'Traduction. TTSSVÉrV»)
LE SPECTATOR du 4 octobre 1946. Les Héritiers d*Abdul Hamid.
(D’un Correspondant Spécial).
La litigation, peu connue mais de caractère romantique, affectant des vastes territoires du Moyen Orient, paraît sur le
point d’entrer dans une phase nouvelle et peut-être finale.
Abdul Hamid II, le dernier des grands Sultans de la Turquie, connu du monde extérieur surtout par ses procédés diplomatiques embrouillés et le despotisme oriental de sa règne, a amassé
pendant sa domination une des plus grandes fortunes de l’époque
actuelle. L ’histoire a peu de bon à raconter à son égard, et
i’accumulation d’une pareille fortune par un monarque de ses
proclivités ne peut qu'exciter 1 ‘envie et les soupçons de ses
détracteurs. Néanmoins, l ’acquisition, peu à peu, des vastes
domaines personnelles pendant les trente-trois ans de son
Sultanat a l’apparence d'avoir été fait avec toute précaution
pour assurer la légalité de sa propriété et pour pro' les- ■*-
droits de ses héritiers. Jusqu’au moment où son pouvoir
commençait à diminuer, il était le proprêtaire légal, dans son propre nom, de beaucoup de grandes domaines en Turquie propre
aussi bien qu'en Turquie européenne, ainsi que de pres'qu’un tiers
de la meilleure terre de Syrie, un septième de Palestine,
quelques uns des plus précieux territoires pétrolifères d ’Irak,
avec des possessions inconnues en Egypte et des tractes con
sidérables en Grèce, en Albanie et les pays qu’on connaît actuell
ment sous les noms de Cyrénaïque et Tripolitaine.
En 1909 Abdul Hamid a été déposé par le Parti des Jeunes Turcs, et pour le reste de sa vie a été virtuellement un
prisonnier politique, sans aucun droit, et sans le pouvoir ou l'occasion de réclamer ses biens. L'administration de ses propriétés était tombée en grande confusion et des dettes multiples avaient accumulées. Le nouveau gouvernement a pris
diverses mesures pour réduire le chaos à une semblance d’ordre,
et les propriétés étaient cédées à un départment du Ministère des Finances pour assurer la liquidation des dettes. Durant ces évènements la Turquie se trouvait mêlée à la Grande Guerre de 1914-1918, au bout de laquelle elle se trouva aux pieds des Pouvoirs Alliés et a vu son empire démembré et placé largement sous les mandats de la Grande Bretagne et de la France. Abdul
Hamid est mort en 1918 et ses propriétés personnelles ont passé automatiquement à ses héritiers selon la loi turque, qui a
décrété même la participation de chaque héritier. Les héritiers comprenaient six fils, six filles, et sept veuves. Les rigueurs
des conditions de guerre, le démembrement de l’empire et la
subséquente convulsion politique en Turquie même ont empêché les héritiers de prendre des mesures effectives pour réclamer leurs
droits, que personne en Turquie n ’a jamais sérieusement disputés.
Les décrets qui ont assuré si effectivement l’administration
temporaire des propriétés pour la réduction des dettes, ont été annulés en 1920, et quoique le gouvernement turc eut réclamé les revenus pendant quelques années, il paraît qu'entretemps il
avait rénoncé à tout droit légal, même s’il y en existait.
#Malheureusement pour les héritiers, plusieures difficultés surgirent pour retarder la justice en ce qui leur concernait.
Jusqu’à ce que la Turquie et les pouvoirs victorieux avaient
réglé leurs affaires, on ne pouvait pas faire de progrès, d ’autant
plus que tous les descendants d ’Abdul Hamid II avaient été
expulsés de la Turquie. Les nouveaux états qui étaient en train
de s’établir sur les ruines de 1’empire, étaient trop occupés
?Vec des dissensions internes pour écouter les demandes désorganis- ^ '7i '^Tu4i W ces victimes particulières. La première occasion de
faire écouter leurs demandes se présenta seulement après la
conclusion du Traité de Lausanne en 1923 entre la Grande Bretagne, la France et la Turquie. Dans ce traité les droits personnels de tout citoyen turc dans les nouveaux états ont été garantis par Tes pouvoirs contractants, et, en particulière, le pouvoir de
confiscation de propriété par n'importe quel gouvernement fût
expressément défendu* Un Tribunal d’Arbitrage Mixte fût établi
pour régler tout dispute émanant de la confusion laissée par la guerre et ses suites.
Immédiatement les héritiers se dépêchaient de déposer leurs demandes devant le Tribunal. Les arguments étaient compliquée et se basaient en grand mesure sur des évènements qui eurent lieu avant la guerre. Le Tribunal Mixte se saisit de ce point avec gratitude et répudia toute juridiction, et les héritiers étaient obligés encore une fois de considérer comment ils pouvaient
révendiquer leurs droits et obtenir la justice de plusieurs gouvernements qui sans doute regarderaient avec froideur tout tentative de leur part de s'assurer ces vastes et riches
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-La première tâche des héritiers fût de s'organiser, ainsi que les autres membres de la famille impériale qui avaient aussi certaines demandes. La famille était très dispersée. Il y en avait beaucoup qui soupçonnaient n'importe quel tentative de se mêler" dans les affaires de leur héritage, et il se passa
quelque temps encore avant qu'on a pu tomber d'accord et obtenir les fonds nécessaires pour la grande lutte. En 1934 tout était prêt, et on a fait un démarche auprès du gouvernement britannique dans sa qualité d'un des signataires du Traité de Lausanne, en exigeant une réponse favorable aux appels des héritiers pour la protection de leurs droits de citoyens particuliers. Les pour parlers ont duré jusqu'en 1936.
Le gouvernement britannique s'est trouvé, non pas pour la première fois, dans une situation embarassante. Beaucoup de ces propriétés étaient dans des territoires qui se trouvaient, ou qui s'étaient récemment trouvés, sous son mandat. Par exemple, en
Irak, qui venait de recevoir sa complète indépendance d’une
manière qui ignorait toute demande possible sur les biens du Sultan, toute la question des droits de pétrole serait touchée. Non seulement le Sultan était propriétaire de beaucoup de régions productives de pétrole, mais il avait acquis des concessions
d'exploration et avait dépensé environ £200,000 dans ce but. La méthode la plus sûre se trouvait dans la tergiversation. Par
conséquent, le gouvernement avait répondu aux héritiers qu'on ne pourrait donner aucun appui à leurs demandes jusqu'à ce que ces demandes avaient été étalbies devant un tribunal britannique.
Un appel personnel du Caliph au Roi Georges Y a reçu la même
réponse. Encore une fois les héritiers ont trouvé le long chemin vers la justice entravé par les obstacles et la tergi versation.
En 1937 une action tentative a été introduite contre le
gouvernement de Palestine pour réclamer une propriété intéressante d'environ 1,000 acres dans la région de Gaza. Le cas parait
clair. Les actes de propriété portaient encore le nom d'Abdul Hamid et quoique le gouvernement eut enrégistré sa demande pour la propriété, il n'y avait aucune base légale pour cette action arbitraire. Le procès s'est déroulé devant un président anglais appuyé d'un juge arabe. Malheureusement, ce dernier ne
connaissait pas l'anglais, la langue dans laquelle le procès était tenue et les documents rédigés, comme étant plus facile. Les deux juges ne s'entendaient pas, le président anglais
donnant une décision en faveur des héritiers et le juge arabe contre. Il y avait une certaine discussion quant à la procédure dans des circonstances pareilles, mais à la fin 1' Attorney
General" de la Palestine qui menait le procès du côté du gouverne
ment, et les avocats des héritiers sont tombés d’accord pour
agréer le jugement final de la cour, tel qu’il soit. Le jugement était alors donné en faveur des héritiers. Ce résultat a choqué le gouvernement, qui en qualité de défenseur avait compte sur une
décision favorable si les juges n'étaient pas d’accord. Malgré
l’engagement pris par 1’"Attorney General" d ’avance, qu’ils
accepteraient la décision de la cour, ils ont logé un appel
contre le jugement sur des bases techniques. L ’appel a été enfin
apporté devant le "Privy Council" qui décida en 1941 que le procès devait être jugé de nouveau, et ceci encore simplement à cause des motifs techniques.
Les délais causés par la guerre et les efforts désespérés du gouvernement palestinien pour améliorer leur témoignage, étant
donné qu’ils avaient obtenu une seconde occasion de la présenter,
a provoqué encore de longs délais et ce n'était qu'à la fin de^ 1945 que le procès était de nouveau jugé devant le Land Court . L'atmosphère était chargé à cause des rivalités politiques qui orécédalent les troubles et le terrorisme de 1946. Les partis intéressés - et il y en avait beaucoup qui avaient des motifs
sérieux d ’être intéressés tant à l’intérieur qu'à l’extérieur de
la Palestine - s’occupaient avec le propagande. On disait
ouvertement, dans un effort d'influencer l'opinion mussulmane, que les héritiers étaient tombés d'accord avec les juifs, auxquels on disait qu'ils avaient marchandé leurs droits. Rien ne pouvait être plus loin de la vérité. Les héritiers eux-mêmes étaient des mussulmanes convaincus, étroitement liés avec le Caliphat et avec les principales maisons mussulmanes du monde. Le gouverne ment était clairement appréhensif que la cession des propriétés
de si grande valeur aux symoathisants mussulmanes, et^par con séquent arabes, pourraient le compromettre avec les zionistes.
Le procès a duré quelques jours et encore des semaines sont passées avant que le jugement était donnée. Cette fois-ci,
c'était en faveur du gouvernement, basé sur la validité légale
d'un décret du successeur d ’Abdul Hamid en 1909, qui ostensiblement
transférait les propriétés à l'administration du gouvernement turc.
On paraît être arrivé à un point décisif, mais pendant qu’on
réfléchissait à la question de la poursuite, des évènements nouveaux ont eu lieu en Turquie elle-même. Indépendamment de
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-1»effort principal, certains des héritiers du Sultan ont réclamé par les tribunaux turcs des propriétés en Turquie qui faisaient
pafctie de leur héritage d’Abdul Hamid. De nouveau, il y avait
quelques différences d’opinion entre les juges qui avaient comme
résultat une session pléniaire de la cour de cassation pour
décider l’affaire. Après pleine délibération, cette cour a
décidé par une majorité de deux tiers qu’"il a été permis de
transférer aux héritiers d’Abdul Hamid les propriétés qui se
trouvent dans son nom sur le Cadastre, et qu’il avait acquis avec
ses propres argents .
N ’importe les arguments qui pourront produire les avocats
des autres pays, il est maintenant évident que la Cour ^Suprême
de la Justice turque a ouvertement reconnu les droits des héritiers
aux biens qui n ’avaient jamais en effet été transférés légalement
au gouvernement turc.
D ’après la Traité de Lausanne, les états successeurs de
l’empire turc n ’ont point acquis plus de droits sur de telles_
propriétés qu’il ne pouvaient dériver du gouvernement^turc lui“
même, et toute législation pour la confiscation des biens privés était interdite par le Traité. Il parait donc que toute la
question devrait être révisée par les gouvernements en question, dont une grande nombre ont basée une partie importante de leur code légal sur la vieille loi ottomane, en particulier cette partie concernant des lois sur la propriété.
Entretemps les héritiers qui-, depuis beaucoup d’années ont
vu une large fortune leur glisser entre les mains, se trouvent encore une fois avec leurs espoirs renouvelées. Le montant de la fortune est presqu'incalculable; mais si les sommes remontant de vingt-cinq ans sont pris en considération, le total doit dépasser
£1,000,000,000. Evidemment il n ’est pas question de réaliser
toute cette somme. La majorité des héritiers ont vécu dans des
circonstances s’approchant à la pénurie et ne seront que trop
heureux d’arriver à un arrangement raisonable qui leur permettra
de passer le reste de leurs jours en confort. ^L’avenir reste
toujours fermement dans la direction des héritiers, qui pourront un jour prétendre que leur histoir est parmi les plus romantiques de ceux des hommes qui ont cherché leurs fortunes légitimes dans
les coins les plus éloignés du monde.
Istanbul Şehir Üniversitesi Kütüphanesi Taha Toros Arşivi