmonter le douleur que lui causent ses côtes brisées, cou - rant d ’un front à l’autre et don - nant des ordres à l’armée. Les privations enduréesc par ce général sont pires que celles des soldats

auxquels il commande. La nuit , très souvent, il ne dispose même pas d’un simple lit de camp. Il se couche à même le sol se servant de sa capote comme d’une couver­ ture.

Aucun obstacle, aucune souffran ce ne brise, n’ébranle sa foi. Cet homme qui commande aux soldats les plus valeureux du monde ter­ minera — vous le verrez — cette guerre par une grande victoire . Cette nation, ces soldats, ces fem­

mes sont nés pour vivre en liber­ té...

L’orateur portait ses regards de notre côté en parlant de la fem­ me turque.

Le discours à peine terminé, il y eut un tonnerre d’applaudisse - ments.

On m’aurait donné cette nuit la plus belle couronne du monde, je n’en aurais pas été tellement con­ tente! Je suis persuadé que le roi le plus puissant du monde n’as pas

éprouvé la fierté immense dont j ’ étais animée...

Beaucoup de gens que je ne con­ naissais pas se présentèrent à nous et nous félicitèrent, rejoints bien - tôt par ceux qui avaient donné cet­ te conférence.

Le fait pour Nermin d’être ma­ riée depuis de longues années en France avait pour ainsi dire fait d’elle une Française. Mais j ’éprou­ vais en moi-même le sentiment d’ un soldat responsable représentant Ankara Kémaliste... C’était une belle mission que je me serais fait un plaisir d’accomplir toujours à l’étranger, comme un simple sol­ dat. J’étais très affecté cette nuit de ne pas me trouver entre ces femmes turques qui transportaient des obus pour sauver la patrie.

Je remerciais tous les Français turcophiles qui m’entouraient pour les louanges bien méritées qu’ils formulaient à l'égard de mon pays.

Lorsque ayant quitté la salle de conférence nous prîmes place dans la voiture de Mr K. la discussion

au sujet des qualités

des Turcs ri’avait pas en - core pris fin. Nous parlions tou - jour des mêmes choses pendant que l’auto poursuivant sa route.La conversation était si animée que nous ne remarquions même pas qu’ il pleuvait. J’ignorais même la di­ rection que nous avions prise.

Soudain, il y eut un grand cra­ quement... Le malheureux chauf­ feur captivé par notre conversa - tion, n’avait pas vu à travers les vitres sur lesquelles la pluie for - mait des gouttelettes, un taxi qui venait en sens inverse, place de la Concorde. Notre voiture et le taxi avaient rudement eollisionné.

Avant même de comprendre ce qui était arrivé, notre voiture fit trois tours sur elle même. Les vi­ tres du taxi étaient brisées et on entendait des cris étouffés.

Nermin et moi ne proférâmes pas une plainte. Surprises et clouées sur place nous attendions. Aussitôt que la voiture s’arrêta , Mr K. descendit et alla prendre des nouvelles du couple qui était dans le taxi. { à suivre )

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Le tampon et l ’avant de notre voiture étaient défoncés. Mais la voiture était assurée

Des agents étaient accourus. Ils notèrent les adresses, puis Mr K. reprit sa place et donna au chauf­ feur l’ordre de poursuivre sa rou­ te.

Se tournant ensuite vers Nermm et son mari, il dit:

__C’est une chance que nous ne soyions pas morts. L’accident était bien grave, mais heureusement la voiture étant lourde n’a pas versé^. Autrement, on n’aurait pas donné grand’chose de notre vie !

Il nous regarda ensuite avec é- tonnement Nermine et moi :

— Jamais, poursuivit - il, je n’ ai vu de femmes comme vous. Vous n’avez pas poussé un seul cri ni fait le moindre geste pendant cet accident. D’autres à votre place se seraient déjà évanouies... Et il nous aurait fallu les conduire à l'hôpital. Je ne doute pas de voir

une nation aussi forte gagner la guerre.

* * *

Nejat Nazmi tardait de plus en plus à venir à Paris. Ce retard ne faisait qu’augmenter mes appré - hensions. Chaqué matin je me de­ mandais ce Qui adviendrait de cet­ te question de mariage.

Un jour je me demandais ce que je ferais s’il ne venait pas. En vérité j ’ignorais ce qu’il me fau - drait entreprendre dans ce cas. Je savais cependant fort bien que je n’allais pas prendre rnes valises pour rentrer à Istanbul, chez ma mère. Le mésentente qui régnait entre nous, depuis mon enfance nous séparait à jamais. “ Atten­ dons encore un peu, me dis - je. puisqu’il assure qu’il viendra... ” Je voulus m’en ouvrir de cette question à Nermin. Mais quoique celle - ci parut m’aimer beaucoup, je remarquais qu’elle témoignait de la même sympathie excessive en­ vers tout le monde. Certes elle m’ avait franchement raconté toute sa vie et même dit qu’elle n’était

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Par REBIA UC VFI K BASOKCU

Traduit du turc par MAZHAR KUNT

pas très heureuse avec son mari.

Pourtant, je ne pouvais me résou­ dre à la mettre au courant de ma peine.

Voici ce qu’elle me disait : — C’est avec mes amis que je remplis le grand vide qui existe dans ma vie. Leurs allées et ve - nues, leurs invitations me dis >■ traient beaucoup. Je sius d’autant plus heureuse {qu’ils (ponit: ¿plus nombreux autour de moi. Mais ces femmes que tu vois ne m’aiment

nullement. Elles sont au contraire très jalouses. Ce sont surtout les hommes, et principalement les hommes non mariés qui nous sont fidèles... Ils ne sont pas influen - cés par les femmes. Vous con - naissez bien M. K. Eh bien, elles font tout pour qu’il se marie.

L’autre jour, M. K. excédé a fini par leur dire : « Je me marie­ rai peut - être un jour, mais la femme que j ’épouserai sera loin d’ être française ...”

Les femmes qui étaient présentes devinrent rouges de fureur. “ Quel le est la nation à laquelle doi/t ap­ partenir votre femme lui deman - da-t-on ?” Ah chérie, il faut que tu réside ici pendant de longues an­ nées pour avoir une idée de la xé- nophobie qui règne ici.

Nous prenions le thé avec Ner­ min à l’hôtel Carlton au moment où elle me dit cela. Nermin était venue me voir assez tôt. Vers T heure du thé je lui dis :

— Allons Nermin, sortons un peu. Nous irons prendre le thé chez Carlton Nous venons toutes les dames sud - américaines de l’hô - tel en train de danser.

Les dames .sud - américaines al­ laient chaque jour danser par groupe de dix ou quinze.

Le même jour, pendant que nous prenions le thé avec Nermin dans un coin, je la présentais à mes amis à l ’hôtel.

La nuit M. K. nous avait invité à aller voir le film “ Le voleur de Bagdad ” , De retour à l’hôtel je ne laissais pas Nermin partir :

— Hhr chèrf^lui - dis - je, nous dînerons ensemble ce soir, puis si M. K. vient on ira ensemble au cinéma.

Le film était beau. A la sortie, M. K. donna au chauffeur l ’aclres- se de Nermin. Mais celle - ci ob­ jecta :

— Pourquoi cela ? demanda - t «• elle. Nous laisserons d’abord ma • dame chez elle puis vous me con­ duirez chez moi.

K. riposta avec son sang - froid habituel :

— Non, permettez - moi plu - tôt de vous laisser chez vous d’a ­ bord. Vous habitez plus loin.

Cela n’arrivait pas pour la pre­ mière fois Ces derniers temps, chaque fois que nous sortions M. K. donnait au chauffeur l ’adresse de Nermin d’abord et chaque fois Nermin soulevait des objections. Je demeurait parfaitement indif - iérente à cela. Je faisais preuve d’ une courtoisie parfaite à l’égard des amis de Nermin mais je ne leur portais pas un intérêt spé - ci al. ( à suivre )

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Je ne trouvais aucune significa­ tion aux inquiétudes de Nermin. Est - ce qu’elle me prenait pour une rivale comme ces dames fran­ çaises ? Mais je n’avais rien à me reprocher à cet égard. Ou bien Ner min serait - elle si^^ ^ e t j^ ja lo u ^ Je n’avais jamais eu ndee d’é­ tudier son caractère. Je lui étais tellement attachée, que je l’esti - mais incapable de mesquineries pareilles.

Mais il y avait, cette nuit, une insistance toute particulière dans le ton de sa voix. Je crus même sentir un certain éloignement dans la façon dont elle me dit adieu, en

descendant de voiture.

Au retour, nous parlions comme toujours du film que nous venions de voir, des décors, des artistes et de Paris.

La voiture avait dépassé l'ave - nue Kleber et revenait aux Champs - Elysées par la place de l’Etoile. Soudain M. K. me dit :

— Madame, savez - vous com - bien tout le monde vous aime à Paris ? Mon plus grand désir est de vous voir établie ici.

Je me rappelais à ce moment les paroles de Nermin qui m’avait dit: “ Je ne parviens à remplir le vi­ de de mon existence que grâce à mes amis. Je ne veux pas que ceux d'entre eux qui sont célibataires se marient, car alors ils ne pourront pas s’arracher à l.influence de leur femme. S’ils se marient, je ne trou­ verai personne avec qui me ■w nnn P t fû M A *.

Je répondis donc immédiate -ment à M. K. :

— J’aime aussi tout le monde a Paris ; l’exquise politesse et la courtoisie dont on fait preuve à mon égard ont droit à une grati tude. Si un jour je quitte Paris je voudrais y revenir à la première occasion...

La voiture s’était arrêtée devant l’hôtel. M. K. sauta à terre et m’ aida à descendre. Je le remerciais encore et rentrais chez moi.

Je voyais toujours Nermin

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Par REBIA TEVFIK BASOKCU

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si souvent, mais il n’y avait plus d’invitation de la part de M. K. Je ne le rencontrais même plus les di­

manches chez Nermin II devait y avoir une raison à la disparition soudaine de cet homme. Moi je ne la demandais pas à Nermin.

Quelque chose faisait que j ’étais désormais plus réservée à son é- gard. Je n’éprouvais d’ailleurs par la nécessité d’analyser tous ces faits. Pour moi, toutes ces invita­ tions, ces allées et venues n’a

-vaient d’autre signification que cel le de m’aider à tuer le temps à Pa­ ris. J ’étais là - bas pour attendre Nejat Nazmi.

Je n’avais parlé à personne du projet de mariage qui existait en­ tre Nejat Nazmi et moi. Je n’avais rien dit aux amis de Nermin ou à ceux de l’hôtel. Cette promesse de mariage avait eu "lieu entre nous et je n’éprouvais pas la nécessité de mettre les autres au courant de mon second mariage. Parfois mê

-me je -me demandais si ce projet n’était qu’un rêve. Mais il y avait sur la table une carte envoyée par Nejat Nazmi et qui venait d ’arri - ver la veille seulement. Personne ne se serait avisée d’écrire deux fois par semaine à une autre sans avoir un but déterminé. Il répétait toujours qu’il attendait son congé pour venir me trouver.

Il y avait déjà cinq mois que j ’ étais à Paris et je voyais avec ter­ reur mon compte en banque être près d’être soldé. Quatre ou cinq semaines encore, et j ’allais demeu­ rer sans le sou. Que pourrais - je bien faire alors ? Que savais - je faire d’ailleurs ? Je n’y avais ja­ mais songé jusqu’alors.

L’année précédente, un Arabe qui se trouvait chez des amis étu­ diant les lignes de ma main m’a­ vait dit :

— Votre chance ne se trouve pas au sein de votre famille. Votre e- xistence s’écoulera à l’étranger et vous gagnerez votre pwwo.. IM *- •

Je songeais à ces préd^dfcions

dont j ’avais ri naguère. L’autre jour voyant à l’hôtel un vieux Fran çais qui étudiait les lignes des mains de ceux qui étaient pré - sents, je lui tendis la mienne.

— Vous réussirez dans tout ce que vous entreprendrez me dit - il.

Surprise, et curieuse je deman­ dais :

— Oh monsieur veuillez me di­ re également ce que je pourrai bien entreprendre.

— Ça, je ne peux pas le déter­ miner. Mais je vois clairement dans vos lignes que vous réussi - rez toujours.

Les prédictions de l’Arabe d’Is­ tanbul et de ce Français concor - daient en somme. Cet homme m’as surait le succès et contribuait ainsi à m’encourager beaucoup.

La nuit en me couchant, le ma­ tin en ouvrant les yeux, je son - geais toujours à ces prédictions et je cherchais à me découvrir une personnalité nouvelle.

Referanslar

Benzer Belgeler

Les Allemandes fortes, blondes, aux joues roses étaient pour la plupart sans chapeau, sans bas et marchaient rapidement avec les hommes, dans les robes qui les

La première voulait faire la connaissance d’une dame de Paris plutôt qu’elle ne dé­ sirait s(e flaire confecficJtaner

Nous sommes très contents de vous avoir parmi nous.. Mme Damgar et moi préférâmes prendre du

Elle est tellement riche qu’elle ne perdra rien pour attendre encore quelque temps.. Où trouver ces soixante dollars qui représentaient alors de quoi acheter une

simple. Cet enfant d’Izmir plei nde franchise me ra­ contait son amour et me proposait le mariage.. Ça tombe juste. Ses parents lut envoient très peu de chose. La

admettait la moxt, si 1 amour voir rudement lutté pour échapper Le jour où ayant rompu mes pouvait tuer, mais elle ne pouvait à la tourmente qui vous

Il habitait dans le konak légué par son père Fahreddin bey qui avait été ambassadeur, en compagni... J’eus bientôt douze ans et cette histoire d’enfants fut

Nous travaillions beaucoup avec quelques ouvrières Que nous avons déniché au prix de mille difficul­ tés pour terminer les robes que nous avions. Nous allons