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L'investiture du Khalife Abdül Medjid II

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Academic year: 2021

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Ce numéro contient :

LA PETITE ILLUSTRATION (Série Théâtre) : Ju d i t h, de M. Henry Bernstein.

L’ILLUSTRATION

RENÉ BASCHET, directeut.

SAMEDI 9 DÉCEMBRE 1922

80e Année.N ° 4162.

Maurice NORMAND, rédacteur eu chel.

UN GESTE

DE M. CLEMENCEAU ARRIVANT A

NEW-YORK

Il a cueilli au vol une des roses qui lui ont été lancées et il en respire longuement le parfum.— A sa gauche, M. Jusserand.

(2)

574 ---- N° 4162 L ’ I L L U S T R A T I O N 9 Dé c e m b r e 1922

L’échéance du 31 décembre étant une des plus importantes de l'année, nous demandons à ceux de nos lecteurs dont l’abonnement expire à cette date de vouloir bien ne pas attendre, pour le renouveler, les derniers jours du mois. En nous adressant le plus tôt pos­ sible leur renouvellement, ils faciliteront la tâche de nos employés, et ils seront assurés que leur service ne subira aucune interruption.

L’Illustration publiait, il y a huit jours, son Numéro de Noël, som ptueux album d’ art et de pages littéraires. L e numéro d’ aujourd'hui, dans une note toute d ifféren te, atteste à son tour la puissante vitalité du grand journal illustré qui, paraissant depuis quatre-vingts ans, a su se renouveler et se hausser sans cesse.

Samedi dernier, nous offrion s des estampes variées et rares, des réussites de gravure et d’ impression à ravir les amateurs et les techniciens. C ette semaine, c’est de M. Cl e m e n c e a u que nous avons obtenu qu’il traduise lui-même en français, pou r nos lecteurs, le sensationnel discours qu’ il a adressé en langue anglaise aux Am éricains. E t, dans notre supplém ent, c’ est M . He n r y Be r n s t e in

qui nous donne sa dernière œuvre, son œuvre de prédilection, Judith, une pièce qu’on ne p eu t ju g er sans l’avoir successivem ent vue et lue : m agnifique sp ec­ tacle sur la scène du Gymnase, drame dont la lecture révèle toute la maîtrise. L e numéro prochain, portant la date du 16 décem bre, contiendra Le Che­ valier de Colomb, l’admirable p oèm e dramatique de M. Fr a n ç o is Po r c h e,

actuellem ent applaudi à la Com édie-Française.

L e numéro du 23, en partie consacré au Ce n t e n a ir e d e Pa s t e u r, avec des reproductions en couleurs, comprendra L’Ivresse du Sage, de M. Fr a n ç o is d e Cu r e l, la nouvelle œuvre, p rofon d e et curieuse, de ce maître du théâtre contem porain, dont la Com édie-Française vient de donner avec éclat la p re­ mière représentation.

E t le numéro du 30 aura en supplém ent l’ originale et très fin e p ièce de

M. Je a n Sa r m e n t : Le Mariage d’Hamlet, jou ée avec tant de succès par l’ auteur lui-même au théâtre national de l’ Odéon.

CE QUE J’AI DIT AUX AMÉRICAINS

par Georges Clemenceau

Ayant parlé en anglais et en se laissant aller à son inspiration, de

neuf à onze heures du soir, le 22 novembre, au

Metropolitan Opéra

de

New-York, M. Clemenceau, dès l ’aube du lendemain, se faisait donner

le texte recueilli par les sténographes. Séance tenante, il en dictait

la traduction française qu’il avait promise à

L ’Illustration.

Huit jours

après, les pages ainsi dictées, apportées à Cherbourg par le

Majestie,

nous parvenaient. Nous les publions ici intégralement. Ce que M. Cle­

menceau a dit aux Américains, ‘il importait que les Français, eux aussi,

l ’entendissent. C ’ est une grande voix qui, depuis trois ans, s ’était tue

et qui se fait entendre de nouveau aujourd’hui avec une autorité

et une profondeur d ’accent impressionnantes.

Jadis, dans un village indien, il y a des milliers d ’années, survint un vieux moine bouddhiste en disposition de prêcher la bonne parole aux bonnes gens. Il fu t bien reçu et leur annonça q u ’il allait leur enseigner à se montrer bons les uns envers les autres, ce qui, en ce temps-là, était, paraît-il, très difficile à pratiquer.

{Rires.)

Les gens s ’assemblaient sous un de ces arbres géants qui sont la beauté de ce pays et, comme le prédicateur allait ouvrir la bouche, survint un oiseau magnifique qui s ’alla percher sur l ’une des plus hautes branches. E t l ’oiseau se mit chanter, à chanter, à chanter. Il chanta pendant longtemps, et plus il chantait et plus les auditeurs étaient ravis. Ils semblaient com prendre le chant et peut-être le com­ prenaient-ils ! Le vieux moine, du moins, en saisissait certainement le sens ; car, lorsque l ’oiseau eut fini, le vieillard se leva tranquillement et prononça ces paroles :

— Adieu, bons amis, le sermon a été prêché.

(Rires.)

Je suis, à beaucoup d ’égards, dans le même sentiment que le vieux moine. Il me semble que je suis sous le merveilleux arbre de l ’Inde. Il me semble que je suis sous un dais de feuillage parsemé d ’étoiles. Beaucoup d ’oiseaux partout. Seulement, ils ne chantent pas ; ils battent des ailes et le concert m ’en paraît particulièrement délicieux.

(Rires.)

Comme le vieux moine, c ’est un langage que je comprends très bien. Nous sommes d ’accord et c ’est tout ce q u ’il faut. Et, si j ’étais sage, et si vous l ’étiez vous-mêmes, vous accepteriez très bien que je vous dise à mon tour :

— Tous mes remerciements, ladies et gentlemen ; nous nous com­ prenons ; la conférence est terminée !

Mais vous n ’êtes pas sages et je ne le suis pas moi-même. Et puisque notre éminent président m ’a dit tout à l ’heure que je pouvais vous adresser la parole, je vais le faire à mes risques et périls, heureux si je ne vous apporte pas une trop vive déception.

** J E VOUS R E V IE N S A P R È S CIN Q U A N TE-SEPT ANS

A vant tout, soyez remerciés pour votre bel accueil.

Il faut que je vous dise, avant d ’entrer en matière, que je vous

reviens après une absence de cinquante-sept ans.

(Rires.)

J ’étais alors tout frais émoulu des geôles impérialistes de Napoléon III.

(Rires.)

E t je pensais q u ’il devait y avoir d ’ autres ressources d ’agrément dans la vie.

J ’étais alors dans cet heureux âge où un jeune homme d ’imagination trouve toute entreprise naturelle et facile, sans distinguer convena­ blement les rêves des pensées. Toute œuvre paraît aisée ; aucune ne semble devoir rencontrer de difficulté. Ce que, depuis des milliers d ’années, les sages et les audacieux eux-mêmes n ’ont pu faire, est hardiment abordé par de jeunes forces qui ne se sont pas encore essayées. Le ciel est toujours bleu ; le jeune homme toujours prêt. Il a la connaissance et la décision. Tout va s ’accom plir à souhait.

L ’on comprend difficilement que les hommes aient jusqu ’ici rencontré tant de difficulté dans la vie quand il est si simple de tout comprendre, d ’annoncer la parole et de faire suivre l ’exécution.

J ’apportais donc parm i vous ces beaux sentiments qui, depuis, m ’ont quitté. Je ne sais s ’ils furent appréciés de ceux à qui je fis mes confidences. Mais je suis certain q u ’avec ou sans paroles je reçus bien vite, dans les tourbillons de l ’activité américaine, un enseignement pratique de la vie qui ne tarda pas à m ’en faire soupçonner les difficultés.

Maintenant, me voici comme l ’élève qui revient devant son ancien maître pour lui demander un supplément d ’explications, pour contrôler les deux pensées l ’une par l ’autre, pour savoir si l ’élève lui-même ne pourrait pas donner par hasard à ceux qui l ’ont enseigné quelques utiles indications.

Sans doute, mon premier sentiment est de remercier mes anciens guides des utiles leçons dont j ’ai cherché plus tard à tirer parti. A cette heure encore, je ne cesse d ’interroger vos yeux et vos gestes pour pénétrer dans le fon d de vos âmes et savoir, quand nous différons, qui de nous a le plus de chance d ’être dans la vérité.

Autrefois, ce n ’était pas d ’idées que j ’avais besoin et, bien q u ’elles ne vous fissent certainement pas défaut, c ’était surtout la mise en pratique de vos idées qui m ’intéressait. Je n ’avais pas besoin d ’une éducation d ’indépendance. J ’étais pourvu. Mais voici q u ’en retour, a u jou rd ’hui, c ’est une leçon de solidarité, ou, si le mot est trop ambitieux, un avis d ’interdépendance que je me permets de vous apporter.

La critique est facile. On m ’a beaucoup reproché d ’en avoir usé. Cependant je ne voudrais pas abandonner la moindre parcelle du droit à la critique ; car, pour se servir utilement de l ’idée, il fau t avoir pris soin de la contrôler. Vous êtes le peuple le plus aimable et le plus vivant au monde et vous m ’avez appris que, si la démocratie est véri­ tablement la liberté; que, si on n ’y rencontre nécessairement pas tou­ jours le meilleur gouvernement qui soit, l ’homme y trouve l ’avantage d ’être responsable de ses propres fautes et non plus des fautes d ’autrui.

J ’avais trouvé chez vous le plus bel enseignement d ’action et de volonté, et si, dans ma vie, j ’ai eu besoin de toutes mes ressources d ’action et de volonté, je suis convaincu que vous avez, plus que tous autres, contribué à les fortifier en moi.

J E NE SU IS P A S IC I PO U R VOUS DEMANDER DE. i/A IIG E N T

A u jo u r d ’hui, ce que je désire surtout, c ’est que vous ne vous ima­ giniez pas que je viens vous demander de l ’argent. Vous avez beaucoup d ’argent; vous en avez probablement tro p ; mais vous n ’en avez pas assez pour me satisfaire. Il me faut de vous beaucoup plus : il me faut vous-mêmes, votre âme, votre cœur, et toute la puissance de raison et de sentimentalité q u ’il peut vous être donné de détenir.

Ce q u ’il me faut, c ’est cet impondérable, ce qui est si subtil, si instable, et si fort pourtant — ce je ne sais quoi, qui domine tout et qui emporte tout quand les grandes heures de l ’homme sont venues.

Voilà ce q u ’il me faut : l ’Amérique elle-même; l ’Amérique q u ’il ne me plaît pas de distinguer de la France ; l ’Am érique qui peut diverger d ’avec la France à certains jours, mais telle q u ’elle doit se retrouver en parfaite union avec ce q u ’il y a de plus beau et de meilleur dans les deux nations.

(Vifs applaudissements.) (*)

P our m ’expliquer clairement, j ’ai besoin d ’une complète liberté de langage. N ’ayez crainte, je n ’en abuserai pas. Je suis trop votre ami pour trouver en moi autre chose que d ’amicales paroles. E t puis, cette liberté de jugement chez chacun de nous est ce qui fait la dignité de notre cause. Il est digne de vous et de nous que nous parlions tous librement. La grandeur de notre cause l ’exige quand arrive, comme au jou rd ’hui, le moment de l ’action.

Ibsen a écrit l ’œuvre poétique la plus forte des temps modernes pour démontrer que la vérité était odieuse à l ’homme et q u ’il la redoutait

(*) Nous avons trouvé ces mentions de rires et d’applaudissements dans la sténographie en langue anglaise, et nous les avons intercalées dans la rédaction française, aux mêmes endroits. — N. D. L.

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R-9 Décembre 1922 L ’ I L L U S T R A T I O N N” 41b2 --- 575

à l'égal du plus grand monstre. Je vous apporte ma vérité pour la confronter avec la vôtre. Laissez-moi donc lâcher la bête sauvage de la jungle. Elle ne rugira pas; ou, si elle doit rugir, elle rugira, comme notre ami shakespearien B ottom ; elle rugira... comme une colombe.

MON R Ê V E DANS M A P E T IT E MAISON DE P A Y SA N

Je rêvais de ces choses dans ma petite maison de paysan au bord de la mer, de l ’autre côté de votre rive, trop loin pour cpie vous puissiez en apercevoir la fumée, lorsqu ’un jou r il me vient de mauvaises paroles. J ’apprends q u ’on se détourne de la France, en lui appliquant des épithètes que je réprouve de toute mon énergie. A u même moment, un Anglais très distingué, qui est de mes amis, voit sa pensée mal inter­ prétée par la presse aboutir à une violente critique des Américains pendant la guerre et depuis.

Alors, je me lève indigné et, sans bien savoir si je me dispose à blâmer les Américains dans leurs appréciations de la France ou à les défendre contre les blâmes de l ’Angleterre, je prends la résolution de franchir la mer pour venir vous regarder entre les deux yeux et vous dire amicalement le fon d de ma pensée, que vous ne me demandiez pas, mais que j ’éprouve le besoin irrésistible de vous communiquer. (

Applau­

dissements.)

J ’ai lu que j ’étais indésirable. Cela m ’a donné beaucoup de confort et d ’espérance, parce que, quand un homme cherche honnêtement et simplement à faire le plus de chemin possible au plus haut de ses sentiments et de ses pensées, quel encouragement d ’entendre les cris de rage d ’en bas! J ’ai lieu de croire que ma visite ne vous est pas trop désagréable. Votre courtoisie m ’en fournit d ’abondantes raisons et, en ce qui me concerne, j ’en suis particulièrement heureux, — et surtout bien reconnaissant de la peine que vous avez prise pour venir m ’entendre ici ce soir.

Voilà donc deux pays, l ’Amérique et la France, qui ont tant de traits communs dans la manière de comprendre et de sentir. La fortune nous a associés dans les œuvres sanglantes de la guerre, au travers des plus grandes luttes qui furent pour la justice et pour la liberté. Est-il donc surprenant q u ’avec les mêmes dispositions d 'esp rit et de cœur il se soit fait entre nous, comment dirais-je? une espèce de roman qui nous tient au cœur par les fibres les plus profondes et dont nous ne saurions nous détacher sans souffrance ?

Il y a un roman français de l ’Amérique comme il y a un roman américain de la France. Nous sommes deux peuples libérateurs. Si notre beau roman humanitaire, vécu en magnifiques journées, doit disparaître ou seulement être entamé, c ’est que nous nous serons manqué à nous-mêmes. Cela ne doit pas arriver. (

Vifs applaudissements.)

L E SOLDAT A M É R ICA IN DANS L A G U E R R E

A deux reprises différentes, sur ce sol même, nous avons livré ensemble de magnifiques batailles qui ont abouti aux plus brillants succès. Et voilà que cette visite, qui est à la gloire de nos deux peuples, l ’occasion s ’est présentée pour vous de nous la rendre. Vous l ’avez fait avec une générosité vraiment américaine. Le général Pershing, sur la tombe de La Fayette, a dit à son arrivée le mot qu ’il fallait dire : « La Fayette, nous voilà! » Pas un cœur français qui n ’ait tressailli à cette parole désormais historique.

Je n ’ai jamais vu le soldat américain dans l ’action sans souhaiter que le vieil ami George W ashington pût le voir et l ’admirer comme le faisaient nos soldats. J ’ai vu vos hommes à la bataille, et mon cœur bondissait, témoin du sacrifice qui se déployait si magnifiquement sous le drapeau étoilé. C ’était l ’espérance ; c ’était un supplément d ’audace ; c ’était la certitude de la victoire qui nous était apportée. (

Applaudis-

sements.)

Je n ’admirais pas moins les chefs. Le général Pershing d ’abord, bien que nous ayons eu ensemble des querelles souvent renouvelées.

(Rires.)

Je lui disais ce matin, quand il m ’a rendu visite : « Vous avez une grande puissance de oui, mais vous avez encore une plus grande puis­ sance de non. » Il faisait son devoir et je faisais le mien. Il voulait achever l ’éducation de ses troupes ; il lui fallait les entraîner progres­ sivement, les accoutumer au fonctionnement simultané de tous les services ; ils étaient à l ’école, mais à la portée du canon, et ce canon annonçait que Français et Anglais tombaient quotidiennement pour la grande cause, que l ’aide était toute proche et que nous étions d ’autant plus pressés de la voir accourir.

Notre urgent besoin était d ’avoir l ’Amérique à nos côtés pour la bataille, même avec une insuffisante préparation. Nous vous avions attendus longtemps, — longtemps, n ’est-il pas vrai? E t vous étiez venus! Un an s ’était écoulé entre la déclaration de guerre et l ’arrivée au front. Enfin, nous allions tous ensemble à l ’ennemi, sous les trois grands drapeaux.

Le général Pershing, comprenant l ’urgence des besoins, nous a permis souvent d ’encadrer des divisions plus ou moins complètement piéparees. L ’audace de vos hommes ne faisait, hélas ! qu ’accroître les chances de leurs pertes. Mais là même était une grande leçon. Bientôt, sous le com­ mandement direct du général Pershing, vingt-deux divisions, si j ’ai bonne mémoire, de 27.000 hommes chacune, avec 1 aide de quatre divi­ sions françaises, s ’emparaient de la boucle de Saint-Mihiel, après une dure bataille qui restera comme l ’une des plus belles de la guerre. Le général Pershing était récompensé, et nous étions tous récompensés de l ’effort q u ’il avait bien voulu faire pour mettre à notre service, avec ou sans artillerie parfois, quelques-unes de ses belles divisions.

(Vifs

applaudissements.)

EN CE T E M P S -L A , ON NE NOUS R E P R O C H A IT P A S D ’ Ê T R E M IL IT A R IS T E S Il en fu t ainsi ju s q u ’à la fin de la guerre. L ’armée américaine allait formidablement coopérer à l ’attaque de Lorraine, quand l ’Allemand, à bout de forces, se rendit. A lors, comme au temps où nous attendions seuls les secours de l ’A ngleterre et de l ’Amérique, nos soldats tombaient sans mot dire et les jeunes recrues, subitement jetées au plus fort de l ’action, ne se préparaient aux cruelles misères des combats q u ’en y entrant tête baissée.

E n ce temps-là, on ne nous reprochait pas d ’être militaristes. On ne se plaignait pas que nous eussions trop d ’hommes, bien ou mal préparés à l ’action. On nous admirait ; on chantait la Marne et Verdun et on le pouvait, en vérité. On nous aimait, et nous ne demandions rien que le droit de combattre et mourir. La Belgique avait été envahie, au mépris d ’un serment, à la honte de l ’Allemagne. L ’armée française, après un grand recul, se retournait héroïquement et repoussait 1 ennemi dans un accès de sublime fureur. C ’étaient les grands jours. D autres sont venus.

(Applaudissements prolongés.)

Je ne suis pas en Am érique pour insulter les Allemands. J ’appelle ardemment de mes vœux le jou r où tant de terribles choses pourront être oubliées. Il n ’en est pas moins vrai, malgré tant d ’horreurs, que le plus grand crime que l ’Allemagne, peut-être, ait commis contre elle-même fu t accompli le jou r où elle se déshonora par un parjure éhonté. Quelle foi pouvons-nous avoir en l ’Allemagne dans l ’avenir? Que vaut sa parole, p u isqu ’elle n ’y a vu elle-même q u ’un chiffon de papier q u ’elle a p u déchirer à son aise?

L ’honneur, le serment, ce qui est le plus beau de 1 homme, elle n ’en veut pas faire cas, — c ’est elle qui nous l ’a déclaré. Une signature n ’est plus une signature ; un engagement n ’est plus un engagement. Dites-moi : si vous ne pouvez toucher le chèque qui vous est remis, vous risquerez-vous à en recevoir un autre en paiement des mains du même payeur? Ce manque de foi ne sera jamais pardonné par l ’histoire et tout Allemand, si grand q u ’il soit, s ’en sentira toujours diminué.

Anglais, Français, Américains, ces grands compagnons d ’armes n 'o n t pas besoin de mes éloges. Ils ont de leur propre volonté forcé toutes les admirations. Ils ont inscrit leur nom aux fastes de l ’histoire pour les temps qui viendront. Ils sont si grands q u ’il n ’y a pas à faire la part de chacun.

J ’ai vu les soldats anglais dans les pires moments, dans les Flandres comme aux jours cruels où le général Gough dut céder sous la pression allemande. C ’est en ces jours-là peut-être que je les ai le plus admirés.

Pour le soldat français, jadis bruyant, il ne fu t jamais moins parleur. Il résistait ou il allait de l ’avant et ne voulait pas connaître autre chose. Un jour, non loin de M ontdidier, une terrible bataille était engagée, sous la pluie, et, comme les Français avaient cédé du terrain, les obus commençaient à tomber terriblement dans la plaine. A u loin, j ’aperçois une douzaine d ’hommes immobiles, enfoncés dans la boue, sans un mouvement. Je me demande ce q u ’ils peuvent faire en cet endroit et pourquoi ils s ’exposent inutilement au danger. J ’envoie chercher leur chef, qui arrive avec deux camarades. E t quand je lui demande ce qu ’il fait là, il commence par se gratter la tête pour trouver la réplique et, après un moment de réflexion, il me répond à m i-voix :

— On nous a dit que nous étions au repos.

Ces hommes avaient été mis au repos dans un endroit infiniment peu propice, mais au moins à l ’abri des obus. La bataille avait reculé. Les hommes se trouvaient subitement engagés en dépit d ’eux-mêmes. Mais on les avait mis là pour se reposer et, sous les obus, l ’idée ne leur était pas venue de reculer. Voilà, sous un de ses aspects les plus touchants peut-être, le soldat français de ce temps.

(Vifs applaudissements.)

L ’ A M É R IQ U E A IN S C R IT DANS L ’ A R M IS T IC E L A R É P A R A T IO N DES DOMMAGES

Enfin, l ’Allem and épuisé a dû demander la paix. Ce fu t le grand jo u r de l ’armistice.

Ici, écoutez-moi, je vous prie : j ’appelle toute votre attention sur ce qui va suivre. Le gouvernement américain d ’alors avait eu la très belle

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570 — N" 41o2 L ' I L L U S T R A T I O N 9 Dé c e m b k k 1922

M. Clemenceau se rend en automobile au City Hall : la foule se presse sur son passage, et des fenêtres de Broadway on lance des serpentins, tandis que les clerks enthousiastes vident leurs corbeilles à papier. — Phot. Keystone View C°.

M. Clemenceau descend d’automobile au seuil du City Hall.

Copyright International Newsreel. Le maire, M. Murray Hulbert, souhaite la bienvenue à M. Clemenceau. — Phot. Keystone View C“.

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9 Dé c e m b r e 1922 L ’ I L L U S T R A T I O N N° 4162 — 577

pensée que nous devions publier, mettre sous les yeux de l ’humanité tout entière les buts que nous poursuivions dans la guerre ; car la tentation n ’est venue que trop souvent au vainqueur d'abuser de sa victoire et, contre un pareil danger, le gouvernement américain jugea que nous devions nous prém unir ; que notre cause était si belle, si noble, si profondément humanitaire, que nous ne pouvions que trouver avantage à énoncer, le plus haut q u ’il serait possible, 1 ensemble des conditions que nous imposerions à l ’ennemi.

L ’histoire n ’a jamais rien vu de pareil. Et c ’est ce qui fut fait pour­ tant. Le jou r où les Allemands capitulèrent, après avoir hautement j accepté les conditions du président W ilson, ils ne pouvaient pas dire que nous abusions de leur détresse et que nous exigions d eux des conditions que nous n ’eussions pas osé formuler plus tôt. (

Applaudis­

sements répétés.)

Mous avions accepté les « quatorze points ». Nous les avions discutés. Nous nous étions mis d ’accord. Le jou r de la capitulation, les Allemands ; savaient ce qui leur serait imposé. E t nous, de notre côté, nous nous étions refusé le droit de rien y ajouter. Nous étions dans l ’obligation d ’accepter l ’armistice automatiquement, pour ainsi dire, dès que l'A lle ­ magne se soumettait aux conditions imposées. Chacun de nos soldats avait su ju s q u ’alors pourquoi il se battait; pourquoi il était exposé chaque jo u r à donner sa vie. Etait-il admissible que, manquant a notre parole pour émettre des prétentions nouvelles, nous eussions renvoyé nos hommes à la mort? L ’opinion du monde se serait soulevée contre nous. (

Applaudissements.)

Certains de ces quatorze points concernaient la France d ’une manière toute particulière, notamment l ’article des réparations. Q u ’y était-il d it? Que les dommages seraient réparés. C ’est l ’Amérique elle-même qui, par des dispositions universellement approuvées, avait pris l ’ini­ tiative et, par conséquent, la responsabilité de l ’application, de l ’exé­ cution. Non seulement la réparation des dommages fu t comprise dans les quatorze points dans les termes les plus formels, sous la respon­ sabilité exclusive de l ’Am érique, mais encore dans le message du prési­ dent au Congrès du 8 jan vier 1918, sur les conditions de la paix, nous trouvons la phrase suivante : «

Les territoires envahis seront non seule­

ment évacués et libérés, mais restaurés.

»

Dans l ’armistice, il est expressément dit que les dommages seront réparés, et ce ne fut point par inadvertance; car M. Bonar Law ayant présenté des objections, l ’Amérique, représentée par le colonel House. qui se rangea de mon côté, décida que la réparation des dommages y serait inscrite en propres termes. Ce qui eut lieu. E t le président W ilson avait conclu : «

Aussi longtemps que la paix dans ces conditions ne

sera pas assurée, nous n ’avons d ’autre choix que de continuer la

guerre.

»

Cette disposition, de tous points, est donc américaine. Elle a été répétée, à tous moments, sous toutes les formes concevables.

SANS L E S R É P A R A T IO N S, I L N ’Y A U R A IT PA S E U D ’ A R M ISTIC E Eh bien, je vous le dem ande! Si l ’on nous avait dit alors, si l ’on vous avait dit à vous-mêmes que ces conditions nécessaires de la paix, impo­ sées de votre propre initiative, ne seraient pas exécutées, n ’auriez-vous pas été obligés vous-mêmes de continuer la guerre, comme le disait le président W ilson? E t nous, que pensez-vous que nous eussions fait nous-mêmes, sinon d ’aller directement à Berlin pour assurer l ’exécution des engagements aussi clairement contractés? (

Vifs applaudissements

répétés.)

Sans l ’exécution des réparations, il n ’y aurait pas eu d ’armistice. Vous aviez accepté, provoqué même les engagements de l ’Allemagne. Brusquement vous vous êtes retirés !

Ce que je dis là de l ’armistice, je pourrais le dire de l ’exécution même du plus grand nombre des articles du traité. L ’ Europe s ’était faite, au cours des siècles, dans ces effroyables massacres des anciens âges, qui ne laissaient de place ni à la justice ni même à la pitié. C ’était une œuvre de sang, une œuvre de force qui ne pouvait se maintenir que par la force et par le sang.

Et voilà que, par la libération de l ’Alsace-Lorraine, la libération de tous les peuples opprimés devient une fatalité inévitable et q u ’une nou­ velle Europe va surgir de l ’immense bataille qui sera le rachat des peuples opprimés. Tous se lèvent, les mains tendues vers celui qui leur apporte, avec la tradition libératrice de son propre pays, l ’affirmation, la protection, la défense des droits de tous les peuples à toute la liberté. Vingt-sept Etats sont réunis autour de la table.

Mon ami Paderewski, le grand artiste et le grand homme d ’Etat, honneur de son noble pays, n ’a pas oublié ces jours où il combattit à nos côtés p our l ’affranchissement des peuples asservis. L ’Europe, auto­ cratique. s ’était faite dans le sang. L ’Europe, libérée, allait se faire au nom du droit, mais au p rix de quelles difficultés!

Constituer des frontières dans des régions où tant de races s ’étaient

emmêlées ; les constituer au nom du droit ; en préparer la défense ; entendre toutes les réclamations contradictoires et les ajuster : aucune œuvre ne fut jamais comparable ! .Jamais rien de pareil n avait été tenté !

Quelques erreurs ont pu être commises ; il n'im porte. Ce traité, fixant la vie de l ’Europe nouvelle, est la plus grande et plus belle œuvre de reconstitution territoriale qui ait jamais été tentée. Je connais des gens qui l ’ont un peu trop vite oublié. Car ce fut la gloire des deux grandes puissances libératrices du monde, la France et 1 Amérique, puisque l ’Angleterre est particulièrement confinée dans l ’œuvre de sa propre libération, ce dont je ne lui fais pas un reproche. A chacun sa destinée.

(Applaudissements.)

LA FR A N C E E ST UN BON D É B IT E U R , M A IS IL F A U T Q U ’ E LL E SO IT P A Y É E Ou nous parle a u jo u rd ’hui de notre solidarité avec l ’Allemagne et, à beaucoup d ’égards, on n ’a pas tort. Est-ce donc à dire q u ’il n ’y a pas de solidarité, depuis le jo u r de l ’armistice, entre la France et ses alliés .’

Vous demandez à être payés et vous avez raison. Mais alors, pourquoi, par des concessions qui ont été obtenues de nous sous la pression de l ’Angleterre, d ’une part, et par suite de l ’indifférence de l ’Amérique, d ’autre part, pourquoi permettre à l ’Allemagne de s ’affranchir de créances dont nous avons besoin pour vivre?

Déjà nous payons nos dettes. P our les stocks américains, nous avons contracté envers vous un engagement de vingt millions de dollars que nous avons soigneusement acquittés chaque année depuis trois ans bientôt. Cela fait une somme qui n ’est pas très différente de celle que vous avez reçue de la Grande-Bretagne.

(Applaudissements.)

L ’autre dette aura son jour. Mais est-ce donc un procédé amical de nous en demander le paiement, quand nous ne sommes pas encore arrivés à boucler notre budget ? Il faut que, d ’ici à l ’année prochaine, nos Chambres et nos gouvernements s ’arrangent pour que notre budget soit en équilibre. Cela n ’est pas impossible. Il y faut de la résolution. Et notre peuple a assez souffert pour accepter, s ’il le faut, d ’autres souf­ frances, grâce auxquelles la France pourra reprendre le cours de ses destinées.

Je ne vous fais pas l ’injure de croire que vous exigerez le paiement du jou r au lendemain. La France est un bon débiteur ; vous serez payés.

Mais la France n ’a pas été seulement envahie; elle a été dévastée systématiquement, cruellement, avec une méthode de sauvagerie qui, même dans les temps les plus barbares, ne s ’était pas rencontrée. Huit millions et demi d ’hommes mobilisés. Cinq millions et demi d ’hommes tués, mutilés, blessés — les meilleurs, hélas ! —• ou revenus de captivité, des camps de représailles, pour m ourir après avoir souffert de la faim et de toutes les misères ! En 1918, nous avions encore 362.000 hommes aux armées de plus q u ’en 1914, malgré q u ’à ce moment nos pertes fussent de trois millions d ’hommes tués, mutilés ou prisonniers.

Ceci, c ’est la dévastation humaine. Voyez l ’autre :

Quatre mille villes ou villages détruits. Détruites également, 600.000 maisons, écoles ou églises ; 20.000 manufactures, qui produisaient avant la guerre 94

%

de nos tissus de laine, 90

%

de nos lins, 80

%

de nos aciers, 70 % de nos sucres, 60

%

de nos tissus de coton, 55 % de notre charbon, représentant 17 % de nos impôts.

Nous avons déjà relevé les deux tiers de nos manufactures. Mais, pendant ce temps, au lieu des sommes qui nous étaient dues et qui avaient été fixées par le traité, nous avons à peine reçu de l ’Allemagne une somme de deux milliards de marks-or, tandis que, toujours sous la pression de l ’Angleterre et dans l ’indifférence de l ’Amérique, nos créances à l ’égard de l ’Allemagne ont été diminuées de plus de 50

%.

(Très vrai! Très vrai!)

L A FR A U D E A LLEM AN D E

Et, pendant ce temps, l ’Allemagne avait gardé son territoire intact ! Pas de dévastation. Son contribuable paye a u jo u rd ’hui treize dollars par tête ; le nôtre quarante-cinq, malgré le texte du traité qui déclare que les deux contribuables — et ce n ’est que stricte justice — doivent être taxés à égalité. Pendant ce temps, l ’Allemagne gaspille ses res­ sources budgétaires par d ’énormes subventions.

L ’Allemagne ruine son crédit par une inflation qui ruine le nôtre. Elle demande un moratorium de cinq ans et son ministre des Finances, M. Schroeder, déclare q u ’il fau t rayer du budget le chapitre répa­ rations. Elle fait le traité de Rapallo qui constitue, avec elle, à l ’état de Tríplice la Turquie, dont la trahison nous a fait tant de mal pendant la guerre, et la Russie. Les usines P o u tilo f mettent aux mains de K rupp la fabrication de tous armements et munitions, — ce qui annule la disposition du traité désarmant l ’Allemagne. Tous les jours nos commissions découvrent des canons, des mitrailleuses, des munitions cachées sur tout le territoire allemand. L'A llem agne

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L ’ I L L U S T R A T I O N 9 Dé c e m b r e 1922

dessus de tout. Et c ’est la France, nous dit-on, qui est militariste. (.

Applaudissements.)

Et ce q u ’il faut bien comprendre, c ’est que les dévastations ont été conduites à leur fin en vue de la situation d apres-guerre. Massacrei, fusiller, enlever des troupeaux de femmes et d ’enfants pour leur faire j subir les plus affreux traitements, — il paraît que c ’était ça, la guerre! Bernhardi avait déclaré que la suprême cruauté, en temps de guerre, était la charité; car l ’ennemi alors, terrorisé, se rendait à merci. Chrétienne théorie! Et puis, on comptait sur la victoire, la victoire absoudrait tout.

La victoire n ’est pas venue. Mais, ce qu on n ’avait pas prévu, c est (lue la défaite permettrait d'absoudre l ’immense majorité des crim es, contre l ’humanité.

Et puis, il y avait un autre but : il fallait que toute l ’industrie de notre pays fût mise hors de service pour un très long temps, la h rance devant se trouver ainsi hors de toute compétition possible avec l ’A lle­ magne. dont les manufactures n ’ont jamais cessé de travailler, comme avec la production économique de l ’Angleterre et de l ’Amérique.

QUI DONC M ENAÇONS-NOU S?

On veut bien ne pas nous faire un grief de notre impuissance écono­ mique. Mais quelle revanche pour notre prétendue puissance militaire ! C ’est notre militarisme, notre impérialisme qui nous sont reprochés par des Américains qui ne prennent point garde au militarisme alle­ mand, lui qui s ’arme à ciel ouvert et nous menace, par une combinaison de la barbarie turque, de l ’anarchie russe et de l ’impérialisme allemand, de prendre à revers nos conquêtes de liberté pour les rendre à l ’ancien despotisme que nous avions écrasé.

Eh bien! j ’ai fait partie, en 1871, de l ’Assemblée nationale qui signa la paix de F rancfort. Je suis le seul survivant de ces temps douloureux. J ’ai déjà vu deux fois mon pays envahi par l'Allemagne. E t je viens vous le dire tout net : je n ’accepte pas de commettre, quelle q u ’elle puisse être, une imprudence qui nous ferait courir le risque d ’une nouvelle invasion!

Cela ne sera pas. Non, non ! Les deux invasions nous ont pris — nous sommes, à cet égard, sans excuse — en flagrant délit d ’impré­ paration. Il ne faut pas que cela recommence. Les Chambres et les gouvernements ont des devoirs q u ’à mon gré ils pourraient remplir plus strictement. C ’est aux Français d ’y aviser. (

Applaudissements.)

Mais quand on nous chicane sur notre budget de la guerre, où je ne doute pas q u ’il y ait comme ailleurs beaucoup de gaspillage, je n ’accepte pas l ’humiliation de m ’expliquer. Qui donc menaçons-nous?

Est-ce l ’Angleterre qui conserve, avec une assez belle armée de mer, une non moins belle armée de terre? Depuis 1914, je trouve son armée augmentée de 19

%.

Je ne m ’en plains pas du tout.

Est-ce le Japon qui a augmenté son armée depuis 1914 de 71 % ? Je ne sais pas si quelqu’un des Alliés songe à en exprimer son déplaisir; mais je comprendrais mieux que ce fût vous que nous.

Nous menaçons l ’Allemagne, peut-être, mais parce que nous sommes résolus à nous défendre, tandis que l ’Angleterre et l ’Am érique semblent vouloir se confiner dans cette politique des yeux fermés, dans cette politique d ’impréparation, qui a obligé les Français à se sacrifier en niasse sous l ’effort allemand, parce que l ’Angleterre et l ’Amérique n ’étaient pas préparées. Le militarisme qui vous crève les yeux, il est avec la Triplice de Rapallo. Il menace, il agit, il a des armes, il en fabrique, et ce n ’est pas les scrupules de bonne foi et de douceur chrétienne qui sont pour l ’arrêter.

Et nous, peuple militariste, qui donc en Europe se sent menacé par nous? Avec l ’Amérique, avec l ’Angleterre, nous avons fait la libération de l ’Europe, et je le demande à Paderewski, qui m ’écoute, les peuples libérés de la mer du N ord à la Méditerranée redoutent-ils l ’assaut de l ’armée française ou comptent-ils sur elle pour les défendre, si besoin était?

'(Vifs applaudissements.)

VOU S-M ÊM ES VOUS R E STEZ A R M ÉS

La réponse est connue d ’avance. La sécurité de la France, c ’est la sécurité du monde européen. Ne nous dites pas que ce n ’est point votre affaire. Les admirables soldats australiens, néo-zélandais et ceux des autres Dominions, qui sont accourus à la défense de la France, sont là pour vous dire (pie, sur le sol français, c ’est leur pays q u ’ils défendaient.

Les peuples dignes d ’être asservis peuvent se grouper sous le talon d ’un maître. Les peuples libres garderont leur indépendance et doivent demeurer prêts à s ’unir pour la commune défense. Et, si l ’Europe est asservie, l ’Amérique ne peut pas vivre dans le travail et la prospérité de la paix.

Vous avez les plus belles frontières du monde. Et, cependant, vous

voici tout d ’un coup résolus à vous assurer une force navale qui ne comptera pas moins de 500.00U tonnes de

capital shipsl

L A ngleteire de même. Ce sont, dans votre idée, d ’importantes garanties de sécurité. Je n ’y ai pas la moindre objection.

Je pourrais remarquer seulement que le désarmement, qui est dans le titre, n ’est pas peut-être nécessairement dans le fait, étant donné la puissance de vos unités navales. J ajouterai encore que vous n a\ez pas le droit de dissocier, de séparer la puissance navale de la puissance militaire terrestre. Tout notre effort est à la frontière du Rhin, une grande partie du vôtre est dans le Pacifique.

Vous avez tous mes vœux.. Vous vous êtes débarrassés du traité anglo-japonais; — mes compliments pour tout le m onde! L ’Angleterre a laissé détruire la flotte allemande; il s ’en faut que ce soit négligeable pour elle. Cette flotte n ’était pas sa p ropriété; elle l ’avait reçue en garde. Elle l ’a laissé cou ler; c ’est une faute que je ne lui reprocherai pas ; car je ne souhaitais pas. pour la France, 1 appropriation d une part de ces unités.

Cependant, on ne niera pas q u ’elle n ’en soit la principale bénéfi­ ciaire. et encore puis-je ajouter que la flotte allemande n avait pas été conquise en combat naval, mais q u ’ elle avait été prise par les armées de terre, c ’est-à-dire avec la contribution des soldats français. (

Applau­

dissements répétés.)

L E RHIN E T L A S É C U R IT É DU P R E M IE R CHOC

Nous, notre frontière sur le Rhin est mauvaise. Toute notre histoire est là pour l ’attester. La Manche n ’a pas empêché les Anglais, dans les temps passés, de s ’installer en France pour des siècles. Je ne suis pas sûr que le Rhin soit une défense absolument efficace, surtout avec les nouveaux engins de guerre qui, si la surveillance n était absolument rigoureuse, pourraient causer d effroyables surprises entre voisins.

Mais cela doit nous donner au moins la sécurité du prem ier choc. Et c ’est pourquoi à la Conférence de la Paix, par un document qui est dans toutes les chancelleries, j ’ai réclamé non l ’annexion de la terre allemande, mais la frontière militaire du Rhin.

Dès le lendemain, M. L loyd George m ’a pris à part et m ’a dit : — Si vous renoncez à votre frontière militaire du Rhin, je vous offre la garantie navale et militaire de la Grande-Bretagne. Je m engage en outre à faire de mon mieux pour obtenir de M. le président W ilson une garantie analogue.

Après mûre réflexion, entre le Rhin et la rupture de l ’entente franeo- anglo-américaine, j ’ai accepté la proposition. J ’ai obtenu cependant, pour q u ’il fût possible d ’éprouver la bonne foi de l ’Allemagne, une occupation de quinze ans. J 'a i obtenu que cette occupation durerait au delà de ce terme, si l ’Allemagne n ’exécutait pas tous les engage­ ments du traité ou si les garanties militaires étaient jugées insuffisantes.

{Applaudissements.)

Je n ’insiste pas sur ces discussions. Mais, ce qui est assez clair, c est que ce que M. Lloyd George m ’avait promis, il ne l ’a pas donné. La France, à mon avis, doit donc reprendre son droit tout entier, si satis­ faction ne lui est pas assurée.

Il fallait l ’autorisation des Parlements. Le traité a été voté par l ’Angleterre ; on nous a offert une protection. Mieux vaut compter sur soi pour sa propre défense que sur un contrat, si loyal q u ’il soit des deux parts, dont les clauses pourraient être faciles à éluder. M. Lloyd George ne nous a pas donné sa garantie et l ’Amérique s ’est désintéressée de l ’exécution du traité.

Je ne sollicite rien, mais j ’appelle cependant votre attention sur les conséquences d ’un accord qui barrerait l ’accès du Rhin au militarisme allemand. Rien ne serait plus conform e à vos vues comme à celles de l ’A ngleterre; car, si vous apportez votre garantie à la frontière du Rhin, tout le monde comprendra q u ’une non moins décisive garantie joue au profit de l ’Allemagne, puisque nous ne pourrions l ’attaquer nous-mêmes sans perdre l ’appui de nos meilleurs amis.

Il y aurait donc ainsi sécurité pour tout le monde. Ce serait comme un commencement de coopération en vue du maintien de la paix, qui par son succès certain ne manquerait pas de produire, sur de nombreux points de l ’Europe, un effet d ’apaisement.

{Applaudissements.)

Dans le domaine économique, comme dans le domaine militaire, nous avons été purement et simplement délaissés. Je ne m ’en inquiète pas pour la France, bien que je le regrette plus que je ne saurais le dire pour nos deux alliés. Mais il faut q u ’on ne s ’étonne pas de nous voir mettre notre pays en état de défense, si l ’on ne veut pas nous aider.

L ’ ALLE M A G N E C O U VE R TE D ’ ORGAN ISATION S M IL IT A IR E S

Etes-vous donc assez aveugles pour ne pas découvrir les premiers signes du nouveau drame qui est en préparation? Souvenez-vous de la façon dont, après Iéna, n ’ayant plus que 45.000 hommes sous les armes

(7)

9 Dé c e m b r e 1922 L ' I L L U S T R A T I O N N° 4162 — 579

et ne pouvant en avoir davantage, la Prusse, avec Scharnhorst, organisa l ’armée de Bliicher qui vint accom plir son suprême exploit à Waterloo.

L ’Allemagne est couverte d ’organisations militaires. Tous les jours, nous découvrons de nouveaux dépôts d ’armes sans en épuiser jamais la liste. La haine contre la France se prêche avec une suprême violence dans toutes les Universités allemandes. La haine contre la France, non contre l ’Angleterre ni contre l ’Amérique, parce que l ’on considère que l ’Angleterre est revenue à ses traditions de rivalité et que l ’Amérique se désintéresse de l ’Europe.

J ’ai trouvé ici même d ’infâmes pamphlets, où il n ’y a pas un mot qui ne soit un mensonge. Croyez-vous que cela se fasse sans cause et ne pensez-vous pas q u ’il y ait lieu d ’y songer?

(Si! Si!)

Oui, il y a du militarisme, non pas en préparation, comme celui que vous nous reprochez, mais en action, sous vos yeux, et de celui-là vous ne dites rien. Pas un blâme, pas un reproche, à ce sujet. Q u ’est-ce que cela veut dire?

Cela me rappelle le temps où, vers 1910, rencontrant M. Lloyd George à Carlsbad, j ’entrepris de lui montrer les préparatifs de la guerre qui s ’annonçait. Il ne voulut pas m ’entendre. Les propos du kaiser, la « poudre sèche » ne lui inspiraient point de crainte, —- tout au plus soupçonnait-il quelque mauvais dessein dans le mot fameux : « Notre avenir est sur l ’eau. »

A cet effet, M. Haldane fut envoyé en Allemagne pour essayer d ’une conciliation avec la puissance qui se préparait à accom plir par le fer et par le feu la domination de l ’Europe et du monde. M. Haldane devait échouer. Il échoua. Il s ’en consola en organisant sur le papier une sorte de garde nationale qui devait défendre l ’Angleterre si elle était jamais envahie par l'A llem agne, ce qui aurait laissé supposer la flotte britan­ nique en mauvais état.

(Rires.)

VOU S Ê T E S VEN U S TR O P TARD E T VOUS Ê T E S P A R T IS T R O P TÔT Je pris la liberté de dire un jo u r à M. Haldane que son armée ne répondait pas aux circonstances en face desquelles se trouverait prochai­ nement l ’Angleterre. Il haussa les épaules, et l ’Angleterre, dans son splendide isolement, comme disait M. Chamberlain, vit arriver la vio­ lation de la Belgique sans l ’avoir prévue, sans avoir rien préparé.

Et le soldat français dut supporter seul les terribles coups du premier choc, parce que ni Belgique, ni Angleterre, ni Amérique n ’étaient prêtes. C ’est ainsi q u ’une fortune, qui nous faisait confiance, mais qui était vraiment cruelle à supporter, nous a chargés de prendre notre part des fautes d ’autrui et de les expier avec les nôtres.

(Vifs applaudis­

sements.)

Oui, vous êtes veto us trop tard et vous êtes partis trop tôt, — voilà l ’observation simple et décisive que je me permets de vous présenter.

Vous aviez le droit de partir. Je ne suis pas ici pour vous critiquer, vous blâmer, ni même vous juger. Je parle du point de vue français et même du point de vue mondial. Mais où j ’estime tout net que vous avez eu tort et décidément tort, c ’est, lorsque vous êtes partis, de faire la séparation sans même tenter la chance d ’une proposition d ’accord.

Vous ne nous avez rien proposé. Vous ne nous avez rien dit. Vous avez fermé la porte et aucune suggestion d ’entente sur de nouvelles bases ne nous a été présentée.

(Applaudissements.)

V oilà ce que j ’ai à vous dire de plus sévère, et, quoi q u ’on fasse, je n ’en pourrai rien retrancher. Vous vous êtes désintéressés de l ’exé­ cution du traité, comme si l ’exécution n ’était pas le traité lui-même et comme si le traité n ’était pas la consignation des conditions de paix que nous avions ensemble gagnées. Ne pensez-vous pas que cela a été un grand encouragement pour l ’Allemagne?

Oui. il en fut ainsi, de même encore dans nos débats avec l ’A ngle­ terre, qui auraient dû, qui auraient pu nous être épargnés. Pendant trois ans, les promenades-conférences, où nous conduisait M. Lloyd George, à sa grande satisfaction, semble-t-il, ont eu pour résultat de nous enlever plus de 50 % de nos créances sur l ’Allemagne. J ’en ferai le décompte avant de quitter l ’Amérique. (

Cris :

«

Vous aurez raison!

»)

L ’ ÉGOÏSME M E R C A N T IL E

Hélas ! pourquoi faut-il que j ’y ajoute encore la faute irréparable de la désolidarisation économique par laquelle, vous et l ’Angleterre, vous vous êtes laissé tenter.

C ’est l ’Angleterre, je le reconnais, qui y montra le plus d ’empres­ sement ; mais vous ne fûtes pas longs vous-mêmes à reconnaître q u ’il fallait reprendre les relations économiques le plus tôt possible, ce qui était vrai, — mais à la condition que le seul pays, qui ne pût vous faire concurrence à cause des dévastations conduites par l ’Allemagne en vue de le handicaper dans la paix, ne cessât pas d ’être aidé dans ses répa­ rations. Or. c ’est ce qui ne fut pas fait.

Le marché allemand, le marché russe, très justement, pouvaient

tenter la Grande-Bretagne et l ’Amérique, et, nous voyant hors d ’état de rétablir un peu de notre prospérité par une légitime concurrence, Grande-Bretagne et Am érique nous déclarèrent tout net, du jo u r au lendemain, qu ’elles nous fermaient tout crédit. Du point de vue affaires, cela put paraître à certains une heureuse chance.

D u point de vue affaires privées, du point de vue économique, ce fut le commencement de cette terrible crise actuelle, dont nul ne peut dire encore comment et quand elle finira, ni quels peuples peuvent être ou non à l ’abri de ses coups.

Dans tous les domaines, donc, nous avons été abandonnés. Nous n ’avons proféré aucune plainte ; nous avons travaillé ; nous avons déjà relevé nous-mêmes une grande partie de nos ruines ; nous en avons payé le montant, ce qui constitue, au présent jou r, une avance de quatre- vingt-dix milliards à l ’Allemagne ; et l ’on nous fait espérer, p our le reste, que nous toucherons peut-être la moitié de ce qui nous est dû.

Tout cela s ’est accom pli sous la pression de l ’Angleterre, qui voulait, avant tout, reprendre les travaux de la paix, fût-ce aux dépens de son alliée. On a fait beaucoup de bruit pour des querelles, qui auraient pu être évitées. Mais on a accepté, sans mot dire, sur les invitations pres­ santes de M. Lloyd George, de céder une part de créance équivalente à la moitié. D ’autres concessions encore, trop nombreuses et trop graves, ont été, depuis trois ans, consenties au nom de la France. J ’y reviendrai plus tard.

(Applaudissements.)

Pendant ce temps, vous étiez à vos propres affaires, ce dont je ne vous blâme pas. Nous, nous souffrions cruellement.

Je ne demande ni pitié, ni protection. Mais peut-être avions-nous le droit d ’attendre de vous autre chose que des critiques et des reproches tendant à nous faire apparaître, nous, les victimes du militarisme alle­ mand, comme rêvant de domination européenne, quand, sous vos yeux, l ’Allemagne reprenait son œuvre d ’agression.

P R E SSIO N A N G LAISE E T A BSTEN TIO N A M É R ICA IN E

Ce qui a égaré l ’Angleterre, à mon avis, c ’est le train de l ’ancienne tradition qui lui a toujours fait chercher sur le continent un équilibre de pouvoir à son profit. J ’en ai reçu l ’aveu, à mon passage à Londres, il y a un an environ, lorsque, rencontrant un homme d ’Etat anglais des plus éminents, je lui fis l ’observation que, dès le lendemain de l ’armistice, j ’avais senti une hostilité contre nous, moins dans les propos que dans les desseins que je voyais1 se manifester.

— C ’est notre tradition politique, me répondit-il en souriant.

Eh, ou i! Mais il ÿ avait eu la guerre, la form ation d ’une Europe libérée. Et une Europe nouvelle voulait une politique nouvelle. C ’est, ce que l ’Angleterre, à mon sens, n ’a pas suffisamment compris.

Si vous étiez restés dans les conversations, nous nous fussions tous expliqués avec notre franchise ordinaire et, avec l ’autorité qui vous était propre, je n ’ai pas un seul instant de doute sur les conclusions que nous eussions, sur tous les points, finalement adoptées.

Vous êtes partis. Notre résistance n ’a pas réussi à triompher des efforts de notre partenaire. Et les Allemands, voyant la fissure, ont enfoncé le fer, réussissant trop souvent à déformer la situation, à l ’aggraver, parfois aux dépens des deux pays, sans que le gouvernement anglais pût arriver à voir clairement le danger.

Vous n ’étiez pas là. Vous étiez chez vous, abrités par la doctrine de Monroe, qui, permettez-moi de vous le dire, n ’est plus beaucoup de saison.

La doctrine de Monroe a eu pour vous de grands avantages et je vous en félicite sans réticence. Vous étiez alors un petit peuple; vous êtes devenu un grand peuple, grand par le nombre et grand par l ’action. Or, il faut que vous le sachiez, un peuple peut devenir prisonnier de sa propre noblesse. Il ne lui est pas loisible d ’être grand dans l ’histoire certains jours et petit dans d ’autres temps.

(Applaudissements.)

Vous avez trop fait pour ne pas faire plus encore. Votre guerre de libération ne comporte point de suites telles que la nôtre. C ’est vous qui nous avez délibérément apporté, pour votre propre gloire, les principes de libération qui devaient amener la conclusion de la paix et son exécution. C ’est vous qui avez fixé les conditions auxquelles vous accepteriez de cesser la guerre. Ces conditions n ’ont pas été et ne sont pas remplies.

T’OURQUOI AV E Z-VO U S F A IT L A G U E R R E ?

Pourquoi avez-vous fait la guerre? Est-ce parce que vous vous sentiez menacés à échéance plus ou moins lointaine? Car il est légitime que vous vous soyez décidés pour des raisons américaines, comme les Anglais sont entrés en guerre pour des raisons anglaises, à juste raison. Mais vous, Américains, vous nous avez apporté les principes de libération de l ’Europe. Vous avez été entendus, acclamés alors! Vous avez rempli tous les cœurs d ’espérance. Q u ’est-il advenu de tout cela?

(8)

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gratitude est pour vous. Mais je vous ai sommairement exposé dans quelle situation vous nous avez laissés. Je pourrais vous faire un tableau plus cruel encore, plus cruel pour vous et pour nous.

Avez-vous voulu, vous êtes-vous proposé de sauver l ’E urope? — œuvre qui doit donner la paix au monde quand elle sera accomplie. Mais, alors, où en est cette œuvre ? E t pouvez-vous vraiment dire que, dans la situa­ tion qui a été faite à la France par ses alliés, vous soyez sûrs de la paix de demain?

Je vous ai montré les usines russes fabriquant des armes pour l ’anar­ chie russe, pour l ’impérialisme allemand, et sans doute aussi pour la barbarie turque ; est-ce cela ce que vous avez voulu ? Et de tous vos buts de guerre, dites-moi lequel vous avez atteint ? Quel est le dessein propre pour lequel vous avez versé votre sang et qui soit a u jou rd ’hui réellement accômpli ? (

Applaudissements

.)

Prenez garde, je n ’ai nulle envie de vous retourner vos reproches d ’impérialisme ; mais il faut que je vous le dise : la domination écono­ mique n ’est pas moins cruelle que la domination militaire, qui finit souvent par lui être associée. De Corinthe détruite par César, il ne reste même plus amas de pierres ; Carthage fut anéantie. C ’est une histoire suggestive. Il faut chercher le succès, parce que c ’est la loi de l ’homme. Il ne faut pas lui faire trop de sacrifices. Il ne faut pas en abuser. Le mercantilisme n ’a pas moins de comptes à rendre à l ’histoire des sociétés humaines que la barbarie des envahisseurs.

L A CLÉ DE L ’A P A ISE M E N T E S T DANS VOS M AINS

Contre ce mal terrible de la guerre, on nous a proposé d ’organiser la Ligue des Nations. Je n ’en dis que deux mots : je n ’ai jamais considéré que la Ligue des Nations fû t un moyen certain d ’abolir la guerre parmi les hommes. Mais, sous cette forme ou sous beaucoup d ’autres, des arrangements peuvent se produire organisant des coopé­ rations plus ou moins heureuses pour retarder, pour éviter des conflits et donner aux peuples le temps de réfléchir.

Nous avons une Ligue des Nations à Genève. On y parle volontiers ; on y agit aussi. L intervention de la Ligue dans les affaires de Haute- Silésie a produit des résultats excellents; pour ce qui est de l ’Autriche, les services rendus ne sont pas moins grands. Récemment, M. Lloyd George vous adressait une dépêche pour vous engager à y entrer. Il avait oublié de parler de la France, et je l ’ai regretté.

C ’est à vous de faire ce que vous jugerez bon, quand l ’occasion vous paraîtra favorable; mais il n ’est pas douteux que votre absence, là-bas. se fait cruellement sentir et que vous remplirez les désirs de tous les peuples libres, le jou r où, sous une forme, quelle q u ’elle soit (Ligue ou autre Association), vous ramènerez l ’Amérique dans cette Europe qu elle a trop vite délaissée. Alors, l ’œuvre de la paix humaine pourra faire un très grand progrès.

Je ne veux point revenir sur le passé. Laissons les morts enterrer les morts, comme dit le Livre. Mais puisque l ’Europe ne pourra pas se passer de l ’Amérique, pas plus que l ’Amérique ne pourra se passer de l ’Europe ; comme votre intervention, tôt ou tard, est inévi­ table, faites q u ’elle se produise le plus tôt possible et mettez-y assez de bonne grâce pour ne pas avoir l ’air de vous y trouver contraints.

Il faut une issue à ce grand drame mondial dont vous êtes l ’un des protagonistes le plus écoutés. La clé de l ’apaisement, sinon de la paix définitive, est dans vos mains. Quelle gloire et quelle responsabilité ! A vous de prendre l ’heureuse initiative que tous les peuples épris de liberté attendent dans une angoisse dont vous ne mesurez peut-être pas l ’étendue. Non, vous ne connaissez pas, je le crains, la haute puis­ sance morale q u ’il dépend de vous d ’exercer.

La France peut faire beaucoup encore, malgré sa détresse et même avec l ’exemple de sa détresse ! C ’est pourquoi un Français, sans mission de personne, ose s ’adresser librement à ce grand peuple qui ne sera vraiment libéré lui-même des entraves du passé que le jour où il aura achevé son œuvre de libération mondiale.

IL Y A L E POIDS DE L ’A M ÉRIQU E A JE T E R DANS LA BALAN CE C est une assez belle destinée qui s ’offre à vous. Puisse-t-elle tenter vos hommes d ’E tat! Je ne vous convie pas à courir les risques de guerre. Votre seule présence, votre seul retour en Europe apaisera l ’Allemagne, la rappellera à la raison.

Et, quand nous aurons déterminé les justes fondements d ’un accord, il faudra cette fois que les engagements pris soient tenus. Nous y veillerons tous aussi discrètement q u ’il pourra vous paraître conve­ nable. Mais, alors, ne brisez plus l ’entente franco-anglo-américaine; car elle tient en mains les ressources suprêmes de justice et de liberté qui sont, ou plutôt qui seront l ’apanage des sociétés humaines. Soyez dignes, mes amis, de ce que le monde attend de vous ! (

Applaudissements

.)

Je ne vous demande pas non plus de sacrifice d ’argent, puisque, dès

que la confiance sera rétablie, les banquiers viendront solliciter avec empressement l ’autorisation de travailler de leur état. On avait pris l ’autre chemin ; on les avait réunis pour leur demander la création d ’un état de choses permettant le retour de la confiance et de l ’apai­ sement. Ils vous ont sagement répondu que c ’était votre affaire; et je me suis permis de vous trouver un peu longs à entendre l ’invitation discrète qui vous était ainsi adressée.

Alors, le paiement des dettes interalliées ne sera plus demandé : il sera offert, ce qui vaut mieux, parce que cela aura le grand avantage de maintenir intactes les procédures de l ’amitié.

Alors, ne vous y trompez pas, l ’avènement des jours, où le mot de réconciliation doit être prononcé, sera prochain. Le mot ne m ’effraye pas. L ’Allemagne a été une grande nation. P our le bien de l ’humanité, elle doit le redevenir. Mais il faut q u ’elle expie et q u ’elle paye sa dette pour d ’abominables manquements.

La démocratie allemande, ju sq u ’ici soumise à ses maîtres, les a cruel­ lement suivis dans la guerre. En 1914, les socialistes français voulurent conférer avec les socialistes allemands pour empêcher la guerre : ils ne furent point écoutés. L ’Allemagne d ’alors a payé cher ce crime de sou­ mission.

J ’ignore si le péril actuel de sa patrie aussi bien que de l ’Europe elle- même est susceptible d ’inspirer à l ’Allemagne d ’a u jo u rd ’hui les résolu­ tions nécessaires. Elle a en face d ’elle l'ancien militarisme qui s ’attache ouvertement à la reprise de l ’œuvre folle de l ’ancienne domination.

Si des conflits doivent se manifester entre ces deux puissances, il ne m ’appartient, en aucun cas, d ’y prendre part. Il faut que l ’Allemagne juge et décide par elle-même. Le militarisme a de grandes ressources en ce pays de masses soumises. L ’avenir prononcera.

Quel q u ’il soit, la reprise d ’une entente amicale, — pour la paix cette fois, non plus pour la guerre, — peut avoir et aura nécessairement d ’in­ calculables conséquences. Il y a le poids de l ’Amérique à jeter dans la balance.

Un grand pas en avant pour un prodigieux achèvement de libération humaine, telle que la terre n ’en a pas vu, ou bien un recul effarant dans le gouffre sanglant du passé, — c ’est vous qui en déciderez! (

Toute

la salle se lève et, pendant dix minutes, crie :

«

Vive la France! Vive

Clemenceau!

»)

L E V O Y A G E T R I O M P H A L D E M. C L E M E N C E A U

Dès que l ’on ouvre les journaux américains apportés par le dernier courrier, le même nom saute aux yeux : Clemenceau, the Tiger. Editoriaux, articles, inter­ views, manchettes, titres, dessins, photographies, — il est partout. Et partout aussi son rude visage et son regard aigu que ne parviennent pas à éteindre les sourcils épais et drus comme des moustaches.

En vérité, comme le disent les journalistes des Etats-Unis, le Tigre a, par droit de conquête, accaparé la première page de toute la presse américaine, sans

pré-Pendant la traversée : la promenade de M. Clemenceau sur le pont couvert du Paris.

judice des autres. Cet intérêt passionné, exclusif, cette surabondance d ’information permettent, malgré l ’abstention presque générale de la presse quotidienne fran­ çaise — seuls le Petit Parisien a un envoyé spécial et l ’Echo National un corres­ pondant particulier — de suivre pas à pas, dans son voyage, l ’homme qui, parti sans mission autre que celle de sa conscience, a, en moins de quinze jours, bou­ leversé l ’opinion publique d ’un vaste pays.

A NEW-YORK

Le 18 novembre, dès les premières lueurs du matin, une foule déjà dense se concentrait à la pointe de la Batterie, dans le port de New-York. C ’est qu ’on

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9 Dé c e m b r e 1922 L ' I L L U S T R A T I O N

N° 4162 --- 581

Le 23 novembre • M Clemenceau, en route pour Boston, est acclamé, en gare de New-Haven, A Boston, le 23 novembre : l’automobile de M. Clemenceau passe dans les rues pavolsées

par les étudiants de Yale où se presse une foule sympathique.

LE VOYAGE DE M. CLEMENCEAU A U X ÉTATS-UNIS

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