384 — N ° 3î8fc L ’ I L L U S T R A T I O N 18 No v e m b r e 1911
Ziem à quarante ans, d’après un dessin de Chaplin.
FÉLIX ZIEM
Le peintre classique de Venise et de Constant! nople vient de mourir, jeudi de la semaine dernière, à quatre-vingt-dix ans passés.
Ziem était né à Beaune en février 1821. Mais son nom indiquait une origine étran gère, ce nom de consonance orientale, ce nom d’émir ou de khalife qui semblait le rat tacher aux pays ensoleillés dont il fut le peintre enthousiaste, et justifier son nostal gique amour pour Stamboul et ses minarets, la Corne d’Or et ses verts sycomores, Eyoub et ses cyprès, le Bosphore où se mirent les palais de marbre : son père était, en effet, un cavalier croate, que les hasards de la victoire avaient amené en Bourgogne avec les armées alliées, en 1814, et qui, trouvant le pays hos pitalier et doux, s’y était fixé. On discernera
du premier coup d’œil, dans la physionomie '> du peintre, les traces encore visibles de cette
hérédité : il y avait du beau houzard sabreur, dans ce masque.
Félix Ziem rêva d’abord de se consacrer à l’architecture ; à quinze ans, il entrait, pour s’y préparer, à l’Ecole des beaux-arts de Dijon. Son éducation sommairement ter
minée, un architecte chez qui il entra en qua- * ~ lité de commis le chargea de la surveillance
de travaux qu’il avait à Roquefavour, près / . j>
d’Aix. Ainsi le jeune homme prit contact avec la Provence. Elle le conquit comme par un sortilège. 11 fut vraiment opprimé du
désir de la peindre, d’en fixer les multiples attraits. Les aquarelles succédèrent aux aquarelles, et, quand fut achevé le travail confié à sa direction, il planta là les moellons et le mortier, les compas et le mètre, et s’en fut vers Marseille, première étape sur la route de l’Orient.
Ce fut un enchantement, une frénésie de dessiner, d’enluminer, de laver. Il travaillait dans la joie, grisé de lumière et de couleur. Et, chose admirable, il rencontrait du coup le succès. Ses aquarelles se vendirent, — d’un écu à un louis, pour tout dire. Mais on vivait alors pour rien, ou presque. Ziem en pleine vogue, chargé de gloire, ne parlait pas sans un frisson d’émoi de ce beau temps.
Quand il fut assez riche pour payer son passage, il s’embarqua pour Naples, Venise, — Constantinople enfin. L ’aquarelle ne lui suffisait plus à exprimer tout ce qu’il éprouvait, toutes les splendeurs qui l’environnaient. Ses premiers tableaux à l’huile furent peints au cours de ce voyage, un peu à l’aven ture, d’instinct, mais avec une si belLv-ardeur, qu’il devait leur en rester un charme ineffaçable. La car rière de Ziem, désormais, était tracée : il ne pouvait être qu’un « orientaliste », avant que le qualificatif fût en vogue.
Il lui restait à apprendre le métier. Bonington et Decamps, ces deux virtuoses, furent ses maîtres, quand, de retour en France, il fut installé à Paris. Ces deux faits qui marquent ses débuts, d’une part son initiation aux grands spectacles de la nature par le Midi et l’Orient, de l’autre son initiation aux se crets de la technique par deux romantiques, dont Théodore Rousseau, plus tard, allait compléter l’en seignement, permettent d’expliquer tout son talent. Ce talent fut très grand. Un peu monotone, toute fois, surtout à la fin de la carrière du peintre. Seule ment, ce n’est pas d’après ses productions de ces i
Ziem sur son lit de mort. — Croquis de t . Sabatier.
Un récent portrait de Ziem. — P).ot. Blanpied.
vingt ou trente dernières années qu’il faut juger Ziem. Il y apparaît séduisant, certes, prodigieuse ment adroit, sûr de lui, plein de maestria, mais tout en surface. C’est un Turner moins l’imagination, le mystère, la profondeur. On pourrait com parer son art, dans ses productions les plus populaires, même très haut cotées, à ces eaux calmes qu’il excelle à peindre, scintillantes de tous les feux des gemmes sous les pre mières caresses de l’aube, sous les derniers frôlements du jour, mais figées, sans vie, inhabitables aux sirènes, somptueux miroirs vides d’attirantes images.
C’était, en son particulier, un très brave homme, et très bienveillant, — un peu ori ginal aussi, dit-on. Sa maison de la rue Le pic, où il vient d’expirer, était, paraît-il, un curieux logis, encombré de mille souvenirs rapportés de partout, avec maints recoins aux allures de retraites défendues, — comme, par exemple, un pavillon toujours clos, fermé à tous sauf à lui-même, vrai cabinet secret d’alchimiste, où il manipulait ses étincelantes couleurs. On a conté — et ses familiers seuls pourraient dire si c’était pur conte — qu’en je ne sais quel réduit de ce petit domaine il élevait des serpents, d’inoffensives couleu vres, probablement, et tan t d’histoires étran ges lui avaient donné, dans un quartier d’ima gination fertile, un renom d’être bizarre, un peu inquiétant, qu’il était loin, sans doute, de mériter.
G. B.
Ziem dans son petit jardin de la rue Lepic. La maison de Ziem, rue Lepic, à Montmartre. Le pavillon cù Ziem préparait ses couleurs.
İstanbul Şehir Üniversitesi Kütüphanesi Taha Toros Arşivi