LE PRINCE SABAHEDDINE
Son activité politique en Turquie
Par N. MOSCHOPOULOS
son éducation politique. Il com m ença m êm e la publication d ’unjo u rn a l en tu rc d ans lequel il
développait son fu tu r p ro g ram me: il d ev ait se b aser su r la ,,dlé Le p rin ce S abaheddine, d ont
la m o rt a été annoncée a v a n t-
hier, n ’était pas u n étra n g e r
pour la G rèce, encore m oins
p ou r les G recs de l’ancien E m
p ile O ttom an qui, depuis la re s -] ce n tralisatio n et l’m l'tiatiye P>i ta rn a tio n du régim e constitution v ée” (en tu rc „«demi m erkeziyet
: nel, en 1908, av aien t—à to rt o u ] w é tesscboussou chahsi”). Et
! à raison —fondé de g ran d s es poirs su r sa' p articipatio n dans
Ja vie polit que active de son
pays
Il é ta it le fils de la princesse Sem h a S ultane, fille du su ltan A bdul M cdjid (1839-1861) née le 18 novem bre 1851 et m ariée, en 1877, à D am ad (1) M ahm oud p a cha, conseiller d ’E tat, plus ta rd m in istre de la justice. E ta n t fils d ’une su ltan e et d ’un com m un m ortel, le prince S abahed dine n ’ a v a it pas droit au titre d ’„Al- tesse Im p ériale“ qui é ta it ré se r vé au x „chehzadé” (i ls du Roi, c’e s t-à -d ire du S u ltan régn an t), tandte que lui n ’é ta it q u ’un „Sul ta n e -z a d é ”, neveu, p a r la ligne fém inine, du sultan A b du l-H a- m id (1876-1910). Bien que sim
ple „su ltan e-zad é”, n ’a y a n t
p oin t le ran g et la position sociale d u r prince d u sang, S a baheddine reçut d ans son pays,
une in stru ction soignée qu'il
com pléta plus tard , en Europe. Son père éta t un hom m e éclairé d ont les idées se tro u v èren t peu après son m ariage, en opposi tion avec le régim e d ’ab so lutis m e et d ’oppress on in stau ré p ar A bdul H am id quelques m ois seu lem ent après l’octroi d'u n régi m e et d ’opp iess on in stau ré p a r en 1876. E t quand la ty ra n n ie
h am id ien ne atteig n it son point
cu lm in an t et que le séjou r de
to ut hom m e lib érai en T u rq u e d evenait im possible,D am ad Mah
m oud pacha décida de q u itter
son pays. D éjà beaucoup d ’ém i grés tu rcs organisaient à l’é tra n ger, u n p a rti d’opposition a n ti- ham idienne, le p a rti de la ,,Jeu
n e-T u rq u ie”. M ahm oud pach a
v in t d ’abord en G rèce. C’é tait en octobre 1899.
L’arriv ée d ’un réfug ié po lit.- que, m em b re de 1« fam ille r é
gnante de l’E m pire O ttom an,
m it n atu re lle m en t la G rèce en
m au v aise p o stu re v is-à-v is son
g rand vois n. Elle é tait alors
bien p etite et bien faible. Sa
fro ntière était à quelques kilo m ètres au nord de L arissa. E t l’E m pire O ttom an é ta it encore
tellem ent puissant! Le S ultan
A bdul Ham id, p a r l'entrem ise
de son m in istre à A thènes, fit
des dém arches p ressan tes d e
m a n d an t l’ex tra d itio n de son
b ea u -frère.L e gouvernem ent hel lénique refusa et continua d ’in
si s te r su r son refus. L ’affaire
p ren a it les dim ensions d 'u n con flit diplom atique, le S u ltan m e n aç an t de rom pre les relations diplom atiques avec la G rèce ou m êm e d a lle r plus loin. Le gou v ern em en t grec p ria le dam ad im p érial de q u itte r la capitale et d ’aller résid er à Corfou. Ab dul H am id n'en d ém ordait pas. Le dam ad fut alors, trè s poli m ent, p rié de q u itte r lai G rèce afin de p révenir un conflit plus grave. M ahm oud pacha d u t p a r tir p ou r l’O ccident. Il é tait ac com pagné de ses deux f is, d ont l’ainé était le p rin ce S ab ah ed
dine. Q u atre an s après, le 18
ju in 1903, M ahm oud pacha m ou ra it à B ruxelles.
L e prince S abah ed dine p rofita de son séjour en Suisse, en F ran ce e t en B elgique pour p arfaire
(1) Le m ot „dam ad” signifie,
en turc, gendre. 11 é t a it donné
com m e titre a u x p ersonnages
qui épousaient une fille des su l ta n s de T urquie.
q uand le 23 ju ille t 1908, le- co
m ité, révolu tio n n aire d ’abord,
de l‘„U nion et P io g rè s” (Ittih a d ve te ra k k i) form é à S alonique et dans d ’au tre s villes de la T u r quie, réussit, sous la m enace d ’u ne m arch e su r C onstantinople à m poser au S ultan la resta u ra tiop du régim e con stitutionnel le p rin ce S abahedd ine re n tra en T urquie.
Les idées se tro u v è re n t b ien tô t en Opposition avec celles des gens de l’“Union e t P ro g rès”, plus com m uném ent connus sous le nom de Jeunes-T u rcs. A leur program m e de nationalism e tu rc et de cen tralisatio n i-1 opposait les principes de décentralisation et d ’en te n te de tou tes les races h a b ita n t l’E m pire ottom an, A ra
bes, G recs, A rm éniens etc. Ce
lu re n t su rto u t les G recs et les A rabes aussi, qui se m o n tra ien t to u t disposés à se m e ttre sous son drapeau. P o u rta n t, son p a rti celui de r„ E n te n te L ib érale” (en tu rc ,,Hu; riv e t ve iitila f”, te x tu ellem ent ,,L b erté et Entente'“) n ’é tait pas encore organisé. A ux
prem ières dém onstrations de
joie à propos d u rétab lissem en t de la liberté, les G recs à Cons tan tin o p le et ailleurs, m an ifes ta, en t ou v ertem en t po ur S ab a heddine.M ais au x p rem ières élec
tions p arlem en taires, en autorff
n e 1908, ils fo rm èren t u n groupe p lu tô t indép en d an t qui envoya 25 députés à la C ham bre turque. Ces élections don n èren t u n e m a jo rité écrasan te au p a rti de l’U- n en et Progrès. Les 25 d éputés grecs et les députés arabes re s ta ie n t to u jo u rs en m inorité. Et
les a u tre s groupes (10 A rm é
niens, 4 juifs, si nous avons bon
ne m ém oire) allaien t avec les
Jeunes-T urcs.
O m nipotents p a r le u r force n u
m érique, ceux-ci in sta u rè re n t
un régim e quasi-dictato rial, voi re m êm e terro riste. T rois jo u r nalistes tu rcs de l’opposition fu re n t assassinés, en pleine rue, à C onstantinople. Non contents de p ersécu ter les n atio nalistes non- tu rq ues, les gens de l’U nion et P rogrès s’a tt.ra ie n t l’hostilité de larg es couches de la société tu r que. B ientôt une scission se p ro
d u isit dans ieur p ropre p arti.
L es rangs des „i tila fd jis” (p a r tisan s de l’E ntente L ibérale) se ren fo rçaien t de plus en plus. 11 se fo rm a p arm i les T urcs, su r to u t d ans l’arm ée, une Ligue qui
p rit le nom de „H alask iaran i
M .llet” (S au v eu rs de la nation). Des trou bles provoqués en A lba nie p ar les A lbanais m u su lm ans
aid an t, les h a la sk ia ra n réu ssi
re n t à renv erser, d ans la Cham
brg, le cabinet je u n e -tu rc do
H akki pacha et à im poser au
S u ltan M ehm et R échad la fo r
m atio n d ’un gouvernem ent de
vieux hom m es d’E ta t sous le m a réch al G hazi A hm ed M o u k h tar pacha.
M ais entretem p s, les n atio n a
lités ch rétiennes su rto u t les
G recs, les B ulgares e t les S e r bes, las de la politique jeu n e- turque, fin ire n t p a r se m e ttre d ’ accord. U ne A lliance b alk an iq u e fu t form ée. Elle d éclara la g u er re à la T urquie. (4)17 e t 5)18 oc tobre 1912). Les rap id es victoi
res des alliés balkaniques eu
re n t pour prem ière conséquence
la chute du cabinet M o u k h tar
pacha. U n nouveau g o uverne
m en t fu t form é sous K iam il pa
cha, 1 „îngliz K iam il”, com m e
on l’appelait à cause de ses ten d ances anglophiles. C’é ta it l ’hom m e du p a rti de l’E n te n te L ib é rale. Il se m it à négocier avec les B alkaniques une paix qui de wait, sa u v e r u n e p a itie de laT h ra
ce O rientale. M ais A ndrinople
a lla it être sacrifiée. Les Je u n es- T urcs, se se rv a n t de ces dispo sitions conciliantes de K iam il pa cha com m e p réte x te p rép a rè re n t u n hard i coup de force. U n grou pe de „jeunes” sous le général E n v er pacha e n tra p a r surprise d an s le palais de la Sublim e Por te et p é n é tra ju sq u e dans l’anti ch am b re du conseil des m inis tres qui d iscu tait ju ste m e n t les conditions de la paix. Le g én é ra l Nazib pacha, m in istre de la
g u erre, o u v ran t la p o rte pour
v o ir ce qui se passait, fu t tué
raide. Les m anifestan ts faisa n t
irru p tio n dans la salle du con seil forcèrent, K iam il pacha à si
g n er et envoyer au S u ltan sa
dém ission. G abriel effendi N ora dounghian, m inistre des affaires étrangères, un A rm énien, a y a n t voulu p a rle r fut giflé.
Les Je u n es-T u rc s p riren t,d an s le nouveau cabinet, tous les p o r tefeuilles sauf la présidence du conseil. Ils confièrent le g ran d -
v ez irat au général M ahm oud
C hevket p acha qui en a v ril 1900 s ’é tait m is à la tète de l’arm ée je u n e -tu rq u e qui, m a rc h an t su r
— t . x - O - — . . J
C onstantinople, détrô n a le su l- ta n t A bdul Ham id.
Le coup de force des Je u n es-
T urcs exasp éra l ’opposition de
l’E n tente Libérale. U n com plot fu t tra m é pou r tuer, disait-on, tous les m em bres du conseil des m inistres. La ru m eu r publique
p ré te n d a it que d errière cette
conspiration étaien t le prince
S ab ah ed d in e et m êm e le prince M ehm et V ahideddine frè re p u î n é du su ltan M ehm et Réchad.
On ne sait pas ju sq u ’à quel
p o int ce so uvera'n m êm e était d an s le secret.
Inform és p a r le u r police se crète, les m in istres je u n es-tu rcs p rire n t leu r p récaution . Quand à M ahm oud C hev ket pacha, on
prétend qu 'in tention nellem ent,
ils le la issè re n t san s protection. Le 29 m ars 1913 au so rtir du mi n istère de la g u erre, il fu t tuié d an s son auto, p a r un ex a lté du nom de T opai Ism ail qu¡ m onta su r le m a rc h e-p ied de la vo itu re
Ses cam arades étaien t p rê ts à
peu de .distance. L ’assassin fut p re sq u ’im m édiatem ent a rrê té et. b ientôt p lu sieu rs de ses com pli ces aussi.
L a repression des Je u n es-T urcs fu t dure. Il y eut un procès en cour m artiale. Q uelquesuns des
accusés fire n t des av e u x com
plets. Les co rresp ond an ts étra n
gers, qui n ’o nt pu assister au
procès, lequel a v a it lieu à huis
« a i i i i i u i i i i i i i i i i i i u » . ... . . . .•M in im u m »
clos, fu re n t convoqués à u n e sor te de conférence de presse, de v ant laquelle les accusés réité
rè re n t leurs dépositions. L ’a u
teu r du p résen t article, alo rs cor respo nd an t du T elegraphen. K or
respondenzbureau S. et R de
v ienn e, ass’sta it à cette p ress- conference. Du reste tous les d é
tails qu; précèd en t sont basés
su r ses notes et souvenirs p e r sonnels.
La cour m artiale p ro nonça
v in g t sentences d e mort: h u it
p a r contum ace et douze co n tra dictoirem ent. P a rm i les p rem iè res é tait celle du prince S ab a h ed din e qui av a it réussi à s’é ch app er à llét ran ger. P arm i les douze au tre s, le plu s im p o rta n t é tait le D am ad Salih pacha, un g end re du prince M ehm et V ah- deddine. L ’in terv en tio n du su l ta n R échad p o u r le sau v er fu t sans effet. Il fu t exécuté avec les onze autres, su r la P lace du M inistère de la g u erre (S eras- k é ra t). T ous o n t été pendus. L ’ au te u r de ces lignes fu t le seul corresp o ndant é tra n g e r qui as sista à la scène h o rrib le de la pendaiso n e t en su iv re les dé tails. Informlé à tem ps, il ré u s sit à p asser à 2 h eu re s du m atin de P é ra (Beyoglou) à Stam boul,
en com pagnie de feu G ustave
Séon, co rrespo n d an t du „ J o u r n a l”, de P aris. Mais, en route, Séon s’égara et ne put a rriv e r à tem ps p o u r se fra y e r un p as sage p a r d es ru elles a v a n t la form ation du cordon de troupes.
Les m o ritu ri fire n t tous p re u
ve d ’un courage ad m irab le. Ils
a rriv è re n t su r le lieu du suppli
ce en ch a n ta n t la p riè re des
m orts. D am ad S alih p acha fu t
im perturbable: il éloigna d ’un
geste le bou rreau et se mit, lui- m èm e la corde au cou. Un a u
tre condam né, le lieu ten an t
de vaisseau K iazim bey cria d'une voix juvénile: „A bas les m açons! Si u n K iazim m e u rt cette nation p eu t en p ro d u ire beaucoup d’au tre s!”
Chez les V ieux-T urcs, à cette époque, un préjugé É tait très ré
pandu: Que d errière tous ces
évènem ents étaie n t les loges.
Nous disons préjugé, car le p rin ce S abaheddine était, dit-on, lui m êm e un Iran-m açon.
D epuis 1913, ii vivait à l’étra n ger, ta n tô t en Suisse, ta n tô t en Belgique. La m o rt l’a tro u v é à Colombier.
Q ue Dieu a it son àme.
N MOSCHOPOULOS
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