5. SONUÇ ve ÖNERİLER
5.1. Sonuçlar
5.1.1. Sayı Duyusu Temelli Öğretim ve Sayı Duyusu
Le moment de la spontanéité créatrice est la plus infime présence du renversement de perspective. C’est un moment unitaire, c’est-à-dire un et multiple. L’exposition du plaisir vécu fait que, me perdant, je me trouve ; oubliant qui je suis, je me réalise. [...] Le voyageur qui fixe sa pensée sur la longueur du chemin à parcourir se fatigue plus que son compagnon qui laisse au gré de la marche errer son imagination ; de même la réflexion attentive à la démarche du vécu, l’abstrait, le réduit à de futurs souvenirs.
Pour qu’elle se fonde vraiment dans le vécu, il faut que la pensée soit libre. Il suffit de penser autre dans le sens du même. Tandis que tu te fais, rêve d’un autre toi-même qui, un jour, te fera à son tour. Ainsi m’apparaît la spontanéité. La plus haute conscience de moi inséparable du moi et du monde.
Encadré 12. Extraits de Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (Vaneigem, 1992/1967: 150-151 et 250-251).
Entre conseillisme et individualisme, les thèses situationnistes accompagneront « le mai français » et l’IS continuera ses publications et ses actions jusqu’à son autodissolution en 1974.
3.5.2. Mai 68 ou l’explosion de la parole
Bien que les organisations anarchistes institutionnelles, telles que la Fédération anarchiste (FA) ou la Confédération nationale du travail (CNT), n’aient pas joué un grand rôle dans l’émergence et le maintien du mouvement (Préposiet, 2005 : 338), durant Mai 68 « les noms et les évènements des débuts du mouvement anarchiste s’affirment comme un répertoire dans lequel aller piocher des symboles » (Baillargeon, 2008 : 125). En effet, « [a]lthough the participants in these movements for the most part did not regard themselves as anarchists, many of them were expressing basic ideas of anarchism » (Gordon, 2012: 30). À cela s’ajoute un bouleversement dans l’appréhension des pratiques langagières, ce qui fait de Mai 68 un tournant dans la construction de l’évènement de parole AG au sein des mouvements politiques d’extrême gauche en général.
3.5.2.1. Un mouvement gauchiste d’inspiration libertaire
La réappropriation du quotidien, la démystification de l’autorité, la libération des lieux et des corps, la revendication d’une autonomie politique des institutions sont autant de thèmes insufflés par l’IS qui guideront les étudiants de Mai 68, bien que ce mouvement, dans sa version étudiante, fut avant tout un mouvement gauchiste51. Si le mouvement démarre et prend de
51 « On désigne par gauchisme l’ensemble des mouvements et organisations révolutionnaires qui, tout en étant parfois séparés les uns des autres par des divergences et des oppositions doctrinales ou tactiques, mènent leurs
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l’ampleur sous l’influence de quelques groupes et personnalités, constitués en avant-garde révolutionnaire, le refus de chefs officiels ou de porte-parole mandaté ou élu est systématiquement mis en avant (Dansette, 1971 : 75-76). Pour Adrien Dansette, « la souplesse, on peut même dire l’absence de structure de mouvement est une très heureuse idée, grâce à laquelle la base s’élargit vite, s’agrégeant des éléments qui répugneraient à une adhésion formelle, à l’attribution d’une carte par exemple » (1971 : 75).
Voici comment deux journalistes décrivent l’ambiance de la Sorbonne réoccupée : À la base, et en théorie, la source de tout pouvoir se trouvait à l’Assemblée générale, une immense foule qui, chaque soir, s’entassait dans le Grand Amphithéâtre. La démocratie directe existait, c’était un forum où régnait une tolérance extrême [...]. En principe, toutes les décisions prises dans la Sorbonne devaient être soumises à l’approbation de l’Assemblée. Chaque soir, celle-ci élisait un comité d’occupation de quinze membres détenant le pouvoir exécutif. Son mandat était limité à un jour et une nuit, car le pouvoir corrompt, et chaque représentant élu doit constamment rendre compte de ses actes à ses électeurs, disaient les étudiants [...] .
Encadré 13. Extrait d’un reportage à propos de la Sorbonne occupée en 1968 (annexe présentée par Dansette, 1971 : 403).
Si le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne est le lieu d’une AG permanente pendant plus de quatre semaines, chaque salle, chaque recoin de cours et de couloir est le lieu de débats et de discussions. Dans les usines, bientôt également occupées par les ouvriers en grève mobilisés à partir de début mai, une même « explosion de paroles » se fait entendre (Canut, 2011 : 14) :
Quelque idéaliste que puisse être cet imaginaire linguistique, les interlocuteurs sont supposés entrer dans des relations d’égalité afin d’atteindre une parole soustraite à toute forme de domination, de hiérarchisation et de pouvoir. Dans les assemblées, la parole était le bien le plus précieux : « Ici, tout le monde a le droit de parler » (Canut, 2011 : 16).
Le désir d’abolir les rapports de domination, d’en finir avec les inégalités de statuts, semble passer subitement par l’expérience communicative, par le dialogue et donc par l’échange verbal qui offre la possibilité, dans l’ici et maintenant, d’une redéfinition du contexte et des relations entre interlocuteurs :
Expérimenter la démocratie directe, l’autonomie, l’autogestion, la responsabilité des citoyens, à travers les grèves, les occupations spontanées, les assemblées générales, etc., revient à renverser l’ordre du langage supposé immuable et la distribution sociale instituée de la parole. Elle suppose le refus de tout leader, meneur ou chef (Canut, 2010 : 16-17).
actions en dehors du communisme orthodoxe auquel ils reprochent, soit son mépris de la liberté, soit le caractère réformiste de sa politique » (Dansette, 1971 : 41).
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Mai 1968 est donc intéressant en ce qu’il fut un mouvement social particulièrement marqué par un réinvestissement de l’acte langagier et c’est d’ailleurs à ce moment précis que des discours à propos des AG émergent.
Bien que les organisations anarchistes institutionnelles, telle que la Fédération anarchiste (FA) ou la Confédération nationale du travail (CNT) n’aient pas en tant que telles joué un grand rôle dans l’émergence et le maintien du mouvement (Préposiet, 2005 : 338), on ne peut que constater une « libertarisation » du mouvement étudiant en général : les noms et les évènements des débuts du mouvement anarchiste s’affirment comme un répertoire dans lequel aller piocher des symboles (Baillargeon, 2008 : 125). Et en effet, que ce soit par la mise en place d’une démocratie directe ici et maintenant conçue comme le moyen d’organisation politique le plus légitime, par le choix d’un répertoire d’action offensif faisant prévaloir l’action directe sous la forme de l’occupation et de l’affrontement ou encore par l’affirmation de l’autonomie des individus et la libération des corps, les participants au mouvement étudiant de Mai 68 ont finalement fait leurs de nombreux principes de l’anarchisme « historique » (Gordon, 2012 : 30).
3.5.2.2. L’AG s’impose dans les répertoires d’action
L’AG ne semble pas, lors du mouvement étudiant de Mai 68, relever d’un répertoire d’action exceptionnel, c’est-à-dire que ni sa mise en pratique ni sa dénomination ne paraissent constituer un enjeu, que certains militants tenteraient par exemple de promouvoir explicitement (Le Mazier, 2015 : 140). Les réunions politiques reçoivent par ailleurs des dénominations variées, comme « occupation d’un amphithéâtre », « réunion-débat », « débats », « assemblée libre » et aussi « assemblée générale », sans qu’il ne soit facile de saisir ce que connotent ces termes pour les locuteurs qui les emploient. Quant à l’usage d’« assemblée générale », Julie Le Mazier suppose qu’il s’est imposé par le biais des salariés des universités engagés dans le mouvement, qui eux-mêmes le tenaient probablement des ouvriers grévistes. Mais
il en vient à désigner chez les étudiants des pratiques de réunion qu’ils ont dès le début de la contestation et, pour certains, dès les années 1960. On ne peut donc pas comprendre la diffusion de l’AG dans le milieu étudiant en 1968 sur le modèle de l’importation clé en main d’un dispositif. Il s’agit bien plutôt d’un élargissement incrémental et sans solution de continuité du répertoire organisationnel et des façons de le nommer, sous l’effet de la multiplication des débats de toutes sortes (Le Mazier, 2015 : 141).
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Dans la Sorbonne occupée comme à l’université de Toulouse, l’AG est défendue par la majorité des tendances comme souveraine, décisionnaire, sur le modèle des conseils ouvriers52
(voir chapitre 1). Dans cette dernière université, un bulletin lui est même consacré, L’assemblée
libre, qui publiera entre mai et juin 22 numéros reprenant les comptes rendus des AG et
annonçant les dates des prochaines actions. Mais si l’AG s’impose comme instance politique légitime (« démocratique ») pour la coordination du mouvement, certains étudiants se tournent vers d’autres répertoires jugés plus révolutionnaires, comme les « comités d’action » qui, contrairement aux AG, ne réunissent que des personnes engagées dans le mouvement pour préparer, comme son nom l’indique, des actions politiques. Si l’AG fait donc l’objet de discours c’est avant tout en tant qu’instance politique, que pratique et ressource organisationnelle et non pas comme ordre interactionnel. Il n’empêche que c’est à partir de la fin des années 1960 que l’AG s’impose comme répertoire d’action dans les mouvements anarchistes et bientôt autonomes.