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T urquie (Déléguée : M m e. Seniiia R aufj.
Lorsque j'ai quitté les rives du Bosphore pour me rendre daus cette belle ville de Belgrade qui accorde une si magnifique hospitalité à la Conférence Pacifique, la paysage que j ’ai traversé sur mon chemin a pris à mes yeux la force d'un symbole :C’étaient partout de vertes prairies, des champs fertilisés par la sève du printemps. Les paysans, qui représentent la force vitale de tous les peuples, courbés dans le geste fécond du labeur, préparaient la moisson prochaine, avec, â leurs côtés, leurs admirables collaboratrices.
Le paysage se répétait à l'infini. Les frontières, je ne les voyais pas. Ht pourtant je savais que pour ces frontières, cette belle contrée avait été dévastée, ensanglantée pendant de longues années, que ces paysans paisibles avaient été trans formées en tigres furieux, que ces nobles et humbles femmes, au milieu de leurs foyers déserts, avaient pleuré ce qu elles avaient de plus cher au monde.
E t ma pensée se reportait plus loin, à l'Anatolie martyre, si cruellement ravagée et dépeuplée:
Paysans turcs, bulgares et serbes, quelle force implacable les avait poussées à s'entre-tuer ?
Je puis l’affirmer hardiment : aucun peuple, plus que le peuple turc n'a souffert de la guerre, aucun n'est plus sincèrement animé du désir de la Paix.
Un fait très éloquent, c’est que lors de la formation de la Turquie nouvelle, le ministère de la guerre a changé son nom en ' 'Ministère de la Défense Nationale.’ ’Nous avons vu dans les considérations récemment exposées que le terme ' ‘défense’’ demeure élastique, qu'il est pari-is difficile de déterminer jusqu'ou s’étend la défense et ou com mence l’agression, mais cela n’en demeure pas moins une étape très important vers le progrès.
La Turquie a toujours montré le plus grand empressement à accueillir toutes les propositions tendant à des ententes inter nationales, à des conférences pacifiques. Déjà au lendemain de la Grande Guerre s’était constituée la Société pour Collaborer avec la Société des Nations, et elle comptait parmi ses membres les personnalités le plus en vue du monde politique, du monde des lettres et du monde féminin. Aujourd’hui nous avons la Ligue Balkanique. Les jeunes gens des Balkans qui se sont rendus à Stamboul pendant les fêtes de Pâques, et à diverses occasions, y ont trouvé l’accueil le plus fraternel et le plus chaleureux. A l’Union des Femmes Turques, que j ’ai l’honneur de représenter ici, et au nom de laquelle je suis venue saluer les femmes yougoslaves et les déléguées de toutes les femmes du monde, nous avons formé plusieurs commissions: celle où l’on s’inscrit avec le plus grand empressement est la Commission de la Paix.
Voilà ce que nous avons jusqu’ici comme résultat pratique. Mais la tâche principale est d’un ordre psychologique et cela on l'a déjà si admirablement exposé que je trouve superflu de le répéter: c’est toute une éducation à refaire, des principes millénaires à abandonnner. Il ne faut plus que les mères élèvent leurs enfants dans cette haine du voisin qui s’appelait patriotisme, il faut qu’elles leur fassent comprendre qu'on peut aimer sa patrie sans détester celles des autres.
Que la lutte soit une loi de la nature, c’ est une vérité indiscut able: tout, dans la vie végétale et animale, c’est une lutte à m ort. Mais le miracle humain n’est-il pas précisément le triomphe de l’homme sur les lois de la nature ?
Nous assistons à une création aussi merveilleuse que celle du droit romain, je veux dire l’idée d’un droit internationale, non dans le sens étroit que ce terme avait jusqu’ ici, mais dans le sens large et magnifique que lui donnera une Société des Nations ou tous les peuples seront représentés sur les bases d’une parfaite équité.
Kişisel Arşivlerde Istanbul Belleği Taha Toros Arşivi