• Sonuç bulunamadı

Mécéner la musique en France aujourd hui

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Share "Mécéner la musique en France aujourd hui"

Copied!
42
0
0

Yükleniyor.... (view fulltext now)

Tam metin

(1)

Mécéner

la musique en France aujourd’hui

L’action des fondations : de l’arbre au rhizome

Sophie Lanoote • Galatea Conseil

Camille Prost • Calamus Conseil

(2)

Sommaire

4 Notre approche / Les autrices 5 Méthodologie / Remerciements 6 Synthèse

8 Introduction

12 Les fondations au coeur d’un écosystème de plus en plus concurrentiel 12 Les trois principales caractéristiques du rhizome philanthropique musical

14 Professionnalisation et concurrence : la question de la philanthropie stratégique 16 Les effets pervers de la professionnalisation

20 Les fondations, fabriques d’hybridations

21 Des hybridations public/privé à identifier et décrypter

23 L’hybridation des rôles et des ressources, facteur d’évolution 25 Les hybridations, moteur d’innovation

30 La philanthropie citoyenne : le meilleur moyen de faire rhizome ? 31 Définir la philanthropie citoyenne

35 Favoriser le développement harmonieux de la philanthropie

38 Composer une ode à la liberté… avec l’État au continuo !

41 Conclusion

(3)

“Parcourir l’Arbre Se lier aux jardins Se mêler aux forêts

Plonger au fond des terres Pour renaître de l’argile

Peu à peu

S’affranchir des sols et des racines”

Andrée CHEDID,

“Destination : arbre”

(4)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 4

Notre approche

La présente étude a pour ambition de dresser un état des lieux de l’écosystème spécifique des fondations qui soutiennent le secteur culturel et plus particulière- ment la musique. Elle entend également mettre au jour des tendances, question- ner des pratiques et proposer des pistes de réflexion et d’action pour l’avenir.

Les fondations ont un poids croissant dans le monde musical français. Nous postulons que la crise sanitaire de la Covid 19 est un accélérateur de tendances préexistantes. Il s’agit de décrypter ce qu’était le “monde d’avant”, d’identifier les évolutions qui étaient déjà à l’œuvre, de manière plus ou moins souterraine, et de voir de quelles manières elles se sont accentuées ces derniers mois - et comment elles pourraient se déployer par la suite. L’emploi du champ lexical du monde végé- tal et de la croissance organique dans les pages qui vont suivre n’est pas un hasard : l’image du rhizome s’est imposée à nous comme le fil conducteur de cette étude.

Gilles Deleuze et Félix Guattari convoquent le rhizome dans Mille plateaux 1 pour en faire un concept opérationnel. Le rhizome leur permet en effet d’analyser les entités qui évoluent en permanence, dans toutes les directions et qui sont dénuées de niveaux. Elles s’opposent directement aux entités hiérarchiques, aux modèles pyramidaux et aux arborescences qui possèdent un centre. Le rhizome n’est pas la racine ; le réseau rhizomateux n’est pas le déploiement des branches à partir d’un tronc. Le rhizome est à la fois polymorphe et polycéphale. Deleuze et Guattari théorisent ainsi l’organisation qui ne suit pas une ligne de subordination : dans un rhizome, tout élément peut influencer un élément de sa structure, peu importe sa position ou le moment. Sa direction peut être totalement inopinée et sa progression chaotique. Il n’a ni début ni fin prédéterminés : il se développe de façon aléatoire.

Chaque élément de la structure peut donc amener à une évolution de l’ensemble.

Il est plutôt souterrain, mais les fruits de sa croissance se montrent explicites.

Même si les caractéristiques du rhizome telles qu’énumérées par Deleuze et Guattari ne sont pas toutes opérantes pour penser l’écosystème des fondations, elles fournissent un précieux cadre théorique, une source d’inspiration et même un modèle - à condition de l’adapter. Nous gardons ainsi du rhizome deleuzien son hori- zontalité, sa croissance sinueuse, son principe de connexions – cette interconnexion des acteurs du mécénat musical est le cœur de notre propos – et son principe de multiplicité. Comme le rhizome, la philanthropie musicale nous est apparue

linéaire et multiple, hétérogène et connectée. Comme le rhizome, elle porte en elle, nous semble-t-il, le principe de rupture asignifiante : pouvoir être rompue à un endroit sans pour autant périr.

C’est donc un texte philosophique qui nous a offert un schème végétal en adéqua- tion avec ce que nous visualisions et voulions formaliser. La pensée graphique s’est articulée avec l’écriture, comme un contrepoint. À l’heure où les consciences se réveillent, où la transition écologique et sociale devient un impératif catégorique, un rhizome peut donner à penser… et pousser à agir pour le bien commun !

1. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, Mille plateaux, Éditions de Minuit, Paris, 2013.

Les autrices :

Sophie Lanoote, Directrice associée de Galatea Conseil Sophie Lanoote effectue un parcours d’entrepreneure culturelle et de consultante déterminée à servir l’art et le bien commun. En 2008, elle fonde l’agence Galatea, qui conjugue en France et à l’international le management artistique, le conseil et la production de concerts, avant de se consacrer au conseil en 2017. Elle met son expertise en stratégie, management et trans- formation au service des acteurs culturels privés et publics. Titulaire d’une licence d’Histoire et diplômée de Sciences Po Paris, elle y est maîtresse de conférences (School of Public Affairs, Cultural Policy & Management). Elle est chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.

linkedin.com/in/sophielanoote www.galateaconseil.com

Camille Prost, Fondatrice de Calamus Conseil

Docteure en philosophie et autrice d’une thèse intitulée “Une ontologie du quatuor à cordes, philosophie de la musique pour quatre instrumentistes”, Camille Prost a fondé en 2019 Calamus Conseil pour accompagner les ac- teurs du monde de la musique. Certifiée de l’Essec et titulaire d’un diplôme de Directrice de la collecte de fonds et du mécénat, elle aime notamment concevoir des stratégies de fundraising pour que puissent émerger et grandir des projets musicaux de qualité. Elle enseigne la philosophie du management au sein de la Burgundy School of Business (BSB).

linkedin.com/in/camille-prost www.calamusconseil.fr

(5)

Méthodologie

& Remerciements

Nous avons opté pour une méthode qualitative.

Un premier état des lieux a permis d’identifier des professionnel.le.s à différents endroits de l’écosystème : dirigeant.e de grandes fondations familiales ou d’entre- prise, directeur.trice du mécénat au sein d’institutions, président.e de fondations abritées, artistes, spécialiste du fundraising, expert.e en philanthropie, consul- tant.e.s… Tous n’évoluent pas au quotidien dans le milieu de la musique, mais tous occupent une place stratégique et voient de manière singulière les enjeux actuels du financement privé de la culture.

Ce panel de personnes ressources est le terreau de notre étude, nourrie de leurs propos. Nous leur sommes très reconnaissantes pour le temps accordé en cette période complexe et les échanges précieux qui en ont découlé.

Orlane AQUILINA, Consultante en marketing, communication, mécénat et développement des ressources, ExplorA440

Mohamed BENDJEBBOUR, Secrétaire général, Insula Orchestra

Mathilde BEZARD, Chargée de mission musique classique et contemporaine, Institut Français

Gabrielle de la BOULAYE, Responsable du développement du mécénat, Fondation Avenir du patrimoine à Paris

François BOUVARD, Président de la Fondation Concert d’Astrée

Marie-Sophie CALOT de LARDEMELLE, Directrice du mécénat culturel, Fondation Orange

Mathias COULLAUD, Directeur du mécénat et du développement, Festival d’Aix-en-Provence

Ombeline ELOY, Consultante en stratégie philanthropique

Laurence EQUILBEY, Directrice artistique et musicale, accentus et Insula Orchestra

Elisabeth de la GENARDIERE, Présidente, Fondation Artistes à l’hôpital

Marie-Stéphane MARADEIX, Déléguée générale, Fondation Daniel et Nina Carasso Croisine MARTIN ROLAND, Directrice, Philanthro-Lab

Nathalie MOINE, Consultante en stratégie, Atelier Florès Céline PORTES, Déléguée générale, Ensemble Correspondances

Anne-Sophie RAMBERT, Capital Projects Officer, Bibliothèque nationale de France Manon RENONCIAT-LAURENT, Executive Coach, Atelier Léonard

Catia RICCABONI, Responsable Programmes et Fondations abritées Cultures et société, Fondation de France

Mathieu ROMANO, Chef de chœur et d’orchestre, Directeur artistique et musical, Ensemble Aedes

Nathalie SAUVANET, Responsable internationale du Conseil en philanthropie individuelle et Directrice de la Fondation de l’Orangerie

Julie VALLAT, Responsable mécénat et partenariats, Concert d’Astrée Lorraine VINCENOT, Directrice, Fonds de dotation Chœur à l’ouvrage

Chaleureux remerciements à Virginie COMMELIN, fondatrice d’Orcène, pour sa collaboration à la faveur de plusieurs entretiens, ses conseils avisés et relectures attentives.

(6)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 6

Synthèse

Nous avons souhaité examiner les rôles des fondations au sein de l’écosystème musical. Nous dressons un état des lieux et questionnons les grandes évolutions à l’œuvre, ainsi que les postulats philosophiques et politiques qui les sous- tendent. L’étude se déploie en trois mouvements, qui entendent articuler déve- loppement théorique et propositions pratiques. Elle fournit un cadre conceptuel pour que puissent résonner harmonieusement les voix des professionnel.le.s du secteur.

Empruntant à Gilles Deleuze et Félix Guattari le concept de rhizome, nous avons dégagé les grandes caractéristiques de ce champ philanthropique, point de départ d’une réflexion plus analytique :

• le nombre des fondations qui soutiennent la musique a augmenté, ces der- nières se sont développées rapidement et librement

• elles forment un ensemble d’entités diverses (fondations d’entreprise, fon- dations familiales, fonds de dotation, fondations distributives, fondations opératrices, fondations de flux….)

• certaines de ces fondations conquièrent d’autres territoires, en se dirigeant du côté du monde de l’entreprise.

Ces caractéristiques ne datent pas de la crise sanitaire. Elles se sont affirmées ces dix dernières années et la pandémie en a accentué certains traits. Deux phénomènes méritent donc d’être, à partir de là, pensés conjointement : la profes- sionnalisation du secteur et l’accroissement de la concurrence. Face au “désen- gagement de l’État” et à la concurrence qui en découle, les professionnels de la collecte de fonds se sont formés, outillés, organisés. Parallèlement à cette montée en compétence côté fundraisers, s’est développée une nouvelle philanthropie dite stratégique coté grantmakers. Cette dernière est désormais capable de croiser les trois enjeux suivants : l’efficacité, la responsabilité et la légitimité. Cette tendance est vertueuse à maints égards, mais elle ne concerne malheureusement pas tout le monde. Elle accentue donc des inégalités très fortes entre les acteurs du monde musical et dessine une fracture nette entre ceux qui savent lever de l’argent et les autres – le don appelant le don. Cette professionnalisation peut aussi, à termes, engendrer une forme d’uniformisation qui pourrait appauvrir le rhizome (mêmes axes de soutien, mêmes grilles d’analyses des projets, mêmes procédures…).

Les fondations sont aujourd’hui des laboratoires d’innovations, des fabriques d’hybridation.

Elles invitent notamment à dépasser cette dichotomie public/privé qui paralyse l’ac- tion et empêche de nombreuses synergies. Ni publiques, ni privées, nous préférons les décrire comme des actrices fortes de la société civile, faisant partie intégrante de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). Nous constatons entre autres qu’elles hybrident :

• les rôles : un grantmaker peut un devenir fundraiser et vice versa, c’est ce que nous avons appelé “la porosité des rôles”

• les ressources (en dedans, comme en dehors)

Ces hybridations déploient des parties du rhizome dans des directions diverses, développant ainsi la philanthropie de demain.

Elles génèrent des innovations d’ordres structurel, territorial et politique et nour- rissent à leur manière la réflexion sur la démocratie culturelle, nouvel horizon des politiques culturelles.

L’état des lieux du monde d’avant la crise, l’analyse de la crise comme accéléra- teur de tendances et l’étude des hybridations en germe comme à l’oeuvre dans le rhizome nous conduisent, enfin, à un propos plus philosophique et prospectif : que signifie aujourd’hui “agir pour l’intérêt général” ?

Nous défendons l’idée d’une philanthropie citoyenne ayant la liberté et la récipro- cité pour fondements. Nous articulons ici des développements plus philosophiques à des suggestions pratiques, notamment en ce qui concerne les fléchages de soutien… Nous partageons ici 12 propositions pour favoriser le développement harmonieux de la philanthropie et le soutien des fondations à la musique. C’est finalement la musique – et son rapport unique à la temporalité – qui fournit des éléments de réponses et donne à penser la philanthropie de demain…. pour faire rhizome au bon tempo !

(7)
(8)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 8

Introduction

Étudier les fondations qui soutiennent la musique nécessite une plongée théorique au cœur de ce que l’on a coutume de nommer la “philanthropie”. Le terme est com- munément employé, mais très souvent vidé de sa force sémantique. Définissons.

La philanthropie est, avant tout, une manière d’être au monde. Est philanthrope celle ou celui qui œuvre de manière désintéressée pour le bien de ses semblables, pour l’amélioration de leur condition. Les actions de générosité, les dons de ce.tte philanthrope s’ancrent donc dans une démarche sociétale.

Dans ce cadre, créer une fondation est toujours un acte fort, qui vise à inscrire dans le temps une démarche philanthropique. Il s’agit, la plupart du temps, d’un aboutissement. D’un point de vue plus technique, le monde de la philanthropie repose aujourd’hui sur trois piliers: les donateurs individuels, les fondations fami- liales et les fondations d’entreprises. Comme nous le verrons toutefois, elle n’est pas réductible à ces catégories.

En France, il est intéressant de souligner que la philanthropie s’est construite en opposition à la charité chrétienne ; elle est même parfois considérée comme sa forme sécularisée 1. Associée, dans l’imaginaire collectif, à un marqueur social très fort, sujet à polémiques dans ce pays où la culture est une affaire d’État, elle a aujourd’hui évolué vers des formes dites “stratégiques” 2.

Cela étant posé, la sphère philanthropique englobe donc ce que nous nommons

“le mécénat”, qui lui, est défini en droit français comme le soutien à une œuvre d’intérêt général et caractérisé par un régime fiscal déterminé 3.

Ce monde de la générosité, cet univers construit par ceux qu’on nomme les grantmakers, côtoie le monde de la collecte de fonds (fundraisers). Grantmaking et fundraising s’articulent de manière complexe ; nous développerons ce point à différents endroits de ce présent travail.

Philanthropie et crise sanitaire

La crise de la Covid 19 a révélé la force de l’engagement philanthropique : le volume global des dons a augmenté en France depuis mars 2020. Les secteurs ayant béné- ficié de cette augmentation sont, sans surprise, la santé et l’aide à la grande préca- rité. Si les raisons de cette tendance sont évidentes, force est de constater que cela

“Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu, entre

les choses, inter-être, intermezzo.”

Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI,

Mille Plateaux (1980)

(9)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 9

s’est fait au détriment du monde de la culture et de l’enseignement supérieur. Il y a donc, à ce jour, un risque de dichotomie entre les urgences sanitaires relativement bien financées par les dons, au moins à court terme, et les autres secteurs. Ce constat fait, comment le secteur du mécénat musical a-t-il vécu cette crise ? Les fondations qui soutiennent les musicien.ne.s ont toutes eu le même réflexe face à la crise sanitaire : prendre des nouvelles des porteurs de projet, être à l’écoute, comprendre et (ré)agir avec davantage de souplesse que d’ordinaire. Il a en effet fallu reporter, adapter ou repenser les projets, modifier les calendriers, ajuster les échéances de versement… Les mécènes ont été, semble-t-il, aux premières loges pour recueillir des retours d’expérience de musiciens et musiciennes.

Malgré la charge de travail supplémentaire, certaines fondations ont aussi décidé de prendre de la hauteur pour réfléchir à leurs axes de soutien et à leur impact : qui soutenir au mieux et comment ? La question n’est pas nouvelle – elle est au cœur de leur travail quotidien – mais elle a pris ces derniers mois une intensité nouvelle.

La crise a également mis en évidence deux idées fortes, que plusieurs grandes fondations défendaient déjà depuis quelques années :

• l’importance de l’accompagnement extra-financier. La relation entre un mécène et un artiste se construit. La fondation distributrice doit pouvoir créer un cadre pour échanger, fédérer, réunir, accompagner, former…

• l’importance de financer du fonctionnement, ce qui est d’ailleurs plus aisé pour une fondation familiale qu’une fondation d’entreprise. Nous reviendrons sur ce fameux leitmotiv des frais de structure

Ces deux idées centrales se déploieront, par capillarité, dans notre propos.

Du côté des artistes et des institutions, il est intéressant de souligner que les

“bons élèves” du secteur sont, étonnamment, ceux qui ont le plus pâti de la crise.

Ceux-là qui avaient pris soin de diversifier leur modèle économique, en augmentant notamment leurs recettes propres, sont aujourd’hui ceux qui souffrent le plus : par temps de restrictions sanitaires, pas de billetterie ni de privatisation d’espaces, par exemple. Le besoin des artistes de se tourner vers le financement privé dans le cadre de programmes spécifiques 4 n’a jamais été aussi urgent.

Enjeux stratégiques et philosophiques

La présente étude entend développer ces grandes tendances, en mettant à jour ce qui était souterrain et en dessinant des pistes de réflexion pour le monde de

demain. Devons-nous tout garder de ce réseau racinaire ou bien privilégier certains croisements, soigner certaines ramifications ? Est-ce l’heure des choix pour les acteurs de la philanthropie musicale ? Et si oui, comment, sur la base de quels cri- tères, de quelles visions-cibles, pour quelle(s) évolution(s) de l’écosystème musical global ? Faut-il nécessairement élaborer de nouvelles stratégies ? Ou bien faire monter en compétence l’ensemble du secteur musical, en trouvant des solutions pour éviter une professionnalisation asymétrique ? Faut-il préférer la continuité, en suivant les trajectoires du “monde d’avant” ? Opter pour une forme de “chacun pour soi” pragmatique et un brin fataliste ? Ou bien débusquer de nouveaux territoires à explorer ?

Les enjeux sont ici de deux ordres :

• à court et moyen termes, il s’agit de contribuer à sécuriser un secteur si- nistré – les artistes musicien.ne.s, les œuvres, les projets, les organisations, leurs publics – et à lui apporter des perspectives

• à long terme, de valoriser le sens de la musique, de l’art et de la culture, dans un projet de société qui dessine des futurs souhaitables pour toutes et tous Comment les fondations qui soutiennent les arts, la culture et en particulier la musique peuvent-elles jouer pleinement leurs rôles – c’est-à-dire avec légitimité et efficacité – et maximiser leur utilité sociale, à proportion de la responsabilité qui est la leur ? L’avenir de la musique repose-t-il sur la généralisation d’une

“philanthropie stratégique” ?

1. Peter Frumkin, Anne-Claire Pache, Arthur Gautier, Vers une philanthropie stratégique, Paris, Odile Jacob, 2020. Cet ouvrage est la traduction et l’adaptation de The essence of Strategic Giving, A Pratical Guide for Donors and Fundraisers, The University of Chicago Press, 2006 : “Dès le XVIIIème siècle et l’époque des Lumières, avant de tomber temporairement en désuétude entre le milieu du XIXème siècle et la majeure partie du XXème siècle, le concept de philanthropie s’est développé précisément par contraste avec la notion de charité, comme une pratique à la fois laïque et plus efficace du don. Avec le renouveau de la philanthropie en France depuis le début du XXIème siècle, cette vision alternative de l’aide et du don a refait surface : elle met les principes d’autonomisation et de création d’opportunités pour les bénéficiaires au cœur même de la pratique philanthropique. Cette distinction entre charité traditionnelle et pratiques philanthropiques modernes acte un tournant majeur dans la conception du don.” p. 14-15.

2. Ibidem.

3. Pour éviter toute ambigüité, certains préconisent même de ne parler de «mécénat» que dans le cadre d’une entreprise ou fondation d’entreprise.

4. Bourses aux étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, fonds d’urgence, aide aux jeunes professionnels…

(10)
(11)

“Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, Dans tout ce qui m’entoure

et me cache à la fois, Dans votre solitude où je rentre en moi-même, Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime !”

Victor HUGO, “Aux arbres”

Les Contemplations, 1856

(12)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 12

Les fondations au coeur d’un

écosystème de plus en plus concurrentiel

Les trois principales caractéristiques du rhizome philanthropique musical

La première étape de notre réflexion consiste à dégager les caractéristiques de ce rhizome-réseau, né dans le monde “d’avant”. Dans cette section, nous veillerons à distinguer les fondations qui distribuent de l’argent (grantmaking) et les fondations qui en lèvent (fundraising). À l’origine, il s’agit de deux parties séparées du rhizome.

Un rhizome qui s’est développé rapidement et librement

La course aux financements privés ne date pas d’aujourd’hui. La concurrence s’est néanmoins sensiblement accrue depuis une dizaine d’années, parallèlement à la baisse de certaines aides publiques. Certains y voient d’ailleurs la marque d’un

“désengagement de l’État”, dans une parfaite symétrie lexicale avec la sémantique philanthropique. Dans le même temps, le secteur des fondations s’est considéra- blement développé en France : plus d’un tiers des 2 600 fondations existantes fin 2020 ont été créées depuis 2010, et près des deux tiers depuis 2000 1. La dernière décennie est marquée par l’essor des fondations distributives (74% du total des fondations en 2013, 81% en 2017) qui totalisent un poids économique de 2,4 Md€) et des fondations de flux 2. Difficile de décliner ces données pour le seul secteur musical, mais nous allons nous employer à préciser la situation de ce dernier. En commençant par rappeler ce fait saillant : si la culture est le troisième domaine d’in- tervention des fondations françaises (17% s’y impliquent), derrière l’action sociale (24%) et la santé (18%), elle est bonne dernière en termes de dépenses engagées (6%) 3.

Si de nombreuses fondations soutiennent financièrement la musique, plus nom- breuses encore sont celles qui, ces dernières années, se sont crées pour lever des fonds. Des ensembles de musiciens et des entités artistiques cherchent à se struc- turer pour lever davantage de fonds privés ou franchir un cap en fundraising : William Christie crée sa FRUP (Fondation Reconnue d’Utilité Publique) 4, le Concert d’Astrée 5 d’Emmanuelle Haïm ou l’Association des Amis de l’Opéra Royal de Ver- sailles (ADOR) 6 créent leur fondation abritée… Les exemples sont légion. Directrice artistique et musicale d’accentus et d’Insula Orchestra, Laurence Equilbey a porté la Fondation Insula Orchestra – Institut de France sur les fonts baptismaux il y a moins d’un an (le premier CA a eu lieu en février dernier). Elle nous a expliqué sa

(13)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 13

genèse : “Mon désir de créer une fondation précède de loin la crise. Mais il s’est trouvé conforté par la crise, car nous avons perdu énormément de mécénat à cause d’elle.”

Pour le secrétaire général d’Insula Orchestra, Mohamed Bendjebbour, la création de la fondation est aussi intervenue “à un moment de fin de cycle. Dans ce contexte, ce nouveau véhicule vient compléter notre cercle de mécènes Accio. La fondation présente un double avantage : élargir d’une part le panel des donateurs (cf. l’Impôt sur la Fortune Immobilière), d’autre part le sens des actions entreprises par l’orchestre, c‘est-à-dire ses “projets citoyens” en faveur de l’inclusion, de l’innovation et du partage des ressources, notamment via le lancement d’une nouvelle plateforme. La fondation soutiendra également des initiatives hybrides associant l’orchestre à des projets extérieurs, voire des initiatives totalement autonomes.” Céline Portes, déléguée générale de l’ensemble Correspondances (direction Sébastien Daucé), nous parle quant à elle de la Fondation Correspondances abritée par la Fondation Bullukian :

“La fondation abritée présente selon moi plusieurs avantages. Elle est, c’est évident, un levier supplémentaire dans une stratégie de fundraising, en termes de sécurisation fiscale et donc de lien de confiance avec les donateurs. Mais elle est aussi un aiguillon, pour une forme d’exigence au quotidien : c’est un outil de gestion et notamment de gestion de la croissance de l’ensemble dont le budget a quintuplé en l’espace de cinq ans ! Notre fondation nous permet, enfin, d’entretenir des liens différents avec nos mécènes – certains font partie du Comex et sont au cœur de notre stratégie de levée de fonds. C’est un outil précieux pour accompagner la progression professionnelle de Correspondances.”

Ces nouveaux véhicules philanthropiques s’articulent à la vie de l’association mère et ce sont alors de nouvelles stratégies qui se mettent en place. Pour ceux qui se tournent vers le modèle de la fondation abritée 7, la Fondation de France apparaît souvent comme l’entité abritante idéale : “Être sous l’égide de la Fondation de France garantit un grand professionnalisme, une image de respectabilité en France comme à l’international, des processus rigoureux pour recevoir des dons de l’étranger et un gage de sérieux vis-à-vis des mécènes” selon François Bouvard, Président de la Fondation pour le Concert d’Astrée.

Ces nouveaux outils de collecte sont la partie visible du rhizome, les pousses qui sortent de terre. Elles sont le témoin de cette première grande évolution. “Pour une organisation, créer sa propre fondation constitue un message fort en matière d’enga- gement et de capacité de mobilisation. Pour donner tout son sens à cet outil, un travail de fond s’impose, aux fins de constituer une véritable communauté de donateurs et donatrices, animée par une vision partagée”, ajoute la consultante en stratégie cultu- relle Nathalie Moine. Qu’ils opèrent avec ou sans fondation, de manière souterraine ou à l’air libre, le fait que les professionnel.le.s du monde de la musique s’engagent

dans des recherches de mécénat est devenu une réalité communément partagée.

Un rhizome constitué d’entités multiples, qui accueille l’hétérogène

Le secteur du mécénat en France est marqué par la diversité de ses acteurs, en par- tie parce que la législation française a statué sur de nombreux types de fondations.

Il existe en France huit dispositifs. Les “généralistes” sont la fondation reconnue d’utilité publique qui requiert pour sa création l’autorisation de l’État, la fondation d’entreprise, la fondation abritée ou fondation sous égide et son corrélat, la fonda- tion abritante. À ces modèles classiques se sont ajoutées de nouvelles formes,

“spécialisées” et créées plus récemment : la fondation de coopération scientifique, la fondation partenariale, la fondation universitaire et la fondation hospitalière.

Sans oublier le fonds de dotation, une nouvelle structure à personnalité morale et à but non lucratif, instauré par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008.

Si toutes ces entités ne concernent évidemment pas le secteur culturel, cette diversité s’avère être l’une des caractéristiques principales du mécénat culturel français. En son sein, la musique présente une particularité : elle comporte beau- coup de petites, voire de très petites fondations abritées. Un simple coup d’œil sur l’annuaire de la Fondation de France permet d’identifier cette spécificité. La raison en est simple : la musique occupe pour certaines familles de mélomanes une place centrale de leur histoire ; il s’agit de passionnés, d’esthètes… L’idée de pérenniser une passion, de l’inscrire dans le patrimoine familial est, la plupart du temps, le moteur de leur action philanthropique. Nathalie Sauvanet (Global Head of Indivi- dual Philanthropy at BNP Paribas Wealth Management), qui connaît parfaitement le monde des grands donateurs, peut en témoigner : “Les philanthropes de la musique ont rarement besoin de moi ! Pour la plupart, et contrairement à d’autres donateurs, le soutien à la musique est leur milieu naturel, et souvent une pratique familiale de plusieurs générations. Ils n’ont pas besoin de diagnostic ou d’aide à la sélection de bénéficiaires, et lorsqu’il leur arrive d’avoir des questions, il y a des personnes dans leur famille, leur ami, leur réseau qui sont compétentes et qui peuvent les aider. C’est un cercle de passionnés, d’initiés et de fins connaisseurs.”

(14)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 14

L’hétérogénéité des acteurs philanthropiques de la musique est une caractéristique apparue dans le “monde d’avant” la crise : quelques grandes fondations d’entreprise – e.g. Orange, Mécénat Musical Société Générale, Banque Populaire – , quelques grandes fondations familiales – e.g. Fondation Bettencourt Schueller, Fondation Daniel et Nina Carasso – , des fondateurs particuliers parfois très discrets, des fonds de dotation et des fondations abritées (sous l’égide de la Fondation de France et de l’Institut de France principalement). S’ajoutent à ces fondations des acteurs publics, comme la Caisse des Dépôts 8

Si cette diversité peut être vue comme un atout, c’est parce que ces acteurs se sont mis à échanger, dialoguer et faire réseau, ce qui est un prérequis indispensable pour “faire rhizome” et une condition de réalisation des hybridations dont nous reparlerons plus loin.

Un rhizome qui conquiert d’autres biotopes

Par “autres biotopes”, nous entendons ici les entreprises, au sein desquelles la culture se fait progressivement une place, parfois jusqu’au cœur du réacteur, quand la Présidence - Direction Générale fait la preuve de son attachement à l’action philanthropique menée par la fondation de l’entreprise. Et Marie-Sophie Calot de Lardemelle, Directrice du mécénat culturel de la Fondation Orange, de souligner la forte implication de l’actuel PDG d’Orange : “Stéphane Richard est très sollicité, notamment par les collectivités ; il fait alors redescendre systématiquement et immé- diatement l’information. Il peut recommander chaleureusement un dossier de temps en temps, mais l’indépendance de la Fondation reste de mise. Très mélomane, il est administrateur de l’Opéra de Paris par ailleurs - et il l’était avant même de rejoindre Orange. L’exemplarité du PDG qui fait confiance à sa fondation crée une dynamique : tout le monde suit derrière.”

Le rhizome croît et se diversifie, et ce en maints endroits. La crise a accéléré un certain nombre de prises de conscience, y compris dans le monde de l’entreprise.

On est loin de l’époque de la proverbiale “danseuse du président” ! Aujourd’hui, en dépit des soupçons de pink- et greenwashing, il est commun qu’une entreprise française s’interroge sur sa “raison d’être” et ses pratiques, qu’elle se préoccupe de son impact social et environnemental et développe une “stratégie RSE” 9 (Respon- sabilité Sociétale des Entreprises).

Quelles conséquences ces trois caractéristiques ont-elles pour le secteur musical ?

Nous nous proposons de les approfondir en défendant l’idée qu’il faille articuler le phénomène de concurrence accrue avec la professionnalisation des acteurs du grantmaking et du fundraising musical.

1. Observatoire de la Philanthropie, Baromètre 2020

2. Observatoire de la Philanthropie, Synthèse de l’étude Fondations et Fonds de dotation 2018, p. 4 3. Ibidem

4. arts-florissants.org/fondation-les-arts-florissants-william-christie.html 5. fondationdefrance.org/fr/fondation/fondation-concert-dastree

6. La Fondation des Amis de l’Opéra Royal de Versailles - Académie des beaux-arts créée le 10 mars 2021 7. Nous rappelons ici que les principales fondations abritantes en France sont : la Fondation de France,

l’Institut de France, la Fondation Caritas France, la Fondation du judaïsme français, la Fondation du protestantisme.

8. Cet établissement public financier est souvent pris pour un acteur privé, une fondation (caissedesdepots.fr/mecenat/musique)

9. En 2019, les entreprises françaises progressent fortement et arrivent en 3e position pour leur niveau de management de la RSE, d’après la 3e édition de l’étude EcoVadis / Médiateur des entreprises, relayée par la BPI.

Professionnalisation et concurrence : la question de la philanthropie stratégique

La professionnalisation de la collecte de fonds

Parallèlement à la constitution d’un appareil juridique depuis trente ans et pour faire face à cette concurrence accrue, les fundraisers se sont formés. Ils sont désormais des professionnels qui sont parfois passés par d’autres secteurs de la philanthro- pie (médico-social, recherche et enseignement supérieur…) et qui sont souvent diplômés, du Certificat Français du Fundraising par exemple. Ils connaissent les outils qui permettent de construire une stratégie de mécénat cohérente (étude de positionnement, SWOT, pyramide de dons…), les méthodes, les techniques et le vocabulaire. Ils connaissent les processus d’octroi du don et les enjeux qu’ils sous tendent, l’importance de l’évaluation, de la mesure d’impact. Ils savent négocier des contrats, monter un échéancier, gérer la communication. Ils savent remplir une demande de dons, échanger avec les professionnel.le.s qui œuvrent au sein des fondations distributives. Leurs compétences sont techniques et relationnelles.

Toutes ces personnes font partie d’un même réseau : la plupart participe aux activités de l’Association Française des Fundraisers 1 (AFF), connaissent l’Admical 2

(15)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 15

et le Centre Français des Fonds et des Fondations 3 (CFF). Toutes échangent des bonnes pratiques, complètent leur formation par des modules spécifiques, inter- viennent dans des tables rondes, des débats, lisent la presse (ultra-) spécialisée et se tiennent au courant des innovations dans le secteur du fundraising.

Toutes, enfin, pensent le mécénat comme un secteur vaste et se donnent ainsi la capacité de s’extraire du milieu culturel, ne serait-ce que temporairement, pour aller chercher de bonnes idées et de nouveaux outils dans les autres secteurs de l’intérêt général (enseignement supérieur, solidarité,médico-social…). Il est donc aisé de comprendre que des artistes ou des administrateurs polyvalents, qui ne sont pas formés à la levée de fonds, qui n’appartiennent pas à cette sphère, aient très peu de chance de “faire le poids” face à quelqu’un dont c’est précisément le métier. Non seulement le gâteau n’est pas extensible à l’infini, mais de surcroît ses parts sont de plus en plus dures à obtenir.

Quand la philanthropie stratégique entre dans l’écosystème musical

Si la collecte de fonds s’est professionnalisée, les grantmakers, de l’autre côté, ont également fait évoluer leur modes d’action. Ce mouvement s’est développé parallèlement. Au sein des fondations, des professionnel.lle.s travaillent pour une entreprise ou une famille qui entend faire ce que l’on nomme de la “philanthropie stratégique”, c’est-à-dire construire un modèle capable de croiser trois enjeux : l’efficacité, la responsabilité et la légitimité 4.

Construire un modèle philanthropique stratégique, c’est, aujourd’hui, répondre à cinq questions :

• [sens] Qu’est-ce qui a de la valeur à la fois pour la société et pour moi ?

• [nature] Quel type d’activité aura l’effet le plus positif ?

• [responsabilité] Quel niveau d’engagement et de visibilité est-ce que je souhaite ?

• [temporalité] Quand mon don devrait-il avoir lieu ?

• [méthodologie] Quel est le meilleur véhicule à utiliser pour atteindre mes objectifs ?

Comme l’expliquent Anne-Claire Pache, professeure en innovation sociale, titulaire de la chaire Philanthropie de l’ESSEC et Arthur Gautier, directeur exécutif de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC : “Le don stratégique peut être défini comme la mise

en cohérence des cinq dimensions philanthropiques importantes […] Quand les ré- ponses aux cinq questions sont parfaitement alignées, les probabilités pour que le don ait un impact sociétal positif et que le donateur soit satisfait sont élevées. Chercher à réussir cet alignement est la principale mission du donateur stratège.”

1. https://www.fundraisers.fr 2. https://admical.org

3. https://www.centre-francais-fondations.org

4. Peter Frumkin, Anne-Claire Pache, Arthur Gautier, Vers une philanthropie stratégique, Paris, Odile Jacob, 2020, p. 19- 25. C’est cet ouvrage qui nous a fourni les concepts pour penser cette philanthropie stratégique. Le schéma (à droite) en est extrait.

Véhicule choisi pour

effectuer le don Valeur produite à

travers le don

Cadre logique

du don

Identité et style du donateur

Horizon temporel du don

(16)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 16

Les effets pervers de la professionnalisation

La professionnalisation est-elle

le terreau d’une forme de standardisation ?

Et si cette accélération de la professionnalisation du secteur avait des effets pervers qui n’avaient pas été anticipés ? Mêmes diplômes, mêmes grilles d’analyse, mêmes outils, même besoin d’agir grâce à des axes d’engagement clairs, des évaluations rigoureuses, un questionnement permanent sur les modalités de sélection des pro- jets… Et même crainte de voir rôder encore le spectre de la “danseuse du président”.

Et si le risque de l’entre-soi était le corollaire d’un essoufflement de la créativité, d’une forme de liberté, de spontanéité ? D’une prise de risques trop mesurée ? Il ne s’agit pas ici de critiquer cette montée en compétence qui, par de nombreux aspects, est extrêmement vertueuse et permet de valoriser la pratique du mécénat en lui associant toutes les valeurs soulignées plus haut : équité, transparence, impact… Il nous semble toutefois opportun de questionner les limites et le risque associé, à terme, à une forme de standardisation des pratiques professionnelles.

Un don en trois dimensions

Pour mieux comprendre ce que recouvre un tel risque, nous convoquerons trois des quatre dimensions du don telles qu’elles ont été pensées par Peter Frumkin 1, à savoir les dimensions caritative, expressive et instrumentale du don :

• la dimension caritative découle de l’héritage de la charité. Un grand nombre de dons sont en effet des actes de bienfaisance, étrangers à toutes notions de stratégie. Cette forme existe encore dans la philanthropie musicale aujourd’hui, notamment dans le cadre du mécénat individuel, mais elle nous semble plus se rapporter à une acception passée voire obsolète de l’exercice philanthropique

• la dimension expressive souligne les affects à l’œuvre dans la démarche philanthropique. Le don est souvent motivé par les passions, les convictions personnelles : “Venus à la philanthropie par le désir de faire quelque chose d’important qui donnera un sens plus grand à leur vie, certains donateurs tiennent à ce que leur don reflète leurs valeurs et leur identité 2.” Cette dimen- sion émotionnelle domine dans certaines démarches, notamment lorsqu’il s’agit d’honorer la mémoire de proches ou d’ancêtres (interprète virtuose, compositeur.trice…) 3

• la dimension instrumentale souligne quant à elle la logique rationnelle qui est à l’œuvre dans la démarche. Les donateurs ont identifié un problème de société, leur don doit donc contribuer à proposer une solution. “La question du contenu du projet financé peut être moins importante que l’opportunité qui se présente au donateur et la possibilité qu’il a de contribuer de manière significative à l’intérêt général. Pour ce genre de donateurs, obtenir un résultat concret s’avère particulièrement attirant, sans qu’ils aient besoin de mettre en avant leurs valeurs ou leurs convictions. 4

À première vue, le monde des fondations qui soutiennent la musique semble être divisé, de manière schématique, en deux grandes catégories : les “petites” fonda- tions administrées bénévolement dont le don est expressif versus les “grandes”

fondations outillées dont le don est majoritairement instrumental, bien que l’ori- gine du projet philanthropique soit à l’évidence motivée par une histoire de famille ou une vision de la société déterminée. “Nombre de fondations familiales ou d’entreprise sont très compétentes en matière d’ “ingénierie du don” : elles structurent des appels à projets, traitent méthodiquement les candidatures, procèdent à des visites sur le terrain, évaluent le mérite des projets proposés, effectuent des recommandations à leur conseil d’administration et contrôlent les organisations soutenues. Tout au long du processus, des “bailleurs de fonds” professionnels - souvent salariés - préparent le travail de comités de sélection, qui à leur tour se conforment aux priorités exprimées par les fondateurs. La relation “mandat-mandataire” ou “philanthrope-salariés de la fondation”, intrinsèque à la pratique de la philanthropie organisée, incite les salariés chargés d’attribuer les fonds à affirmer des valeurs normatives telles que la transpa- rence, la bonne gouvernance et l’équité, plutôt que des valeurs subjectives, person- nelles. En respectant avant toute chose des règles de procédure, les équipes salariées s’efforcent d’acquitter leurs responsabilités avec professionnalisme et détachement, en privilégiant les intérêts de la fondation. 5

(17)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 17

Dans la mesure où ce sont ces grandes fondations qui donnent le plus et qui ont le plus de visibilité, la question in fine d’un manque du côté de l’expressivité mérite d’être posée…

D’autres solutions méritent d’être inventées afin de lutter contre cette asymétrie de la professionnalisation, car le don appelle le don. Certains porteurs de projet sont parvenus à s’inscrire dans un cercle vertueux, d’autres n’en ont, à ce jour, toujours pas les moyens. Cela est d’autant plus saillant que la même logique est à l’œuvre du côté des subventions publiques : ceux qui savent dialoguer avec les conseillers DRAC, ceux qui ont les codes, la méthode et les outils sont ceux qui s’en sortent le mieux. Le rapport de force semble inégal, à tous les niveaux de financements.

Au regard de la crise en cours, qui agit tel un accélérateur de tendances et un révélateur, l’accroissement de la concurrence dans le secteur musical et l’hété- rogénéité du champ des fondations ne sont pas les seuls phénomènes à l’œuvre dans l’écosystème musical. La philanthropie culturelle/musicale est sujette à des hybridations. Plus ou moins délibérées ou fructueuses, elles constituent autant de viviers d’expérimentations pour un secteur culturel appelé à connaître dans une séquence post-crise d’importantes transformations.

1. Peter Frumkin, Anne-Claire Pache, Arthur Gautier, Vers une philanthropie stratégique, Paris, Odile Jacob, 2020, p. 19- 25.

2. Idem, p. 66.

3. Par exemple la Fondation Arthur Honegger, la Fondation André Boucourechliev ou la Fondation Olivier Messiaen, sous égide de la Fondation de France.Certaines associations ont par d’ailleurs cette même fonction : le centre international Nadia et Lili Boulanger, par exemple, qui est une association reconnue d’utilité publique.

4. Idem, p.62.

5. Idem, p. 64-65.

(18)
(19)

“Les arts plastiques nous montrent, encore plus que la musique,

les interférences de la commande, du mécénat et du marché.

La musique est, en quelque sorte, protégée de cette surenchère

marchande (…)”

Pierre BOULEZ, L’Art et le mécénat / La Musique et le mécénat, communication au colloque organisé par la Sorbonne

le 16.03.1996 en hommage à Paul Sacher

(20)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 20

Les fondations, fabriques

d’hybridations

À un modèle où prévalaient les arbres – métaphore du pouvoir, de la puissance symbolique et de la structure hiérarchique verticale propres aux institutions – se substitue peu à peu un modèle tenant du rhizome, caractérisé par son horizontalité, ses interconnexions, des croisements et développements nouveaux qu’il s’agit d’expliciter. Nous l’avons établi d’emblée : dans un rhizome, tout élément (la partie) peut influencer la structure (le tout), peu importe sa position ou le moment. La philanthropie connaît ainsi une évolution qui nous semble de nature à influencer l’évolution de l’écosystème musical et culturel en général.

Comme en d’autres points de la sphère culturelle, des hybridations sont à l’œuvre dans le champ des fondations. Comment ces hybridations se traduisent-elles au sein des fondations qui soutiennent la musique et dans leur environnement immé- diat (les projets mécénés) ? Sont-elles le gage de réalisations et circulations artis- tiques différentes, plus abouties ? D’une plus grande efficacité de ces fondations, autrement dit d’une utilité croissante de la philanthropie musicale ? Doivent-elles au contraire nous alerter sur l’évolution générale du secteur culturel, qui ne serait plus tant dynamique et foisonnant qu’anarchique et dispersé ? Y aurait-il une hy- bridation “contre-nature” des modes d’action publics et privés, une confusion des genres propre à mettre l’écosystème musical en péril ?

Pourtant, n’est-il pas dans la nature même du rhizome de receler un potentiel d’invention et de réinvention, des capacités d’innovation et d’émergence parfois insoupçonnées ainsi qu’une compétence pour la résilience qui ne saurait être mise en échec ? Il est tentant d’y voir une opportunité de dépassement dialectique du fameux “changer ou disparaître”. Si l’image du rhizome vient à point nommé pour se figurer les hybridations à l’œuvre, elle permet aussi de prendre conscience des atouts dont disposent les fondations et le milieu musical dans cette conjoncture particulière. De quoi nourrir l’engagement de tous ces acteurs, leur détermination à faire face ensemble, de manière à sécuriser un secteur sinistré et à lui apporter d’indispensables perspectives.

Nous faisons ainsi l’hypothèse que la crise actuelle va contribuer à repositionner les acteurs de la philanthropie, les rôles des mécènes comme des “mécénés”, ainsi que les relations qu’ils entretiennent.

(21)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 21

Des hybridations public/privé à identifier et décrypter

En quoi y a-t-il convergence des intentions et modes d’action ?

Première convergence, et non des moindres, les fondations et la puissance publique ont l’intérêt général pour socle commun. Encadré par les articles 200 et 238 bis du Code Général des Impôts, il ne saurait être réduit ici à son acception fiscale…

C’est bien l’intérêt général qui détermine la mission d’une fondation, définie comme

“l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affec- tation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif.” 1

Les fondations actives dans le champ culturel et les acteurs publics de la culture peuvent également adopter des modes d’action similaires, que la perspective soit stratégique ou opérationnelle :

• rapport au temps : comme la puissance publique, les fondations manifestent leur volonté et capacité à réagir dans l’urgence mais plus encore à agir dans la durée, ce dont témoigne Catia Riccaboni, responsable culture à la Fonda- tion de France. Leur soutien financier se déploie sur des échelles de temps identiques à celles des tutelles publiques (3 à 5 ans)

• rapport à l’expertise : à l’image des commissions des Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC), les fondations se dotent de comités d’ex- perts. Mathilde Bézard fait valoir les vertus de telles procédures : “Parce qu’il y a incarnation de la fondation en la personne du délégué ou de la déléguée générale, il y a une part de subjectivité, toutefois celle-ci est tempérée par les choix d’attribution des aides qui sont toujours le fait d’une commission.” Ce qui présente des avantages stratégiques certains (plus de transparence, d’efficacité, et donc de légitimité des dons), mais aussi des inconvénients d’un point de vue managérial : selon Manon Renonciat, Executive coach et fondatrice de l’Atelier Léonard, “la présence de ces experts est propice à l’ac- tion professionnelle des fondations, mais il faut trouver le point d’équilibre pour que le rôle des collaborateurs de la fondation, souvent très compétents dans les disciplines concernées, ne se réduise pas à celui d’exécutants”

• pratique d’une forme de transversalité : aux pratiques de mécénat “croisé”

qui désigne les programmes conjuguant, par exemple, culture et solidarité, culture et recherche médicale, ou encore culture et éducation correspondent presque trait pour trait des dispositifs publics tels que “Culture et Justice”,

“Culture et Santé” qui émaillent les cahiers des charges des opérateurs cultu- rels subventionnés, qu’ils soient labellisés (Orchestres et Opéras nationaux en région, Centres Nationaux de Création Musicale, Scènes de Musiques Actuelles) ou non. Il existe également des fondations à l’identité essentiel- lement territoriale, telle la Fondation de Lille qui se présente comme ”une fondation multi-causes”.

À une nuance près : si la puissance publique revendique, au nom de la défense de la diversité culturelle, une ambition “exhaustive” en matière de soutien aux arts vivants et à la musique – toutes esthétiques confondues – , les fondations choisissent et assument des “lignes éditoriales” et par voie de conséquence des périmètres d’action bien plus délimités : la Fondation Bettencourt Schueller sou- tient l’art choral, la Fondation Orange s’est investie de manière importante dans le renouveau de la musique baroque, etc.

Gabrielle de la Boulaye nous a donné un bel exemple d’hybridation public / privé, qui dit au passage combien le domaine patrimonial peut inspirer le domaine musical :

“La Ville de Paris est propriétaire des églises [construites avant 1905] et reste donc maître d’ouvrage (mise en place d’appel d’offres…). Cela implique que nous travaillions en étroite collaboration avec les collectivités publiques. Il faut souligner ici qu’elles aussi développent leur mécénat. Nous sommes donc amenés à construire des collabo- rations au quotidien, synonymes de confiance.”

Y a-t-il donc là matière à confusion entre secteur privé et secteur public ? Ou plutôt une forme de complémentarité ? Après tout, la tendance à l’hybridation se fait jour jusque dans la sphère artistique stricto sensu : les artistes sont encouragés à faire de la pluridisciplinarité un de leurs axes de travail (avec, pour les programmateurs, l’espoir de pouvoir “croiser” les publics), ou pour les musiciens, de travailler selon une esthétique du métissage (baroque nomade, classique et jazz, classique et mu- siques du monde, etc.). En fin de compte, ce qui est à l’œuvre dans chacune de ces sphères (publique, philanthropique, artistique), c’est la recherche de l’efficience (fonctionnement) et de l’efficacité (résultat), la volonté d’agir en articulant légi- timité, responsabilité et liberté.

(22)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 22

Une tension à exploiter ?

C’est une piste que nous aimerions esquisser, dans le prolongement de l’analyse développée par Sylvie Pébrier, enseignante au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans son essai Réinventer la musique, ses institutions, ses politiques, ses récits 2.

Sylvie Pébrier propose de considérer l’écart qui existe entre art et culture, un écart à investir plutôt qu’à dénoncer. “(…) C’est dans l[a] tension toujours à l’ouvrage [entre l’art et la culture] que se joue la possibilité pour la culture de ne pas être réduite à un instrument de stabilité sociale et pour l’art de ne pas s’égarer dans la croyance en une autonomie qui prétendrait l’exonérer de son implication sociale et politique.” 3 Suivant un raisonnement comparable, il y a un espace à investir et explorer dans l’intersection qui existe entre les différentes formes de soutien apporté à la mu- sique : en la matière, l’horizon des politiques publiques de la culture est loin de se borner au vivre ensemble républicain et accorde une place toujours plus grande aux problématiques économiques ; quant à la philanthropie, elle est indissociable des notions de responsabilité et d’impact social. Que trouve-t-on à l’intersection entre les politiques publiques de soutien à la musique et les stratégies de mécénat musical ? C’est cet hybride, ce “tiers-lieu” que constituent les fondations. De même que Sylvie Pébrier nous invite à penser la tension existante entre art et culture, nous devons considérer ces interconnexions du rhizome philanthropique et de l’action publique plutôt que de les rejeter a priori. À cet endroit s’inventent d’autres regards, d’autres manières de concevoir et mettre en œuvre le soutien à l’art en général. C’est d’ailleurs l’un des principaux leviers de motivation intrinsèque des chargé.e.s de mission et responsables de programmes, qui ont à cœur de réinvestir cette réflexion dans les relations qu’elles nouent avec les porteurs de projets et les compétences qu’elles entendent partager avec eux.

Sylvie Pébrier ambitionne de dépasser le clivage public / privé, qui n’est plus opé- rant selon elle, au profit d’un autre clivage : “(…) l’opposition obsolète entre public / privé doit être remplacée par celle de lucrativité / non lucrativité qui permet de mettre au centre la notion d’intérêt général, celui-ci pouvant être poursuivi aussi bien par des structures subventionnées que par des structures appartenant au secteur dit privé, notamment associatif, majoritaire qui plus est dans le champ de la culture (…).

L’enjeu est de veiller à maintenir un équilibre au sein d’une économie pluraliste pour que l’intérêt général prime sur la lucrativité. Pour le moment les dispositifs fiscaux, via le mécénat et le crédit d’impôt, n’étant pas suffisamment encadrés, la recherche de cet équilibre en est perturbée.” Mais, pour les fondations qui sont notre objet d’étude, la situation n’est pas aussi simple que cela.

Ni publiques, ni privées : les fondations,

actrices de la société civile et partie intégrante de l’ESS

Certaines fondations – les “opératrices” – reçoivent des financements publics.

D’autres – les fondations d’entreprise – ont des stratégies philanthropiques qui ont partie liée avec le core business de l’entreprise. Comment les fondations des- sinent-elles donc une troisième voie en hybridant modes d’action public et privé, si ce n’est en s’affirmant comme l’un des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire ? L’inscription des fondations dans le champ de l’ESS n’était pas du tout un présup- posé de notre étude et c’est justement ce qui nous a incitées à nous y intéresser de plus près.

L’article 1 de la loi du 31 juillet 2014 précise que font partie de l’ESS “les personnes morales de droit privé constituées sous forme de coopératives, de mutuelles, de fon- dations, ou d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901”. Cette même loi définit l’ESS comme un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine, auquel adhèrent des personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :

• une finalité autre que le seul partage des bénéfices (ce qui permet d’intégrer des entités aussi différentes que des sociétés commerciales ou des fonda- tions)

• une gouvernance démocratique, le mode de gouvernance étant défini par les statuts et prévoyant l’information et la participation des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations

• une lucrativité limitée

La loi ESS de 2014 “parachève le processus [législatif sur les fondations] en offrant plus de souplesse dans la création, la gestion et la dotation de[s fondations] appelées à devenir un outil de financement privilégié en faveur des autres branches de l’économie sociale et solidaire.” 4 Mais cette évolution sur près de trente ans (1987-2014) ne fait pas l’unanimité : “Les avantages fiscaux ont bien aidé. Il était aussi agréable pour des chefs de grandes entreprises de monter leur structure de charité, à l’instar de la Fon- dation Bill Gates, d’autant plus qu’émergeait le concept de responsabilité sociale des entreprises”, se souvient Jean-Philippe Poulnot. Pour le président de la fondation du groupe Up (Scop ex-Chèque Déjeuner), “certaines fondations d’entreprise classiques font fonction d’indulgence. D’un côté, l’entreprise cause des dégâts sociaux et environ- nementaux. De l’autre, sa fondation sert à se racheter une bonne conscience” 5. Elles ont beau relever officiellement de l’ESS, les fondations, à l’instar des mécènes, ne

(23)

Mécéner la musique en France aujourd’hui | Calamus & Galatea | 23

sont pas tout à fait sorties de l’ère du soupçon pour autant, ainsi que l’ont illustré le lancement de la Fondation Louis Vuitton et l’incendie de Notre-Dame de Paris.

Comme le soulignent Anne-Claire Pache et Arthur Gautier dans un édito du 02 juin 2021 6 “la philanthropie fait l’objet de critiques plus vives et nombreuses. Ces dernières portent souvent sur ses excès – en visant notamment la philanthropie des milliardaires – mais parfois aussi sur son bienfondé même, dans un contexte où les inégalités et le rôle de l’Etat sortent renforcés des crises que nous traversons.” Notre analyse critique s’attardera davantage sur la deuxième condition, la gouvernance démocratique : en dépit de l’existence de comités d’experts 7 (lesquels experts sont des tiers, hors effectifs de la fondation) qui viennent ajouter à l’expertise interne, les processus et critères de sélection des projets manquent souvent de transparence. Il n’est que de penser aux nombreux dossiers de demande de soutien retoqués sans autre forme de procès, dès lors que ces réponses négatives ne sont pas assorties de commentaires permettant de progresser et de mieux adresser des demandes ultérieures, et que le contact direct, de vive voix, demeure inenvisageable. Le pouce de l’empereur se lève ou s’abaisse, et, dans ce dernier cas, l’empereur reste souvent désespérément silencieux…

1. Article 18 de la Loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat

2. Réinventer la musique, ses institutions, ses politiques, ses récits, Editions Aedam Musicae, collection Musiques - Pédagogies, avril 2021

3. Article de L’Humanité du 7 juin 2016 : “Les fondations : un pied dans l’économie sociale, l’autre dehors”

4. Ibidem 5. Ibidem, p.16

6. Dans un édito publié à la faveur des 10 ans de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC

7. À titre d’exemple, la Fondation de France s’est adjointe l’expertise de personnalités aussi éminentes que les philosophes Bruno Latour, Vinciane Despret ou l’historienne de l’art Estelle Zhong-Mengual.

L’hybridation des rôles et des ressources, facteur d’évolution

Les tendances à l’œuvre à un niveau macroéconomique infusent les fondations

La recherche de sens qui anime les professionnels de la philanthropie - ou plutôt devrait-on dire les professionnelles, tant les organigrammes sont majoritairement féminins (il n’est que de regarder notre panel) – orchestre une “valse des rôles” ; elle va de pair avec les mouvements constatés dans le monde économique en général.

Les délégués généraux incarnent le projet de la fondation ; leur poste est marqué par un fort intuitu personae. Mathieu Romano l’exprime en ces termes : “La relation entre artiste et fondation est particulière. Les fondations sont représentées par une personne, en ce sens, nous avons un contact différent qu’avec la DRAC, par exemple.

La Fondation Orange, c’est Marie Sophie ; la Fondation Bettencourt Schueller, c’est Hedwige ; Mécénat Musical Société Générale, c’est Ulrich… Ils incarnent vraiment l’entité et on sent un engagement personnel et affectif fort.” Nonobstant la fidélité de certains délégués généraux, déléguées générales et chargé.e.s de mission à leurs postes, non seulement on ne passe plus toute sa carrière dans la même organisation, mais les rôles s’interchangent aussi de manière plus fréquente. Ainsi d’Orlane Aquilina qui a assumé différentes fonctions chez Dyson, parmi lesquelles directrice de la communication de Dyson, de la Fondation James Dyson et de la RSE pour la France, et qui est désormais Responsable Communication d’Orchestre à l’Ecole. C’est également le cas de Cécile Riaux-Berthelot qui a effectué le chemin inverse : administratrice du Choeur régional Vittoria d’Ile-de-France puis de l’Aca- démie équestre de Versailles, elle a rejoint la Fondation Bettencourt Schueller en qualité de chargée de mission Chant Choral. Ou encore d’Ombeline Eloy, aujourd’hui consultante en stratégie philanthropique, qui a été, entre autres, responsable du mécénat à la Fondation Royaumont et à la Philharmonie de Paris et a conduit plu- sieurs missions de capitalisation et de formulation stratégique pour la Fondation de France. Les porteurs de projets sont d’anciens grantmakers, et vice versa. Ce qui est un atout pour tout l’écosystème : c’est le gage d’une meilleure compréhension entre acteurs et de collaborations plus fructueuses.

Une autre hybridation remarquable consiste en l’émergence dans les grandes entreprises d’un nouveau profil sur lequel Anne-Sophie Rambert – aujourd’hui en

Referanslar

Benzer Belgeler

中華民國健保局參考美國 Medicare 發展醫療資源相對值表(Resource-Based Relative Value Scale,

“Münir Nûreddin Selçuk’un seslendirdiği Bayâti Âyîn-i Şerîf’te noktalı sekizlik ve onaltılık tartım icrâsında farklılıklar var mıdır?” alt problemine

Sıra bizim yemek yememize gelince oldukça değişik yemek çeşitlerinin bu­ lunduğu yemek listesinden başlangıç için, peynir sufle sebzeli, kurbağa ba­ cağı İnegöl

Şimdi ortaya bir soru atalım am a yanıtına sonra dönelim: Sayın Cumhurbaşkanı Adayı B aş­ bakan Turgut O zal, neden ikide bir büyük otel­ lerin, tatil

Genel Başkanı Altan Öymen, Kışlalı suikastıyla laik Cumhuriyef i savunanlara gözdağı vermek isteyenlerin amaçlarına ulaşamayacaklarını söyledi. Öymen,

Ayd~n kemer parçalar~~ üzerinde daha önce de belirtti~imiz gibi, ana bezek- ler olarak bo~a ve arslan betimlemeleri görülmektedir.. Kemer yüzeyinde yer alan bo~alar (lev. t a,b),

Tablo-12’deki verilerden anlaşılacağı gibi iktidar ve muhalefet partilerine mensup milletvekillerinin sayılarına göre (toplam iktidar partisi üyeleri toplam

His funerai included the saddest Sema because Konya had lost its great spiritual guide and Anatolia one of its dazzling cultur­ al figures.. Significantly, the