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TOURING ET AUTOMOBILE CLUB DE TURQUIE
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Les Cris du Vieux "P é ra "
s’en vont» contait en chantant et en grim açant une Les cités, comme les hommes, ont une âm e qui
vib re , une vo ix qui fend souvent l ’opacité de la nuit, je veux parler des cris des sortes propres à chaque p ays.
Istanbul a résonné des ap p els de ses citadins — très rarem ent p ar bonheur, de leurs clam eurs re vendicatrices —— entrecoupés p ar les aboiem ents et les hurlements de sa gent can in e , dont la présence alo rs, dans nos voies urbaines a llé g e a it bougrement le tra v a il des éboueurs, les «tcheupdjis» de notre ex- c a p ita le .
Paris a eu ses cris disparus et rem placées depuis par le ronflem ent des moteurs des véhicules autom o b iles, comme Istanbul qui subit le mouvement de mo dernism e en supportant les «teuf-teuf» et le vrom b isse m e n t sec et provocateur d ’accélération tachicar- dique des « Je ts» et autres engins volants à réaction!
M ais où sont les bruits d ’an ta n , d irai-je , en p a r a ph rasant un terme connu . . . lan cé p ar un poète ou un littérateur dont j’ai oublié le nom!
N otre bon Beyoğlu a chassé les cris du Vieux Péra qui, m algré tout, chatouillent encore mon tympan . . . Nos vigies au fer rouge, ceints d ’un mouchoir p aysan en guise de turban, fra p p a ie n t les pavés d é nivelés de nos arthres en laissan t tomber avec un bruit sourd leurs lourds gourdins sur la p ierre; c ’est le siffle t strident au soin sib ilan t de nos actuels gardiens de nuit, qui a succédé à ce m artelem ent cadencé pour g a ra n tir au x citad ins un sommeil calm e et tran q u ille.
Yanghina var ! Yainghine var !
(Y a le f e u ) , clam é entre le coucher et le lever du soleil pour annoncer un incendie quelque part dans la v ille a p p u y ait de son app el sinistre les coups de canon tirés d ’ une des hauteurs de la Côte A siatique du Bosphore (em placem ent actuel de l ’O bservato ire de K a n d illi) a le rtan t la population et l’avisan t que les flam m es ra v a g e a ont te lle m aison, dans telle rue et dans tel quartier.
Ces avis de détresse déchiraient mon cu ïo et trou b laie n t mon repos nocturne que je ne retrouvais plus jusqu’au matin.
Passons à des clam eurs moins lugubres: le « ’chand d ’ h ab its», «e skileri a la y im » (racco urci présentement en simple « e sk id ji) il circule encore, mais moins bru yam m ent, si mal vêtu colportant un sac en toile dans lequel il fo urrait tout ce q u ’il réco ltait . . . un bric à b rac de vestia ire dont n ’au rait pas voulu un clochard du type de mon grand am useur, quand j’étais un tout petit momichon le nommé « k h y rp a n î» . . . celui-ci sur l ’a ir des «m arionnettes font trois petits tours et puis
fa rc e de son cru qui provoquait l ’aum ône de son a u ditoire, des banbins qui se gossaient à le voir pirouet ter sous les fenêtres de leurs maisons fa m ilia le s à B ey oğlu.
Le matin le garçon épicier p assait sous les balcons de ses clientes en criant sur un ton mineur et en la n gue grecque — ces commis de l’alim entation étaient pour la plupart de provenance des C yclad es (Ile s du Royaum e hellén iq ue) «o b a k k a lis irte» ( v ’ Ià l’épicier) ce qui invitait les m énagères à fa ire descendre au bout d ’ une longue co rd eile, un panier par la croisée afin
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de transm ettre par écrit, leur commande ou plus expéditivem ent elles énum éraient de vive vo ix les produits dont elles avaie n t besoin (h u ile , vin aig re , riz, m acaroni, «p asto u rm a», savon et tutti qu an ti) que l ’épicem are m alin inscrivait dans un cah ier écolier en ne m anquant pas de forcer sur les prix et en rognant évidem m ent sur les pesées.
Le petit « b a k k a l» s ’en a lla it pour revenir aussitôt avec les provisions qui s’é levaient dans la couffe, ce m onte-charge prim itif . . . encore en usage de nos jours à Beyoğlu.
Puis vers lef dix heures, a van t midi, une vo ix qui m’ était si fam ilière s'en tend ait au milieu de la rue «yoghourdjou b ab a geldi» (le p ap a yoghourdjou s 'a m è n e ), c'était le m archand de lait c a illé qui monté sur son petit cheval d 'A n a to lie à la robe a le za n v e nait o ffrir son e xcellent la ita g e du fin fond de Kâat- hane . . .
Ce brave v illag eo is qui m'a alim enté pendant plus de quinze ans du lait crém eux de ses brebis a v a it bien v ie illi lorsque je le revis en 1 9 03, retour du M ont-Liban; après un entr’acte décen n al, il avait pris de l’âg e , mais a v a it conservé le timbre chantonnant de son in d ica tif com m ercial.
Une autre voix sym pathique était celle du m ar chand de pâtes à feu illeté s . . . qui so lfia it de manière* très a g ré ab le les mots suivants:
«H ass yo u fka . . . — une pause — . . . tel ka- d a y ifff . . .
Un immense plateau circu laire, posé à même une couronne en tissu rem bourré, en équilibre sur la tete, il sillo n n ait les Venelles du quartier en scandant en mesure, les noms de la m archandise qu’il ven d ait.
L’égoutier (la g im d ji); le vitrier (d ja m d ji); r é t a meur ( k a la y id ji ) ; le savetier am bulant (koundoura- d j i ) ; le ram oneur (o c a k d ji); le m archand de moules frites (m id ya tavassi . . . ) continuent eux toujours à exercer leurs métiers de «m archands errants» en
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