Mardi 12, mercredi 13 avril 1966 — 9
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A la découverte du soufisme
et des derviches tourneurs
grâce au second « Evénement »
L
E premier « Evénement »animé par l’A, R. C. (Asso ciation pour la rencontre des cultures) était consacré au Fla menco (1) et, y assistant, j ’avais décélé dans cette initiative de Claude Planson et Louis Pau- wels, en liaison avec différentes associations touristiques ou cul
turelles, des promesses cer
taines de qualité et d’intérêt. Ces promesses ont été tenues et même amplifiées, grâce au second « événement » qui nous proposait une rencontre avec le Soufisme et l’étrange confrérie des derviches tourneurs. D’une
séquence consacrée aux der
viches, à la T. V., j ’avais gardé le souvenir d’un certain ma laise, celui qu’engendre une exal tation moins mystique que déli rante. Ce tournoiement ne s’ap parentant que trop, dans nos esprits occidentaux, â la triste ment célèbre « danse de saint Guy ». Ce malaise, je ne l’ai absolument pas retrouvé en as sistant, l’autre soir, à la Sana,
cérémonie des derviches. Au
contraire, tout concourt à un sentiment de respect et, sans partager l’évidente « extase » des « pauvres devant la porte » (c ’est la signification littérale du mot : derviche), je dois con venir avoir profondément ressenti la conviction des serviteurs d’une « liturgie » tout ensemble abs conse et fraternelle.
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Je ne me hasarderai certes pas à prétendre avoir compris, ou seulement approché ce « moteur spirituel de l’Islam » qu’est, dit- on, le soufisme. Je me contente rai de rappeler quelques noms et dates. Sans être le fondateur du soufisme, M e v l a n a Celaleddin Rumi (seigneur et maître des der viches) en fut et reste le « grand- prêtre ». Ce poète turc mystique vécut de 1207 à 1273 et mourut à Konya, qui est, aujourd’hui en core, la ville sainte du soufisme, sa « Mecque ». Après lui, son fils, le sultan Veled, organisa l’ordre, la secte mevlevi, et lui donna sa charte, son livre sacré, sous la forme du recueil de 25 618 vers, le Mesnevi, œuvre de son père Mevlana. Au cours des siècles, le soufisme, tout à la fois mystique, philosophie, art, poésie et danse, fit de nombreux adeptes dans tous les pays de religion islamique.
Lorsqu’il prit le pouvoir en Turquie (1923), Kemal Atatürk, dont l’ambition était d’arracher son pays au passé et aux rêves de l’Orient, persécuta les souii, ferma les « tikis » (temples) des derviches et interdit aux initiés de se réunir. Toutefois, étant donné le prestige attaché au nom
et à l’œuvre de Mevlana, le « tiki » de Konya, mausolée du grand homme, fut transformé en musée et maintenu ouvert.
Quelle est donc la base de la spiritualité soufic ? Essentielle ment « Dieu sensible au cœur », le « cœur » devant être pris au sens pascalien de « fine pointe de l’âme ». Voilà qui ne nous éloigne pas tellement de choses connues et confirme notre sen timent de compréhensif respect
à l’endroit d’une mystique que Louis Massignon t e n a i t .d’ail leurs, en estime. L’un des orga nisateurs de 1’ « Evénement », Claude Planson, devait me parler de certains contacts sympathiques entre les Soufis et nos Bénédictins. Sans le savoir, je dois confesser que le rapprochement s’était, aussi, imposé à moi pendant la cérémonie.
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Quoi qu’il en soit, je me gar derai d’avancer plus avant sur une voie où, profane, je risque rais de débiter d’énormes sot tises. Mieux vaut noter que cette « technique de l’extase » qu’est la danse des derviches n’est évi demment pas familière et même
dépayse totalement. Mais la
lente, l’interminable « valse à l’envers » de ces hommes, bras en croix (main droite levée vers Dieu, main gauche tendue vers les hommes) n ’a rien non plus de choquant ou de risible. Et, à scruter les visages, celui du vé nérable shaïkh (m aître) assis sur son tapis de prière, comme ceux, juvéniles, des apprentis-derviches, on ne peut que se taire et prier, dans son propre cœur pour que Dieu rassemble, un jour, tant d’âmes de foi et de bonne vo lonté.
L’organisation proprement ma térielle de la soirée (de 18 heures à minuit) mérite, au demeurant, les éloges adressés à T « événe ment flamenco ». La conférence de Mme Eva Meyerovitch, du C. N. R. S., fit une excellente ini tiation au soufisme ; le film sur Konya, l’exposition d’art isla mique, le frugal repas, identique à ceux servis dans les « tikis » (à base de riz et de semoule), la « sana » elle-même, autant d’é tapes orchestrées avec ordre, ponctualité, minutie, à l’exacte résonance du chant, grêle, têtu, obsédant, de la flûte Nay, sym bole, soit de la solitude humaine, soit de la joie du cœur quand il parvient à se' reposer, à se fondre en Dieu.
jean VIGNERON
(1) C f. la Croix du 24 m a r s 1968.
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İstanbul Şehir Üniversitesi Kütüphanesi Taha Toros Arşivi