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La renaissanca de la Turquie:Comment peut-elle se faire?

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La renaissance de la Turquie

Comment peut-elle se faire?

Letii\,ouverte

à Ahmed Riza

--- à Constantinople..

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La renaissance de la Turquie

Comment peut-elle se faire?

Lettre ouverte

à Ahmed Riza

à Constantinople

de

N. Rizoff.

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Je m’adresse à vous, non pas seulement en votre qualité de Président du second Parlement Ottoman. Avant d’être élevé à ce poste d’honneur, vous avez été, pendant près de trente ans, exilé à l’étranger et vous avez dirigé la rédaction de l’organe jeune-turc “Mechveret“. J ’ai donc le droit de vous considérer comme l'idéologue du parti jeune-turc et comme son chef autorisé, bien que vous ne l’ayez pas encore été proclamé officiellement. En dehors de ces qualités, vous avez eu le rare bonheur de vivre, bien plus longtemps que tous vos camarades, dans un milieu de haute culture, d’avoir passé presque tout le temps de votre exil dans la capitale des révolutions et des libertés et d’avoir été un des disciples les plus zélés du créateur de la philosophie positive, Auguste Comte. Vous pouvez donc, avec juste raison, être considéré comme l'homme le plus européanisé parmi vos co-nationaux et com­ me l’intelligence la plus positive parmi les hommes de votre parti. Toutes ces qualités, si heureusement combinées en vous, font de vous une personnalité de haute culture politi­ que, dont le premier indice doit être l’absence de tout fa­ natisme et le second, la tolérance pour les opinions et les droits d’autrui.

N’allez pas me prêter l’intention de vous apporter des conseils que vous ne m’avez pas demandés. Ce serait une erreur encore plus grande de me prendre pour un de ces prétendus sauveurs de patrie dont M-r Alfred Fouil­ lée s ’est si spirituellement moqué. Cependant l’erreur le plus indigne de vous serait de concevoir le soupçon que je viens vous parler en qualité d’ancien citoyen et

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d’an-— 4 d’an-—

cien fonctionnaire de la Bulgarie, vous qui avez aussi abandonné votre propre patrie afin de lutter contre le régime affreux qui l’accablait.

C’est tout le contraire.

Fils du pays qui vous a vu naître vous-même, pays que j’ai quitté peu de temps après vous, où je suis rentré également pfesqu’en même temps que vous et où je suis décidé à passer désormais ma vie, je ne saurais n’avoir, comme vous, d’autre désir que sa renaissance. Toutefois, une question se pose: Comment cette renaissance peut-elle

s'accomplir? Et, sous ce point de vue, toutes les opinions

de ses enfants, qui pensent, doivent être écoutées avec autant d’empressement qu’on en met à demander tous leurs efforts dans le but de réaliser cette renaissance.

C’est donc pour vous dire mon opinion sur le nou­ veau régime politique, instauré le 11 24 juillet dernier dans notre patrie, que je m’adresse à vous, qui en êtes le représentant le plus autorisé. Vous voudrez bien, je l’es­ père, me faire l'honneur de croire que je ne serais pas venu vous importuner de cette opinion, si elle n’expri­ mait que mes propres idées. Quand vous l’aurez entendue, il vous sera bien facile de reconnaître qu’elle exprime les vues, encore insuffisamment formulées et précisées, en­ core flottantes pour ainsi dire, de tous les Ottomans libé­ raux, sans distinction de religion ni de nationalité, qui ne sont pas entrés dans les rangs du Comité jeune-turc. Or, le nombre et la qualité de tous ces Ottomans doivent nécessairement attirer toute votre attention.

Je pousserai la sincérité et la franchise jusqu’à leurs dernières limites. Il ne saurait, en effet, exister de signi­ fication ni d’utilité à disserter autrement sur des questions qui touchent aux intérêts et à l’avenir de tout un pays. En outre, les 25 millions d’âmes qui habitent l’Empire Ottoman ont assez souffert des erreurs du régime passé, pour avoir le droit d’entendre la vérité pendant le ré­ gime actuel.

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tiquement, de devenir un Etat constitutionnel et parle­ mentaire qui donne à tous ses sujets de différentes natio­ nalités des droits égaux en politique et à leur dévelop­ pement moral, intellectuel et social?

Cette question terrifiante a été posée bien des fois et bien des fois il y a été répondu. Soyons assez mo­ destes et assez justes pour reconnaître que presque toutes les réponses ont été négatives Le plus malheureux, c’est que l’histoire de la Turquie elle-même, pendant ces quatre-vingts dernières années, ne donne aussi qu’une réponse négative; mais ce qui est encore pire, c’est qu’il y a aujourd’hui même des gens qui connaissent et aiment la Turquie et qui doutent cependant de la possibilité de sa transformation.

La conviction que l'Empire Ottoman est incapable de ' se transformer en un Etat Européen moderne, était devenue si générale, si répandue et si incontestée que l’Europe s’est trouvée dans l’impossibilité morale de prendre parti pour la Turquie toutes les fois qu’une nationalité asservie tentait de se libérer et de se séparer de l’Empire. Pour se convaincre de la justesse de cette remarque, il suffit de comparer la carte géographique de la Turquie au commen­ cement du XlX-ème siècle avec celle du commencement du XX ème siècle.

Cela nous mènerait trop loin de rechercher les cau­ ses qui ont permis à cette conviction de se former sur la Turquie. Il nous suffira donc de constater le fait et de le considérer comme universellement accepté et confirmé par l’histoire et la géographie même de ce pays.

Cette opinion générale sur l’incapacité de la Turquie à se moderniser commençait à pénétrer dans l’âme des Musulmans eux-mêmes lorsque, subitement et contre toute attente, le monde entier se trouva en présence des évér nements du 11 24 juillet 1908.

Que s’est-il donc accompli en ce jour historique? La chronique dit: “une révolution“ ; l’histoire dira: “un pronunciamento“, et c’est l’histoire qui aura raison.

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Oui. En ce jour célèbre eut lieu un pronunciamento militaire qui eut pour résultat de rétablir la Constitution de Midhad Pacha, du 11 23 décembre 1876, suspendue avant d’être appliquée. Mais quant à la révolution elle- même, c’est-à-dire à la transformation politique de l'Empire Ottoman, elle est encore à accomplir.

C’est à ce fait, insignifiant en apparence, c’est à l’ac­ complissement d’un pronunciamento et non d’une révolu­ tion qu’il faut attribuer le scepticisme que l’on rencontre chez beaucoup de personnes à l’égard du nouveau régime dans l’Empire Ottoman. L’opinion, généralement adoptée que la Turquie était incapable de se moderniser, a été for­ tement ébranlée par le pronunciamento, mais elle n’a pas été définitivement détruite. Elle ne pourrait l'être, du reste, que par une révolution; or, la révolution elle-même n’est pas encore commencée. Cette raison notamment, fait que les admirateurs les plus enthousiastes du coup de force jeune-turc eux-mêmes reconnaissent dans leur for intérieur que tout n’est pas terminé et que ce qui a été fait ne doit être accepté que sous bénéfice d’inventaire.

Je ne sais même pas si ce serait trop s’avancer que de dire que l’existence même de l’Empire serait en dan­ ger, au moins pour la partie située en Europe, au cas où le pronunciamento du 11/24 juillet ne serait pas suivi de la révolution pacifique indispensable qui doit transformer l’Empire Ottoman. Nous ne devons pas nous forger d’illu­ sions: le nouveau régime est le dernier essai tenté pour moderniser laTurquie. Si elle ne réussit pas cette fois à se transformer, après toutes les expériences malheureuses des quatre-vingts dernières années, elle ne pourra exister emore longtemps comme Etat européen. La domination turque en Europe prendrait fin bien plus tôt qu'on ne l’i­ magine. Cette fin serait-elle amenée par les peuples de l’Empire eux-mêmes, par les Etats balkaniques voisins ou par l’effort combiné de certaines ou de toutes les grandes Pui­ ssances? Qu'importe! L’évolution politique, qui se produit dans les dernières années du siècle actuel, permet de prédire, sans aucune prétention au don de prophétie, que le XX-ème

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siècle liquidera en Europe tous les régimes de gouverne­ ment qui ne pourront s’adapter aux nouvelles conditions de la vie politique et sociale contemporaine. Et ce siècle à l’action intensive procédera en premier lieu à la liqui­ dation de ( ette sorte de régimes dans les Etats aux natio­ nalités multiples dont la vie sociale est encore compli­ quée par des particularités nationales.

Il ne reste qu’un moyen à l’Empire-Ottoman pour évi­ ter un tel sort, c'est d’entreprendre une révolution pacifi­ que et légale qui le transforme complètement en l’adap­ tant aux besoins démocratiques de notre époque, d’une part, et de l’autre, aux aspirations autonomistes des diverses races qui le peuplent.

Mais comment cette révolution pourrait-elle s’opérer? Voilà la question capitale et qui constitue l’objet principal de cette lettre. Cependant, avant de l'aborder, il est de toute nécessité de démontrer que le nouveau régime dans l’Empire Ottoman, étant le produit d’un pronunciamento militaire et non d’une révolution, non seulement n’a pas justifié les espérances qu’il avait fait naître sur la renais­ sance de la Turquie, mais qu’il n’a même pas encore fait entrevoir qu’il serait en état de les réaliser dans un avenir prochain. Lorsque j’aurai exposé les arguments de cette démonstration, il sera évident pour tout le monde, j’en ai la conviction, que la révolution dont il s’agit est indis­ pensable.

Voici donc l’exposé de ces arguments.

Il serait injuste de ne pas reconnaître que les pre­ miers actes des hommes qui ont accompli le pronuncia­ mento du 11/24 juillet, ont été au dessus de tout éloge. La liberté accordée à tous les Ottomans, l’amnistie qui a suivi le mouvement et la noble tentative de réconcilier les nationalités ennemies dans l’Empire, furent des actions dont peuvent s’enorgueillir à juste titre, non seulement

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des révolutionnaires, mais même des hommes d’Etat. Ce sont précisément ces actes de haute sagesse, accomplis avec un tact rare et une sincérité évidente, qui ont pro­ voqué chez tous les Ottomans une explosion d’enthousiasme inconnue jusqu'alors et qui ont assuré la victoire au coup de force accompli et lui ont gagné la sympathie de tous les peuples civilisés.

Je suis cependant forcé d’ajouter aussitôt, avec regret, que cette ère lumineuse de complète liberté, de réconciliation fraternelle et d'idéalisme sincère n’a pas été de longue durée. Bientôt, trop tôt hélas! les désillusions ont succédé à l’enthousiasme et le désenchantement a repris ses droits, consternant tous les esprits qui s’étaient livrés à l’espérance et assombrissant les âmes qui s’étaient abandonnées à la joie. Et . . . l’idylle politique a disparu comme une vision et, avec elle, l’enthousiasme grandiose qu’elle avait provoqué chez tous les peuples de l’Empire. Et cette chute a donné au transport dans lequel le peuple avait vécu, la physionomie dégradante d’une griserie po­ litique . . .

D’où provenait donc le désenchantement!

La source en est aujourd’hui facile à découvrir; il suffira de se placer devant une alternative peu compliquée pour la voir surgir à tous les regards.

C’est en effet, l’un ou l’autre:

Ou les auteurs du coup de force du 11 24 juillet 1908 n’avaient d’autre but que de faire échouer l’action réformatrice de l’Europe en Macédoine et de détourner de l’Empire les résolutions fatales de Revel, sans aucune intention de donner la liberté et l’égalité à tous les peuples habitant l’Empire Ottoman, après avoir atteint ce but p a ­

triotique astucieux.

Ou bien les héros du pronunciamento étaient de bons conspirateurs, mais des patriotes assez inintelligents et des hommes d’Etat assez peu perspicaces pour se figurer naïvement que les sympathies de l’Europe et les succès du coup de force suffiraient pleinement pour faire renaître et pour consolider l’Empire Ottoman.

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Tout Ottoman non prévenu devrait se demander la­ quelle de ces deux suppositions explique toutes les fautes commises par le nouveau régime qui ont amené les dés­ illusions. Pour l’honneur du pronunciamento et de ceux qui en ont été les héros, je n’admettrai pour ma part que la seconde supposition. Ce choix m’est imposé, non seu­ lement par la foi que je possède dans les bons côtés de la nature humaine, mais encore par la difficulté où je suis de discerner l’adaptation et l’utilité des actes du nouveau régime, même si on les envisage à un point de vue ex­ clusivement musulman.

La première de ces fautes, par ordre chronologique, fut de laisser intact presque tout l ’ancien appareil ad­

ministratif et gouvernemental de VEtat. Les auteurs inex­

périmentés du pronunciamento ne s’étaient pas rendu compte que toute convulsion nationale et toute transfor­ mation d’Etat exigent des hommes nouveaux à la tête du gouvernement et de l’administration. Et c’était une nécessité d’autant plus rigoureuse dans l’Empire Ottoman que la vieille administration était complètement et défini­ tivement compromise aussi bien aux yeux des Ottomans eux-mêmes qu'à ceux du monde entier. Je sais que ce changement n'était point facile, car on improvise diffici­ lement de bons fonctionnaires, surtout dans un pays où le favorilisme, le népotisme et la complaisance ont, pendant plusieurs siècles, tenu lieu de diplômes, de concours et de capacités; il était indispensable cependant de faire au moins le possible en demandant même quelques fonctionnaires aux autres nationalités de l’Empire. En tous cas, le mi­ nimum d’efforts que l’on pouvait exiger, c’était le dépla­ cement de tous les chefs d’institution de l’Etat d’un lieu à un autre. Ce changement devait avoir lieu surtout pour les fonctionnaires placés à la tête des institutions avec lesquelles les Ottomans sont le plus fréquemment en contact. On a oublié, dans cette circonstance, le trait le plus élémentaire de la psychologie des peuples, c’est à-dire que les masses n’apprécient pas les mérites d’un nouveau régime sur des abstractions, mais sur des faits

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concrets et qu’elles jugent des choses sur des réalités et non sur des phrases. Cette grave erreur a le plus contribué à répandre les désillusions dans tous les sens de l’Empire. Et c’était tout naturel; les anciens fonctionnaires restant en place, ils continuaient à incarner devant les masses l’image terrible de l’ancien régime. Ils ne tardèrent pas, du reste, à retomber dans l’ancienne ornière. De la pre­ mière crainte que leur avait inspirée le nouveau régime, il ne leur restait que la circonspection: ne pas étaler les abus qu’ils commettaient dans l’exercice de leurs fonctions, mais les dissimuler et les commettre en respectant un peu plus les formes.

Le gouvernement central ne fa t pas réorganisé, comme l ’exigeait un régime entièrement nouveau, ce fut

encore une autre faute non moins grave que la première. Ainsi, le poste le plus important peut-être dans le Cabi­ net, le ministère des Affaires Etrangères resta confié à l’ancien titulaire qui l’avait occupé pendant de longues années sous l’ancien régime; malgré toute son intelli­ gence et sa bonne volonté, il ne pouvait échapper com­ plètement à l’influence des anciennes méthodes de gou­ vernement, aux anciennes traditions politiques ainsi qu’à celle de ses anciennes relations. En outre, dans le nou­ veau Cabinet, les portefeuilles ne furent distribués qu’aux représentants de trois nationalités dans l’Empire et toutes les autres furent négligées. Dans l’Empire Ottoman il n’y a pas moins de Bulgares que d’Arméniens; cependant ces derniers possèdent un ministre dans le Cabinet, tandis que les premiers ne comptent pas même un fonctionnaire d’Etat de quelque importance. Ni les Albanais ni les A- rabes ne sont représentés dans le ministère, sans citer d’autres nationalités moins nombreuses, mais qui pour­ raient cependant être représentées chacune par un ministre adjoint ou par un sous-secrétaire d'Etat. Peut-on s’étonner après cela que le ministère ait commis, dès les premiers jours de son existence, la maladresse injustifiable qui a interrompu les relations diplomatiques entre l’Empire et la Bulgarie, sa voisine, et a provoqué ainsi la proclama­

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tion de l’indépendance de cette dernière? L’expérience de Kiamil Pacha n’a pu éviter cette maladresse, mais la présence d’un Bulgare dans le cabinet l’aurait facilement écartée.

Une faute plus grave encore a été commise en con­

servant le statu quo dans les querelles religieuses et sco­ laires entre les nationalités chrétiennes, jusqu’à “la dé­ cision du Parlement“. Tout d’abord un Parlement n’a pas

à prendre de décision sur ces querelles. Il n’a pas le pou­ voir exécutif; ce n’est qu’une institution de législation et de contrôle. En cette qualité, le plus qu’il puisse faire, c’est d’interpeller le gouvernement sur la question et d’e­ xiger qu’il applique les dispositions de la Constitution et les lois. La Constitution restaurée a consacré le principe et dégagé la méthode à appliquer à la solution de ces querelles. La liberté de conscience et de culture égale pour tous les Ottomans, tel est ce principe. Quant à la méthode, elle est déterminée par le droit de propriété ; les églises et les écoles doivent appartenir à la population qui les a construites; là où la population est mélangée, elles doivent revenir à la majorité. Cette solution de la question est constitutionnelle, légale et juste et elle peut- être donnée par les autorités locales. Malheureusement le nouveau régime marche ici encore sur les traces de l’an­ cien et il a mêlé à cette question si claire les privilèges du Patriarcat grec et du statu-quo. Il était évident cepen­ dant pour tout le monde que les constitutions ne recon­ naissent pas de privilèges, mais des droits égaux pour tous; que la liberté de conscience et le droit de propriété sont consacrés par la Constitution et les lois et que le nouveau régime est, par son essence même, la négation du statu quo laissé par l’ancien régime. En dépit de cette évidence, le comité jeune-turc a mis en usage une tac­ tique machiavélique en ajournant et en laissant au Parle­ ment la solution de ces conflits. Cette conduite n’indique- t-elle pas d’abord un dédain complet à l’égard de l’esprit de la Constitution que l’événement du 11/24 Juillet avait pour but de restaurer, et ensuite une intention indigne

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de jouer avec les droits de toute une population qui a fait le plus de sacrifices pour la liberté? Cette manière incorrecte d’agir ne met-elle pas fin à la noble tentative de réconcilier les nationalités chrétiennes ennemies qui avait donné des résultats si encourageants aux premiers jours du nouveau régime? Pour que la paix règne entre les nationalités chrétiennes de l’Empire, il faut que leurs différents soient réglés une fois pour toutes et on n’attein­ dra ce résultat que le jour où le critérium juridique pour cette solution sera définitivement fixé. Or, ce critérium existe depuis longtemps et la Constitution vient de le sanctionner à nouveau. Pour supprimer à jamais tout con­ flit de cette nature, les autorités compétentes n'ont donc qu’à se conformer rigoureusement et uniformément, à l’é­ gard de toutes les nationalités, à la Constitution et aux lois du pays.

Cependant, l’erreur la plus inexcusable du nouveau régime — ou plus exactement du Comité jeune-turc " Union et Progrès“, — c’est, sans contredit, son étroit natio­

nalisme ottoman. Et c’est plus encore qu’une erreur, car

ce nationalisme étroit, et je n’hésite pas ici à exprimer ma conviction profonde, peut devenir fatal aussi bien au nouveau régime qu’à l’existence même de l’Empire.

C’est à cette erreur capitale que sont dus presque tous les actes inopportuns, insensés et illégaux du nou­ veau régime: par exemple, la folle intention d’attenter à l’autonomie scolaire des nationalités chrétiennes, conquise par tant de luttes et tant de sacrifices; — les efforts in­ dignes faits pour créer et entretenir des divisions et des groupes ennemis au sein d’une même nationalité (comme c’est le cas du groupe Sandansky, Panitza et Tchernopé- eff, protégé par le comité et les autorités contre les clubs constitutionnels bulgares qui encadrent l’immense majo­ rité de la population bulgare); — les abus inconcevables commis dans les dernières élections, grâce auxquels la population bulgare qui compte dans les vilayets macédo­ niens et celui d’Andrinople jusqu’à 1 500.000 âmes et qui devait avoir par conséquent de 12 à 15 représentants

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au Parlement, n’a pu y envoyer que quatre! Et l’effet dé­ plorable sur la confiance des populations non musulmanes dans le nouveau régime en a été immédiat; — la décision arbitraire qui prive les Albanais catholiques du droit de se faire représenter au Parlement; — la protection manifestée aux bandes terroristes serbes et grecques dans leurs attaques contre la nationalité bulgare; — les menaces ridicules de chasser l’Exarchat Bulgare de Constantinople; — la persé­ cution contre l’élément bulgare dans l’Empire par esprit de vengeance contre la Bulgarie pour avoir déclaré son indé­ pendance; — l’arrestation illégale du publiciste albanais Derviche Hima pour avoir prêché à Chkodra l’autonomie de l’Albanie; — l’interdiction faite aux représentants bul­ gares d’exposer au Parlement les injustices et les violences que les Bulgares ottomans ont eu à supporter sous le nouveau régime; et bien d’autres illégalités et injustices moins importantes qu’il serait trop long d’énumérer ici.

Tout cela n’indique-t-il pas de la manière la plus indiscutable que l’Empire Ottoman n’est pas encore de­ venu un Etat de droit, que le sentiment de la légalité n’a pas encore pénétré dans les âmes des organes mêmes du gouvernement, que l’égalité n’est pas encore assurée à tous les Ottomans, et que la liberté proclamée récem­ ment n’est qu’à peine supportée, comme une faveur que l’on peut retirer à chaque instant? Et c’est justement ce qui prouve de la façon la plus éclatante que le pronuncia- mento, accompli le 11/24 juillet dernier, n’a aucunement transformé l’Empire et qu’une révolution pacifique et légale est une nécessité inéluctable pour compléter ce pro- nunciamento en créant une nouvelle vie dans l’Empire et en consolidant un développement pacifique, calme et régulier.

Et maintenant, la nécessité de cette révolution étant démontrée, il ne me reste plus qu’à indiquer de quelle manière elle peut s’opérer sans secousses, sans effusion de sang et sans intervention étrangère.

Voici comment on peut réaliser dans l’Empire une révolution pacifique et légale:

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Tout d’abord les cercles dirigeants dans l’Empire et, en premier lieu, le Comité jeune-turc “Union et Progrès“ doivent se débarrasser au plus tôt de leur chauvinisme et se convaincre de la vérité et de la justesse irréfutables des

deux propositions suivantes:

Primo. C’est une utopie dangereuse et irréalisable

que de songer à créer de nos jours, avec la Turquie com­ posée de races multiples, un amalgame politique sous l’é­ tiquette de “Nation Ottomane“ et sous la forme d’un Etat centraliste, dans lequel le peuple turc gouvernerait tous les autres peuples en leur abandonnant les maigres miettes du festin de l’Etat, c’est-à-dire une liberté éphé­ mère et une égalité de surface.

Cette pure utopie est irréalisable par les raisons sui­ vantes. Presque toutes les nationalités dans l’Empire sont supérieures à la nationalité turque au point de vue poli­ tique et de la civilisation. Toutes ces nationalités consti­ tuent la majorité de la population dans la Turquie d’Eu­ rope. Elles ont presque toutes, sur les fontières turques mêmes, des co-nationaux libres et indépendants prêts à entrer en lutte pour elles. Elles ont reçu de l’Europe, dans le passé, de larges droits nationaux et de grandes espérances pour une vie autonome. Certaines de ces na­ tionalités ont versé beaucoup de sang pour obtenir ces droits et ces espérances et les autres sont prêtes à faire les mêmes sacrifices à l’avenir. Le XX-ème siècle est le siècle des aspirations vers l’individualisation nationale. Enfin, cette utopie est inapplicable à la Péninsule Balka­ nique où l’Europe elle-même possède des droits propres que, malgré toutes ses sympathies actuelles pour l’Em­ pire, elle ne sacrifiera pas, si elle voit que la paix et l’ordre ne peuvent se consolider en Turquie; or, cette paix et cet ordre sont impossibles même à établir, si on veut igno­ rer les droits nationaux des peuples non musulmans dans l’Empire.

Cette utopie est dangereuse aussi, parce qu’elle peut

à la longue provoquer la liquidation au moins de la par­

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Secundo. La tâche principale qui attend les hommes

d ’Etat et le Parlement turc est celle-ci : Plusieurs natio­

nalités de races différentes doivent vivre en commun »

dans l’Empire Ottoman; quelles sont les formes de gou­ vernement et d'administration à créer pour que toutes ces nationalités vivent en paix et en sympathie? Or, cette

tâche ne peut être accomplie, dans le sens voulu et uti­ lement pour l’Empire Ottoman, que par la méthode gou­ vernementale employée en Angleterre, en Suisse et en Autriche, c’est-à-dire par la décentralisation de l’Etat

sous la forme de provinces nationales, jouissant d ’un ré­ gime autonome (self-gouvernement).

C’est par cet unique moyen que les diverses natio­ nalités de l’Empire cesseront de jeter leurs regards hors de ses fontières et qu’elles n’auront plus de meilleure patrie que l’Empire. C’est encore, pour l’Empire Ottoman, ia seule manière de se rendre invulnérable contres les in­ terventions étrangères, de consolider son intégrité et de garantir son inviolabilité territoriale. Et c’est aussi sa seule ressource pour devenir un Etat moderne capable d’affron­ ter et de résoudre les problèmes nationaux et sociaux qui se poseront nécessairement et d’assurer ainsi à ses peuples un développement calme et régulier.

C’est, en effet, seulement dans la pleine jouissance du droit à la libre existence nationale que l’on ne se sent pas étranger dans sa propre patrie et c’est la possession seule de ce droit qui peut créer une paix durable et un ordre véritable dans un Etat formé de plusieurs peuples. C’est par cette seule méthode de gouvernement que le lien entre les différentes nationalités pourra devenir na­ turel et solide, les conflits nationaux se transformant en rivalité pour le développement du progrès dans l’avenir et la lutte pour le partage du territoire de l’Etat se chan­ geant en émulation entre elles au sein de l’Etat même. C’est encore par cet unique moyen que le gouvernement central et le Parlement pourront réformer au plus tôt l’Em­ pire dans toutes les branches et consacrer toute leur acti­ vité aux questions capitales et à la direction suprême de

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l’Etat. Enfin, cette méthode de gouvernement est le plus puissant moyen d’élever un rempart inexpugnable contre les attaques, possibles dans l’avenir, du côté de l’absolu­ tisme et de la réaction pour usurper de nouveau le pou­ voir. (Cette dernière éventualité n'est nullement écartée, malgré votre optimisme actuel; la réaction anticonstitu­ tionnelle, qui existe en Perse et en Russie, en est la preuve).

Le jour où les deux vérités exposées ci-dessus se­ ront reconnues et acceptées par les hommes du gouver­ nement turc actuels, par le Comité jeune-turc et par les députés au Parlement de l’Empire, la réalisation pratique de la révolution, dont je vous parle, ne présentera pas une question difficile à résoudre. Cette révolution peut s accomp ir par quelques amendements à la Constitution et par l’adoption de quelques nouvelles lois. Heureuse­ ment le Parlement et le Gouvernement se sont déjà pro­ noncés en principe pour la révision de la Constitution et une commission a été nommée à l’effet de rédiger les amendements qu’il est question d’y apporter. Or, voter quelques lois bienfaisantes n’est pas plus difficile que de modifier la Constitution elle-même.

A mon avis, ce sont les principes essentiels suivants qui doivent servir de base à la nouvelle organisation na­ tionale de l’Empire Ottoman, afin de le transformer et de le faire renaître.

Le Gouvernement doit sortir du Parlement et être solidairement responsable de ses actes par devant la re­ présentation nationale. Il doit être composé de ministres et de ministres adjoints qui devront compter des représen­ tants de toutes les nationalités de l’Empire. — Le Parle­ ment lui-même devra être constitué par une seule Chambre, possédant tous les droits dont jouissent les parlements occidentaux, élue par tous les Ottomans majeurs au vote direct, secret, égal et basé sur le système proportionnel. — Afin que le Parlement soit placé dans les meilleures con­ ditions possibles pour ses travaux législatifs (préparation et rédaction des projets de lois, etc.), et que

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l’administra-tion soit mise sous un certain contrôle (par la confecl’administra-tion et la rédaction des décrets et règlements administratifs etc.), '1 faudrait réformer le Conseil d’Etat existant actu­ ellement dans sa composition et ses attributions, selon le type du Conseil d’Etat en France; ou, mieux encore, le Sénat et le Conseil d’Etat actuels seraient encore plus avantageusement remplacés par la création d'une institu­ tion analogue au Comité-Permanent de l’ex-Roumélie Ori­ entale et possédant toutes les attributions de ce dernier. (Une institution de ce genre est susceptible de rendre de très grands services à tout pays appelé nouvellement à la vie constitutionnelle). — Les libertés politiques essentielles doivent être pleinement garanties: la liberté de conscience, de l’individu, de la parole, de la presse, de réunion, d’as­ sociation, de même que l’inviolabilité du domicile et de

la correspondance.

Un article spécial dans la Constitution, analogue au paragraphe 19 de la Constitution Autrichienne") devra garantir l’existence légale de chaque nationalité en lui reconnaissant la qualité de personne juridique. — Chaque nationalité, dans ses limites ethnographiques (c’est-à-dire là où elle constitue la majorité de la population) doit for­ mer une unité administrative (province ou vilayet), à la tête de laquelle serait un gouverneur-général ou vali et une assemblée provinciale. — Les représentants à l’assemblée provinciale devront être élus par les mêmes électeurs de la province et dans les mêmes conditions que les représen­ tants au Parlement de l’Empire. — Les langues officielles obligatoires dans la province devront être la langue de l’Etat,

*) Paragraphe 19 de la Constitution de l’Autriche: “ Toutes les races de peuples de l’Etat possèdent des droits égaux et chacune d'elles a le droit inviolable de conserver et de cultiver sa nationalité et sa langue“. “L’Etat reconnaît un droit égal, à toutes les langues en usage daus l’Empire, à être employées pour l’instruction et les affaires publiques“. “Dans les pays où existent plusieurs races, les écoles publiques doivent être orga­ nisées de façon que chaque race ait les moyens nécessaires ;i l’enseignement de sa propre langue et que nulle mesure coercitive ne soit employée pour l’enseignement d’une autre langue“.

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le turc, et celle de la majorité; les langues des minorités seront facultatives. — Les fonctionnaires de la province se­ ront nommés par le gouverneur-général et choisis parmi les habitants de la province qui connaissent les deux langues officielles. — La commune sera la première unité administrative et le conseil communal sera élu par le même mécanisme que l’assemblée provinciale. En dehors de ses autres attributions de caractère local, la commune doit disposer d’une garde particulière capable de garantir la sûreté des personnes et des biens dans son rayon. — Le service militaire sera obligatoire pour tous les Ottomans, mais, en même temps, régionale. — L’autonomie scolaire sera complète et garantie pour chaque nationalité dans sa province.

Tels sont les principes essentiels qui doivent être consacrés par la Constitution et par les lois, pour que l’Empire puisse se t ansformer et se régénérer. Il va de soi que l’introduction de ces principes dans la Consti­ tution entraîne une nouvelle rédaction des articles qui s’y rapportent et l’abrogation de certains autres qui leur sont contraijes. L’article 116 de la Constitution rend cette opé­ ration 'très facile; on peut, en outre, pour certaines modi­ fications recourir à des lois spéciales (par exemple, pour tous les articles de la Constitution qui doivent être déve­

loppés par des lois).

Parallèlement à ce travail parlementaire, le gouver­ nement doit se départir, définitivement et irrévocablement, de son ancienne tactique aussi bien dans sa politique in­ térieure que dans sa politique extérieure.

Dans la politique intérieure, il faut renoncer absolu­ ment au principe machiavélique: “divide et impera“; c’est

un principe qui a fait son temps et qui a été souvent dan­ gereux même pour ceux qui l’ont employé. La consolida­ tion du nouveau régime exige une paix et une concorde sincères entre les différents peuples de l’Empire. Or, cette paix est impossible à obtenir, si Ton continue à semer la discorde entre ces peuples et à les exciter les uns contre les autres. Cette tactique a été, d’ailleurs, mise longtemps

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en pratique par l’ancien régime qui n’en a récolté que des fruits déplorables; elle aurait même amené la liquidation de l’Empire si n’était intervenu l’événement du 11/24 juillet.

Il est indispensable de mettre la politique étrangère en harmonie avec la politique intérieure, d’éviter les com­ plications avec les autres Etats et de garder une „poli­ tique de recueillement“ libre de tout chauvinisme et de tout esprit d’agression, guidée par une méthode et sans tergiversations. Cette politique doit surtout se garder des périls suivants: se laisser entraîner à une guerre avec quel Etat que ce soit (car il est presque impossible dans les circonstances actuelles de localiser une guerre) et se laisser prendre à la tentation de proclamer la doctrine du

panislamisme qui pourrait alarmer les meilleurs amis de

l’Empire en ce moment — l’Angleterre, la France-et'la Russie, puissances dont les Etats ou colonies renferment beaucoup de musulmans.

La première tâche de la politique étrangère future de l’Empire devrait être: la création d’une Confédération

Balkanique. Et comme premier pas vers la réalisation de

cette confédération, conclure une Union économique et

plus tard politique avec la Bulgarie, le plus puissant

des Etats Balkaniques et le mieux en état, par son voi­ sinage avec Constantinople, de mettre l’Empire en danger, mais dont cependant les intérêts économiques et politiques sont le plus compatibles avec ceux de la Turquie. Quoi que puissent penser en Turquie les ennemis de la Bul­ garie, personne ne peut contester les deux affirmations suivantes: c’est à la Bulgarie que la Macédoine doit de n’avoir pas été exposée jusqu’ici au risque d’être partagée entre les Etats balkaniques (car la Bulgarie seule s’est toujours refusée énergiquement à accepter ce partage si souvent proposé par les Serbes et les Grecs); en second lieu, au cas où des relations d’alliance s’établiraient entre l'Empire et la Bulgarie et les Bulgares de la Macédoine et du vilayet d’Andrinople obtenant la garantie des li­ bertés nécessaires, la Bulgarie pourrait renoncer à toute aspiraron territoriale au détriment de la Turquie, sinon

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définitivement, au moins pour de longues années, et cette circonstance constituerait la meilleure garantie pour la conservation de la paix dans l’Empire.

*

* *

Tel est, cher Compatriote, le moyen pratique, nulle­ ment dangereux, et d’ailleurs nécessaire, de transformer le pronunciamento du 11/24 juillet 1908 en une révolu­ tion véritable, seule capable de réformer et de faire re­ naître l’Empire Ottoman.

Il vous est facile maintenant de vous rendre compte, je l’espère, que tout ce que je viens de vous dire n’est pas que la seule expression de mon opinion personnelle. Avec quelques légères modifications, elle ne peut qu’être partagée par toutes les nationalités non-musulmanes de l’Empire et même par ceux des musulmans qui, ouver­ tement ou non, approuvent les idées de votre ex-com­ pagnon d’exil, le sympathique et audacieux Prince Saba- heddin. Si vous, et vos amis actuels du Comité jeune-turc, du Gouvernement et du Parlement, n’embrassez pas au plus vite ces idées et si vous ne les introduisez pas dans la vie de l’Etat, qui sait si vous ne vous trouverez pas un jour prochain devant cette éventualité paradoxale de voir les autres peuples de l’Empire, même ceux qui aujourd’hui sont encore en lutte entre eux, rangés tous ensemble contre vous et armés des mêmes prétentions politiques . . . Toutes ces nationalités sont, en effet, convaincues que, si le régime actuel reste tel quel en vigueur, vous pourrez avoir longtemps encore la majorité au Parlement (avec l’aide de la majorité musulmane en Asie et surtout grâce à l’habileté avec laquelle vos fonctionnaires savent tricher dans l’application de la loi électorale) et que, par consé­ quent, elles resteront toutes “comme une cinquième roue à un carosse“. Or, aucune de ces nationalités ne saurait se contenter de ce rôle piteux et ridicule.

N'oubliez pas toute fois que vous devez vous hâter d’adopter les solutions et mesures indiquées plus haut et imposées par la nécessité, avant la clôture de la session

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parlementaire actuelle. Personne, bien entendu, ne s’attend

à voir l’Empire se transformer en quelques mois, mais chacun a la droit d’espérer que cette transformation soit

commencée pendant cette session même, d’autant plus

qu’une commission a déjà été élue pour procéder à la révision de la Constitution et que les amendements dési­ rables ainsi que la reconstitution du Cabinet, peuvent en­ core s’opérer pendant la durée de la session qui reste à courir; d’ailleurs cette session pourrait être pro­ longée. Et si le commencement de cette transformation date de cette session même, ce sera une preuve de votre bonne volonté et de celle de vos amis, dans ce cas, on devra obligatoirement en attendre les résultats pratiques.

Je ne sais s’il est nécessaire de prouver que vous avez un triple intérêt à procéder ainsi; cependant je vais l’essayer, l-o De cette manière, vous travaillerez au con- ronnement de votre œuvre glorieuse du 11/24 juillet 1908. 2-o Par cette révolution vous consoliderez l’Empire en le rendant invulnérable à toute ambition étrangère. 3-o. Par là vous prouverez à tout le monde que votre parti est capable de suivre une politique créatrice et que la Turquie est en état de se transformer et de se moderniser. Or, c’est ce dernier point, (comme j’y ai fait allusion au commen­ cement de ma lettre), que plusieurs de vos amis en Europe et même de vos compatriotes mettent encore en doute, même après l’événement du 11/24 juillet"'').

*) Par exemple: le publiciste albanais sujet ottoman et musulman de religion M-r Faïk bey Konitza (voir son périodique “l’Albanie*, publié à Londres, seconde année, N-os 4 et 5); — l'é­ crivain très compétent dans les questions balkaniques, M-r René Pinon (voir la ‘ Revue des Deux Mondes“ du 1er 7 bre 1908); — l’écrivain français, M-r Louis Bertrand, qui vient de rentrer en France après un voyage dans l’Empire (voir la même revue du 1 er 9-bre 1908); — le publiciste et député français, M-r Joseph Reinach, qui a fait aussi, il y a peu de temps, un voyage en Tur­ quie (voir le “Temps“ du 9 janvier dernier); — votre ami, M-r Georges Lorand (voir le journal "l’Express“ du 9 9-bre 1908); — les deux Anglais, bons amis des Turcs et encore meilleurs con­ naisseurs des affaires de l’Empire, M. M. Charles Elliot et Francis Younghusband (voir le dernier numéro du périodique anglais "National Review“); etc.

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Je prévois les objections que vous allez me faire. 11 ne peut y en avoir que deux: l-o la décentralisation af­ faiblirait l’Empire et en préparerait le partage entre les peuples qui l’habitent; 2-o le peuples turc consentirait dif­ ficilement à une collaboration égale dans le gouvernement du pays avec les non musulmans.

Comme nous allons le démontrer plus loin, ces deux objections sont depuis longtemps réfutées par l’histoire et par la vie des peuples et qualifiées de préjugés et super­ stitions politiques.

Ati lieu d’affaiblir l’Etat, la décentralisation sera pré­ cisément le plus ferme ciment qui reliera les différentes nationalités vivant dans ses fontières et elle relèverait in­ contestablement la prestige de l’Empire et son importance devant l’étranger. En voulez-vous des exemples? Voici, en premier lieu, l’Allemagne; la séparation des Etats qui la composent, non seulement, ne l’empêche pas d’être forte et puissante, mais au contraire c’est cette séparation qui fait sa force et sa puissance. Vous répondrez qu’en Alle­ magne il n’y a que des Allemamds (bien qu’il y ait des Polonais, des F'rançais et des Danois dans l’Empire ger­ manique'. Bien. Mais voyez l’Amérique. Est-ce que la décentralisation nuit à sa puissance?Peut-être m’objecterez- vous encore que ce n’est toujours qu’une seule nation, bien qu’elle représente plutôt une mosaïque de nations, dont la principale est d’ailleurs divisée par le souvenir d’une guerre civile. Je vous abandonne encore l’Amérique. Pas­ sons à l’Autriche-Hongrie. Cet Etat est composé de huit nationalités différentes qui ne cessent de lutter entre elles et, cependant, pas une de ces nationalités ne voudrait se séparer de l’Etat et elles le défendraient toutes contre l’ennemi commun. Dans le sein de cet Etat réside une par­ tie de la nation polonaise, si civilisée; une autre partie de la même nation est comprise dans la Russie et une troisième dans l’Allemagne En Autriche, les Polonais jouissent d’une autonomie complète, tandis qu’en Rus­ sie et en Allemagne ils sont exposés à des persécutions incroyables. Dites-moi maintenant, en toute conscience.

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parmi les Polonais lesquels sont le plus dévoués à l’Etat dont ils font partie, ceux de la Russie et de l’Allemagne qui ne connaissent et n’admettent pas la décentralisa­ tion, ou les autres, ceux de l’Autriche qui leur a con­ cédé une pleine autonomie nationale? .. L’exemple le plus convaincant, dans le cas qui nous occupe, est encore celui de la Suisse. Dans cet heureux pays cohabitent, comme vous le savez, des peuples faisant partie de trois grandes nations européennes, des nations française, alle­ mande et italienne; en outre, ces nations touchent aux frontières de la Suisse. Connaissez-vous une de ces trois nationalités, quelle qu’elle soit, qui désire se réunir à la France, à l’Allemagne ou à l’Italie?... Et pourquoi? C’est tout simplement qu’elles possèdent chez elles la môme liberté et les mêmes droits et qu’elles sont habituées depuis longtemps déjà à vivre ensemble (comme c'est éga­ lement le cas pour les nationalités de l’Empire Ottoman). Regardez enfin l’Angleterre et ses colonies: l’Australie, le Canada, la République des Boers et même, si vous le voulez, les Indes. L’Australie est aujourd’hui le plus libre des Etats fédérés et elle est à ce point dévouée à l’Angle­ terre que, sans aucune invitation, elle a envoyé ses en­ fants se battre aux côtés des troupes anglaises contre les Boers. Au Canada, les Français et les Anglais vivent en si bonne intelligence que leurs nationaux de France et d’Angleterre ne leur laissent rien à envier. Aussitôt après leur victoire, les Anglais ont concédé aux Boers une autono­ mie complète et, à la tête de ce gouvernement autonome, se trouve leur ennemi le plus acharné pendant la guerre, le général Botha Non seulement cette autonomie n’a pas relâché les lieins entre les Boers et l’Angleterre, mais tout au contraire elle les a rendus indissolubles. Et vous vous rappelez de quelle manière les Boers, il y a un an, ont remercié l’Angleterre en faisant don au plus noble des rois du plus gros des diamants trouvés jusqu’ici dans leur pays. La Russie centralisée et centraliste pourrait-elle se flatter d’un tel dévouement et d’un tel attachement de la paît des peuples qu’elle a soumis?

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La seconde objection parait un peu plus sérieuse, mais elle n’est pas irréfutable Par nature, le musulman est bon, honnête et très bon voisin. Dans tous les vil­ lages où cohabitent des Turcs et des Chrétiens, la paix et l’affection entre les villageois sont plus grandes que dans les villages où il n’y a que des chrétiens; et si, en beau­ coup d’endroits, il n’en est pas ainsi, la faute en était à l’ancien gouvernement turc et à certains particuliers otto­ mans qui vivaient du travail des autres. Il sera donc fa­ cile au musulman d’admettre la collaboration des chrétiens dans le gouvernement du pays et de s’y habituer. D'ail­ leurs, il doit en être ainsi, même s’il est nécessaire d’e­ xercer pour cela une certaine pression, du moment que l’Empire lui-même y verra son propre intérêt. Autrement il s’écoulera bien du temps encore avant que les Kurdes de l’Asie Mineure, les Arabes de l’Arabie et les Albanais de l’Albanie s’habituent au régime constitutionnel; mais -ce n’est pas un argument pour renoncer à ce régime. En outre, les trois races en question avaient bien jusqu’à ces derniers temps (et elle devraient l’avoir encore pour quelque temps, même après le rétablissement de la Cons­ titution) un régime spécial qui ressemble beaucoup à l’autonomie; ainsi donc, même aux yeux de ces popula­ tions, la décentralisation n’aura pas l’air d’une hérésie.

Mais vidons le calice jusqu’à la lie. Admettons pour un instant l’incroyable, c’est-à-dire que la décentralisation affaiblisse l’Empire et finisse par en provoquer, à la longue, le partage et la dislocation. Eh bien, même dans cette hypothèse inadmissible, le processus de l’affaiblissement et du partage de l’Empire irait d’une marche bien plus lente et demanderait beaucoup plus de temps avec la dé­ centralisation qu’avec la centralisation.

Je vais essayer de vous démontrer pourquoi les choses doivent se passer ainsi.

Les perspectives historiques les plus proches se pré­ sentent, comme suit, pour l’Empire :

Le nouveau régime a remplacé à Constantinople l’in­ fluence de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie par celle

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de l’Angleterre et des autres grandes Puissances. Par con­ séquent, les deux grands Etats germaniques n’ont pas lieu d’être satisfaits du nouveau régime. D’un autre côté, l’Allemagne possède dans l’Empire un grand avantage, représenté par la concession de la ligne de Bagdad, qui constitue un fort a tout entre ses mains; quant à l’Au- triche-Hongrie, elle a d’abord réussi à rapprocher ses frontières de la Turquie, puis elle possède aussi de son côté un atout non moins important qui consiste en la pro­ tection des Albanais catholiques. Le péril de l’intervention de ces deux Etats sera donc une perpétuelle menace pour l’Empire.

La Serbie et le Monténégro sont actuellement en bons rapports avec l’Empire; mais, du jour où ils auront perdu l’espoir d'obtenir des compensations territoriales du côté de l’Autriche, ce qui peut-être déjà considéré comme certain, elles se retourneront vers le territoire turc pour obtenir de ce côté des compensations. Cela arrivera fa­ talement, tôt ou tard, peu importe. De ce côté-là, voici donc un nouveau danger pour l’Empire.

La Grèce entrera, elle aussi, bientôt en conflit avec la Turquie; les motifs ne manquent pas: la Crète, l’Epire, l’ile de Samos et l’inévitable affaiblissement de l’Hellé­ nisme sous le nouveau régime. L’Hellénisme est, en effet, condamné à perdre tous les Ottomans non grecs auxquels la juridiction du Patriarcat grec de Constantinople fut imposée directement ou indirectement pendant les derniers siècles, et notamment les Bulgares, les Roumains et les Albanais grécisants, peut-être même aussi les Turcs chré­ tiens ou karamanlis hellénisés de l’Asie Mineure. (Il est bien difficile d’admettre que vous ne profiterez pas de ce que le turc est resté leur langue pour leur ouvrir des écoles turques et les éloigner ainsi des Grecs). Donc, du côté de la Grèce, vous êtes encore menacés de conflits.

Il est impossible que le régime centraliste actuel sa­ tisfasse les Bulgares de la Macédoine et du vilayet d’An- drinople. Ils ont versé des torrents de sang pour obtenir la liberté dans l’Empire et ils ne laisseront pas inféconde

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cette effusion de sang. En outre, derrière eux, il y aura toujours la Bulgarie bien armée.

Votre régime actuel ne pourra satisfaire non plus ni les Albanais, ni les Arabes, ni les Arméniens. Les Alba­ nais ont déjà donné, en la personne de Derviche-Hima, la première victime de leurs aspirations autonomistes; il y a longtemps que les chefs des Arabes et des Arméniens ont fait leurs déclarations sur la question de la décentra­ lisation. Ce serait une grande faute de traiter ces nations en quantité négligeable. La politique de l'autruche n’a jamais été intelligente.

Et l’Ita lie ? ... Et la situation financière embarrassée de l’Empire qui exige une longue série d’années de paix, des efforts opiniâtres et une habileté et une intelligence rares pour recouvrer l’ordre et la prospérité?

Que pourriez-vous mettre en ligne devant tous ces périls qui se dressent contre un Empire centralisé? Rien que le mécontentement des nationalités non musulmanes, mécontentement dont on se servirait pour renverser le nouveau régime. Vous avez, il est vrai, l’Angleterre der­ rière vous; mais il est vrai aussi qu’elle ne s’est jamais exposée à une guerre contre plusieurs ennemis à la fois, même lorsqu’il s’agissait de ses propres intérêts.

Au moyen de la décentralisation, au contraire, vous aurez pour vous toutes les nationalités de l’Empire sati-- faites et prêtes à défendre contre vous la patrie commune. Leur satisfaction fermera en même temps la porte à toutes les aspirations et intrigues étrangères qui mettraient en péril la sécurité de l’Empire, sans parler même d’une al­ liance avec la Bulgarie qui augmenterait encore cette sé­ curité et qu’un régime de décentralisation rendrait plus facile à conclure.

La décentralisation apporterait encore un autre avan­ tage à l’Empire. Elle lui fournirait notamment le droit mo­ ral de plaider à la future Conférence pour l’autonomie de la Bosnie et d el’Herzégovine et il pourrait ainsi effacer, en grande partie, la mauvaise impression produite parla vente à l’Autriche-Hongrie de la souveraineté sur ces deux pro­

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vinces. L’Empire qui n’accorde chez lui aucune autonomie serait mal venu en ce moment à la réclamer pour la Bosnie et l’Herzégovine.

La preuve que tous les avanges ci-dessus indiqués, découlant de la décentralisation, ne sont ni douteux ni problématiques m’est fournie par le fait que tous vos amis, les meilleurs et les plus intelligents, à l’étranger, vous la recommandent.

Ainsi, M-r Luigi Luzzati, l’homme d'Etat et financier italien bien connu, qui a été à plusieurs reprises ministre dans son pays, répondait de la manière suivante, dans une des dernières conférences qu’il a faites à l’Université de Rome, en qualité de professeur de Droit Constitutionnel, à la question qu’il avoir posée: Comment pourrait-on créer “une unité ottomane spontanée“ dans l’Empire en­ globant tant de nationalités? “C’est bien là la plus grande difficulté, disait M-r Luzzati, et elle ne peut être vaincue que par la méthode dont se sont servies l’Angleterre, la Suisse et, dans une certaine mesure, l’Autriche ; notamrhentt reconnaître les différences nationales en les satisfaisan: par une décentra lis tion cdministr.itive et un bon gou­ vernement qui respecterait toutes les particularités natio­ nales qui poussent les hommes à désirer l’intégrité de la patrie commune“. Et immédiatement après, l’illustre professeur ajoute: “Les Turcs auront ils cette vertu? Habi­ tués jusqu’ici à dominer et à se considérer comme des maîtres, pourront-ils respecter au Parlement les minorités et dans l’administration, les méthodes si sûres de gou­ vernement que sont les Diètes et les Cantons qui consti­ tueraient la libre expression des différentes nationalités?“ . . . etc.:;:).

*) Voir la revue italienne “Nuova Antologia“ du 16 décembre 1908. La grande autorité qui s ’attache à la parole de l’homme d'Etat italien n’a pas permis à sa conférence de passer inaper­ çue et sans produire une impression sur certains esprits à Con­ stantinople. C’est ainsi que, selon une dépêche adressée de cette dernière vi le à l’Agence Stéfani de Rome, le 13 Janvier, le Che'fk-ul-lslam, que tout et tous désignent comme un homme

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Un autre de vos amis, M-r Santos -Semo, celui qui a prédit à la dernière conférence de la Haye votre très pro­ chain triomphe, vous donne un conseil plus profond et plus précis encore. Il soutient énergiquement le programme primitif du Prince Sabaheddin qui prévoyait “la trans­ formation de tout l’Empire Ottoman en une large fédé­ ration d’autonomies nationales, assise sur la décentralisa­ tion et reconnaissant tous les d-roits accordés jusqu à pré­ sent aux nationalités et convenablement élargis“. Et, en exprimant le regret que ce programme ait subi en partie un changement après le retour du Prince Sabaheddin à Constantinople, M-r Semo termine son article par les mots suivants, si caractéristiques: “Il sera indispensable d’y revenir, parce qu’autrement la situation en Turquie peut redevenir pire encore qu’elle l’était auparavant“

Je suis porté à croire que l’auteur clairvoyant et pers­ picace de la Constitution, feu Midhad Pacha, concevait lui-même toute l’importance bienfaisante de la décentra­ lisation, puisqu’il avait introduit dans le texte de la Cons­ titution trois articles (108, 109 et 110) sur cette décen­ tralisation. S’ils ne présentent pas l'étendue que l’auteur pouvait avoir conçue, il faut en chercher la cause dans les influences contre lesquelles il a dû lutter pour établir la Constitution et la faire accepter; ces influences ont dû aussi lui imposer leurs tendances réactionnaires sur plu­ sieurs articles de cette Constitution martyrisée. C'est ainsi que s’explique le fait que presque tous les articles essen­ tiels de la Constitution prévoient leur développement dans des “lois spéciales“. On peut encore expliquer de cette

de haute intelligence et très libéral, se serait exprimé sur la Con­ stitution turque, comme il suit, après la lecture de cette confé­ rence: “Le salut de la Turquie est dans la situation de l’homme

qui se noie et autour duquel tout le monde s empresse pour lui porter secours et lui sauver la vie. L’Italie est parmi les sauve­ teurs désintéressés et M-r- Luzzati est un de ses hommes d Etat capables de donner des leçons pour ramener la respiration régu­ lière à notre pays“.

*) Voir le périodique anglais “Review of Reviews“ du mois d’Octobre 1908.

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manière la contradiction intime dans la Constitution qui frappe si vivement tes yeux de tous ceux qui ont quelques connaissances en Droit Constitutionnel.

Cela fait grand honneur au Comité “Union Libérale“ d’avoir compris ces deux grandes vérités pour tout Otto­ man, c'est-à-dire que la révision seule de la Constitution dans le sens démocratique pourrait fondre les différentes nationalités de l’Empire en une grande nation et que la décentralisation seule pourrait les amener actuellement à être des fiis fidèles et dévoués de la patrie commune.

Je termine.

Permettez-moi cependant de dire quelques mots encore avant de clore cette lettre.

Je ne sais quelle impression cette lettre produira sur vous; cependant, si vous êtes fait du bois dont sont faits les hommes politiques, elle ne peut manquer d’attirer votre pensée sur les idées qu’elle renferme et, cela étant, il vous sera impossible de ne pas être pénétré de sa sincé­ rité foncière et de la probabilité indiscutable des hypo thèses qu’elle contient. Et si vous êtes un véritable homme

politique, vous savez déjà ce que vous avez à faire, car les vrais hommes politiques doivent être des tacticiens en politique; ils doivent posséder une largeur de vue qui leur permette d’apercevoir dans chaque question d’Etat toutes les perspectives lointaines qu’elle peut présenter, sans se laisser arrêter par ses manifestations éphémères. Or, si vous êtes en mesure de prévoir l’avenir prochain de notre patrie, il vous est impossible de ne pas recon­ naître que la Turquie est en présence de son dernier

examen politique et qu’elle ne peut passer cet examen

à l’aide de vieilles conceptions d’Etat et de méthodes gou­ vernementales surannées. Certains de vos amis font preuve d’une naïveté enfantine en répétant lés paroles de l’Empereur d’Autriche, Joseph II, inscrites dans son rescrit du 11 mai 1784: “Quel bienfait pour l’Etat si on n’en­

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tendait parler qu’une seule langue sur ses territoires!" C’est aujourd’hui un anachronisme. On ne saurait, en 1909, exprimer un désir semblable, à l’égard d’un Etat composé de plusieurs races, que dans les colonnes d ’un journal humoristique.

Un dernier mot.

Des amis m’assurent que vous haïssez les Bulgares. Pour l’honneur de votre intelligence, je ne puis le croire, car il n’y a pas de peuple au monde qui mérite la haine; même s’il compte dans son sein un grand nombre d'in­ dividus malhonnêtes et antipathiques, il est honnête et sympathique dans son ensemble. Un homme, du reste, qui pourrait haïr tout un peuple, n’est ni sérieux, ni civilisé. Mais vous, en qualité de chef de ceux qui ont accompli le pronunciamento du 11/24 juillet, vous avez le devoir, sinon d’aimer les Bulgares, tout au moins de les estimer. Quoi que l’on puisse penser sur leur compte, c’est un fait historique que les vrais protagonistes du nouveau régime dans l’Empire sont bien ces révolutionnaires bul­ gares qui sont morts héroïquement en Macédoine et dans le vilayet d’Andrinople en luttant contre l’ancien régime. Cette vérité historique ne saurait être contestée par per­ sonne. Ecrite en style de la Bible, la nouvelle histoire de l’Empire Ottoman serait rédigée ainsi: “Le régime de sang qui a suivi la suspension de la Constitution de Midhad Pacha, a enfanté l’Organisation révolutionnaire bulgare en Macédoine et dans le vilayet d’Andrinople; cette organisation a enfanté les insurrections de 1902 et 1903; ces insurrections ont enfanté les réformes de Muerz- steg; ces réformes ont enfanté l’entrevue de Revel; et cette entrevue a enfanté le pronunciamento du 11/24 juillet 1908, qui a rétabli l’ancienne Constitution“. . .

Peut-être qu’en disciple fervent du fondateur du Positivisme, Auguste Comte, vous ne goûterez pas beau­ coup, Monsieur et cher Compatriote, cette façon biblique d’écrire l’histoire politique; cependant, je ne crois pas que vous vous risquiez à contester ie lien d’origine qui existe entre les faits historiques exposés plus haut en style

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ar-chaïque de la Bible. D’ailleurs, un des principaux auteurs de l’événement du 11/24 juillet, le sympathique Enver-bey a reconnu publiquement à Salonique, dans les premiers jours du présent régime, que les révolutionnaires bulgaes étaient ses prédécesseurs et maîtres et il s’est noblement incliné devant leur mémoire.

Veuillez agréer, Monsieur et cher Compatriote, l’as­ surance de ma très haute considération.

Salonique, Janvier 1909.

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( B u l g a r e d e J V ï o n a s t i r ) .

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