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Nazım Hikmet

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Academic year: 2021

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Tam metin

(1)

Le colloque Kafka à Prague

TARIFS D ’ABO N N EM EN TS s 1 cm 6 mois 3 mol»

F r a n c e ...

F

38 20 12

Spécial étudiant

. .

F

30

16

8,50

Etranger...

F

48 25 13

C C P. Pari* 152-25

i Rédaction : PRO. 73-67

Fondées en 1942 par Jacques DECOUR (fusillé par les nazi«)

Directeur : ARAGON

Administration-Publicité : LAF. 15-17 ■ ■ ■ 5 ,

rue du

F^Pomotmière, Paris-9* . PRO. 59-50

Suisse : 1 fr. 60 — Belgique : 16 ff.

Italie : 280 lire*

PRIX : 1

N” 981 — Du 6 juin au 11 juin 1963

HİKMET

TESTAMENT

p

C

A M ARA DE S, s’ il ne m'est pas donné de vivre ce jour-là

Si, en somme, j ’allais mourir avant que notre jour arrive Portez-moi en Anatolie

Enterrez-moi dans un cimetière de village.

Q u ’à mes côtés reposent Osman le journalier Assassiné par Hassane bey

Et Ayche morte avant ses relevailles

Avant enfanté sur le sol dans un champ de seigle

Que des chansons et des tracteurs défilent le l u parfum de jeunesse et d’essence brûlée à la Les champ» à tô t», ica canaux r e m p l i ) a eau N i sécheresse ni peur du gendarme

du cimetière ur de l'aube

Nous ne les entendrons certes pas, ces chansons Sous terre, sourds, aveugles, muets

Les morts, comme des branches noires s'effritent Allongés de tout leur long

Mais bien avant qu’elles aient été faites M o i, ces chansons, je les ai chantées Et j’ ai senti l'àcre odeur de l’essence Avant même que les tracteurs aient été inventés

Quant à mes voisin»

Ayche la martyre et Osman le journalier Ils avaient, de leur vivant, une grand nostalgie Peut-être sans savoir pourquoi

Camarades, je veux dire que si j'allais mourir avant ce jour-là Et ça m ’en a tout l ’air

Enterrez-moi, en Anatolie, dans un cimetière de village Et, si possible, un platane au-dessus.de m oi suffit Je me passerai bien de pierre et d'épitaphe.

Traduction det amis de-Nazim à Paris.

PORTRAIT DE NAZIM par Arbat

N

O N , je ne peux écrire, pas mainte­ nant, je vous en prie. L a i s s e z - l e mourir tou t à fait pour m oi, aupara­ vant, je ne peu x pas écrire de cela tant qu’ en m oi c'est tou­ jours ce vivant, ce jeune hom m e à soixante ans, ce tau­ reau blond, que rien, la pri­ son, la maladie, l’âge, n’avait pu marquer. Pas maintenant. Plus tard, j ’écrirai, je le pro­ mets, ici-m êm e, autre chose : il ne s’ agira pas de sa mort, mais de sa vie. Je vous le promets, il faut me laisser le tem ps, une longue, une pro­ fond e respiration. J ’ a v a i s em porté avec m oi à la campa­ gn e pour la Pentecôte le der­ nier numéro de la revue

Znamia qui contenait la fin

d e son roman, Les Romanti­

ques, reçu samedi matin. Pour

la Pentecôte, c’ était la mort d e Jean X X 1 U q u e les gens attendaient, pas la sienne. D ’heure en heure, à la radio, lit le lundi matin, le Pape vivait encore... Nazim, rien ne nous avait prévenu, il n’a pas connu l’agonie, il est mort d e b o u t com m e cela, dans l'escalier, d'un coup. U est

En é* page

Un poème et un extrait

d'un roman inédit

de Naxim HIKMET

et /es textes d’hommage de

Charles DOBZYNSKI

Jean MARCENAC

Philippe SOUPAULT

Tristan TZARA.

m ort vivant. Il est tom bé com m e un arbre. Laissez-moi le temps qu’ il meure pour moi. A lors j’ écrirai pour vous, longuement, ce qu'il était pour moi, ce qu’il était pour les autres, ici, le mois prochain peut-être, laissez-moi jusqu’ à l'été, jusqu'à juillet, ce mois qui lui ressemble. Laissez-moi le temps de comprendre que ces quatre vers écrits en pri­ son il y a de cela dix-huit ans, sous la form e d’ un

rubaï, à l ’imitation du poète

mystique turc Mevlana Djela- leddin ou du persan Omar Khayyam, ont cessé d’être une prédiction :

Fini, dira un jour notre mère [Nature, Fini de rire et de pleurer, mon

[enfant. Et ce sera de nouveau la vie

[immense Q ui ne voit pas, qui ne parle

[pas, qui ne pense pas.

Le l u n d i de Pentecôte, au matin, il n'y avait pas deux heures qu’il était tom bé, le téléphone. Nazim. O mort, de nos jours, çom me tu vas vite ! Pas deux heures, lu avais tra­ versé l’ Europe, tu m'avais cherché, tu m e trouvais dans cette maison des Y velincs, tu m ’avais atteint, ô mort du téléphone, mort i m m c n s e qu’on ne voit pas, qu'on ne pense pas encore, qui n’es encore qu’un mot, un nom. et je dis non, pas Nazim. Si. Lui. Nazim... Lui, et pas un autre. Lui com m e les autres. Et je me suis souvenu de cet enfant de son poèm e qui disait :

— A la guerre, si l ’on tue un [giaour et que l ’on boit une goutte

de son sang, la peur disparaît, parait-il.

Je ne boirai pas une goutte de son sang. La vie immense...

qui ne parle pas...

La

pre­

mière fois, Nazim, qu’ on m’a porté d e toi, c'était en 1934, tu étais en prison, alors j’ ai pu écrire. N o tre amitié n’aura pas duré trente ans. C’ est si peu, trente ans. En 1950, quand nous Pavons tiré de prison, nous tous, le peuple turc, les poètes de partout, tu es entré tout droit dans la vie, un quatorze juillet. Al,iis cette année, impatient que tu es, Nazim, tu n’as pas attendu le mois de juillet... T reize ans à l’air libre, ou presque, de qua­ rante-huit à soixante et un, c’ est ce qu’on appelle une belle vie. T reize ans, c'est beaucoup. Tu es m ort libre, c'est beaucoup. Parce que tu es mort. N ous allons nous faire à cette idée. Essayer d'imaginer sans toi le paysage

humain... com m e tu disais, le

paysage sans cet arbre, La vie immense.

ARAGON.

Notre ami

N

A Z IM était notre ami, noire cama­ rade. Entre lui et ce journal s’étaient tissé des l i e n s dont la campagne qui obtint sa libération ne fut qu'un signe plus apparent que d'autres. U n’y avait pas non plus cuire nous que les p o è­ mes de Nazim, l'effort pour les faire fuisses en français, la collaboration d’un poète — un des plus grands que ce siècle ait connu — au jour­ nal qu'il aimait et considérait à juste titre com m e sien, il y avait Nazim, l'homme Nazim, la voix merveilleuse de Na­ zim, la force vivante, conta­ gieuse de Nazim. Tout ce qui nous est ôté d’un coup, qui

Pierre DAIX.

L A S U I T E E N 6’ PAO E

(2)

PAGE 6 ★

HOMMAGE

LES LETTRES FRANÇAISES ★

N A ZIM H İKM ET

Le poète

fraternel

A

U X a m is d e N azim , la m o r t d u p oète a p p a ra ît so u s u n jo u r in su p p o r­ ta b le. D epu is lon g te m p s , ils con n a issen t la v a le u r d e ce t h om m e p o u r q u i c h a ­ q u e m o t serva it à g lo r ifie r la b e a u té d e la vie. L a p o é s ie d e N a zim es t fa ite d e la p r é s e n ­ c e d e la vie, d e la c r o y a n c e en c e tte con tin u ité q u i, t r a n s m i­ se d ’h o m m e à h o m m e, a la tra n sp a ren ce d e l’étern ité .

M ais lo rs q u e la m o r t v ie n t fr a p p e r si près d e n o tr e c œ u r q u e n ou s en p e r c e v o n s les d es­ seins irrév ersib les, lo r s q u 'e lle abat u n ê tr e ch e r — u n a rb re d a n s son p le in f e u illa g e d e p r in tem p s — p e u t-o n se sou s­ tr a ire à l ’im a g e in sista n te d e la sin g u la rité q u e re p r é s e n ­ ta it sa v ie , c e lle q u i p r o d ig u a it a m itié e t e s p o ir, q u i a v a it u n v is a g e à lu i, u n e d é m a r c h e p a rticu liè re , u n e f a ç o n p r é cis e d e réa gir, d e m a n ife s t e r sa c o ­ lère ou d e r ir e e t d e s’é m e r ­ v e ille r ?

S i la m o r t e st ù c h a q u e in s­ tan t c a p a b le — p a r ses co u p s a rb itr a ire s, a b s u rd e s, stu p i­ d e s — d e m e t tr e e n lu m iè r e l'im p o r ta n c e d e la v ie e t son illim ité p o u v o ir d e cré a tio n , si la m ort, b ien q u e sou s u n e fo r m e n é g a tiv e , a p p a rtie n t e lle -m ê m e e n c o r e à la v ie , rie n n e s a u ra it c o m p e n s e r l 'a b ­ sen ce d é fin itiv e d ’ un ê tr e a i­ m é. L e s g o u v e rn a n ts a ctu e ls et p r o v is o ir e s d e son p a y s d ’o r i ­ g in e p o u rro n t-ils se d é b a r r a s ­ ser d e la m a u v a is e c o n s c ie n ­ c e q u e d e v r a it s u s cite r e n e u x la m ort d e c e gra n d p o è te ? N u l d o u te q u e les b lessu res qu i m a rq u è re n t N a zim p en d a n t son lon g s é jo u r à la p r ison d e B ro u s se n e fin is s e n t p a r se tr a n s fo r m e r en u n e so rte d e b lessu re n a tio n a le , en u n e d o u le u r p o r ta n t d a n s sa p r o ­ f o n d e u r les germ es d e ce t a v e ­ n ir q u e sa p o é s ie a v a it p r é fi­ gu ré. C e son t les p a ro le s m êm es d u p e u p le tu rc q u e N a zim s a v a it p u is e r à des s o u rc e s a u th en tiq u es e t sa vou reu ses. E t c ’est p o u r ce la q u ’elles n ou s c o n c e r n e n t tou s.

Tristan TZARA.

S A V IE

Nazim H ikm et est né en

1902 à Salonique, où son

grand-père, N azim Pacha, éta it gou vern eu r de la ville. V enu à Istanbul a v ec sa fa ­ m ille à la fin de la gu erre des Balkans, il y passe son en fa n ce.

En 1919, lors de l’occu p a ­ tion d'Istanbul, Nazim. H ik­ m et, qui éta it alors à l’Ecole N avale, rejo in t la résista nce n ationa le e tï l u tt e en A n a to­ lie c o n t r é e l’in terven tion étra n g ère. Il séjou rn e à A n ­

kara et à Bolu, puis il se

ren d en Union S oviétique pou r y suivre l’ex p érie n ce révolution naire. Il e n tr e à l’ U n iversité des Travailleurs d ’O rien t à M oscou et ren con ­

tre M aïakovski, M eyerh old et

N icolas Ekk.

R en tré en Turquie en 1924. il y m ilite dans la cla n d esti­ n ité au Parti C om m u n iste Turc où il a la resp on sa bilité d e plusieurs publications. C on d a m n é p a r cou tu m a ce à

15 an s de réclu sion , il rev ien t

en Union S oviétiqu e où il d e­ m eure ju sq u ’en 1929.

D e n ou veau rev en u en Tur­ quie, il p a rticip e à la vie littéraire ju sq u ’en 1937, s’a f­ firm an t des les prem iers ou vrages qu’il publie au cotirs de c e t te p ériod e : 835 lignes,

La J ocon d e et S ija On, Et de T rois, L a ville qui a perdu sa voix, Pou rquoi B en erdji s'est tué. Le télégram m e ve­ nu de nuit. Lettrgs à ma fem m e. L ’épopée au cheik B edreddin. Ses p ièces, jo u ées

avec su ccès, son t in terd ites par les a u torités. En 1937. de nouvelles p ou rsu ites sotit in­ ten tée s c o n tr e lui qui se v oit condam né, en 1938, à 28 ans de prison.

Nazim H ik m et passe alors treize ans dans les prisons d’A natolie, n ota m m en t, dans les dernières a n n ées, à la prison de B rou sse où il écrit

l'Epopée de la guerre d e l ’In ­ dépendance e t les soixa n te

mille vers des Paysages h u ­

m ains d ont u ne pa rtie a paru

d ern ièrem en t en fran çais sous le titre r n cette année

dix-neuf cen t quarante et un

(voir la ch ron iqu e de poésie de R ené L a côte du 3 ja n v ier d ern ier). Les p oèm es d e Na­ zim H ikm et, interdits, circu ­ len t clan d estin em en t et m ê­ me ora lem en t à travers le pays. En 1950, une. cam pagn e interna tionale est organisée en faveu r du p o è te d ont la santé est gra vem en t m en a cée par le régim e pén iten tiaire.

Libéré en ju illet 1950. après d eu x grèves de la faim et grâ ce au sou tien de la cam ­ pagne m ondiale. Nazim Hik­ m et. m enacé d e tPort. éch a p ­ p e à ses ennem is et se réfu ­ gie en Union Soviétique. Ins­ tallé depuis c e tte d ate à M os­ cou, où il d evrait observer un repos absolu en raison de l’infarctus du m yocarde d ont il est a ttein t depuis ses an­ nées de prison. Nazim Hlk- m e‘ a u ne a ctiv ité Intense. C'est au cours de c e tte d er­ n ière période nu'il fait trois sétours dans n o tre pays, é cri­ vant de nom breu x poèm es et assum ant un rôle de prem ier plan dans la lu tte pour la paix.

Il est là près de moi

T '

A '

O

N voudrait briser le miroir qui tout à coup s’ embrume et ne reflète que la nuit la plus noire. On voudrait retenir, arracher à l’ombre, à l'engloutissement, l ’ i m a g e qui s'échappe, le visage qui s'éva­ nouit comme ça, sans un mot, sans adieu, emporté par on ne sait quel vent, quelle trahison de la vie...

On crie : ce n’ est pas vrai. On pense : c ’est impossible. La mort et Nazim. Non, ça sonne faux. Cette foudre aveugle, qui frappe au hasard, voilà q u ’elle vous brû­ le cœur, qu’elle calcine la lumière du jour. On *e dit : il y a maldonne, déni de justice, déni de vie. E t puis le refus est inutile. On ne peut mesurer l'absence, la dimension du vide. I-a m ort et Nazim. M isérable vie. E t puis les mots qui mentent, qui déform ent, alors qu'il ne reste plus qu’à se taire et à pleurer...

Il est là près de moi. Il sourit, de ce sourire à lui qui cristalli­ sait toute la bonté, toute la gen­ tillesse du monde. L ’ironie aussi, car il était un redoutable adver­ saire du mensonge et de l’hypo­ crisie et il lui suffisait d’tm mot, d'une étincelle d'humour, d ’un trait malicieux, puisés dans cette sagesse populaire, dans ce bon sens paysan, dans ce génie quoti­ dien de la vérité dont il détenait le secret, pour faire tomber les masques et les réduire en pous­ sière. 11 sourit et la m ort recule, qui ne sou ffre pas le soleil. La m ort, il la portait en lui depuis si longtemps, qu’elle semblait avoir renoncé à sa proie. Il rayonnait de vie au point qu’il semblait l’avoir apprivoisée connue un vieu x fauve fidèle, après l'avoir cent fois défiée dans la lutte, en prison, au cours de ses grèves de la faim, dans sa fuite de Turquie, dans la maladie même qui l’avait terrassé. Il en parlait com m e d ’une compagne, et ses paroles, ses poèmes, exorcisaient la mena­ ce permanente, la mût terrée au

fond du cœ ur et prête à bondir. La chienne, voilà qu’d le a pris sa revanche, sournoisement, impla­ cablement. et qu’elle oblige main- nant les mots à lui obéir, à se mettre au passé, comme si le poète le plus vivant et le plus d i­

gue de ce nom lui avait laissé le champ libre une fois pour toutes. Comme s’il avait décidé de ne plus nous regarder de ses yeux de ciel bleu, de ne j»us s'asseoir à notre table, de ne plus plai­ santer com me il savait le faire, avec ce sens prodigieux de la m é­ taphore, qui donnait à la m oindre anecdote les ailes de la poésie et la couleur de l'adage...

Il est là près de moi, avec nos amis Gusin et Abidine, dans ce ca fé du B ou l’ M ich où il aimait s’installer, com me à un carre­ fou r de l’aventure, et où, un jou r, un inconnu qui l’avait en­ tendu parler tu rc lui récita un de ses poèmes anciens appris par cœur, poèm e dont il avait lui- mêm e depuis longtemps perdu le texte...

Il est là près de moi, avec V éra, sa com pagne, dans ce petit hôtel du quartier Latin où il ha­ bitait lors de ses séjours à Paris, et encore l’ hiver dernier, dans le fro id glacial qui l’obligeait à quit­ ter la chambre mal chauffée, et il me lit encore des poèmes, pour la traduction, il m ’ en décrit cha­ que image, m ’en explique le sens et le rythme, dans son français chantant, cherchant parfois un mot, une équivalence que je l ’ai­ dais à retrouver ou à choisir en­ tre plusieurs solutions. L ’écouter ainsi disant ses poèmes en turc, orchestrant du regard et de la voix l’extraordinaire harmonie des vocables, leurs rencontres, leurs assonances, cette alliance parfaite de la form e et du fond, de la musique e t de l’idée que cé­ lébrait chacun de ses vers, c’ était vivre sa poésie et la sentir vivre non point comme une association de mots, mais com m e une force agissante, une matière toujours neuve, dispensatrice d ’énergie et d’espérance.

C

A R ce poète, cet homme qui avait tant sou ffert dans sa chair et son cœur, que les années de prison et d’exil n’avaient pu réussir à abattre, vivait d’aider les autres à vivre. Et pourtant l'ombre de la nostal­ gie, du déracinement, s’étendait en lui et sur lui, bien q u ’il fut par sa poésie le citoyen du m on­ de, bien que l’Union Soviétique, devenue sa seconde p a trie, l'ait adopté com m e un fils non com ­ me un exilé, il gardait en lui cet­ te blessure lancinante d'un autre horizon, de la terre d’Anatolie interdite à ses yeux, à ses pas, à ses livres, et qu’il avait pourtant chantée com m e nul autre dans scs « Paysages humains » créant une épopée à partir de la quoti­ dienne sou ffran ce et de la beau­ té du courage et de la ténacité de son peuple malheureux. Son peuple qui ne pouvait le lire et qui pourtant connaissait ses poè­ mes, transmis de bouche en bou ­ che, passés en contrebande, e x ­ primant son âme dans l'anony­ mat, malgré l'analphabétisme et la police.

« O n ne peut pas vivre sans pain, on ne peut pas non plus vi­ vre sans sa patrie » . H u go avait raison : l'exil est un poison m or­ tel. Et la nostalgie peut tuer aus­ si sûrement, aussi lentement, que l'angine de poitrine. A u jou r­

d ’hui retrouvant les poèmes qu’il m ’a laissés, dactylographiés sur sa petite machine turque aux ca­ ractères différem m ent placés où je m ’embrouillais en tapant, j ’y vois sourdre à chaque mot la m é­ lancolie la plus déchirante, la pré­ monition du coup fatal qui achève

de détruire le cristal du < cœur fêlé » . Et je serre les poings en pensant qu’il n’aura pas revu sa terre natale...

Il est là près de m oi, cela fait q u oi ? S ix mois à peine, dans cet hiver de P aris qui l’avait obligé à se c o iffe r , comme à M oscou, d’une toque de fourrure. E t entre-temps, la m ort de Pierre Courtade, un de ses amis les plus chers...

Il me parlait de ses projets, du roman qu’ il venait de term i­ ner et qu’ il souhaitait v o ir pa­ raître à Paris comme il rêvait d ’y' v oir jou er, un jour, l’ une de ses pièces de théâtre. Paris où il aimait évoquer le souvenir de sa m ère qui y avait vécu longtemps, et qu’il avait découvert à son tour, en pleine tragédie, an prin­ temps noir de 1958, passionné, au mom ent du

13

mai, par le destin d ’un peuple qui lui tenait p rofon ­ dément au cœur.

I

L est là près de moi. O n dira quel poète il fut, l ’un des plus grands de ce temps, celui qui nous quitte dix ans après Paul Eluard. On dira l’importan­ ce et la diversité de son œuvre,

qui tém oigne pour un peuple et pour toute l'humanité. Il voulait que la poésie fû t transparente, compréhensible à la fois pour les simples gens et pour les intellec­ tuels il voulait qu'elle fû t un art direct, comme le cinéma, et il prenait pour exem ple Charlie Chaplin.

O n dira quel poète il fut, ce petit-fils d ’un pacha kurde de l’empire ottoman, qui renouvela la poésie turque en y introdui­ sant le vocabulaire, les expres­ sions typiques, le folklore et sur­ tout les aspirations profondes des simples gens de son pays. On di­ ra quelle sympathie immédiate, quelle amitié il savait inspirer dès le premier abord cet homme pour qui la bonté n’était i>oint « cette contrée énorme où tout se tait » dont parlait A p olli­ naire, parce qu’il en avait fait le dom aine quotidien de sa pensée et d e son activité de poète.

Il est là près de moi, et j ’es­ saie de fix er une fois encore la haute stature, le visage m agnifi­ que d ’ un poète qui fu t le miroir de son peuple et qui sut comme nul autre parier pour tous. Mais le silence se referm e sur l’ image et sur le souvenir. On ne peut pas parler de Nazim H ikmet au passé. Laissez-m oi seul, avec le silence, écouter sa v o ix et l’écho de sa v o ix qui roule vers l'avenir.

Ch. DOBZYNSKI.

Un don prodigieux

de donner confiance

U

N grand , un très grand

p o è te vien t d e m ou rir. C ette ph rase, qui est

cru elle co m m e un télég ra m m e, n ous atteint c o m m e u n e f lè c h e e n p le in cœ u r. Mais la su ite, nous n e p ou v on s l'a ccep ter. Nazim H ik m et, grand p o è te

tu rc, est m ort. Pas d e c o m m e n ­

taire*. C’ était un p o è te , un p o in t c ’ est tou t.

Sa vie f u t ex e m p la ir e . Il n ’ a jam ais ren o n cé à la p o é s ie e t, pen d a n t les d ix -sep t an n ées q u ’ il a pa ssées en prison , il a su d on n er un sen s n ou veau n la p o é sie. Il n’ a pas abd iqu é.

C eu x q u i, co m m e lui, on t vécu en p rison d oiv en t se sou ­ venir d e c e q u e rep ré s e n te la ca ptivité. C om m en t n e pas lo u e r celu i qui a p u dans son ca ch ot ex a lte r le trio m p h e d e la v ie, la pu issan ce d e la fr a ­ ter n ité ? L ’ h o m m a g e q u ’ il fa u t lui a d resser n’ est p a t à la p o r té e d es in d ifféren ts. Son œ u v re d e ­ m e u r e e t c ’ est à n ous, les sur­ vivants ( p o u r c o m b ien de tem p s ? ) , d e l’ exa lter,

La m ort n e d oit pas nous bâillon n er. Il es t tro p fa cile d e je t e r d es fleu rs sur u n e to m b e , pu is d e g a rd er le silen ce.

Il im p o r te q u e N azim H ik m et d e m e u r e parm i n o u s , q u e, c o m m e il le sou haitait avec tant d ’ ard eu r e t d ’ en th ou sia s­ m e , ses m e rv e ille u x p o è m e s soien t lu s e t com p ris pa r le plu s grand n om b re.

T ou s c e u x q u i o n t con n u c e p o è te n’o u b lie n t pas q u ’ il avait l e d on p r o d ig ie u x d e d on n er co n fia n c e . O n a h o n te d e n e pas avoir eu l e tem p s, avant sa m o rt, d e té m o ig n e r e t d 'a ffir m e r la gra n d eu r d e c e p o è te .

Ph. SOUPAULT.

NAZIM HIKMET

Le navire à mille mâts!

y

Autobiographie

Il iaisait trente-sept degrés sous zéro. Sur le tard. Kerim et moi nous sommes allés à un hammam dans une des petites rues derrière l'avenue Tverskoï. Les grandes serviettes de bains habituelles manquaient et nous n'avions ja* mais pu nous taire à cette nudité intégrale. Nous nous sommes quand même lavés en tenant les bassines de cuisine devant nous, évitant de nous regarder. A la sortie, la nuit était déjà tombée et les lampes allumées. Le givre recouvrait les vitres des tramways et les vitrines. Les traîneaux pas­ saient sans cesse et il taisait un troid à geler le crachat en l'air. Un froid qui vous rappelait le dicton anatolien : « Les renards pisseront du cuivre. • Les pas­ sants se pressaient, courant pres­ que. la plupart chaussés de bot­ tes de feutre. Devant nous, une femme glisse et tombe. Nous la relevons. Dans nos capotes mili­ taires avec les côtés de nos bon­ nets Boudionny pointus rabattus et boutonnés sous le menton, nous gelons quand même. La rumeur de la ville se cristallise dans le froid. Je montre à Kerim une fille qui nous croise *

— Regarde ! Ses Joues sont toutes rouges. Qu'elle est belle !

— Elles sont rouges parce qu elle a bien froid ! répliqua Ke­ rim. Quant à son nez il est com­ me une pivoine.

La ville vit encore une de cee nuits hivernales comme tant d'au­ tres. Elle ne sait rien du boule­ versement qui va se produire. Et non seulement Moscou, mais Pa­ ris. New York, Istanbul, Singa­ pour, Pékin, toutes les villes du monde ignorent ce qui les attend. Dans l'une c'est le matin ; dans l'autre c'est l'aube ou la chaleur de midi. A vec leurs douleurs et leurs joies, leurs espoirs et leurs peines, leurs voitures, charrettes, pousse-pousse, leurs usines et ma­ gasins, leurs maisons de pierre, de bois ou de papier, avec leurs habitants allant au travail, beso­ gnant flânant, assis dans les ca­ fés, s'embrassant dans les parcs, emplissant les cinémas, avec leurs nouveau-nés et leurs morts, les villes poursuivent leur existence de tous les jours. A part quelques personnes, nul sur cette terre ne pressent le cataclysme qui écla­ tera bientôt, très bientôt, dans cinq minutes.

Nous étions près du cinéma Chat noir quand, quelque part, les grandes portes en bois de la cour s'ouvrirent brusquement. Je ne me rendis pas compte de l'endroit où cela se passait, à côté ou devant nous. Des camions et des gens déferlaient à travers la porte. Et l'entendis un cri. C'était certaine­ ment plusieurs personnes qui criaient en cet instant. Mais à moi, il me semblait entendre une grande clameur unique, un puis­ sant cri humain émergeant de la nuit, du froid, de la longue ave­ nue illuminée et fourmillante : « Lénine est mort ! »

Que se passa-t-il ensuite ? Je vis les événements par recoupement et non dans l'ordre du temps. 11 en était de même pour ce que t'entendis. Les gens arrachaient les journaux des mains de ceux gui venaient de bondir hors des portes. Un tramway s'arrêta net devant moi et se vida en un clin d'œil. Tous les tramways étaient arrêtés, tous vides. J# n'en­ tends plus rien. Un vieil homme pleure. Il a ôté son bonnet de feutre et le tient pressé contre sa poitrine. De plus, il est chauve. Il pleure sans arrêt. Les traineaux sont là immobiles et vides. La ioule déferle toujours des ciné­ mas comme fuyant un incendie. Elle sort des restaurants, des mai­ sons pour se jeter dans l'avenu« Tverskoï recouvert«, maintenant.

de grappes humaines se bouscu­ lant autour des vendeurs de jour­ naux. Un conducteur est là assis sur la marche du train et il pleure. La fille aux joues rouges que nous avions vue tout à l'heure est là et elle pleure. Kérim pleure aussi, le Journal dans les mains. Mais moi je n'entends rien. Tout ce que je vois se déroule à l'intérieur d'un vaste aquarium sans bords, sans fond. Un homme tomJt>«. Et puis encore un autre. Je vois les gens s'étreignant, sanglotant sur l'épaule les uns des autres, mais Je n'entends pas le moindre son. Quelqu'un me tire par U bras. Je me retourne. C'est une bonne fem. me toute ridée, toute petite, emmi­ touflée dans une pelisse et un châle. Elle me tire le bras et sa bouche édentée dit des choses. Je ne comprends pas. Je me penche et une voix de petite fille pleine d'un effroi de petite fille me de­ mande i « Est-ce bien Lénine qui est mort ? »

Je hoche la tête. « C'est donc qu'il est mort... • Je crois qu'elle

Si-Ya-Ou et moi nous ne pouvions rester assis dans notre chambre. Notre solitude à deux était trop lourde. Nous allâmes au dortoir. Ils étaient tous là, allongés sur les lits, silencieux. L'un d'eux commence à se déshabiller. Nous le regardons sans hostilité ni dé­ goût mais avec étonnement. Nous le regardons comme s'il accom­ plissait un périlleux numéro d'acro­ batie. Il se couche, tire la couver­ ture par-dessus sa tête. Nous con­

tinuons à le regarder.

Vers le matin, ce rut mon tour de garde. J'étais là debout à l'in­ térieur de la porte, tenant ce fusil que je ne sais même pas manier.

On porta Lénine à la salle des Colonnes.

Des quatre coins du pays les trains convergent sur Moscou, chargés de ceux qui veulent voir Lénine une dernière fois. La lon­

gue foule qui pénètre à la salle des Colonnes par une porte pour le voir et qui en sort par une autre, ne prend fin qu'au dehors de la ville. Dans les rues, sur les

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E x tra it d'un roman in éd it

de N A Z IM HIKMET

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ra sortir io n crucifix. Mai* non. elle ms lâche le brax. « Pauvres de noue I. dit-elle. Pauvre* de nous... »

Pauvre* de nous, paurres de nous... Sa voix s'enfle et grandit et prend de l’ampleur, tel le géant du conte qui se glisse hors de la bouteille. Puis soudain, elle se perd et il n'y a plus que ma propre voix. Le |our où l'on a en­ terré mon grand-père, il y avait dix, peut-être vingt personnes qui sanglotaient à la lois et l'on pour- rait aussi bien entendre les san­ glots de cent personnes pleurant ensemble. Mais la douleur d'une ville entière, cette voix on ne peut l'écouter longtemps. Pour sauve­ garder les nerts. le cerveau, la pensée, pour ne pas devenir fou, toute la volonté se concentre pour ne pas écouter et ce n'est plus la voix que l'on entend mais un grand sanglot qui s'élève tout seul.

En rentrant, on nous dit t . Les communistes monteront la garde. .

places, d'énormes feux brûlent jour et nuit et la longue foule dé- file toujours à la salle des Colon­ nes. Les ambulances transportent vers les hôpitaux les gelés, les malades.

La nuit du second Jour Petros- sian est arrivé. ■ Habille-toi vite Ahmet » me dit-il. Nous nous som­ mes entassés avec difficulté dans un camion ouvert. Traversant les rues pleines de gens qui se ré­ chauffaient autour de grands ieux. Enfin, nous sommes arrivés à la port* arrière de la salle des Colon­ nes. • Tu monteras la garde au­ près de Lénine pendant cinq minu­ tes au nom de l'Université ». me dit Petrossian.

La bâtisse qui s’appelle la sali* des Colonnes servait de club aux officiers du Tzar. Je crois qu'à pré­ sent elle est un club de syndicats. Je montais par l'escalier arrière. Quelque part on jouait une mar­ che funèbre. l’entrais dans une salle. Du marbre, du doré, du ve­ lours rouge... Les gens rassemblés.

UN MAITRE DE L'ESPOIR

A

trente-six

a n s , en

1938, Nazim Hikmet

est entré dans la

prison de Brousse. Il en

est sorti le 14 juillet 1950.

Cela fait douze ans seule­

ment, douze

ans

qu’il

avait à nouveau en parta­

ge autrement qu’en rêve

la

vivante lumière du

monde. Et la mort de cet

homme de soixante ans,

à qui la mort vient de

voler le peu que lui lais­

sait la vie, est aussi dé­

chirante, aussi injuste que

celle d ’un enfant.

Qui

saura

désormais

comme lui,

tendre

aux

hommes le miroir de ma­

jesté où ils lisent que

rien ne les courbe ? C’est

un des maîtres de l’espoir

qui nous

quitte...

Qu’il

nous

pardonne

de

le

pleurer avec tant d’amer­

tume et de nous révolter

devant sa fin comme de­

vant une injure incom­

préhensible. Demain nous

entendrons ce qu’il nous

crie toujours, depuis tou­

jours, et nous saurons que

rien ne prévaut contre

nous. Mais aujourd’hui il

n ’y a que les larmes, et

Nazim qui attend, comp­

tant sur nous, derrière les

barreaux

d e

la mort.

J. MARCENAC.

Des ouvriers, des officiers de l'Ar- | mée Rouge, des paysans barbus ou rasés, des hommes et des fem­ mes de tout âge, de tous les mi­ lieux. Le son de la marche funèbre louée de très près, dans une salle voisine, non par un seul mais par plusieurs orchestres à la fois. Per­ sonne ne parle. Combien de temps cd-ie attendu ? Quelqu'un mur­ mure près de moi : « Allons ». 11 ouvre une porte et la marche lu- nebre me frappe au visage comme une mer. On ne peut imaginer pareille lumière. Je n'ai vu des chandeliers en cristal aussi énor­ mes qu'une seule fois au Kremlin. Dans celte clarté, un flot humain s'écoule très lentement. L'homme me tient par le bras et nous avan­ çons. La première personne que je ▼ois c'est Kroupskaïa. Debout de­ vant les monceaux de fleurs dans sa robe toute droite, ses cheveux gris séparés par une raie au rai- lieu, tombant tout droit, ses bras pendant le long du corps. Ses yeux ■

à fleur de tête sont encore plus I écarquiUés aujourd'hui. Us sont ™ fixés quelque part. le suis son re- ■ gard et (e vois Lénine. Son front I paraît jaune et incroyablement “ grand, la rondeur du globe. II est ■ allongé, les mains jointes sur la I poitrine. Je vois la médaille du “ drapeau rouge. Il est couché sur un lieu un peu élevé dans un cercueil ouvert au milieu de cou­ leurs rouges et de fleurs. A son B

chevet, veillent quatre gardes. I deux de chaque côté. Quatre gar- ™ des également à ses pieds. J* re- m lève la garde d'un homme d'Asie I Centrale. Il me dit quelque chose ® mais ie ne peux pas répondre. Le m fusil à la main. )« reste là. sans I bouger, au chevet de Lénine. J# « vois Kroupskaïa. Je vols le grand H front de Lenîne. Le flot humain I s'écoule sans cesse sur quatre « rangs, deux d'un côté, deux de m l'autre, sans fin. La plupart n* I pleurent même plus. Ils avancent « tous, les yeux rivés sur la bière. _ s'arrêtant soudain avec un sur- I saut comme s'ils s'étaient cognés « contre quelque chose, et puis, sous _ la pression des gens derrière eux. I ils passent à côté de Lénine, puis « la tète tournée en arrière jusqu'à _ ce qu'ils ne puissent plus rien I voir, jusqu’à ce qu'ils se trouvent I hors de la salie. Je vois Kroups- kaïa. Je vois le front de Lénine. I Ou plutôt sa tête par derrière. A ■ gauche, ce sont les marins qui déiilent. Et je pense : « Ce sont I les marins de Kronstadt ». Ça peut ■ bien ne pas être ceux de Krons. tadt, mais c'est ce que j'ai pensé. I Ils ne portent pas leurs capotes. I Il faut croire qu'il neige dehors car il y a de la neige sur leurs I épaules et les poils de leurs poi- I trines sont mouillés. Ce sont de grands gars, rudement grands. Ils s’avancent en rangs serrés. Le ca­ poral de la première escouade s'arrête au chevet de Lénine : « Ah ! ma petite âme » s'écrie-t-il tout d'un coup en se jetant par terre. Il n’y a pas de confusion. Les marins le relèvent et passent, leurs yeux bleus, pleins de lar­ mes, comme si jamais plus ils ne reverront la mer. C'est seulement alors que je remarque les gens qui s'évanouissent dans les rangs, que l'on relève et emporte en si­ lence. Je vois la tête de Lénine par derrière, ou plutôt son Iront énorme. J'entends la marche funè­ bre. Je ne vois plus les quatre files qui s’écoulent. Je regarde Lé­ nine et j’ai envie de pleurer. Anouchka. Est-il permis de pleu­ rer lorsqu’on monte la qarde ? Que m'importe. J’ ai envie de pleu­ rer. mais ie ne peux pas. Je n'ai pas demandé à Anouchka î

• Qu'as-tu fait cette nuit ? » J'ai des visites. Ils viennent du fin fond de ma vie. Ahmet sourit : « Ma vie n'est pas bien longue de toute façon. Nous avons vécu un

bin.

»

E suis n é en 1 9 0 2

Je n e suis jam ais revenu dans ma ville natale Je n’ aim e pas les retou rs.

A l’ â g e d e trois ans

4

à A lep , j e fis p r o fe s s io n d e p etit-fils d e pacha à d ix -n e u f ans, d ’ étu d ian t à l’ U n iversité co m m u n iste d e M oscou , à q u a ra n te-n eu f ans à M oscou , d’ in v ité du C o m ité C en tral, e t d ep u is m a q u a to rz ièm e a n n ée j ’ e x e r c e le m é tier d e p o è te . Il y a des gen s qui con n a issen t les diverses v a riétés d e poisson s,

m o i celles des séparation s. Il y a des gen s q u i p eu v en t cite r par cœ u r les n om s des étoiles,

m o i c e u x des n ostalgies. J’ ai é t é loca ta ire et d es prisrms e t des grands h ôtels.

J’ ai co n n u la fa im e t aussi la g r è v e d e la faim et il n ’ est pas [ d e m ets d o n t j’ ig n o r e le g oû t. Q uand f a i attein t tren te ans on a vou lu m e p e n d re,

à m a q u a ra n te-h u itièm e a n n é e o n a vou lu m e d o n n er le P rix

I m ondial d e la p a ix

e t on m e l’ a d on n é.

An cours île ma tren te-sixièm e année f ai parcouru en six mois

[q u a tre m ètres ca rrés d e b éto n , dans ma cin q u a n te-n eu v ièm e an n ée j'ai v o lé d e P ra g u e à

[L a H avane en d ix-h u it h eu res. J e n’ ai pas vu L é n in e mais j ’ ai m o n té la ga rde p r ès d e son

[c a ta fa lq u e en 1 9 2 4 , e n 1 9 6 1 le m a u solée q u e j e visite, c e son t ses livres.

On t ’ est e f f o r c é d e m e d éta ch er d e m on Parti ça n’a pas m a rch é Je n ’ ai pas é t é écra sé sou s les id oles q u i to m b en t.

En 1 9 5 1 , sur u n e m er, en com p a g n ie d’ un cam arade, f a i m arch é

[vers la m ort.

En 1 9 5 2 , le cœ u r f ê l é , f a i atten du la m ort q u a tre m ois a llon gé

[su r le dos.

J’ ai é t é f o u d e ja lo u sie des fe m m e s q u e f a i aim ées. Je n’ai pas m ê m e e n r ié C hariot p o u r un iota.

J'ai tro m p é m es fe m m e s

Mais n ’ai jam ais m éd it d errière le d os d e m es am is. J’ ai bu sans d even ir ivrog n e,

pa r b on h eu r f a i to u jo u r s g a g n é m on pain à la su eu r d e mon fro n t. Si f a i m en ti c ’ est q u ’ il m 'est a rriré d ’ avoir h on te p o u r autrui,

J’ ai m en ti p o u r n e pas p e in er un a u tre,

mais f a i aussi m en ti sans raison. J’ ai pris l e train, l ’ a vion, l’ a u to m o b ile, la p lu p a rt des g en s n e p e u v en t les p r en d re. Je suis allé à l'O p éra

la plu p a rt des g en s n e p e u v en t y aller e t en ign oren t [m ê m e le n om , mais là o ù von t la plu p a rt d es g en s, j e n e suis pas [ allé d ep u is 1921 t à la m o s q u ée, à l’ ég lise, à la sy n a g o g u e, au tem p le,

[c h e z le so rcier, m ais f a i lu q u e lq u e fo is dans l e m a rc d e c a fé . O n m 'im p rim e dans tre n te o u qu a ran te lan gues

mais en T u r q u ie j e su is in terd it dans m a p r o p r e lan gu e. Je n'ai pas eu d e ca n cer ju sq u 'à p r ésen t,

on n’ est pas o b lig é d e l'avoir.

J e n e serai pas p r e m ie r m in istre, e tc .

et j e n ’ ai aucun p en ch a n t p o u r c e g e n r e d ’ occu p a tio n . Je n ’a i pas fa it la g u erre,

j e n e suis pas d escen d u la n uit dans les abris, j e n ’ étais pas su r les rou tes d ’ e x o d e ,

sou s les avions volant e n ra se-m ottes,

mais à l'a p p r o c h e d e la soixa n ta in e j e suis to m b é a m o u r eu x . En b r e f , cam arade,

a u jo u rd ’ h ui à B erlin , crevan t d e nostalgie c o m m e un ch ien , j e puis d ire q u e f a i v écu c o m m e un h o m m e m ais le tem ps q u ’ il m e reste à vivre,

e t c e q u i p ou rra m ’ arriver q u i le sait ?

Ecrit le 11 sep tem b re 1 9 6 1 à B erlin-Est.

A d ap ta tion : C harles D oh zyn sk i.

N O T R E

A M I

suite de l'article de Pierre D A IX

nous est définitivement ôté, que jamais les beautés qui nous restent à connaître de cette rentre immense, jamais les plus grandes réussites, ni les disques qui gardent son souffle, son ton, ne nous ren­ drons.

On a beau savoir que la foudre s’abat sur les grands chênes, cela n’aide pas à com ­ prendre, pas à mesurer. Na­ zim n’est plus. ] e n’ai pas en­ vie d’en parler privément. Le souvenir qui me hante est ce­ lui d ’tm congrès d’écrivains dans une démocratie populai­ re, à la veille du X X.’ Con­ grès et où Nazim prit brus­ quement un soir la défense des I.ettres Françaises, des écrivains français, de la Fran­

ce. Car notre pays, notre peu­ ple avalent gagné l ’amitié de Nazim. Il nous aimait com me il aimait notre langue. Nous avions en lui un allié sûr, un allié bon, un allié perspicace.

On comprendra de mieux en mieux à mesure que l’idéal de Nazim s’accomplira, à quel point il fut un défricheur d’avenir, un prophète des li­ bertés qu ’exigeront les hom ­ mes de demain. Il était parmi noms au début de cette année, heureux du X X I I " congrès, heureux de l ’essor nouveau que prenaient les littératures de l’Union soviétique où il vi­ vait et créait, heureux de tou ­ tes les promesses du futur. Je ne peux pas croire que son coeur se soit arrêté.

Kişisel Arşivlerde Istanbul Belleği Taha Toros Arşivi

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