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5. Chapitre V

5.4. Anouilh et Œdipe “boiteux”

5.5.7. Traces du père

L’image du père chez Cixous est profondément liée avec la mort et l’obscurité.

Curieusement, ce n’est pas Laïos que mentionne Jocaste, c’est le père de l’auteure, un père qui sera difficile à effacer de ses souvenirs. Cet homme jeune et sévère qui sentait sa mort, peut remplacer n’importe quel père ou n’importe quelle personne. Le visage d’un père en douleur qui semble être défiguré. Ici, dans cet extrait, « le ciel », représente la chute, l’image destructive

apparaissant faible et inutile pour le besoin du père. Nous voyons encore un peu plus loin, un brin de souvenir de son enfance dans l’extrait suivant :

Sans crier, sans lancer son nom

Sans espérer, sans ouvrir la bouche, je ne le vis plus

Je suis sortie, j’étais dehors, je venais de perdre sa vie (p. 34)

Même si le père paraît « perdu » dans le livret, l’image d’un père décédé surgit de plus en plus dans sa mémoire et ce qui nous semble intéressant, c’est que le père est présent chez la mère et aussi chez le fils. La Jocaste cixousienne devient plus puissante afin de nier fondamentalement le pouvoir masculin et d’être libre de celui-ci. Le nom du père est ainsi de même nié par l’auteure pour refuser toute hiérarchie paternelle au moment où les sentiments féminins commencent à devenir plus forts et plus profonds. La dénégation de la hiérarchie du père est exprimée à travers le refus du nom. Dans ce livre, Cixous comme nous le remarquons dans le titre Au nom d’Œdipe, elle essaye constamment de briser le pouvoir du nom, en déniant le nom d’Œdipe, le nom du commencement, de l’origine de la masculinité.

J.

J’aurais voulu le délivrer des noms.

Tous les noms qui se font prendre pour des dieux ; Par feinte, par fraude, se font adorer.

Obéir. Passer pour des êtres purs :

Père, mère, vérité, vivre, tuer, faute, dette, épouse, vérité Mari, roi, origine, quel homme peut dire lequel il est ? Ce sont les noms qui gouvernent.

Je voulais le libérer. (p.56)

La Jocaste de Cixous veut avant tout « délivrer » Œdipe, le libérer des

« noms », des « oracles », des « dieux ».

5.5.8. « Ecrire à travers le corps » : Ecriture féminine

Au lieu de décrire le péché de la femme et sa situation misérable, l’auteure essaye d’explorer profondément Jocaste elle-même et elle appelle cette situation « écrire soi-même » ou « écrire à travers le corps» (Martineau 2005 : 22) sous forme de l’ « écriture féminine »: elle veut explorer la reine-femme, femme elle-même en tant qu’être humain, sans aucun préjugé causé par la différence de sexes, de culture ou de langues.

Sa tentative de libérer les caractères provenus des angoisses évoquées par le nom va plus loin, au-delà d’un simple conflit concernant la hiérarchie masculine (paternelle). Elle introduit une peur inconnue qui remplace le vide causé par la perte de la hiérarchie paternelle :

J.

La terreur est revenue.

C’était une peur nouvelle

J’ai entendu la ville, pleurer. Le mot « peur »

retentir. Peur, peur, peur. Se mêler de noms, d’appels de tendresse et d’adoration, et j’entendais sa voix douce

et audacieuse, l’appel inlassable de sa passion, le mot peur, peur, s’élever, expirer, se perdre parmi les noms qui

le pressait de venir, qui le choisissaient,

et sa voix d’impudeur et de naïveté qui désiraient pour dieu. Comme si « peur » était devenu prénom de cet homme.

Une peur m’a pénétrée. C’était une peur inconnue. (p.20)

Nous y remarquons une terreur, mais une terreur assez différente : elle n’est pas produite par la peur de l’oracle, elle nous parvient plutôt par l‘absence du père. Cette absence qui trouve le besoin d’être remplacée par une valeur nouvelle. A travers toutes ces forces, Jocaste veut délivrer Œdipe de ces

« noms », bien qu’elle soit continuellement menacée par la terreur dominante dans la pièce.

C’est aussi qu’à travers cette peur, sans culpabilité, que la reine-épouse montre son amour pour son fils-époux. Cet amour de la mère pour son fils que nous

avons déjà remarqué dans les pièces précédentes, est ici plus direct et plus fort:

J. (avec une violence déchirante appelle dans tous les sens, dans tous les temps)

Œdipe !

Je t’aime Œdipe ! Œdipe ! Œdipe ! (p.54)

Cette mère-épouse est assez forte pour détruire les valeurs anciennes et reconstruire d’autres nouvelles valeurs, même si elle ose parler de son corps, de son désir et de ses espoirs à travers son propre corps et aussi sa « peur ».

En fait, Cixous valorise explicitement le pouvoir maternel par le biais de son écriture féminine. Ici, l’image de la mère est en relation avec la « mer »,

« grande eau» (Cixous 1975 : 51) féminine et source féminine et primitive, qui peut démolir le « mur » construit par le nom du père:

O.

Pour nager dans ta chair qui est la mer Tes vagues me roulent. Dis-moi la mer J.

Je te dis la mer, la mer, la mer O.

Dès que tu prononces ce mot, je suis sur toi, contre toi, en toi, je suis déferlé dans toi moi tout entier

Mais c’est en moi que toi, la mer tout entière est bercée J.

Déroule, l’une après l’autre, mes vagues, toutes entière dans toi, moi la mer, mes flots nus, mes

langues, mes doigts mes lames mes mains sur toi (p.68)

Le but de Cixous dans son « écriture féminine » est de détruire avant tout dans la hiéarchie masculine : l’ordre du langage, le nom, le langage-même dans ses textes. Avec son écriture, Cixous s’attaque à l’un des plus anciens textes grecs : la tragédie de Sophocle. Pour détruire cette hiéarchie, l’auteure essaye de déformer la construction même de ses phrases en diminuant le nombre de mots au possible. Ainsi, sa pièce commence par des fragments de mots, parfois

décomposés même, sans utiliser des phrases complètes, nous pouvons bien le voir dans l‘introduction de son livret :

Peur Peur Non !

Peur L’amant Je ne veux pas Sans

J’ai peur Meurt Sans

Mère Pas revenir

Enfant Peur Sens

Se voient Ne pas savoir

Mourir Où est Non ! Sang

Mère pleure Le corps Mourir !

L’enfant L’en Je ne veux pas Du sang (p.13)

Néanmoins, ici, l’ordre du langage est complètement détruit et les fragments des mots nous donnent l’impression d’un écho de l’inconscience du lecteur ou de l’audience. Elle vise à nous donner cette impression de vouloir réécrire une forme d’écriture à partir d’une déconstruction de l’ordre du langage. En fait, dans Le Nom d’Œdipe, l’histoire est très courte car pour celle-ci, l’audience et le lecteur sont supposés avoir déjà une connaissance basique de l’histoire du mythe à partir de l’Œdipe roi de Sophocle.

En fait, Cixous en rédigeant ce livret, essaye de se libérer, de se soigner des douleurs dues à ses anciens souvenirs et aussi, elle essaye de se guérir de ce long conflit entre l’obéissance et la désobéissance vis-à-vis de la domination de la hiérarchie paternelle à travers le mythe.

Cixous en donnant une forme et ainsi qu’un nom à une nouvelle écriture, veut se libérer et écrire ses pensées librement sans se sentir censurée par la domination de l‘homme. Donc l « écriture féminine » inventée par celle-ci, se retrouve libre de toute rétreinte. Plus loin, dans Le rire de la Méduse, elle parlera d’une écriture qui coule comme l’eau, symbole de la liberté. Selon Cixous: « …nous sommes nous-mêmes mers, sables, coraux, algues, plages, marées, nageuses, enfants, vagues » (Cixous 1975 :51). Les éléments de l’eau sont présents dans cet extrait montrant la femme libre dans son écriture.

Benzer Belgeler