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La paix d'Orient I'Accord franco-turc

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L a Paix d’Orient

& l’A ccord franco-turc

Enfin l ’accord .franco-turc a été signé et ratifié. C’est un pacte d’une importance capitale, surtout par les choses qu’il ne dit pas mais que les circonstances dans lesquelles il a vu le jour suggèrent assez clairement. Les deux pays ont également lieu de s’en féliciter.

La satisfaction que cet événement a produite en Turquie est à la fois d’ordre sentimental et d’ordre pratique. La population musulmane tout entière de l’Empire est heureuse de la réconciliation, autant à cause du plaisir qu’elle ressent à se savoir de nouveau amie avec la nation étrahgère qui lui est sympathique par excellence en raison d’une affinité spéciale de caractère et d’étroits liens intellectuels •— les Turcs n’oublient jamais qu’ils doivent toute leur culture moderne à la France — qu’à cause du soulagement qui en est résulté pour le gouvernement d’Angora dans le domaine militaire, sans parler des avantages politiques qu’elle lui assure.

Cette réconciliation, chose particulièrement précieuse pour la Turquie, nous a suggéré certaines réflexions qui pourront peut-être choquer par leur franchise, surtout après les tirades lyriques et quelque peu flagorneuses auxquelles quelques-uns de nos compa­ triotes croient devoir se livrer en écrivant dans les journaux

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français, mais qui en réalité partent d’un sentiment de pratique dévouement à la cause de l’alliance franco-turque dont on discerne la conclusion dans un proche avenir. Nous espérons qu’on les excusera de ce point de vue. Ne s’entendent bien que ceux qui se comprennent bien. A un point de vue plus général, ne peut-on espérer, dans leur propre intérêt, que les puissances victorieuses se sont suffisamment « humanisées » pour admettre que leur conduite depuis les armistices n’a pas été en tous points irréprochable et écouter la critique, fut-elle sévère, de çertains de leurs actes ?

*

* *

Le programme de paix du gouvernement d’Angora est basé sur le manifeste — le « pacte » — en date du 28 janvier 1920 du « Bloc du Salut public », constitué à la Chambre que le Sultan avait convoquée malgré lui à Constantinople sous le ministère d’Ali Riza Pacha et qu'il avait dissoute trois mois après, à la suite d’un accord avec l ’Angle­ terre. Ce document était inspiré des résolutions des congrès d’Erze- roum et de Sivas.

Confirmé par la grande Assemblée nationale d ’Angora, il se compose des articles suivants (1) :

Art. I. — Le sort des territoires ottomans exclusivement peuplés par des majorités arabes et se trouvant lors de la conclusion de l’armis­ tice du 30 septembre 1918 sous l’occupation des armées ennemies, doit être réglé selon la volonté librement exprimée des populations locales.

Les parties de l’Empire situées en deçà et au-delà de la ligne d’armis­ tice et habitées par une majorité musulmano-ottomane dont les éléments constitutifs, unis par des liens religieux et culturels et mus par un même idéal, sont animés d’un respect réciproque pour leurs droits ethniques et leurs conditions sociales, forment un tout qui ne souffre sous aucun pré­ texte aucune dissolution ni de fait ni de droit.

Art. ii. — Quant au sort des trois sandjaks de Kars, Ardahan et Batoum dont la population avait dès sa libération affirmé par un vote

(1) C’est la traduction officielle en français du « pacte » publiée par le Bloc que nous reproduisons ici.

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LA PAIX D’ORIENT ET L ’ACCORD FRANCO-TURC 57

solennel sa volonté de faire retour à la mère-patrie, les membres signataires du présent pacte admettent qu’au besoin il soit procédé à un second plébiscite librement exprimé.

Ar t. i i i. — Le statut juridique de la Thrace occidentale dont le règle­

ment avait été subordonné à la paix turque, doit se baser sur la volonté de la population librement exprimée.

Ar t. i v. — La sécurité de Constantinople, capitale de l’Empire et siège du Califat et du gouvernement ottoman, ainsi que celle de la mer de Marmara, doivent être à l’abri de toute atteinte.

Ce principe une fois posé et admis, les soussignés sont prêts à souscrire à toute décision prise d’un commun accord par le Gouvernement impérial, d’une part, et les Puissances intéressées, de l’autre, en vue d’assurer l’ouverture des Détroits au commerce du monde et aux communications internationales.

Ar t. v. — Les droits des minorités seront confirmés par nous sur la même base que ceux établis au profit des minorités dans d’autres pays par les conventions ad hoc conclues entre les Puissances de l’Entente, leurs adversaires et certains de leurs associés.

D’autre part, nous avons la ferme conviction que les minorités musul­ manes des pays environnants jouiront des mêmes garanties en ce qui concerne leurs droits.

Ar t. v i. — En vue d’assurer notre développement national et économique et dans le but de doter le pays d’une administration régulière plus moderne, les signataires du présent pacte considèrent la jouissance d’une indépendance entière et d’une liberté complète d’action une con­ dition sine qua non de l’existence nationale.

- En conséquence, nous nous opposons à toute restriction juridique ou financière de nature à entraver notre développement national.

Les conditions du règlement des obligations qui nous seront imposées ne doivent pas être en contradiction avec ces principes.

Constantinople, le 28 janvier 1920. * * *

Rédigé en termes généraux qui lui donnent une certaine imprécision et traduit en mauvais français, ce document a besoin d’être expliqué.

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58 ORIENT & OCCIDENT

est celui qui se trouvait sous l ’autorité effective de la Sublime-Porte à la date de la signature de l’armistice du 30 septembre 1918 et qui, par une curieuse coïncidence, représentait exactement les pays ethni­ ques turcs, plus le Kurdistan et lejLazistan (province de Trébizonde). Ce sont ces deux dernières régions qui sont visées par le second para­ graphe de l ’article premier.

L ’article IV réserve les droits de sopveraineté de la Turquie sur la région constantinopolitaine et subordonne l ’adoption de toute com­ binaison ayant pour but d’assurer l’ouverture permanente des détroits à la navigation, surtout à la navigation militaire, à la recon­ naissance et à la sauvegarde de ces droits.

L ’article V veut dire que les communautés non-musulmanes de l’empire possèdent déjà l’égalité politique et civile que l’Entente met tant d’insistance à leur faire assurer. C’est pourquoi il est question de la « confirmation » de leurs droits sur la base de ceux établis au profit des minorités des autres pays. Mais comme, en réalité, les droits des minorités non-musulmanes en Turquie dépassent de beaucoup — il s’agit de privilèges très étendus — ceux des minorités des autres pays, tels qu’ils ont été fixés par la Conférence de la paix, le libellé de cet article laisse des doutes dans l ’esprit sur son véritable sens. Les droits des minorités en Turquie seront-ils maintenus tels quels ou seront-ils ramenés au niveau de ceux des autres minorités ? L ’expression « con­ firmation » semble favoriser la première interprétation, l ’expression

sur la base de..., etc. » la seconde.

L ’article VI est une réponse à l ’explication donnée par les puis­ sances victorieuses de leur décision de réduire le territoire de la Tur­ quie et d ’apporter des restrictions à sa souveraineté, à savoir, qu’elle serait incapable de gouverner. La Turquie retourne la thèse des puissances et dit que si elle est restée arriérée, c’est précisément parce qu’elle ne jouissait pas de sa souveraineté, mais que le principal moyen d’assurer son relèvement est de lui rendre ses droits escamotés ou violemment arrachés par l’Europe au cours des siècles.

Pour quiconque n’est pas au courant des véritables intentions des dirigeants turcs en ce qui concerne les conditions de paix qu’ils se réservent de formuler, le manifeste-programme dont nous venons de

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faire une succincte analyse, ne fournit pas des renseignements très nets. Nous tracerons donc, ci-après, un tableau de ces conditions sous forme d ’un projet de traité de paix cherchant à se rapprocher, autant que nos renseignements nous le permettent, de l ’esprit et de la lettre de celui que le gouvernement d’Angora présentera et demandera aux puissances de l ’Entente d’adopter. Hâtons-nous d’ajouter toute­ fois que nous n’avons aucune qualité pour parler au nom de ce gou­ vernement. Mais nous pouvons garantir que nos prévisions répondent bien aux tendances effectives de la capitale nationaliste.

Il est évident que ce tableau anticipatoire des demandes natio­ nalistes n’en est qu’une esquisse sommaire et qu’on n’y trouvera que les conditions de paix essentielles sur lesquelles, très vraisemblable­ ment, Angora insistera. Ces conditions, autant que nous les devinons, restent considérablement en deçà de ce que la Turquie serait en droit de réclamer, au point de vue de sa constitution territoriale et poli­ tique. Mais les voici :

Ar t. i. — La souveraineté pleine et entière de la Turquie, sans restriction d’aucune sorte, directe ou indirecte, s’exercera dans tous les territoires ottomans d’avant-guerre où la majorité de la population est turque et dans les territoires où, sans être turque, la population a déjà exprimé sa volonté de rester sous la domination ottomane, c’est-à-dire : a) la Thrace orientale (province d’Andrinople) y compris la région constan- tinopolitaine avec la côte septentrionale de la Mer de Marmara ; b) l’Anatolie dans toute son étendue; c) le Lazistan (province de Irébi- zonde), d) le Kurdistan.

Ar t. ii. — Le sort de la Thrace occidentale sera réglé selon la volonté librement exprimée de la population.

Art. iii. — La Turquie et les pays de langue arabe seront libres de régler à leur gré entre eux leurs rapports politiques et économiques (i).

(t) On verra à la réflexion que l’exécution de cette clause qui auraitjpu être mena­ çante pour les intérêts français en Syrie au cas où la Turquie et la France se seraient trouvées en antagonisme, ne peut que les servir étant donné le rapprochement durable qui s’est opéré entre les deux pays et la résolution sincère du secondjde n’exercer qu’une tutelle éducative, par conséquent provisoire, sur l’ancienne('province de Bey­ routh.

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6o ORIENT & OCCIDENT

Ar t. i v. — Les régions caucasiennes de population turque qui ont déjà fait retour à la Turquie ou y feront retour à l’avenir en vertu d’en­ tentes avec les populations locales et les Etats avoisinants, sont reconnues possessions ottomanes.

Ar t. v. — Les non-musulmans en territoire turc jouiront des mêmes

garanties que celles accordées aux minorités dans les pays européens dont le statut organique a été établi ou modifié par la Conférence de la paix, les musulmans en pays chrétien bénéficieront du même régime que les autres minorités.

Ar t. v i. — Les capitulations, de quelque nature qu’elles soient, sont abrogées. La Sublime Porte fournira les garanties nécessaires pour le bon fonctionnement de la justice et de l’administration.

Ar t. vu. — La question de la dette publique ottomane fera l’objet

de négociations spéciales entre la Turquie et les Puissances de l’Entente en vue d’un remaniement du régime actuel dans un sens compatible avec le libre exercice de la souveraineté nationale turque.

Ar t. v i i i. — La Turquie n’aura à accorder aucune réparation aux

Puissances de l’Entente du fait de la guerre. La Grèce indemnisera la Turquie pour les dévastations qu’elle a commises en Anatolie, la Société des Nations devant être chargée d’en fixer le montant. Les Puissances de l’Entente se portent garantes du payement de ce montant, (i)

Ar t. i x. — Les Puissances de l’Entente s’engagent à prêter leurs

bons offices à la Turquie pour la faire entrer dans la Société des Nations.

(i) Cette clause ne doit pas surprendre. La guerre entre la Turquie et l’Entente a eu deux phases. La première s’est terminée avec l’armistice du 30 septembre 1918. La seconde a commencé avec la rupture de l’armistice, officiellement proclamée par l’Entente, et l’offensive grecque entreprise pour le compte de celle-ci à la suite du refus du gouvernement d’Angora de se soumettre au traité de Sèvres. Dans cette seconde phase, la Turquie sans se trouver dans la situation de vainqueur ne se trouve pas non plus dans celle de vaincue. Comme l’Entente devient de plus en plus impuissante à avoir raison de la résistance d’Angora, la paix qui mettra fin à l’ état de guerre qui subsiste encore juridiquement entre elle et le gouvernement nationaliste, malgré la déclaration insidieuse de neutralité de la première — sera conclue d’ égal à égal. Donc aucune réparation do part ni d’autre.

Les Grecs devront faire réparation parce qu’ils auront été vaincus et que, de toute façon, leur conduite de la guerre a été criminellement dévastatrice et mérite une exemplaire punition dans l’intérêt de la morale internationale.

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LA PAIX D’ORIENT ET L ’ACCORD FRANCO-TURC 6 l Dans une publication précédente nous avions suggéré, à titre tout à fait personnel, l ’insertion dans le traité de paix à conclure entre la Turquie et l’Entente de cinq articles supplémentaires, articles qui complètent le cercle des revendications que la Turquie pourrait mettre légitimement en avant et dont l ’adoption aurait pour effet de résoudre la question d’Orient dans son sens le plus étendu et de la façon la plus durable.

I. — La souveraineté ottomane sera pleinement rétablie dans les îles faisant partie du système géographique anatolien et indispensables à sa sécurité.

II. — Un échange aura lieu des populations turques fixées an sol en territoire grec et arménien et des populations grecques et arméniennes, de la même catégorie en territoire turc. Les terres possédées par les unes deviendront la propriété des autres en vertu d’un système de répartition équitable à appliquer par les Gouvernements intéressés qui auront acheté ces propriétés au préalable, chacun sur son propre territoire, (i) Les Turcs en territoire grec ou arménien et les Grecs et Arméniens en terri­ toire turc, n’appartenant pas aux catégoties susmentionnées, pourront continuer à y résider, comme d’autres pourront venir s’y établir, à la con­ dition de ne pas jouir de la qualité de propriétaire foncier.

/III. — Les non-musulmans sans distinction de race, sujets de l’Empire, cesseront d’être organisés en communautés autonomes jouis­ sant de privilèges administratifs. La révision du statut organique de l’Empire que cette suppression entraînera, comprendra des dispositions assurant aux non-musulmans, la continuation de leur situation distincte en ce qui concerne les conditions de leur statut personnel.

IV. — La Turquie cessera dr’êtrele siège du Patriarcat œcuménique et des trois Patriarcats arméniens comme de toute autre autorité reli­ gieuse suprême de ces deux races. Les conditions du transfert de ces ins­ titutions hors des frontières de la Turquie seront réglées entre la Sublime Porte et les Gouvernements grec et arménien.

(i) Une convention entre la Turquie et la Grèce dans le sens indiqué et se rapportant aux populations, grecque de Smyrne et musulmane de Macédonie, avait été conclue en 1913 et fonctionnait lors de l’explosion de la guerre. Il s’agirait d’en étendre le prin­ cipe a toute la population grecque et à la population arménienne de l’Empire.

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Ô2 ORIENT & OCCIDENT

V. — La Turquie sera placée sous le régime de la neutralité sur le modèle de la neutralité qui a existé en Belgique. Une convention à con­ clure entre la Turquie et chacune des Puissances de l’Entente, séparément, réglera les détails de cette transformation du statut international de l’Empire.

***

Toutes les conditions dont il s’agit sont basées sur la doctrine wilsonienne ou sur l’une ou l ’autre, des restrictions ou déviations qui y ont été apportées, dams les travaux de la Conférence de la paix, pour la reconstruction du monde dans l ’intérêt national supérieur, soit stratégique, soit économique, soit même sentimental des peuples en cause.

On dira qu’il y a là des conditions qu’une puissance sortie victo­ rieuse de la guerre pourrait à peine se permettre de poser.

Nous répondrons que nous nous sommes placés, ainsi que l'on verra à l’instant, sur un terrain plus élevé que celui d’un règlement de la question turque d’après une comptabilité rigoureuse basée sur les conditions découlant du sort des armes.

Nous ajouterons qu’en fait, la Turquie ne se trouve pas aujour­ d’hui dans la situation d'une puissance vaincue.

La guerre, en ce qui concerne la Turquie, a eu deux phases. La première s’est terminée par l’armistice du 30 septembre, qu’elle

sig na après avoir déposé les armes volontairement. La seconde s’ouvrit par la dénonciation de l’armistice par l’Entente, à la suite du refus du Gouvernement d’Angora de se soumettre au traité de Sèvres et par l’intervention de l’armée grecque d’occupation, spécia- lèment chargée de cette mission par les Alliés, au nom de qui elle opérait officiellement, contre les troupes nationalistes. Dans cette seconde phase, si la Turquie ne peut prétendre avoir vaincu, l’Entente ne peut pas le prétendre non plus.

C’est donc dans des conditions de parité absolue que les négocia­ tions de paix se poursuivront entre la Turquie et l’Entente.

Ceci nous ramène à l’article VIII de notre projet de traité, où nous stipulons que la Turquie n’aura pas à payer une indemnité à

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l ’Entente, mais où nous faisons fournir des réparations à la Grèce pour les dévastations commises par son armée en Anatolie.

La première partie de cet article s’explique par les considérations qui précèdent. La seconde par le fait que les dévastations grecques constituent une série d’actes de barbarie qui, en tout état de cause, méritent une punition et doivent donner lieu à une compensation. L ’Entente étant moralement responsable de la sauvagerie dont l’armée grecque, son mandataire, fit preuve au cours de ses opérations, elle est tenue de se porter garante de l’indemnité due par la Grèce.

Que nous sachions, le gouvernement d’Angora n’entend pas aller si loin dans ses réclamations. Mais nous prétendons que, au cas où, à la dernière heure, il ne se serait pas décidé à en allonger la liste dans ce sens, les puissances de l’Entente elles-mêmes auraient grand avan­ tage à en prendre l’initiative. Le fait est que tôt ou tard elles se trou­ veront obligées d’adopter la thèse du gouvernement d’Angora qui est résolu à ne pas déposer les armes avant que satisfaction complète lui soit donnée. Ne serait-il pas pratique et habile de leur part, dans ces conditions, de se réserver le mérite d ’avoir fait servir leur acceptation à résoudre le problème turc sans possibilité aucune de réouverture, en supprimant absolument toutes les causes qui l ’ont entretenu jus­ qu’ici à l’état de plaie menaçant de gangrener le corps de l’Europe ? De cette façon, les puissances auraient le beau rôle et n’auraient pas l’air d’avoir cédé à un honorable mais tardif repentir, la preuve de ce nouvel état d’esprit devant se manifester précisément dans le fait qu’elles auraient proposé d’elles-mêmes de régler définitivement le problème oriental en allant au-delà des revendications du gouver­ nement kémaliste, en vue de faire œuvre complète et parfaite de justice dans l’intérêt de la paix mondiale. En tout cas, elles trouveraient une compensation à leur sacrifice d’amour-propre dans le soulage­ ment immense qu’elles éprouveraient à se débarrasser elles-mêmes et à débarrasser le monde de cette terrible question d’Orient qui, depuis deux cents ans, trouble la paix générale et qui, dans le dernier demi- siècle, a été la source d ’indicibles tragédies. Il nous semble qu’aucun sacrifice ne devrait leur paraître trop grand pour atteindre ce résultat.

Malheureusement nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusions

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64 ORIENT & OCCIDENT

sur la probabilité qu’un accueil favorable soit réservé à notre sugges­ tion par l ’Entente, car la France et l ’Italie ne seront pas sans être gênées par la présence de l ’intraitable Angleterre, — à supposer qu’elles-mêmes trouvent le courage nécessaire pour rompre avec des traditions sentimentalement réactionnaires qui ont passé dans le sang de l ’Occident en ce qui concerne la Turquie. N’oublions' pas non plus qu’un des axiomes les mieux établis de la diplomatie occidentale est de considérer les questions orientales comme des procès devant traîner indéfiniment pour permettre aux Grands Prêtres de cette institution de déployer leur ingéniosité à compliquer les situa­ tions, ou bien de reprendre de la main gauche ce qu’ils avaient aban­ donné de la main droite. Aussi, est-ce par pur acquit de conscience que nous nous sommes aventurés à présenter notre proposition, à la vérité plutôt idéaliste.

*

* *

En invitant le gouvernement d’Angora à se faire représenter à la Conférence de Londres, l’Entente faisait publiquement aveu d’impuissance en ce qui concerne la réduction de la résistance natio­ naliste. Ce ne fût nullement, en tout cas, à l’instigation de l’Angle­ terre, et en raison d’un retour aux sentiments de justice, que cette invi­ tation fut lancée. C’était purement et simplement parce que l’échec, au point de vue politique, de la première intervention de la Grèce comme instrument de l ’Entente en Anatolie, laissait les alliés — ou plutôt l ’Angleterre — sans moyens de coercition contre Moustapha Kemal Pacha. Disons ici, une fois pour toutes, qu’en critiquant ou en dénon­ çant l’Entente à raison de sa politique dans le proche Orient, c’est le plus souvent l ’Angleterre que nous visons, car il y a là essentiel­ lement une entreprise anglaise à laquelle la France et l’Italie se sont associées, plutôt nominalement, et en cherchant à réagir contre ses tendances extrêmes.

C’est ainsi que du jour au lendemain le «brigand^ « l ’imposteur», le « rebelle » qui avait soulevé la vertueuse indignation d’Albion, la pure, l ’éthérée, sortait de.la classe des criminels et devenait digne de s’asseoir à côté de M. Lloyd George, lui-même type de l’homme d’Etat

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sans peur et sans reproche, devant le tapis vert de la diplomatie. Nul doute que s’il s’était rendu personnellement à Londres, comme le gouvernement anglais le désirait très vivement, au lieu des deux morceaux de sucre que le « Premier » britannique mettait dans le thé de Békir Samy Bey, avec des doigts insinuants, M. Lloyd George en aurait laissé glisser trois ou quatre dans la tasse du chef nationaliste.

En fait, l’Angleterre n’avait pas plutôt vu arriver la délégation kémaliste à Londres, que tout en continuant à faire des « mamours » à son président, elle chercha à se rattraper. M. Lloyd George fit des propositions concernant Smyrne, entre autres, qui tout en étant inac­ ceptables à la Grèce l’étaient également — à un point de vue opposé — à la Turquie. Sur le refus clairement exprimé par la première d’y adhérer, refus que M. Lloyd George avait parfaitement prévu, et sans attendre la réponse de la seconde, M. Lloyd George déclara, AU

n o m d e l’En t e n t e t o u t e e n t i è r e, que celle-ci, ayant cherché une

solution amiable et ne l’ayant pas trouvée, elle se retirait de l’arène et laissait Turcs et Grecs vider leur différend entre eux. M. Lloyd George ajoutait, ce qui achevait de donner un caractère de comédie macabre à son action, que l’Entente espérait que les deux adversaires n’en viendraient pas de nouveau aux mains, qu’elle-même, en tout cas, resterait neutre !

Ayant sournoisement invité les Grecs à attaquer derechef les Turcs, M. Lloyd George affectait d'être préoccupé d’éviter une nou­ velle effusion de sang en Anatolie. Le diable se faisait moine — moine Wesleyen. En effet, dire aux Grecs, qui avaient été officiellement chargés par l’Entente d’écraser la résistance d’Angora, qu’ils devaient traiter directement avec les Turcs, n’était-ce pas leur donner à entendre qu’ils devaient recommencer à courir sus à «l’innommable» Turc ? — Sans parler des encouragements explicites donnés dans ce sens à

M . Gounaris, lè Mars athénien, spécialement appelé à Londres poul­ ies recevoir !

Ce qui avait déterminé M. Lloyd George à adopter cette tactique qui certes ne diminuait pas la réputation de perfidie qu’il a contribué à faire à son pays, et qu’il promène à travers le monde, c’est qu’entre temps il s’était demandé si pourtant on ne pouvait essayer des Grecs

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I

encore une fois contre les Turcs. Il voulait en avoir le cœur net sul­ la capacité cíes Palikares de « mettre à la raison » les nationalistes turcs.

C’était agi'" avec une extraordinaire désinvolture — nous ména­ geons nos expressions — à l’égard des alliés de l ’Angleterre; à l'égard aussi des Musulmans des Indes, que M. Lloyd George avait circonvenus en les assurant, de son désir de procéder équitablement envers la Turquie. D ’autre part une pareille tactique équivalait à l'abandon par l’Entente du rôle qu’elle s’était attribué d’arbitre omnipotent des destinées humaines et témoignait d’un mépris de ses responsabilités qui trahissait une inconscience et une légèreté sans pareilles.

Comment ! l ’Entente se proclame, au lendemain de son triomphe, autocrate de toutes les Europes, — sans parler de l ’Asie antérieure et moyenne — autocrate chargé par la grâce de Dieu de la reconstruc­ tion politique du monde et du règlement de toutes les questions sou­ levées par la guerre ; elle exerce ce rôle par l ’intermédiaire de la Con­ férence de la paix érigée pour la circonstance en Tribunal suprême de justice et qui allait être ravalée au rang d’instrument aveugle des vainqueurs ; elle émet des ukases décidant du sort des peuples au nordf au sud, à l ’est, à l’ouest ; dans l’exercice de son omnipotence, elle introduit les Grecs à Smyrne au mépris de tous les principes dont elle s’était proclamée l’apôtre et le champion ; par là, elle transforme cette région en un enfer, en provoquant une guerre atroce; cette situation menaçant de créer des complications épouvantables à travers le monde — elle se livre à tous ces actes d’autorité olympienne, et devant les effets néfastes de son action en Turquie, œuvre anti-euro­ péenne, œuvre anti-mondiale, elle bat en retraite, se récuse et dit aux Turcs et aux Grecs : « Cette affaire vous regarde plus spécialement, allez, arrangez-vous comme vous pourrez ! »

N ’est-ce pas effectivement stupéfiant d ’inconscience, d’aberration et ajoutons d’immoralité ? Que l’Angleterre réponde.

On ne sait ce qu’il faut dénoncer avec plus de vigueur dans cette abominable tragédie turque, créée par l’occupation de Smyrne et

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compliquée par le traité de Sèvres, de l'arbitraire et de l'inhumanité du début, ou de la criminelle insouciance de la fin.

Nous savons bien que c’est à l ’ex-président des Etats-Unis que revient la responsabilité de l’abominable attentat de Smyrne. C ’est lui qui prit l ’initiative de cette opération, qui était — 0I1 ! ironie des choses — un noir complot dirigé presque autant contre l’Italie que contre la Turquie. Il n’en est pas moins vrai que l ’Angleterre seconda M. Wilson avec délices et que la 1-rance et l ’Italie laissèrent le crime s’accomplir. En sorte qu’il rendit l ’Entente, en l’entraînant, morale­ ment et même matériellement responsable de celui-ci au même titre que les Etats-Unis.

Expliquons à cette occasion que, tout en reconnaissant que l’Entente représente la majesté de trois grands pays, nous ne croyons pas commettre une offense en stigmatisant sa politique proche orien­ tale. Si auguste que soit une institution, elle ne peut prétendre échapper à la critique, au besoin flétrissante, de ses errements. Le tout est de rester dans le vrai et dans la bienséance. Nous croyons donc pouvoir nous permettre d’adresser à l’Entente et, en particulier, à un de ses membres, l ’Angleterre, ces critiques sans fard touchant la question turque qui nous tient naturellement tant à cœur, dans une publication française, sans encourir le reproche d ’inconvenance, de même qu’un périodique de cette nationalité peut, de son côté, insérer nos critiques sans déroger.

De la part de l’Angleterre, aveuglée par sa haine de la Turquie, les fourberies et les mortelles facéties de la conférence de Londres dans la question turque n’étonnent pas. Mais ce qui est inconcevable, c’est que la France et l’Italie, déjà disposées favorablement envers la Turquie et intéressées au maintien du prestige de l’Entente, aient permis à M. Lloyd George de faire ses déclarations au nom de 1 Entente, c’est-à-dire en leur nom autant qu’en celui de l’Angleterre. Des pro­ testations anodines, on en voyait dans la presse française et dans la presse italienne. Mais le gouvernement de la République et la ( onsulta agissaient et parlaient comme s’ils étaient entièrement solidaires du cabinet anglais dans les défis qu’il avait lancés à la décence politique et à la logique dans son traitement de la question turque. ( ’était

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d’autant plus incroyable — les ménagements dus à l ’Angleterre par ses alliés amplement pris en considération que, sc récusant dans l’affaire de Smyrne, l’Entente, tout en se rendant coupable d’un grave manquement à son devoir, se dévouait elle-meme, proclamait sa propre déchéance.

Permettre à la Grèce, enfant trouvé, qui a été nourri et élevé par l’Europe et qui n’a été installée à Smyrne que comme mandataire de l’Entente, de résister à celle-ci, était de la part de la Fiance et de l’ Italie, qui n’aVaient pas les mêmes raisons que l ’Angleterre de ne pas y voir un affront, une abdication de rang et de dignité.

Dé la façon dont l’Angleterre pratiqua la neutralité qu’elle avait si magnanimement proclamée, nous trouvons superflu de parler.

Sans doute, la France et l’Italie cherchèrent à s’entendre séparé­ ment avec le gouvernement d Angora, au cours môme de la. confia ence. Malheureusement elles s’inspiraient toujours, du moins dans cer­ taines de leurs exigences des principes arbitraires qui se sont ancrés dans l’esprit de l’Occident en ce qui a rapport à l’Orient.

Ainsi, M. Briand n’insista-t-il pas pour faire insérer dans l’accord qu’il signa avec Békir Samy Bey une stipulation, entre autres, prêtant à. de sérieuses objections, qui reservait a la Irance le commandement de la gendarmerie dans la Cilicie après le retrait des troupes d’occu­ pation françaises ?

C’était manifestement porter atteinte à cette souveraineté pour le recouvrement intégral de laquelle la Turquie se battait depuis six ans avec une indomptable résolution et cela se faisait au moment même où en invitant le gouvernement d’Angora à envoyer des délégués à Londres pour négocier la « révision n du traite de Sevres, 1 Entente s’avouait incapable de lui imposer ses volontés collectives ou indivi­ duelles.

Ce qui est plus grave, c’est que l’explication de cette clause, donnée par M. Briand au Palais-Bourbon, cherchait à perpétuer la légende d’une Turquie toujours prête à massacrer ses sujets chrétiens sans rime ni raison, par pur fanatisme et sauvagerie. Cela devait ajouter à la contrariété et au désappointement de l’Assemblée nationale d’Angora qui était en droit d’espérer que les gouvernements de

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l’Entente, si non les nations qu’ils représentent, avaient enfin compris, après tant de renseignements qui étaient venus éclairer leur conscience, que les massacres d’Arméniens par les Turcs avaient invariablement eu le caractère de représailles, d’actes de défense dans une lutte dont les premiers avaient voulu faire littéralement un duel à mort. C ’était aux Turcs ou aux Arméniens de disparaître. Alors ?

Nous aurions mauvaise grâce à élever la moindre récrimination au lendemain de l’accord franco-turc. Mais nous tenons simplement à expliquer à l’opinion publique française que la France, dont on ne saurait trop admirer les belles chevauchées, en faveur de la cause des peuples opprimés, fait fausse route quand elle classe les Arméniens ottomans dans cette catégorie. Le peuple vraiment opprimé dans le proche Orient — le seul — ce sont... les Turcs, oui, les Turcs. Pour prouver cette affirmation il n’y a qu'à se référer à l’histoire. Malheu­ reusement le préjugé et l’ignorance de l’Occident quand il s’agit du inonde musulman font obstacle à la réhabilitation de la Turquie. Mais la vérité est en marche. Les yeux commencent à se dessiller. Il ne se passera pas beaucoup de temps avant qu’elle s’impose aux plus prévenus.

Que si les Turcs ont été sans merci dans leur représailles, c’est qu’on les avait exaspérés au-delà de toute endurance humaine. Les Arméniens, bien que chrétiens, s’étaient conduits en démons. S’atten­ dait-on à ce que les Turcs se conduisissent en anges ? Du reste, ce furent quelques poignées d’hommes par-ci par-là et surtout’ les tribus kurdes, qui se livrèrent à des exécutions en masse des Arméniens, obéissant aux ordres venus d’en haut. Le peuple turc est hors de cause, sauf dans l’Anatolie orientale où, comme nous l’avons dit plus haut, il défendait littéralement son existence contre les Arméniens, retournant contre eux leurs propres armes.

C’était lamentable, c’était affreux, mais ce qui était tout aussi lamentable, tout aussi affreux, c’étaient les massacres des musulmans par les Arméniens, qui eurent lieu les premiers et servirent d’amorce à toute cette tragédie à double face, mais dont l’Occident ne veut voir qu’une.

La Turquie a itérativement demandé une enquête internationale

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sur la question des massacres arméniens. Jamais on n’a voulu donner suite à cette demande. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il ne convenait pas aux officines antiturques si nombreuses et si puis­ santes en Occident que leur meilleur instrument pour soulever l’opi­ nion publique contre les Turcs se cassât entre leurs mains.

Nous sommes las de ces attaques calomnieuses ou inconsidérées contre la Turquie à propos de la question turco-arménienne ! Qu’on en prouve la justesse par les conclusions d’une enquête internationale impartialement menée, dans le genre de celle sollicitée par la Sublime- Porte ou qu’on se taise. La France, qui a conclu un accord avec la Turquie et dont les relations avec elle sont destinées à devenir de plus en plus amicales, a intérêt à servir de guide dans l’une ou l’autre de ces directions. C’est devenu une question d’honneur pour elle.

Ce n’est pas seulement au point de vue de l’avantage d’un plus étroit rapprochement franco-turc, c’est encore et surtout au point de vue de la nécessité d’une récoriciliation entre l’Islam et la Chré­ tienté qu’il importe que la question arménienne donne lieu à une action judiciaire qui la fasse sortir des classifications arbitraires où certaines ambitions impérialistes et le préjugé antimusulman l’ont maintenue. Il faut enfin qu’elle cesse de servir de tremplin aux unes et à l’autre, dans l’intérêt de la paix mondiale.

A supposer que la Turquie soit aussi coupable qu’on prétend dans cette lamentable affaire de quel droit l'Occident s’érige-t-il en juge fulminant de sa conduite, lui, qui a encouru une responsabilité dix foix plus grave dans l’affaire de Smyrne qui est d’hier ? La Turquie peut invoquer comme circonstances atténuantes les intolérables provocations des Arméniens et le droit de self-defence. Quelle est l’excuse dont les puissances victorieuses, constamment occupées à opposer leur civilisation à la prétendue barbarie de la Turquie, peuvent faire état pour atténuer leur culpabilité dans l'affaire de Smyrne ?

Nous demandons une enquête sur la conduite de la Turquie dans les massacres arméniens, mais nous pourrions demander également aux puissances représentées à la Conférence de la Paix, une enquête sur leur attitude dans les massacres arméniens, conduite distincte

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de celle des Grecs. Celle-ci a bien donné lieu aux investigations d’une Commission internationale, mais son rapport, concluant formellement à la perpétration par les mandataires de la Conférence en Anatolie d’atrocités sans nom— du reste le massacre des musul­ mans, une des formes de ces atrocités, avait commencé et s’était continué sous les yeux des flottes alliées, restées impassibles en la circonstance— n’a pu voir le jour autrement que par une indiscrétion d’un officier français. Honneur soit à lui !

Ayant patronné l’affaire de Smyrne dans toutes ses péripéties, la Conférence refusa tout simplement de livrer le document en question à la publicité. Evidemment on ne pouvait s’attendre à ce que les puissances occidentales se dénonçassent elles-mêmes comme indi­ rectement coupables de cette abomination. Mais alors — autre raison de le faire :— qu’elles cessent de .parler des massacres arméniens.

Nous réclamons également une enquête sur les horreurs qui ont été commises à Constantinople depuis l’armistice. Nous pourrions demander bien d’autres enquêtes encore, mais nous nous contentons de ces deux.

Il faut enfin parler net. Nous l’avons déjà dit : ne s’entendent bien que ceux qui se comprennent bien. Sauf leur respect et tout en appré­ ciant la conversion de beaucoup d’entre eux à l'égard de la Turquie, conversion malheureusement partielle encore, nous faisons appel à l’esprit d’équité des hommes d’Etat français pour leur demander s’ils trouvent que dans les circonstances que nous venons d’exposer, il y a vraiment lieu pour la France de « s’afficher » — qu’on nous passe cette expression — dans le rôle de protectrice des chrétiens de Turquie ?

Si opprimés il y a, pourquoi la France n’intervient-elle pas en faveur de la race turque qui souffre un véritable martyre en Grèce et en Turquie même, sous les auspices indirects de l’Entente ? Depuis trente ans la population musulmane soumise à la domination grecque et bulgare a diminué de 2.000.000. Beaucoup de Français, nous en sommes certains, ne restent pas impassibles devant cette tragédie.

Non, il ne sied pas au Gouvernement français, surtout à cette heure où elle a renoué ses anciens liens d’amitié avec la Turquie

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sur la base d’un accord s’inspirant des principes de la justice et du droit, de sacrifier ces principes dans la question des rapports des Turcs avec leurs sujets chrétiens, aux instances de groupes aveuglés par le préjugé religieux et qui — comble d’aberration — par une reconnaissance intellectuelle qui se trompe d’adresse, attibuent aux Grecs modernes une filiation directe avec les anciens Hellènes (i).

En tout cas, en présence du précieux changement qui s’est opéré dans la politique française, qui n’était point d’accord avec le sentiment que la majorité, des Français garde à l’égard des Turcs, et du rappro­ chement entre les deux peuples qui s’en est suivi, il serait vraiment malheureux, il serait cruel, qu’en se prolongeant, la fausse conception qu’on s’est faite en France de la question turco-armcnienne vînt com­ promettre les résultats acquis dans le domaine de l’Entente et de la collaboration franco-turque.

Tout en rendant hommage aux patriotiques intentions de Békir Samy Bey au cours de ses négociations avec M. Briand, nous devons exprimer le regret qu’en ne cherchant pas suffisamment à rectifier les vues, encore erronées à cette époque, du président du Conseil français sur les relations turco-arméniennes et sur l’orientation, en général, des idées nationalistes, en n’insistant pas sur la mauvaise impression que les manifestations de cette mentalité, dans le projet d'accord, produiraient sur l’esprit de l’Assemblée d’Angora, il ait con­ firmé son interlocuteur dans ses tendances fausses et nuisibles à une prompte entente.

Ce n’est pas seulement une précieuse année qui a été perdue dans la marche convergente qui devait à nouveau rapprocher les deux pays, ce sont d’innombrables vies humaines et des centaines de villages turcs qui ont été sacrifiés à la sauvagerie grecque dans l ’offen­ sive entreprise par l ’armée d’occupation hellénique à la suite de la non-ratification de l ’accord Briand-Békir Samy par l ’Assemblée d’Angora. En effet, il ne serait pas difficile de prouver que si cet accord, rédigé dans d’autres termes, avait été agréé à Angora et s’il

(i) Voir à ce sujet Les Grecs sous les Romains, de George Fin lx v, où l'historien, quoique philhellène avéré, rabrouent les Grecs au sujet de leurs prétentions à une filiation hellénique.

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■ eût commencé à fonctionner à l’époque dont il est question, les opé­ rations militaires auraient suivi un tout autre cours et les Grecs eussént été arrêtés net dès le début de leur avance, si tant est qu’ils se la fussent permise. N’insistons pas.

Voilà en quoi consista ce que nous nous permettrons d’appeller la faute française. Quant à la faute italienne, où de nouveau Békir Samy Bey à sa part, mais qui a son excuse dans le fait qu’il était avant tout pressé de mettre promptement fin aux souffrances de son pays, — en fait, il ne fit que les prolonger— elle résida dans l ’emploi d ’un mot, le mot de « zone », dans l ’accord italo-turc.

Enfantillage, dira-t-on. Que non pas. La Turquie a gardé de l’époque d ’avant-guerre un triste souvenir du partage du pays en zones d ’influence. Il y avait de quoi. Aussi, en se faisant accorder une zone d’opérations économiques dans l ’empire, le comte Sforza au turco- philisme duquel — nous sommes les premiers à rendre un reconnais­ sant hommage — turco-philisme actif et qui s’est manifesté dès après l’armistice, — a fait échouer l’accord italo-turC, qui autrement était bien conçu et très avantageux pour les deux pays.

En un mot, la Turquie est absolument décidée à écarter de ses relations avec les pays d’Occident tout ce qui pourrait avoir la signi­ fication d’une ingérence dans ses affaires intérieures. Elle a repris les armes après la grande guerre pour maintenir sa souveraineté menacée et l’intégrité de son territoire national, se résignant, par là, à de nou­ veaux et terribles sacrifices, et rien au monde ne lui fera courber la tète sous les prétentions contraires qui pourraient s’affirmer encore, quelle qu’en soit la source.

La France, guidée par une sympathie instinctive pour la cause turque et qui augmentait avec les prodiges de la résistance nationaliste, eut le mérite de le comprendre la première. L ’accord qu’elle a conclu avec Angora est le premier pas dans une nouvelle politique turque qui l’honore. Cela la remet dans la voie de ses traditions, des gesta

Dei per Francos.

Mais on ne saurait trop insister sur la nécessité pour la République d’éviter soigneusement tout ce qui, de près ou de loin, pourrait porter atteinte aux susceptibilités nationales de la Turquie. Ce n’est pas

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seulement affaire d’équité et de délicatesse. C’est en même temps une question de politique pratique. Il s’agit pour la France de sérier ses intérêts et de les classer selon leur importance. N’est-il pas mille fois plus avantageux pour elle dans le domaine de son action levantine d’avoir une amie — pourquoi ne pas anticiper un peu sur les événe­ ments et dire une «alliée »? — dans une Turquie maintenue dans ses limites ethniques et fortifiée par le sentiment de son indépendance plénière et de la déférence du monde, que de poursuivre au préjudice de l ’Empire, et du reste à faux, le rôle de champion des peuples opprimés ? Evidemment, une tradition de ce genre constitue une partie précieuse du patrimoine d’une nation. Encore faut-il qu’elle ne soit pas appliquée à faux ou à rebours et qu’ainsi son affirmation ne compromette pas les intérêts supérieurs de cette nation.

Nous avons cru indispensable d’insister sur ces aspects de la situa­ tion, précisément parce que la France, revenant à des sentiments plus justes à l’égard de la Turquie, a renoncé à toutes ses premières exi­ gences et a conclu avec le gouvernement d’Angora un pacte, dont l’épanouissement en une alliance est prévu des deux côtés. C’est, servir la cause dè cette alliance, c’est en hâter la conclusion si néces­ saire pour les deux pays et pour la paix du monde, que de faire ressortir ce qu’il y avait de faux et d’arbitraire dans la précédente attitude de la France vis-à-vis de la Turquie, attitude où — pour être tout à fait juste — on voyait les effets de la mentalité française d’avant-guerre exaspérée par les- souffrances et les horreurs de l ’épouvantable lutte que la Turquie avait prolongée de deux ans en y participant aux côtés de l’Allemagne.

Rappelons à ce sujet qu’en entrant dans le camp opposé à celui de la France, la Turquie n’était mue par aucun sentiment d’hostilité à l’égard de son alliée de la guerre de Crimée. Mais la Russie se trouvant faire partie de l’Entente, son intérêt vital commandait à l’Empire de sô ranger, aux côtés des puissances centrales. En effet, le triomphe de l’Entente devait signifier la perte de Constantinople et de l ’Anatolie orientale pour la Turquie, quelle que fût son altitude. La chose est parfaitement établie aujourd’hui. La participation de la Turquie à la guerre contre les Puissances occidentales était donc un effet des

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combinaisons de la politique générale. Il faut pourtant qu’on lui reconnaisse, à elle aussi, le droit élémentaire de placer le souci de sa survivance au-dessus de toute autre considération. Il est parfaitement injuste et illogique de lui faire un crime de l'accomplissement d’un devoir national, le premier de tous, celui de l’auto-conservation. Une fois reconnu ce devoir qui correspond à un droit, nous comprenons fort bien que les Français peuvent en vouloir instinctivement à la Turquie d’avoir, par ses actes, prolongé la guerre. Mais ils ne peuvent raisonnablement lui en faire un tort juridique ou moral. Du reste, grâce à Dieu, en cela comme en beaucoup d’autres choses, la mentalité de la guerre par rapport à la Turquie a subi l’influence calmante et éclairante du temps chez deux, tout au moins, de ses anciens adver­ saires —- la France et l ’Italie. Pour ce qui est de l ’Angleterre et des Etats-Unis, le fanatisme anglo-saxon s’y oppose. C’est malheureux mais il faut espérer que, l ’exemple des puissances latines aidant, ils finiront par avoir honte de leur attitude médiévalement réaction­ naire à l ’égard de la Turquie musulmane.

Aucune nation n’est parfaite et c’est pourquoi nous croyons pouvoir dire ces choses en toute franchise. La France, dont l’évolution senti­

mentale dans ses rapports avec la Turquie après l’armistice est celle

d’une nation foncièrement noble et généreuse, d’une nation qui, dans son appréciation instinctive de tout ce qui est élevé, a littéralement succombé à l ’admiration croissante que lui inspirait l’héroïque résis­ tance de la Turquie, peut se permettre d’écouter les vérités que ne peut lui cacher notre sympathie. Nous pouvons en dire autant de l’Italie. Aux autres nations « principales », à celles qui. sont incapables! de pareilles conversions procédant d’un fond naturel supérieur, de les

traiter d'audacieuses impertinences. .¿'Djj

La réaction française en ce qui concerne la Turquie aura une réper­ cussion formidable dahs le monde de l ’Islam et de l ’Orient en général, où la Turquie symbolise la révolte des peuples non-européens et non-chrétiens, non contre l’Occident, mais contre certaines tendances erronées de l’Occident. Cette réaction, surtout si elle prend un caractère général de réaction de principe et s’étend aux autres peu­ ples qu’on est convenu de grouper sous le nom d’orientaux, pourra

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prévenir l ’explosion de la terrible tempête dont les premières secousses se font sentir déjà aux Indes, au Maroc et ailleurs. En dehors du monde de l’Islam, directement intéressé à la restitution de ses droits à la Turquie, et aux autres communautés musulmanes en état de sujétion, l ’Orient tout entier verra dans une action de la France tendant, non, pas sans doute, à son émancipation immédiate, excepté en ce qui concerne l’Egypte, mais à l’adoption d’une sincère politique d’édu­ cation civique et économique devant lui permettre de se gouverner lui-même dans un avenir plus ou moins proche, une sûre garantie d ’un meilleur sort, et se sentira désarmé.

Le fait èst que, tant que l ’Occident continuera à faire des distinc­ tions juridiques et sociales entre lui et l’Orient ; tant qu’il pratiquera la politique de deux poids et deux mesures dont on voit les mani­ festations, même dans le domaine de la compassion humaine ; tant que sa justice sera à deux faces, l ’une pour lui, l’autre pour l’Orient où elle devient un masque pour l’injustice nue, en un mot tant que l ’Occident ne reviendra pas à une conception plus philosophiquement humaine de ses rapports avec l ’Orient, l’Orient entier, l’humanité ne connaîtra pas la paix.

Voilà, entre parenthèses, ce que la Conférence de Washington ferait bien de se rappeler. Aucune de ses décisions ne sera durable, qui ne prendra pas en considération les sentiments et les intérêts des 350 mil­ lions de Musulmans répartis sur le globe. On parle de faire justice à la Chine. Pourquoi pas à la Turquie également ? Oui, elle a un tort : c ’est d’être musulmane, et d’avoir été l’instrument d’éclatants triomphes de sa religion sur celle du Christ.

L ’accord franco-turc n’est que le premier pas dans la voie qui doit mener à la paix dans le proche Orient. Cette paix, si désirable à. tant de points de vue, on ne l’aura que le jour où, renonçant à l ’esprit qui régnait à la conférence de Londres du côté de l ’Entente, toutes les puissances de ce groupe, l’Angleterre comprise, chercheront sincè­ rement à s’entendre avec Moustapha Kemal Pacha sur la base des conditions posées par son gouvernement et qui ne représentent que ce qui est strictement dû à la Turquie. Plus de propositions fantai­ sistes ne rimant à aucun principe et n’ayant d’autre but que de

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leurrer la Turquie et de lui faire accepter des solutions qui, sous les apparences fallacieuses de « concessions », devaient la laisser seulement un peu moins mutilée et asservie 1 II ne s’agit plus de reviser le traité de Sèvres, aujourd’hui universellement condamné comme inique et contenant les germes de réaction non seulement turques mais russes, françaises et italiennes, capables de bouleverser le monde. U s’agit de le supprimer, pour faire pleine et entière réparation à la Turquie.

Est-il vraiment chimérique d’v arriver et faut-il absolument qu’il survive quelque chose de ce pacte ?

Oui, nous le savons, il faut compter avec l’Angleterre, qui semble encore aujourd'hui s’obstiner à vouloir réduire la Turquie territoria­ lement et la maintenir asservie politiquement et économiquement. Mais si la France insiste pour que justice soit faite et surtout que l’Italie la soutienne dans cette politique, force sera à l ’Angleterre de s’incliner. Du reste, même en Angleterre, des voix se font entendre, et non des moindres, pour protester contre une politique insensée qui ne peut qu’aboutir à la confusion de la fière Albion. Celle-ci devra, elle aussi, prendre le chemin d’Angora. On commence à com­ prendre chez elle, dans les cercles qui ne sont pas aveuglés par le fanatisme anglo-saxon, que plus elle tardera à entreprendre ce voyage, plus il ressemblera pour elle, lorsque enfin iJ aura lieu, à une pénible pénitence à Canossa.

On peut bien ajouter, sans passer pour intrigant, que la supré­ matie acquise par l’Angleterre en Europe à la suite du triomphe de l’Entente, est une chose du passé. La France et lTtalie n’ont qu’à vouloir avec énergie et résolution pour amener l’Angleterre à résipiscence. Tout- ce qu’elle pourrait tenter contre l’une ou l’autre se retournerait contre elle-même.

D’aucuns prétendent que l’Italie, rompant avec la politique levan­ tine inaugurée par le comte Sforza, s’est mise au service de l’Angle­ terre pour l’aider à maintenir les principes qui ont présidé à l’élabo­ ration du Traité de Sèvres. Nous refusons absolument de croire que la nation qui s’est conduite si noblement en Turquie, dès après la conclusion de l’armistice, ait été amenée à sacrifier à un calcul, du

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reste parfaitement faux, les traditions libérales qui l’ont guidée jusqu’ici dans son action à l’égard de la Turquie.

La procédure qui s'impose à l’Entente est de mettre un terme à la lamentable comédie de la « neutralité» que l’Angleterre a imaginé de lui faire jouer dans la dernière phase de la guerre turco-grecque, que celle-ci a directement provoquée et où elle a été la première à mal tenir son rôle. Puisse l’Entente redevenir bientôt la régulatrice des destinées de l’Europe. Elle doit faire acte d’autorité pour liquider la guerre gréco-turque, comme elle en a fait un pour la créer, en installant les Grecs à Smyrne, et se servir de son omnipotence pour réparer les erreurs qu’elle a commises.

Elle n’a qu’à sommer les Grecs d’évacuer Smyrne et la Thrace et à les contraindre en cas de résistance. C’est dans ses moyens. Le traité de Sèvres n’a pas été ratifié. L ’eût-il été, qu’étant fonciè­ rement immoral, il faudrait le dénouer, de même que les promesses faites en particulier à la Grèce, dans le même sens. Violer ses engage­ ments est chose damnable. Mais ce qui l’est davantage, c’est d’exécuter des engagements qui visent à la commission d’un crime.

Voici comment se pose réellement aujourd’hui la question turque. La paix d’Angora se fera de toute façon. Mais en hâter la conclu­ sion de la manière que nous indiquons et arrêter le plus vite possiblè l'effusion de sang et les dévastations qui désolent l’Anatolie, n’est-ce pas le premier et le plus urgent devoir de l’Entente ? La Grèce est manifestement impuissante à mener à « bonne » fin la guerre qu’elle a entreprise contre la Turquie à la suite des encouragements qu’elle a reçus. Dans ces conditions c’est un véritable crime de lèse-humanité, que de laisser se prolonger cette lutte abominable, sans profit aucun pour la cause antiturque et au dam de l’innocente population musul­ mane qui en souffre dans sa vie, dans ses biens et dans son honneur, surtout dans sa vie, à un degré que ceux qui ne connaissent pas la sauvagerie des Grecs ont de la peine à concevoir.

On connaît la claironnade fameuse et fanfaronne adressée à la Chrétienté du haut de la tribune par Gladstone, l’invitant à exter­ miner les Musulmans : « Tant qu’il y aura des sectateurs de ce livre maudit, le Coran, l’Europe ne connaîtra pas la paix ». Est-ce pour

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répondre à cet appel sanguinaire, que M. Lloyd George, le descendant politique et intellectuel du Great Old Man, suscite tant de difficultés à la conclusion de la paix avec les Turcs ?

Mais il n’y a pas que l’Angleterre dans ce monde. France, ne vois-tu pas, dans l’initiative à prendre pour mettre immédiatement fin à l’inutile carnage en Anatolie, une autre action digne de toi?

A. Ru s t e m Be y,

ex-ambassadeur de Turquie à Washington et député à l’Assemblée d’ Angora.

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