i
POURQUOI L'ASH'ARISME COMBAT-IL
L'ESOTERISME ET L'IDE:EDE LA
TRANSFUSION SPIRITULLE?
Nafiz DANIŞMAN TCG
L'ash'arisme est le resultat des effürts cünsacres a preserver la düctrine islam~que des alteratiüns qu'elle cümmença a subir des les premiers jüurs de sün epanüuissement en dehors de la Peninsule Arabique. Nee dans un pays ayant entretenu des rappürts cümmerçiaux et intellec-tuels avec les plus vieux centres de civilisatiün favürisant üu cultivant un münisme spirituel, la düctrine islamique ne peut etre l'apanage du milieu exclusivement arabe. Tüutefüis le milieu physique et social de l'Arabie (et plus particulierement du Hedjaz) ne manque pas d'avüir imp-rime de sün empreinte cette vielle düctrine :
Danz ce pays de sül ingrat, de precipitatiüns extrememet :tares et irregulieres, de süleil brulant, l'hümme ne peut reclamer l'exces de faveur et de misericürde gu'a une puissance surnaturelle. La matiere inanimee n'est püur l'Arabe (clairvüyant et realiste) qu'un übjet steril en süL Elle ne peut subir des transfürmatiüns heureuses gue par l'actiün de l'hümme cünjinte oux autres facteurs de prüsperile. C'est düne eette puissance surnatıırelle"qui .est l'unigue Tessüurce:de~.misericÜI'de et d'espoir dans le desert. il ne faut dünc pas s'etünner que I'Islam aie faitdu "Nüm dE: Dieu Tres Clement et Misericürdieux" une expressiün sacree püur chaque musulman. Celui-ci la repete, a tüute üccasiün : püur lire le Cüran, püur cümmencer ses repas, püur benir sün enfant, püur sanctifier ses actes. Mais il sait aussi gue ce Dieu Tres Clement differe tütalement de la matiere inerte. Dieu ne ressemble a la matiere ni par la structure ni par la fürme. Et quand il fit a sün Prüphete Malıümet l'injonctiün suivante : "Dis gue Dieu est Unique. Dieu est Supreme. il n'a engendre et ne fut engendre. Et il n'a persünne püur emule", l'Arabe en cünçu aisement la nature transcendantale. Sün intelligence etail deja assez elevee püur cümprendre le sens de l'abtrait. Ses chefs-d'üeuvre de litterature preisiamique le prüuvent.
Mais vüila que l'Arabe apprivüise aux jeux du st yle cüranique, ne tarde pas a se vüir vis-a-vis de certaines difficultes decürcertantes : Des prüselytes de differents pays pretendent que le Cüran cünfere
a
Dieu des attributs anthrüpümürphiques semblables a' ceux de leurs -vielles diviniMs. Par exemole le ıquatrieme verset de la S. 57 (Le Fer) dit ':"Dieü crea les cieux et l~ Terre en six jüurs; PUilSil s'etablit sur le Trône. il sait ce qui entre dans la terre et cequi en sort, ce ıqui desce~td!1E!~l et ce ıqui y münte. il est avec vüusla üu vü,us soyez et Dieu vüit ce que vüus faites."154
On voit que le mot (Trône) pris dans le sens concret, contraste avec le caractere essentiellement transcendantal de Dieu. Comment done; interpreter cette expression incompatible avee les attributs divins?
Les representants timores du spiritualisme musulman, les Aslaf (aneetres traditionalistes) et les Kadariyya ra tionalistes; .en donnent deux interpretetions dif£etentes mais plausibles a la fois : L'une pour sa ferveur, l'autre pour son indeniable sagacite.
Les fervants traditionalistes de l'Islam disent que l'esprit lıumain n'est pas a meme de penetrer le sens des attrihuts divins quo.iqu'ils soient d'apparence antlıropomorphiques. il est done necessaire, poul' rester dans le droit elıemin, de les admettre tel qu'ils sont et de s'interdir6 toute interptetation a leur sujet. Et l'Imam Malik bin Enes, l'un des plus competants exegetes des traditionalisten, de dire : "Nous savons bien ce que signifient les mots (trône) et (s'etablit) mais nous ignorons comment Dieu s'y est etablit ...."
Les rationalistes disent aleur tour: '''Letrône c'est le symbol de la puissance royale. Quant au mot (s'etablit) cela signifie en meme temps (domina) (1). Par conaequent l'expression coranique qui dit: (Dieu s'etablit sur le Trône) signifie en realite : (Dieu domina le royaume des cieux ce qui n'a rien d'antlıropomorphique."
Citons a propos l'interpretation non moins interessante d'Abou Hassan Aslı'ari, fondateur de l'Eeole Aslı'arite (une sorte de compromis entre les deuxecoles precitees). Aslı'ari dit : "Tout ce qui est au-dessus de nous s'appelle ciel; 'quant au mot (Trône) cela signifie le point culminant des cieux" (2). il s'ensuit par la 'que le fameux renovateur de la foi islamique entend par cette meme expression que Dieu possede le domaine des cieux infinis.
Apres ces interpretations apologetiques d'une expression exclusive-ment metaplıorique, donnons quelques exemples de l'idee que eertains heresiarıques se faisaient de Dieu; AI-Mougira bin sa 'id, chef d'une F:ecte ultra-clıi'ite, donne de Dieu le portrait suivant : "Dieu eta it tout seuI. il n'y avait rien avec Lul. Quand il voulut creer les clıoses, il evoqua son Nom Supreme ıqui s'envola et se posa sur sa couronne. C'est a cet incident que le verset suivant fait allusion (Glorifie le Nomde t0l1cDieu Supreme).
Dieu inscrit ensuite, de son doigt, au milieu de la main, les peclıes et les bienfaits de ses creatures. Leurs peches le mettent en colere et le font transpirer. Sa sueur donne lieu a deux oceans, l'un aux eaux sal~e.s .et tenebreuses, l'autre aux eaux douces et lumineuses. Dieu regarde ensuite dans l'ocean. il y voit son ombTequ') il pousuit. Son ombre s'enfuit devant lui; mais I1'en'saisit l'oeil dont il fait un soleil. Dieu dit alors : il ne faut pas qu'il y est un autre illeu avee mol. Sur quoi il aneantit sa propre ombre. Puis
rı
crea tous les etres du fond des deux oceans. Les infide1,es,rı
les crea des eaux salees et tenebreuses. Les fideles, Illes crea des eaux (1) OusDuIAldin. A. K. Bagdadi. p. 112 tstanbul1928.155
dauees et lumineuses. La premıere ombrequ'ii Cİ'ea futeelle de Ma-homet (que le salut de bieu soit sur lui). C'est a ce sujet que fut revele le verset ou il est 'dl.t : (Si Dieu aurait eu un ,enfant e'eşt moi qui en serait le premier adoraleur). il envoya ensıüte Mahomet, deja ombre, en message a tous les homIlies:::.".(3).
Un autre ehef de see~e u~tra-ehiite, Hieham bin El-Hakem, donne de Dieu des portraits non moins paradoxaux (4). Celui-ei eompare Dieu tantôt a une lumiere eclatante, tantôt a une perle flamboyante tantL.t il un lingot d'or, tantôt il erisia1. Aussi donne-t-il a Dieu une forme tantôt arrondie, tantôt humaine mesurant sept ampans de sa propre main divine (4).
On eonçoit faeiİement . que ees represenüitions polyehromes et polymorphes de Dieu, eiaient mal aeeueillies et SOliventtournes en ridi-eule par la majorite des eroyants. Le eelebre ehef motaz.elites Al-Allaf demandait un jour par derisİon il Hieham si le dieUıde eelui-ei etait aussi grand que le Mont Abou-Qoubeis? Hicham dit que le Mont Abou-Qoubeis etait un peut plus grand que Dieu. (5)
A ees representations anthropomorphiques de eertains heresiarque3 ultra-ehiites, hostiles a l'esprit du monotheisme islamique, ajoutons des represenÜı.tions non moins anthropomorphiques de eertains grands mystiques mUJulmans, eomme eelles par exemple du fameUK Andalou Ibin Arabi qui definit ainsi qu'il suit l'Eseabeau (AI-Koursi) et le Treıne de Dieu : (tp
"Comm~ leTres~Clement est etabIi sur le Trône, ses deux pieds sont appuyes sur l'Eseabeau. L'Eseabeau ressemble au Trône par sa forme reetangulair~ et non par ses jambes~ L'Eseabeau ressemble lui il un anneau j~te ~u milieu du Trône. Les deux pieds sont tendus vers l'Escabeau pour y eher~J:ıerrepos. Le pied e'est le symbole de la stabilite. L'un e'est le pied de la
,
droiture, l'autre de l'amour; l'un de la fatalite, l'autre du libre arbitre: ... L'Eseabeau est depose sur de l'au en geL." (7)Au fonp. quelle differenee entre ees verbiages et eeux des deux Mresiarques' ehi'ites precites? Une pareille ressemblenee se remarque aussı dans les tendancesesoteriques et transfusionnistes des uns et des autres. D'apres les mystiques, les mots ont des aeeeptions esoteriques connues d~s; inities seuls. Pour les seetateurs ultra-ehi'ites batinites .
.!""\"i .
eha:que ver~et eoranique a deux aeeeptions : l'une exoterique et eonnue de llOUStou!,!,l'autre esoberique et ouverte il la eonnaissanee omniseiente de l'Imarn :ipfaillible. C'est la eause pOUI1laquelle les Imams batinites sont Jıauss6au"dessus. des hommes. Leurs sentenees ont fDree de 19i et sont a
I'ahri de toute diseussion.
(3) Maqalat Al'İslamiyyin. A. H. Ash:'ari. p. 6. İstanl;m1. (4) Hicham bin AI-Hakam; mort en 199 H 815.
(5) Maqalat AI-Isiamiyyin. p. 29, 30, 31. (6) AI-Bakara v. 255.
. Ainsi l'esoterisme batinite fait des Imams' de cette secte, des dieux 'au pouvoir illimite. Ce n'est pas aU'hasard que le poete andaİou İbin Hany adressait ces vers dithyrambiques iL !'Imam et Khalif fatimite El-Mu'iz-billah:
C'est ta volonte qui compt et non celle des destins . .Donne ta: sentence. Tu es l'unique it contraindre le sort.
Hatons-nous de dire que les qualificatifs (unique) et (contraignant) sont parmis les noms de Dieu, cites dans le glossaire des attdbuts divins. Lö philosophisme batinite pretend que les attributs divins ne sont efficients que dans la personne vivante et conseiente de l'Imam infaillible.
L'orthodoxie intellectualiste que represente l'ash'arisme, combat tous ces cultes qu'elle juge incompatibles avec la salubrite du monotheisme islamique. L'ash'arisme ne redoute pas moins les pretentions de certains mystiques, il. la fusion en Dieu par voİe d'assainissement moraL. Se croyant un jour eleves au niveau de la Divinite, ceux-ci s'affublent volontiers d\~ ses attributs et s'arrongent ses.pouvoirs,. Hussein bin Mansour El-Halladj en fut l'exeinple et le sacrifice dans l'Islam. (8) D'apres l'auteur d'Alfarq Baynal-Firaıq, Halladj ecrivait iL l'en-tete des lettres qu'il expediait
a
se~ adeptes ce qui suit : "De Lui (Howa) Dieu de tous les dieux imaginables, iL sacreature telle ...." Et ses adeptes de lui repondre : "O Toi; etre de rEtre, objet et fin de tout ce qu'on souhaite; Toi qui viens iL chaque epoque, sous un masque' different et qui viens de nos jours sous le masque de Hussein bin Mansour El-Halladj; nous invequons ta pitie et demandons ton secours." (9)Comme ces choses font contraste avec la sublimepurete de la doctr;ine islamique!. On comprend aisement pourquoi l'ash'arisme se fait un devolı de combattre ces cultes au nom de Dieu Unique et sans emule. L'ash'. arisme combat l'l:!-nthropomorphisme parce quececi abaisse Dieu au niveau des humains. il combat l'anthropolatrie, parce qu'elle hausso l'homme au niveau de Dieu. il combat l'esoterisII}e 'qui dMigure les realites, et l'atheisme qui s'avere immoraL.
Qu'est~ce alors l'idee que se fait de Dieu l'ash'arisme? Cette idee, on peut la,x::esumer comme il suit : Dieu est principe de perfection. il tst au-dessııs de la portee humaine. il ~st createur de tout ce qui .existe. Sans Lui on ne peut donner aucune explication de la vie. Dİ(:~uest droH (Jus) en Lui-meme; Juge supremedans ce monde et dansla vie future. Dieu .est une assurance interieury. contre le regne etemel de bestialite; il dMaut de cette assurance, l'humanite ne pourrait faire des progres, elle ne pourrait connaitre le sens de la pudeur et de la vertu.Dieu est source tntarissalıle de pitie et d'espoir. .
En un mot l'ash'arisme reconnait en Dieu une Puissance Eternelle dont l'existance est indispensable pour assurer la permanence d'un ordre publique et moraL.
(S) Mort aUlgibet puis mutile et incin,ereen 309 H/922. (9) AI-Farq baytnal-Firaq. A. K Bagdadi. p. 15S,Egypte.
